Correspondance choisie de

Mère Mectilde




Un choix par Dominique Tronc à partir des éditions au sein de l’Ordre et de la Correspondance de Bernières

Ce dossier de travail complète les Correspondances de direction précédemment constituées de Bernières, Bertot, Guyon, Fénelon, par celle de leur compagne Mectilde.





Présentation


Ce choix de lettres constitue une « ouverture vers d’innombrables manuscrits » accumulés en plusieurs siècles par les copistes bénédictines des écrits de leur fondatrice Mère Mectilde.

Des études citant des textes intérieurs soigneusement choisis furent préparées par des religieuses mystiques pour circuler au sein des monastères. Les transmettrices demeurent méconnues. Leur labeur durant trois siècles mérite reconnaissance et redécouverte.

Mais destinés à un usage spirituel interne, les éditions imprimées au sein d’un Ordre à l’avenir devenu aujourd’hui incertain deviennent rares. C’est le devoir de transmettre les traces d’une Tradition authentique. Il m’a donc paru urgent de mettre en valeur un choix incitant à la vie mystique.

J’ai eu la chance d’être guidé par des archivistes de l’Ordre aujourd’hui disparues et propose ici un volume maniable - après avoir réédité les principaux écrits mystiques de « l’autre » mystique de même mouvance, Madame Guyon « Sœur dans le monde » pour qui Mectilde était « une sainte ». L’ancienne fut religieuse, la plus jeune demeura laïque : changement d’époque ! Ce sont les deux principales figures mystiques féminines qui ont connues la fin du Grand Siècle.

Le fonds manuscrit fut protégé dans l’Ordre fondé par la Mère Mectilde - des milliers de textes de Mectilde recueillis, copiés et recopiés sur trois siècles par ses « filles » sont répertoriés en un « Fichier Central »1 - tandis que le fonds manuscrit de Madame Guyon - que ses proches appelaient également « notre Mère » - a été sauvé par des disciples dont le fidèle pasteur-imprimeur Poiret.

Deux heureux sauvetages, deux immenses ensembles de textes intérieurs2.

§


Un travail comparatif devrait être entrepris : les deux femmes ont des points communs même si elles ont vécus fort distinctement, ce qui élargit le spectre des conditions et milieux rencontrés, des monastères aux Cours, des puissants aux prisons.

L’approche intérieure commune leur a attiré des « ennuis » au sens ancien fort : prisons pour Guyon, vieillesses sans repos pour toutes deux. Elles partagèrent un même souci de service à rendre, lavement des pieds de jeunes bénédictines ou bien de disciples engagés dans le monde et de visiteurs étrangers. Même intensité exigeante : elle provient de leur origine intérieurement commune puisqu’elles se rattachent à une filiation née du franciscain Chrysostome de Saint-Lô, passant par Monsieur de Bernières, puis par Monsieur Bertot qui dirige la jeune Madame Guyon).

Même dons d’écriture et de parole qui porte intérieurement. Contacts successifs avec deux épouses royales, donc l’expérience des puissants. Les différences seraient les espaces d’où elles rayonnent : celui « interne » clôturé d’un monastère, celui « externe » - à peine plus libre - de la ville et de la Cour. Mondes complémentaires à l’époque classique.

§


Je relève des lettres3 choisies de diverses sources4. Chaque lettre est livrée dans son intégralité. Elles rendent mieux compte de l’esprit intérieur 5.

C’est le cas dès la première lettre adressée à l’Ami Boudon6.

Car la ‘mystique’ ne réside pas dans les ressentis , des révélations, phénomènes à ‘oublier’ (Jean de la Croix et tous les mystiques). Mais ‘dans un profond silence’ (première lettre), par les ‘plus saintes graces’ qui sont elles invisibles (lettre seconde), et si besoin il y a Mectilde demande ‘qu'elle mange des œufs’ puisque l’ascèse n’est qu’intérieure (lettre troisième).

Des lettres autographes7

152 8

A Monsieur Henri-Marie Boudon le 2 septembre 1652

Monsieur mon très cher Frère/0,

Puisque vous êtes sur le point de vous éloigner, possible pour plus longtemps que vous ne pensez, il faut que ie vous donne encore une fois de nos nouvelles, non dans toute l'estendüe que ie souhaiterais pour le peu de sûreté des lettres, mais seulement trois mots de l'affaire que vous scaves . Je vous diray donc, mon très cher frère, que i'ay souffert l'assemblée/1 pour contracter, sans y prononcer une seule parole pour la faire avancer. Il me semble que la divine providence me tient tousiours dans la disposition que vous scaves , voir plus profondément sy ie l'osais dire. Je laisse tout à Dieu sans que ie fasse plus de résistance. Nonobstant mes indignités etc., et les paroles de beaucoup de personne qui condamne cette action et m'accuse d'une épouvantable superbe. Je dois tout soutenir dans un profond silence, me laissant anéantir comme il plaira à Notre Seigneur. Je vous remercie, mon très cher frère, des bons et saints advis que vous m'avez donné de la part de M. B(ernières)/2. Je luy en suis très obligée et à vous aussy. Si Notre Seigneur donne bénédiction à cette affaire, ie vous le mandray. Sy je peux aprendre le lieu de votre demeure, ne soyez pas sy longtemps sans nous rescrire.

Ma chère mère de Montigny/3 se porte bien mieux de son mal de teste. Mademoiselle de Manneville/4 nous a escrit et mande la9

0. Boudon : Henri-Marie, 1624-1702. archidiacre d'Evreux. Cf : Albert Garreau, Monsieur Henri-Marie Boudon et le secret de l'école française, les éditions du Cèdre, Paris, 1967. Pierre Coulombeau : Henri-Marie Boudon, « un archidiacre d'Evreux au Grand siècle », Revue trimestrielle de l'ANDIC, 1988, n°45/46. [note de l’imprimé sur appel astérisque après ...Boudon].

1. L'assemblée des fondateurs et fondatrices pour signer le contrat de fondation, d'abord au parloir (les religieuses devant Carré et Marreau, notaires au Châtelet de Paris le quatorzième jour d'août mil six cent cinquante deux. Cf : Documents Biographiques, Ecrits spirituels, Rouen. 1973, p.86.

2. Bernières Jean de Bernières-Louvigny. 1602-1659, Documents Historiques, p. 64. n. 21

3. Mère de Montigny : Anne de Saint-Joseph Montigny soeur de Monseigneur de Laval-Montigny, premier évêque de Québec au Canada. Meurt en 1685 au monastère de Nancy dont elle était Prieure. Cf : Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, p 116. n. et lettres.

4. Melle de Manneville : Nous trouvons mention des comtes de Manneville, gouverneurs de Dieppe, au XVII° siècle, Cf : Saint-Simon, Mémoires, T. VI.

155

consolation qu'elle a receu dans l'entretien que la providence vous a donner ensemble. C'est une fille qui cherche Dieu de bon coeur may ie crois avec un peut trop d'ardeur et d'empressement. Elle a besoin d'une bonne direction. Je prie Notre Seigneur qu'il soit sa lumière. J'aurais bien des choses à vous dire mais ie ne puis les exprimer par la présente, il se faut perdre pour se mieux retrouver en Dieu. Cet là mon très cher frère où ie vous vois, où ie vous trouve et où ie vous laisse, et où ie vous suis en son Saint amour pour jamais,

Votre très humble très

affectionnée Soeur et

obligée Servante en J. C.

Sr. du st Sacrement10


Mon très cher frère,

Mes très humble recommandations

s'il vous plait à Monsieur Burel.

Faites en sorte sy vous pouvez

qu'il offre à Notre Seigneur l'oeuvre que vous

scavez et qu'il le prie très instamment

que sy ce n'est point sa pure gloire,

qu'elle soit toute renversée. Je vous

assure que j'y ay moins vie que

jamais. Le bon plaisir de Dieu soit

parfaitement accomplit en nous.

(adresse)

A Monsieur

Monsieur Boudon

de présent A Rouen

158



Au Révérend Père Prieur [Saint-Germain-des-Prés]

abbaye Saint-Germain-des-Prés

Bénédictines du St Sacrement

+ Ce, mardy, midy.


Mon très Révérend Père,

Nous suplions humblement votre R(évéren)ce, nous donner la permission de faire bénir un des jours de cette semaine une grande image en relief /1 de la Mère de Dieu à laquelle nous avons toutes une dévotion, et une confiance toute particulière et croyons qu'elle sera la Mère et la protectrise de cette petite maison. Nous la regardons comme telle et comme notre Supérieure. Et nous la prierons qu'elle vous comble de ces plus saintes grâces et qu'elle nous rende digne d'estre en l'amour de son fils.

Mon Très Révérend Père Vostre très humble très

obéissante fille et servante Sr. du St Sacrement

(adresse) R. I.

Au très Révérend père.

Le très Révérend Père Prieur etc.

A St Germain

1. Statue de la Sainte Vierge, présidant au Choeur. Chaque communauté a une statue de Notre Dame Abbesse au Choeur et dans les principales pièces du monastère.


170



A Mère de la Nativité [au monastère Notre-Dame de Liesse 3 décembre 1680]

au monastère Notre-Dame de Liesse

Paris

+ 3 décembre 1680

Je suis très obligée à ma très chère Mère de S(aint) Augustin, des soins qu'elle prend de la santé de ma très chère de la Nativité. ie scay que sa santé n'est pas bonne cet pourquoy je vous suplie avec la permission de Madame, que n(ot)re chère M(ère) de la Nativité ne jeune point, qu'elle mange des oeufs et du potage ou bouillon gras, et sy, vous luy voyez d'autre besoin je suplie v(ot)re charité d'y pouvoir, je vous rendrez, très chère Mère, tout ce que vous y employerez et je vous en seray très sensiblement obligée. C'est v(ot)re fidèlle servante en N(otre) S(eigneur).

Sr M. du St Sacrement P. ind.

(adresse)

Pour

La chère Mère de la Nativité

adoratrice perpétuelle du très

St Sacrement de l'autel

présentement

A N(ot)re Dame de Liesse 2

1. Mère de la Nativité : Anne Bourban. Professe du Monastère de la rue Cassette, le 4 novembre 1663.

2. Notre-Dame de Liesse : Prieuré de Bénédictines fondé à Rethel. Transféré à Paris en 1636 puis supprimé en 1778. Après la mort de la Supérieure en 1680, Mère Saint-Alexis, les religieuses ont demandé l'aide de Mère Mectilde.

170

A Mère de la Nativité

au monastère Notre-Dame de Liesse

Paris

+ 3 décembre 1680

A une religieuse de l'Institut [ décembre 1685]

+

(décembre 1685)

Ne vous troublez point sur les veues que vous avez de faire des humiliations, prenez celles que la divine providence vous envoyera . Elles seront tousiours meilleurs que celles qui viendront de vostre inventions. Souvent nous voulons faire par nous mesme et nous ne pouvons souffrir ce que Dieu fait par les événemens de sa providence. Tenez vous, chère E(nfant), bien attachée à la volonté divine. Voyez la tousiours en ce qui vous arrive et ne vous arrestez jamais sur les causes secondes qui sont les créatures dont Dieu se serre pour nous affliger. Ne cherchez rien hors de vostre néant, c'est votre fort que d'y demeurer, quand vous en sortez vous faites tousiours des rencontre qui vous brouille 11 l'intérieure. Sy l'on pouvait comprendre les grands biens qui sont renfermé dans le bien heureux rien sy inconnu, l'on n'en voudrait jamais sortir. Tout à lentour du néant, il y a mil monstres qui tache de nous engloutir. Cet pourquoy tachons d'y demeurer, ou du moins quand nous apercevons des misères qui nous viennent (illisible), replongeons nous dans ce rien pour nous mettre en assurance de cent mil tentations qui se présente , tantost une créature, tantost un(e) parole, et puis les rencontre qui choc nostre esprit ou qui nous cause plusieurs infidélités, ce bien heureux rien nous préserve de bien des misères où nous tombons insensiblement et fréquamment .

Gardez vous aussy de vous donner la liberté descouster les paroles qui sont à deux entende ou qui porte a des (illisible). Il n'est point permis à une âme qui communie de prester l'oreille a ces horreurs quoy que honnestement, le démon y est tousiours et fait de très méchants effect . Fuyez l'ombre du pécher non par un esprit critique et scrupuleux mais par respect à Dieu qui n'ayme point que son épouse ce donne ses petites libertés. Séparez vous de toutes ses badineries trop libre , mais tenez vous aux pieds de ce Dieu Enfant, de ce Verbe adorable qui s'est venu anantir pour nous aprendre l'usage du s(ain)t anéantissement, la très s(ain)te Vierge vous enseignera a le bien pratiquer sy vous tachez de la regarder dans son silence et sy divin recueillement.

Je vous suis bien obligée de la part que vous avez prise à mes croix. Je ne suis pas fachée d'estre humiliée, mais priez N(otre) S(eigneur) qu'il me pardonne toutes les fautes que i'ay fais dans l'Institut et surtout dans cette misérable charge de prieure, où mon trop de douceur, où pour mieux dire de sotte et imprudente bontés ; je puis estre cause de la liberté que l'on a prise de produire tant de fausetés . Le gain de mon procès ne remply pas mon coeur de joye, il demeure sous les pieds du divin Maistre pour y estre tousiours froissé et anéanty en la manière qu'il luy plaira. Je n'ay qu'à souffrir et mourir. Il ne faut vivre en ce monde que pour cela, car rien de la terre n'est capable de nous donner de la joye, aussi n'en veux ie pas gouster. Mais réiouissons nous que n(ot)re fin aproche , et que par la mort, la source du péché sera tarie en moy. Ne m'oubliez pas en vos s(ain)tes prières, je suis bien obligée à la charité de la chère m(ère) Prieure /1 et à toute la Communauté qui s'est tant intérressée pour moy, N(otre) S(eigneur) la récompensera bien par sa miséricorde.

(sans signature - sans adresse).

1. Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Prieure du 2e monastère de Paris, rue Neuve Saint-Louis. Puis Françoise Charbonnier, professe de Toul en 1666, Prieure de Paris de 1685 à sa mort en 1709.

Lettres inédites, Téqui 1976, p 227 n° 5. [références à des éditions antérieures]

Fondation de Rouen, Téqui, 197, p.143.

180



A une religieuse de l'Institut [4 may 1691]

4 may 1691

Non, il ne faut point faire connaistre les productions de v(ot)re fond qu'à ceux ou celles qui ont la conduitte de v(ot)re intérieur et non à d'autre cela n'est pas dans le bon ordre, ni dans les règles de perfection.

3, Chose est l'attrait pour les pénitences,

Je vous advoue que v(ot)re zèle sur cela m'est un peu suspect ; ce n'est pas que je n'ayme les âmes pénitentes, elles me sont bien précieuse mais comme c'est v(ot)re attrait, il faut le régler et prendre toutes les croix de providence en esprit de pénitence et mil choses qui mortifie la nature et l'esprit humain. Il me semble que vous ne voulez pour pénitence que des macérations corporelles Et cependant ce ne sont pas les plus sanctifiante l'amour propre y prend bien souvent sa bonne part ; mais les autres pénitence sont plus cachée et plus agréable à N(otre) S(eigneur). Résolvé vous donc à les faire de la sorte et N(otre) S(eigneur) vous bénira. Mourant ainsi à vostre propre volonté et à v(ot)re esprit tandis que vous avez des supérieures sage et qui veulent Dieu, ne demandez point permission à v(ot)re Confesseur, la S(ain)te Règle vous lie à vos Supérieure pour moy j'en demeurerais à leurs sentimens avec humble soumision, la grâce y est renfermée.

La chose est sy vous devez rester en repos de conscience.

Je dis devant Dieu que OUY, et qu'il est temps que vous sacrifiez tous vos retours et vos réflexions sur vostre vie passée et sur vous mesme, ne vous arrestez plus suivez v(ot)re course, le temps est bref. Nos amusemens sont grand soub prétexte de vertu. Passez donc vostre chemin sans retour. Allez où la grâce vous conduit, suivez N(otre) S(eigneur) qui vous apelle à sa suitte , en vous quittant et vous outrepassant vous mesme pour trouver et posséder uniquement Jésus Christ.

Je puis vous protester en sa s(ain)te présence que je n'ay rien diminuez de la tendre affection qu'il m'a donnez pour vous et qu'elle durera iusques a l'éternité puis qu'elle est fondée en luy, par luy, et pour luy.

En foy de quoy, ie signe la présente protestation, le 4 may

1691.

Sr M. du St Sacrement

P. indigne

Dès que i'auray la permission, ie m'en iray chez vous certainement, ie ne puis plus différer.

(sans adresse - sans signature)

184



A une religieuse du monastère de Saint-Louis à Paris [Samedy 5 de l'an 1692]

+

Samedy 5 de l'an 1692


Vostre chère lettre, ma plus chère Mère, m'a donné une sensible consolation, voyant tousiours vostre bon coeur au milieu des abismes d'abjection où la divine providence ma plongée.

Je vous advoue que N(otre) S(eigneur) m'y a fait trouver la joye et la satisfaction qui n'est pas concevable mais N(otre) S(eigneur) connaissais ma faiblesse, j'avais besoin de son secour, pour me soumettre à ses adorables conduittes qui n'estait pas bien agréable à l'esprit humain.

Je crain que je ne les chérisse pas assez et que N(otre) S(eigneur) les retire. Cependant ie ne demande pas le retour de la médail. Je connaist les merveilles de graces qui sont renfermée dans ses estats humiliez . Il me semble que mon dégagement est plus grand et que je n'ay plus rien à craindre. J'ay tout perdu ce que l'amour propre chérissait le plus. Il reste encore à sacrifier la nature pour les grandes douleur que ma nature crain. Il faut néantmoins espérer que lorsqu'il — N(otre) S(eigneur) — m'en donnera, il me fera la grâce de les souffrir par vos s(ain)tes prières qui m'ont attirés tant de bénédiction . Continuez les ie vous suplie et pour ma pauvre Mère Ancienne, que je voudrais bien voir en paradis, elle souffre beaucoup et souffrira bien encore davantage.

Je vous prie, très chère Mère, pour vos affaires spirituelle et temporelles de vous adresser à la glorieuse s(ain)te Geneviet (Geneviève) ; elle vous secourera et nous aussy, et disposera le coeur de mad(ame) de Bois D(auphin)/2.

Ne soyez point en peine de vos lettres, ma très chère Mère, ie vous assure que ie les brusle fort exattement , mais puisque vous désirez que ie vous les renvoye, ie le feray ponctuellement ; ie respondray à ce que vous voulez me consulter et vous renvoyeray vostre lettre fort fidéllement avec la responce , si N (otre) S(eigneur) me donne la grâce et la capacité de la faire ; mais comptez tousiours que ie suis indigne de ses divines lumières, soyez bien persuadée, très chère Mère, que toute misérable que ie suis, ie suis très sincèrement toute à vous.

Je me tient preste à partir lors que l'on me l'ordonnera, l'on ma donnez quelque advis la desus sy ma pauvre bonne Mère estait en paradis, je vous assure que ie partirais avec plaisir mais i'ai une peine incroiable de quitter cette pauvre souffrance qui serait tout à fait troublée sy je l'abandonnais. Elle voudrait aller chez vous mais helas vous avez vostre poid , il ne faut pas l'augmenter. S'il faut que ie quitte P(aris), je la mettray entre vos mains et vous serez sa bonne Mère, cela ne sera plustost qu'a Pasque , car on troublerait la plus part de la communauté qui ne veut point que ie sorte. Je prie N(otre) S(eigneur) nous faire faire sa très adorable volonté.

J'aurais bien des choses à vous dire sur cette Maison, tout est à la veille d'un grand trouble, mais j'espère que N(otre) S(eigneur) y pourvoira, priez le bien qu'il nous préserve de division. Le démon fait son possible pour cela.

A Dieu, il faut que ie quitte ma lettre pour vous recommander notre pauvre Mère qui est bien mal auiourd'huy. Si elle était en paradis, il me semble que ie souffrirais toute choses plus à mon aise car ses peines sont mil fois plus grandes que les miennes, et pour peut qu'elle en sache des miennes cela la trouble et la fait mourir. Je vous la recommande et suis toute à vous.

(sans signature et sans adresse).

1. Ma pauvre Mère Ancienne : Mère Bernardine Gromaire avait reçu Mère Mectilde au monastère de Rambervillers dont elle était Prieure. C'est elle qui lui donna l'habit de saint-Benoît le 2 juillet 1639. Cf : Lettres inédites p. 218.

2. Mme de Bois Dauphin. Madeleine de Laval (1646-1729), maréchale de Bois Dauphin, fille de Guy, chevalier de Bois Dauphin, marquis de Laval et de Marie Séguier, veuve du marquis de Coislin. Saint-Simon, Mémoires, t. 2.

190



A Mère Saint-Placide/1. du Monastère [de Saint-Louis à Paris 17 octobre 1693]

de Saint-Louis à Paris

+

17 octobre 1693

Vous direz tous les jours, avant toute chose un «Veni creator », trois fois « Monstrate esser » apres vous entreré en matière par les iujets que vous avez prist pour vostre retraitte.

Je vous conseil de vous y apliquer sur les choses qui sont de pratique et d'usage dans vostre estat et vostre profession, remarquez, très chère, en quoy vous estes plus assuiestie (assujettie) et les manquemens que vous y pouvez faire afin que nous pustion (puissions) régler, ce qui regarde v(o)tre conduite car tout consiste à bien faire ce que nous avons à faire et à nous sanctifier dans les employs que la providence et l'obéissance nous donne à faire.

Sur la chère vostre du 14 du courant, très chère Mère, ie voudrais bien que N(otre) S(eigneur) me fit la grâce de vous ayder à faire une bonne retraitte pour trouver N(otre) S(eigneur) en vous et demeurer avec luy dans toutes les occupassion de la journée. Je suis touchée de l'accablement où vous estes par des occupassion qui ne cesse point, et qui dévore v (ot) re temps et vos forces.

J'en ressens de la douleur ne croiant pas que vous y pussiez subsister sans quelque secour de grâce extraordinaire. Je prie N(otre) S(eigneur) vous la donner ; ie veux l'espérer de sa divine miséricorde, et vous, très chère, demandez la à la très Immaculée Mère de Dieu cet de sa pure bonté que vous devez l'espérer. Je m'attend bien qu'elle vous assistera, étant certaine qu'elle ne vous refusera.

Commencé v(o)tre retraitte en vous jetant à ses pieds, la supliant de vous y favoriser de sa protection et qu'elle vous y conduise, vous enseignant à demeurer ferme en Dieu pour faire et souffrir ce qu'il vous plaira.

Je voudrais que vous m'escriviez sy vous le pouvez tout cela sur quoy vous pourriez faire vostre retraitte utilement. Voyez, très chère, sy cette proposition vous estes agréable. Je considère que le plus important à n(o)tre perfection est de faire ce que Dieu veut, c'est où nous devons nous apliquer sérieusement et trouver Dieu dans tout, et le voir partout, en un mot il faudrait que nous vivions icy bas comme sy nous estions au Ciel comme dit S(ain)t Paul.

Ne vous effrayez point de vos faiblesse , ny de vos promptitude , ce sont des saillies qui doivent vous humilier et nons vous troubler, ny perdre vostre paix. Il faut estre à Dieu comme il veut que nous y soyons, dans tous les tracas qu'il donne. Sy nous ne voyons rien hors de sa divine volonté, nous ne serions jamais troublée, ny inquiétée, parce que n(ot)re perfection estant de faire sa très s(ain)te volonté, nous jouirions de sa s(ain)te présence dans nos tracas. Aprenons à estre à Dieu au desus de tout ce qui est, et qui n'est pas.

Voilà comme ie voudrais vivre, mais hélas i'en suis éloignée infiniment ; mais il faut que vous y aspiriez pour estre stable et invariablement à Dieu.

O, très chère, que vous seriez heureuse d'estre là, car vous feriez toute choses et souffrier tout sans aucune altération, vous seriez stabiliée en Dieu, ie suis en luy toute à vous n'en douttez jamais.

Sr M. du St Sacrement P. ind.

Samedi 17 octobre 1693.

(adresse)

Pour

La chère Mère de St Placide 1

En mains propre, rue Neuve

St Louis.

A Paris.

1 Mère Saint-Placide : Philbert Marguerite. Profession le 21 novembre 1669 à Toul. Fait partie du premier groupe de moniales venant de Toul, le 30 mai 1674. Est décédée le 3 mai 1730.

[manuscrit]


198



A la Révérende Mère François de Paule Monastère de Saint-Louis au Marais [30 avril 1697]

30 avril 1697

Je viens vous dire, ma Révérende et plus chère Mère, que i'ay fais les offices tel qu'elle , avec bien de la peine, car je suy trop vieille pour bien faire cela, mais s'en est fait pour le présent. Ces sortes de remuement ne sont pas agréable , mais il a falu faire cela pour obéir. Je vous conjure de prier la sacrée Mère de Dieu les bénir. Je doute fort que vous obteniez ce que l'on vous propose. Autrefois le Roy y estait oposer . Je crois bien que sy M(onsieur) l'archevesq /1 le veut demander comme il faut à sa Maiesté en luy représentant l'estat où vous estes, cela le deverait toucher. Je prie l'auguste Mère de Dieu de luy donner une bonne inspiration. Nos Mères de Dreux n'avance pas parce qu'il n'y a point de Maison qui veuille s'en charger ainsi que vous avez veu le mémoire. Il faut un secour de la divine providence efficasse .

1 Monseigneur l'archevêque Louis Antoine de Noailles (1651-1729). Cardinal le 21 juin 1700 au titre de Sainte-Marie de la Minerve.

Je recommande à vos saintes prières le bon M(onsieu)r de Grainville /2 Ceste une perte pour nos Mère de Rouen et de Dreux /3. Dieu est le Maistre et le souverain de tout, il faut l'attendre et l'adorer.

Nous sommes assez doucement, ie n'osais espérer cette grâce car je suis bien sotte et bien incapable de bien faire. Je devint sy pauvrette et sy misérable que je ne scay comme l'on me peu souffrir. Je seray cependant bien aise de vous voir très chère Mère. Je ne scay sy M(onsieur) de Toul /4 est party, il ne poursuit point son procès. J'attend les momens du Seigneur pour tout ce qu'il luy plaira. Je le prie (de) vous bénir et toutes vos affaires. J'espère que la providence y pourvoira. Sy vous avez fait ce que vous proiestier pour contenter vos créanciers vous serez un peu de temps en repos en attendant que N (otre) S (eigneur) y pourvoye. J'espère toutiours qu'il le fera mais il faut une grande patience. Dite moy des nouvelles de vostre santé .

Nous allons repasser sur les Constitutions pour tacher de les pratiquer. Nous retranchons les ouvrages particuliers et les petis commerces pour trafiquer de crainte que la s(ain)te pauvreté ne ce trouve embarrasée, Dieu nous fasse la grâce de

2. Mr de Grainville. Claude, prêtre, bienfaiteur dont nous retrouvons souvent la signature ainsi que celle de son frère Philippe, sur nos livres de compte. Cf : Fondation de Rouen, Rouen, 1977, p. 336, n 81.

3. Dreux : monastère agrégé à notre Institut le 23 février 1696. Mais n'obtint ses lettres qu'en 1701. Cf : Fondation de Rouen, Téqui, 1977, p. 336, n 81.

4. Mr de Toul : Henry de Thyard de Bissy. 87e évêque de Toul (1692-1704) Cardinal le 29 mai 1715, meurt à Paris en 1737. Tellement apprécié de ses diocésains qu'il dut quitter Toul presque incognito. Cf : En Pologne avec les Bénédictines de France, Téqui, 1984.

199

nous retirer de tout cela pour le bien de toutes. Je puis vous dire quefay les offices dans l'amertume de mon coeur, mais il faut souffrir et abandonner tout.

(adresse)

Pour

La Révérende Mère

Prieure des filles du très st Sacrement rue Neuve St Louis A Paris -

[manuscrit]



Mère Mectilde et Mère Anne [Loyseau]12

[récit des derniers mois publié par les archivistes de Rouen sous ce titre en section VI d’« Âme offferte »]

Le récit des derniers mois de Mère Mectilde est tiré du manuscrit appelé P. 101, terminé le 26 avril 1701, rédigé par la propre nièce de notre fondatrice Mademoiselle de Vienville, qui a vécu près d'elle au monastère de la rue Cassette et qui a rassemblé en plus de ses propres souvenirs, des Mémoires de la Comtesse de Chateauvieux, de la Comtesse de Rochefort, du Père Picoté et du Père Paulin. Excepté ce qui a été conservé dans ce manuscrit P.101, ces Mémoires n'existent plus dans les archives de nos monastères.

"Le jour des Rois de l'année 1698, Notre-Seigneur fit reproche pendant le salut à la Mère Mectilde du Saint-Sacrement de ce qu'elle n'était pas encore abandonnée totalement. Ces reproches la touchèrent vivement, et elle dit à Notre-Seigneur : "N'êtes-vous pas le maître souverain, je veux vos volontés et je m'y abandonne."

Mais pressée de nouveau par un sentiment intérieur qui lui faisait connaître que Notre-Seigneur n'était pas satisfait, elle lui fit un acte d'abandon dans toute l'étendue des lumières qui lui en avait donné, c'est-à-dire sans limites et sans restriction, et elle le fit malgré les répugnances de la nature qui en envisageait alors

205

toutes les suites, il lui vint en même temps clans l'esprit qu'elle deviendrait percluse entre les mains d'autrui ce qu'elle appréhendait le plus naturellement n'aimant point à dépendre des autres par l'état d'infirmité. Cependant, Notre-Seigneur voulut cette épreuve.

Le lendemain après la messe du couvent, elle dut encore faire la lecture dans la chambre commune et parla à ses filles avec tant de bonté qu'elles en furent comblées. Étant remontée à sa cellule, elle y fut attaquée d'apoplexie, ayant dit à Notre-Seigneur : "Est-ce ici la vie ou la mort", il ne lui fut rien répondu là-dessus, sinon abandonne toi ; ce qu'elle fit sans retour. On courut aux sacrements et en recevant la dernière onction, elle perdit la parole et la connaissance, mais non sa tranquillité. Une paix divine parut toujours sur son visage mourant, dans le moment qu'elle fut frappée, elle souffrit des douleurs inconcevables par tout le corps et encore plus dans la tête. Il lui semblait que tous ses os se disloquaient et que ses nerfs se rompaient. Elle fut quelque temps abandonnée à ses douleurs, son esprit en était occupé et elle en fut tirée sans savoir où elle était, soit au Ciel ou en terre. Étant comme passée en Dieu dans une grande paix et un parfait repos, elle eut bien voulu qu'il lui eût été permis de rester dans cet heureux état, mais à peine en eût-elle goûté la douceur qu'on l'obligea à en revenir sans savoir pourquoi, ni ce que l'on voulait faire d'elle, lui étant seulement dit intérieurement qu'elle eût à s'abandonner. Elle reçut alors la grâce d'un entier abandon et elle revint en effet, mais une partie d'elle-même resta dans ce bienheureux centre, se trouvant bien plus dégagée et séparée de tout le créé qu'auparavant, lorsque tout ceci se passait clans son âme, les médecins employèrent tous les secrets de leurs arts pour la faire revenir de cette extrémité.

Toute la communauté fit des voeux au ciel pour sa guérison, ayant été un temps considérable sans donner aucun signe de vie, d'ailleurs il était à craindre que tout au moins cet accident ne la rendit percluse selon l'état et la vue qu'elle en avait eu ; mais

206

Notre-Seigneur s'étant contenté de son sacrifice ne permit pas qu'elle resta pour toujours en cet état. Sa santé se rétablit en peu de temps à la réserve d'une pesanteur de tête qui faisait appréhender une nouvelle rechute.

Le jour de la Purification (2 février), elle se trouva parfaitement guérie, mais sa vie n'a plus été qu'une langueur, vivant sur la terre d'une manière si dégagée qu'elle semblait n'y tenir plus à rien. Tout ce qui s'est passé depuis le temps dont nous parlons jusqu'à la fin de sa vie, nous fait juger que sans cette grâce du pur abandon qui lui fut donnée, il eût été presque impossible qu'une personne accablée sous le poids de l'âge et des infirmités continuelles eût pu soutenir comme elle a fait avec une douceur angélique un courage intrépide et une égalité d'âme que rien au monde n'a pu troubler. Toutes épreuves qu'elle a portées dans ses dernières années, pendant ses jours de douleurs, tout ce qu'elle entreprit tourna en croix pour elle et ces croix se succédant les unes aux autres par un secret de la Sainte providence ne la laissèrent pas un moment sans souffrance, mais loin de s'en plaindre, et même plus elles étaient dures et amères à la nature, plus son coeur se dilatait en désir de souffrir et c'est aussi dans ces rencontres qu'elle ne cessait de louer et bénir Dieu avec plus d'ardeur.

Dans ces années d'épreuves, l'on noircit sa réputation par des calomnies, on désapprouva sa conduite, on blâma sa trop grande confiance en Dieu, l'on trouva même à redire à son extrême bonté; ce qui avait été dans sa prospérité des sujets d'admiration, devint ensuite la matière de son humiliation, et chacun se crut en droit d'en parler à sa mode sans qu'elle ouvrit la bouche pour se justifier, quoi qu'il eût été facile de le faire.

Ce qui la touchait le plus vivement était de voir souffrir ses filles à son occasion, elle leur disait quelquefois avec sa douceur ordinaire : "Je suis le Jonas, il me faut jeter dans la mer et la tempête s'apaisera." Plus on abaissait cette digne Épouse de Jésus anéantie, plus elle s'humiliait elle-même, jamais sa vertu n'a paru plus consommée, il n'y paraissait plus aucun mouvement de nature.

207

On ne voyait en elle, en toute rencontre que mort et anéantissement, Dieu même s'est souvent mis de la partie pour la crucifier, lui faisant porter des états de ténèbres, de sécheresse et d'une mort terrible dans l'intime de son âme, et même quelques années avant qu'il lui plût de consommer le sacrifice de la victime il l'affligea par une vue continuelle qui lui faisait croire qu'elle était réprouvée et perdue sans ressource.

Ces dispositions pénibles lui furent ôtées quelques mois avant sa mort, il ne lui resta plus que la vue de son néant et l'augmentation de ses infirmités corporelles qu'elle soutint dans sa paix et sa douceur ordinaire. Enfin après avoir reçu une infinité de grâces des plus extraordinaires, après avoir été plusieurs fois retirée comme par miracle des portes de la mort dans plusieurs maladies qui l'avaient mise hors d'espérance de guérison, il plût à Dieu lui faire connaître que l'heure de sa mort approchait.

Environ six semaines auparavant, elle commença à prévenir ses filles sur cette séparation afin de les disposer à se soumettre aux ordres de Dieu lorsque ce moment arriverait.

Le jour de sainte Mectilde de l'année 1698 (26 février), comme elle s'entretenait avec ses filles, une d'elle lui voulut baiser la main, elle lui dit : "Baisez, baisez cette pourriture qui sera bientôt la pâture des vers", et continuant à parler sur ce sujet elle leur dit avec ses manières agréables : "Vous voudriez bien voir votre mère élevée, exaltée, faire des prodiges et des miracles mais il n'en sera rien". Elle continua plus d'une heure à leur parler sur cette matière leur disant les choses du monde les plus touchantes. Elles sortirent toutes de cette conférence le coeur pénétré de douleur.

Pendant la Semaine Sainte, elle assista encore à tous les Offices. Le mardi de Pâques, étant allée à une chapelle dédiée à la sainte Mère de Dieu qui est dans le jardin, elle y resta depuis quatre heures jusqu'à cinq prosternée aux pieds de cette sainte Vierge. Une religieuse qui venait la chercher la voyant dans une si grande application fut quelque temps sans oser l'interrompre, mais enfin elle la pria de revenir, dans la crainte qu'elle ne fut

208

incommodée si elle y restait plus longtemps. La Mère répondit qu'elle ne le pouvait pas parce qu'il fallait qu'elle remit l'Institut et toute la communauté entre les mains de la sainte Mère de Dieu. Il y a lieu de croire qu'elle reçut dans sa prière de nouvelles certitudes de sa mort, car au sortir de là, une religieuse ayant demandé à lui parler, elle en parut encore si occupée, qu'au lieu de répondre sur ce qu'elle désirait, elle ne lui parla que de sa mort et comme cette religieuse lui dit : "Pourquoi, ma Mère, me dites-vous des choses si affligeantes." Elle lui répondit : "Je me sens pressée intérieurement de vous disposer à faire ce sacrifice, afin que, quand le moment en sera venu, vous vous soumettiez à l'ordre de Dieu et qu'au lieu de vous amuser à vous attrister, vous vous adressiez à la sainte Mère de Dieu votre unique supérieure pour recevoir de ses mains celle qu'Il choisira pour présider en son Nom, sans envisager les suites." Elle lui donna encore plusieurs autres instructions sur ce sujet. Cette religieuse reprenant la parole lui dit : "Vous nous aviez donné quelque espérance que Notre Seigneur ne vous retirerait point de ce monde que vous ne fussiez quitte de vos affaires." Elle lui répondit : "Il n'y a plus rien à attendre de ce côté-là, je dois mourir dans l'amertume et dans l'anéantissement, tel est l'ordre de Dieu sur moi. je l'adore et je nie soumets. Cependant, je ne doute point que quand Dieu m'aura anéantie au point qu'il le veut, il ne relève son oeuvre, mais il ne faut pas quef en ai le plaisir. je dois mourir dans la douleur."

Un de ses amis étant venu ce même jour pour la voir, elle pria une religieuse d'y aller pour elle et de lui dire qu'elle n'était plus de ce monde, qu'elle lui disait adieu et se recommandait à ses prières.

Le lendemain, étant allée voir une vertueuse dame pensionnaire dans la maison, elle lui dit : "Je me sens pressée et attirée d'aller à Dieu. La seule douleur de mes pauvres filles m'arrête mais il faut qu'elles s'y préparent et dans peu."

La nuit du mercredi au jeudi dans la semaine de Pâques, elle se leva encore à son ordinaire, pour faire ses trois heures d'oraison

209

et dire son bréviaire. Le matin, quoiqu'elle se trouva fort mal, elle ne laissa pas de dire son Office, mais elle ne put descendre au choeur pour assister à la messe du couvent et communier avec les Soeurs, parce qu'il lui prit un grand vomissement avec une grosse fièvre qui l'empêchèrent de participer à ce bonheur.

Sur les onze heures pendant la grand-messe, qu'elle pouvait entendre de sa cellule, elle voulut se mettre à genoux pendant l'élévation de la sainte Hostie mais il lui prit une si grande faiblesse qu'on fut obligé de lui administrer promptement les derniers sacrements qu'elle reçut avec une piété et dévotion tout à fait extraordinaire. Elle demanda pardon à la communauté avec une humilité profonde, elle dit elle-même le Confiteor. Étant assise sur sa paillasse, les mains jointes avec une paix et une tranquillité qui marquait l'union de son âme avec son Dieu, et on remarqua cette disposition jusqu'au dernier soupir. Elle répondit à toutes les prières avec une grande présence d'esprit.

Le vendredi, elle parut mieux.

Le samedi, une dame, bienfaitrice de la maison étant entrée pour la voir, elle lui dit "Quoi, ma Mère, vous voulez nous quitter." Elle lui répondit : "Oui, Madame" avec une voix ferme comme si elle n'eût point été malade, "je m'en vais à mon Dieu."

Le même jour, elle se trouva si mal qu'il ne resta aucune espérance. Son Confesseur à qui elle désira de parler, la confessa et la communia.

Le dimanche à minuit, elle reçut son Dieu en esprit de réparation de toutes les négligences commises en sa présence ; ce qu'elle fit avec une foi, un amour et un saint transport qui la tenait comme hors d'elle-même et transportée en ce Dieu d'amour qu'elle venait de recevoir. Elle fit encore à genoux son action de grâce qui dura une demi-heure. Depuis ce moment, elle empira toujours.

Vers les six heures, le Révérend Père Paulin ex-provincial des religieux pénitents, son Confesseur, lui ayant demandé à quoi elle pensait, elle lui répondit : "J'adore et je me soumets" ; ensuite il lui ordonna de bénir toute la communauté qui l'avait chargé de lui demander pardon pour elle et, de la prier, de les recommander à Notre Seigneur. Après les avoir bénies, elle dit : "Elles me sont toutes présentes, dites leur, mon Père, qu'elles se jettent à corps perdu entre les bras de la sainte Vierge, j'aurai bien des choses à leur dire mais je ne le puis." Le Père lui répondit : "Il suffit que Dieu le connaît."

Depuis ce moment jusqu'au dernier soupir, elle parut dans une très grande application à Dieu, baisant son crucifix, le serrant sur son coeur, jetant des regards amoureux sur l'image de la sainte Vierge qui était au pied de son lit et levant fréquemment les yeux au Ciel. Deux heures avant sa mort, elle se fit encore toucher le pouls pour savoir si l'heure approchait. Mais on lui dit qu'il était toujours en même état. Ses yeux étaient aussi doux qu'à son ordinaire. Elle les arrêtait quelquefois sur la communauté désolée qui était autour de son lit et ensuite elle les élevait à Dieu comme pour lui offrir leurs peines et demander les grâces dont elles avaient besoin pour faire leurs sacrifices en la manière la plus parfaite. Plusieurs ont ressenti intérieurement les effets de son pouvoir dans cette occasion. Sur les deux heures après midi, elle se leva assez ferme et s'assit sur son lit puis ayant appuyé sa tête sur son oreiller à peine y fut-elle, qu'elle rendit son âme à Dieu, mais si doucement qu'on ne pouvait croire qu'elle fût passée. Cette mort arriva le dimanche de Quasimodo, 6è d'avril 1698, âgée de quatre-vingt trois ans, trois mois et six jours. Si tôt qu'elle fut passée, toute la communauté alla se jeter aux pieds de la sainte Vierge pour lui demander du secours dans une si grande privation. Elle avait défendu qu'on l'ouvrit après sa mort et qu'on lui changea de vêtement, ce qui fut exécuté ; malgré les instantes prières de la seconde maison de Paris qui demandait son coeur.

On tint qu'elle a voulu cacher par là l'excès de ses austérités ; exercices dont les marques étaient sans doute demeurées imprimées sur son corps.

211

Pendant le temps qu'il fût exposé au choeur, ce fut un concours infini de monde. L'église était toujours pleine, il fallait de temps en temps ouvrir la grille pour satisfaire le désir qu'on avait de la voir de plus près et contenter la dévotion du peuple qui la réclamait comme une bienheureuse. On ne cessait de faire passer des chapelets et toutes sortes de choses pour les faire toucher au corps de cette pieuse institutrice. On ne peut marquer plus de vénération que l'on en fit paraître pour sa vertu à laquelle on donnait mille louanges. Chacun témoignait des sentiments de compassion pour la communauté sur cette perte. En effet, l'affliction était si grande qu'il fallût que les révérends Pères Bénédictins chantâssent le premier service sur le corps et qu'ils fissent ensuite l'enterrement. Le second service fut chanté par les révérends Pères Cordeliers et le troisième par les révérends Pères Prémontrés. Le trentième fut chanté par les religieuses.

Trois jours après, on fit l'élection d'une Prieure, il parût que cette vertueuse défunte présida encore par son esprit en ce chapitre. La Mère Anne du Saint Sacrement (Loyseau), lui succéda contre toute apparence d'autant que plusieurs de la communauté ne se portaient pas à ce choix ; cependant de la première fois que l'on tira, elle fut élue.

Son gouvernement ne parut point différent de celui qui était auparavant et il semblait que notre vertueuse Mère avait fait passer son esprit en celle qui lui succéda comme autrefois Elie laissa le sien à Elisée.

On ne peut finir sans dire un mot des perfections tant du corps que de l'âme dont elle était redevable au Seigneur. Elles ont été proportionnées aux desseins de Dieu sur elle, et l'on trouvera peu de personnes plus accomplies et plus généralement estimées qu'elle l'a été des grands et des petits.

Les Reines de France et d'Angleterre traitaient avec elle aussi familièrement que si elle eût été de leur rang ; Monsieur de Lorraine, Madame la duchesse d'Orléans, Marguerite de Lorraine et un grand nombre d'autres princes et princesses

212

l'honoraient de leur confiance et de leur amitié, ce qui fut depuis 1660 jusqu'en 1675 qu'elle reçût de plus grands applaudissements, car alors on ne parlait que du mérite et de la vertu de la Mère Mectilde du Saint Sacrement, chacun lui donnait des éloges, et sa réputation s'étendit dans les provinces les plus éloignées.

Une religieuse de l'Institut nommée la Mère Hostie lui dit un jour : "Je ne crois pas, ma Mère, qu'il y ait jamais eu une personne plus honorée et estimée que vous." Cette vénérable Mère, la regardant avec sa douceur ordinaire lui exprima les sentiments de son coeur par ses paroles : Hostie, Hostie, exinanite, exinanite usque ad fondamentum in ea. Autant vous me voyez exaltée, autant vous me verrez un jour abaissée, humiliée et méprisée. Cette religieuse lui répondit : "Cela est impossible et à Dieu ne plaise, que je voie jamais telle chose, elle lui confirma, et elle l'a encore assuré à d'autres avec tant de certitude que nous ne pouvons pas douter qu'elle n'en ait eu une "parfaite connaissance".

Elle avait été très belle en son temps et d'une taille avantageuse à voir la majesté de son port, de sa démarche, de ses manières aisées ; il n'y a personne qui ne l'eût prise pour quelque illustre princesse, tout était grand en cette vénérable mère. Une grâce naturelle accompagnait toutes ses actions, rien ne l'embarrassait.

Son regard quoique doux et modeste imprimait du respect, elle avait l'âme noble et grande, le coeur généreux et libéral, bienfaisant, tendre et compatissant. Elle avait une mémoire admirable et un très bon jugement, l'esprit vif et pénétrant, droit et solide, et en quelque manière universel, elle raisonnait sur toutes sortes de matières avec tant d'éloquence qu'il semblait qu'elle avait fait de chacune une étude particulière. C'est par ce moyen qu'elle se faisait toute à tous pour gagner tout le monde à Dieu, car après avoir entré en apparence dans les sentiments de différentes personnes qui la venaient voir, elle leur insinuait adroitement, mais avec tant de suavité, les grandes vérités dont elle était pénétrée que personne ne sortait de son entretien s'en en être touché et sans être excité à se convertir ou à mener une vie plus parfaite.

213

Son amour pour Dieu étant proportionné à la sublimité et à l'étendue de ses connaissances, sa vie, selon le sentiment d'un de ses directeurs, a été une vie du plus pur amour qu'une créature puisse avoir sur la terre, il était sans mélange, d'aucun intérêt propre. Elle disait souvent qu'il ne fallait désirer de connaître Dieu que pour l'aimer d'une manière parfaite, elle l'enseignait encore mieux par son exemple. Elle ne voulait et ne cherchait en toute chose que la plus grande gloire de Dieu et l'accomplissement de son adorable volonté et de son bon plaisir. Elle ne vivait que pour l'amour, ses actions, ses maximes et ses sentiments ne respiraient qu'amour. Il ne faut pas s'étonner si ses paroles étaient toutes de feu qui embrasaient les coeurs. Le sujet de ses gémissements les plus ordinaires étaient sur ce que Dieu n'était point connu et qu'il n'était point aimé. Priez, priez, mes Soeurs, priez Dieu, disait-elle, avec un saint transport, qu'il se fasse connaître car si on le connaissait il serait impossible à la créature de ne le point aimer.

Ce qui suit a été écrit par elle à une personne qui était sous sa conduite :

"O que la force du pur amour est grande, il renverse tout, il détruit tout, et anéanti tout, cet amour à la puissance d'arracher les pécheurs de leur volupté, d'abaisser les trônes et de réduire au rien ce qu'il y a de plus superbe et d'élevé sur la terre. O Amour, que ta puissance est grande et que tu fais de merveilles dans le coeur que tu domines, tu fais des solitaires, tu fais des martyrs, tu fais des pauvres, tu fais des anéantis ; quand tu régnes, tu fais toute chose, tu ne laisses rien au lieu où tu fais ta résidence, tu triomphes de tout, et tu ne veux rien du tout et en tout que toi-même.

O Amour, puisque ton empire est si précieux, si glorieux et si puissant dis-nous ce que tu es, et d'où tu prends ton origine : Deus caritas est, etc. Tu es donc Dieu, oui je suis Dieu, dit le pur Amour, c'est pourquoi partout je dois régner souverainement, tout est à moi et rien ne doit être en tout que moi. O Amour pur et saint, je reconnais votre puissance, votre grandeur et votre suprême autorité, je vous crois celui qui est. Régnez donc, élevez-vous sur tout ce qui n'est pas vous et paraissez vous seul. Je mets ma liberté à vos pieds, vivez et régnez uniquement. O Amour, tirez-moi à la profonde solitude, au martyr, à la mort et au néant, faites en moi un effet de votre divine puissance, arrachez-moi de moi-même et me transformez en vous, pour me faire vivre uniquement de vous."

"Son assiduité devant le Saint-Sacrement était si grande qu'elle n'en sortait qu'autant que la nécessité ou les devoirs de sa charge lui obligeaient, mais les jours qu'Il était exposé elle quittait tout pour faire la cour à son roi et à son Dieu. Elle demeurait en sa présence les genoux nus contre terre dans une attention, un respect et une foi si vive que l'on ne pouvait la regarder sans en être animée. Si Dieu ne l'avait soutenue par une vertu divine dans les profanations faites contre cet auguste mystère, l'amour l'aurait fait expirer tant sa douleur était extrême. Dieu seul connaît la rigueur de ses pénitences dont elle affligeait son corps en ces occasions pour venger sur elle les outrages fait à son Dieu, elle engageait encore ses religieuses à augmenter leur austérité, pour cet effet elle faisait des réparations extraordinaires en une infinité de manières différentes que son zèle lui inspirait."

Écrivant un jour à une religieuse, elle lui dit : "Il y a bien de quoi nourrir les Victimes du Saint-Sacrement puisque leur viande est de concevoir de la douleur de voir tous les outrages et les mauvais traitements qu'on fait à leur divin Sauveur et de gémir dans l'amertume de leur coeur pour les péchés qui se commettent à tous moments."

"Redoublons, disait-elle nos sacrifices pour les pécheurs, mettons-nous entre Jésus-Christ et le péché afin qu'il nous foudroie de ses coups plutôt que de voir percer derechef le coeur adorable de notre Victime d'amour." Puis rapportant quelques circonstances des profanations qui se commettent, elle s'écriait : "O abîme effroyable, il faut se taire et mourir d'étonnement. Voilà où

215

l'amour réduit mon divin Maître et mon Sauveur. Il y a ici de quoi confondre l'orgueil de l'esprit humain, car après avoir vu notre Dieu anéanti de telle sorte, pouvons-nous nous plaindre des humiliations que l'on pourra nous faire souffrir".

Quant à son oraison, on peut dire que Dieu l'avait élevée au dessus d'elle-même et en quelque façon au dessus des personnes d'oraison de son siècle. Il semblait que Dieu l'avait tellement remplie de l'esprit d'intelligence que tous les secrets de la vie intérieure lui étaient manifestés. Ses discours étaient comme une douce pluie qui tombait en abondance dans le coeur des personnes qui la venaient consulter, on l'écoutait comme un oracle par lequel Dieu se faisait entendre d'une manière particulière.

Mais, ce qu'il y a de plus admirable est sa profonde humilité, elle seule ignorait son mérite. Elle se trouvait si abjecte devant Dieu et devant les créatures qu'elle ne croyait pas qu'il y en pût avoir une plus indigne qu'elle. Les bas sentiments qu'elle avait d'elle-même faisaient qu'elle ne trouvait jamais de termes à son gré pour s'anéantir autant qu'elle le désirait. Sa pratique ordinaire était de suivre plutôt les lumières des autres que les siennes propres, elle déférait aux sentiments de la dernière et de la plus simple de la maison, et dans toutes les occasions ou les choses ne réussissaient pas, elle s'en attribuait toujours la faute. Elle a eu toute sa vie une extrême aversion pour les louanges, elle était si convaincue qu'elle n'était rien et qu'elle ne pouvait rien qu'elle semblait incapable d'avoir la moindre complaisance, ni pensée ou recherche de vanité. Elle était si pénétrée du fond de corruption qu'elle croyait être en elle, qu'elle se jugeait indigne des miséricordes divines et disait que si Dieu lui pardonnait ce serait la plus grande grâce qu'il ait jamais fait à aucune créature, parce qu'elle ne croyait pas qu'il y en eût une au inonde qui le méritât moins qu'elle. Elle avait appris de Notre Seigneur à être douce et humble de coeur et elle comprenait si bien cette leçon que jamais elle ne résistait aux personnes qui la contrariaient. Elle se rangeait toujours du parti de ceux qui la blâmaient et qui lui disaient des injures. C'était une colombe sans fiel, qui n'a jamais eu de ressentiment, jamais elle ne disait une parole de hauteur ou de promptitude. Si elle était obligée de reprendre ou de corriger les personnes qui étaient sous sa conduite, son air doux et affable et ses paroles pleines de bonté étaient les armes dont elle se servait pour gagner les coeurs qui lui étaient les plus opposés, et les humeurs difficiles avec lesquelles elle avait à traiter.

Elle s'était rendue, par voeu, esclave des créatures pour honorer l'état de Jésus qui s'est fait esclave pour nous. Ainsi, elle se livrait sans choix et sans exception, au milieu de ses affaires les plus embarrassantes et les plus affligeantes.

Si une Soeur, fusse la dernière de toutes, lui venait dire quelque sujet de peine, quelque léger qu'il fut, elle demeurait des heures entières à l'écouter et à la consoler avec autant de paix et de tranquillité que si elle n'eût eu que cela à faire. Il semblait que Dieu lui avait révélé le secret des consciences. Sa pénétration était si grande que ses filles appréhendaient de paraître devant elle lorsqu'elles avaient dans l'âme quelque chose qui leur donnait de la confusion. Il est arrivé plusieurs fois qu'elle leur a dit à l'oreille ce qu'elles voulaient lui cacher et que Dieu seul connaissait. Si celles qui allaient pour lui parler de leurs dispositions intérieures se trouvaient dans l'impuissance de le faire, soit par timidité ou pour d'autres raisons, elle les prévenait en même temps leur disant avec une extrême bonté: "Puisque vous ne pouvez me parler, écoutez moi seulement."

Ensuite, elle leur développait leurs peines et tout ce qui se passait en elles, avec tant d'évidence qu'il semblait qu'elle les lisait dans leurs âmes, leur faisant même remarquer les choses les plus intimes auxquelles elles n'avaient jusqu'alors fait aucune attention, appliquant ensuite par de salutaires avis et ses suaves remontrances le remède à leur maladie spirituelle. On pourrait en rapporter une infinité d'exemples sur cette matière et sur son zèle à établir, autant qu'il lui était possible, le règne de Jésus-Christ dans les âmes, non seulement de ses religieuses mais encore des per-

217

sonnes du monde qui la consultaient, mais la matière est si vaste qu'elle conduirait trop loin. Elle avait un si grand talent pour toucher les coeurs et pour consoler les affligés que personne n'est jamais sorti d'auprès d'elle, sans que ses larmes de douleur ne fussent changées en larmes de consolation. Autant qu'elle était tendre dans toutes les peines et les souffrances de son prochain, autant était-elle dure et impitoyable sur les siennes propres, ne voulant jamais qu'on la plaignit quelque chose qu'elle put souffrir, et ne se plaignant jamais, pas même dans les plus violentes douleurs, comme de coliques néphrétiques, sciatique, et une infinité d'autres maux. Non seulement elle ne permettait pas à la nature de se soulager par aucune plainte dans ses longues et fréquentes maladies, mais elle était alors autant sur ses gardes pour l'empêcher de se satisfaire en aucune chose qu'en sa meilleure santé.

Un jour qu'elle parlait à une très vertueuse dame, elle lui dit : "Les opérations de la grâce dans les âmes sont si pures, et si délicates que les moindres petites satisfactions humaines sont capables d'en suspendre le cours." Elle en parlait alors par expérience, puisqu'elle en portait quelques fois de dures privations pour des choses très légères en apparence.

Elle avait une adresse merveilleuse pour cacher sa mortification, les prétextes ne lui manquaient jamais, il était impossible de savoir ce qu'elle aimait ou ce qu'elle n'aimait pas, tout était toujours trop bon, et trop bien pour elle. Une paillasse très simple est le lieu où elle a rendu son âme à Dieu, et où elle a souffert de longues et périlleuses maladies. Il ne lui fallait pas parler de matelas ni autres petites commodités, à l'entendre, toutes ces choses l'incommodaient, et il n'y avait pas moyen de l'obliger de s'en servir.

La force et la constance ont été deux fidèles compagnes qui ne l'ont jamais abandonnée dans les événements de la vie les plus difficiles à soutenir. On en vu plusieurs preuves : en voici une du commencement qu'elle fut établie à Paris.

Un grand serviteur de Dieu vint un jour (sans doute pour l'éprouver), lui dire au sujet de l'Institut à peu près ce que les Juifs dirent à Notre-Seigneur, qu'elle agissait par l'esprit du démon, que cette oeuvre était sa production, et qu'il n'y avait qu'un pur orgueil qui la faisait agir. Comme elle avait beaucoup d'estime pour ce bon religieux et un très grand mépris d'elle-même, elle répondit aussitôt : "Puisque vous croyez, mon Père, qu'un si mauvais génie me conduit, il n'est pas juste que cet oeuvre subsiste. A Dieu ne plaise que je l'approuve un seul moment", et, se faisant en même temps apporter une échelle, elle monta dessus pour ôter elle-même la croix qui était posée sur la porte de la clôture et elle l'eut fait assurément si, le Père étonné de sa fermeté, ne lui eut commandé de descendre, et de laisser ce signe sacré, ce qu'elle fit aussitôt sans qu'il parût en elle aucune émotion. Le Père en demeura si édifié qu'il ne cessait de donner des louanges à la vertu de cette vénérable Mère.

Sa charité envers le prochain n'avait point de bornes. Son grand coeur renfermait toute la terre ; il n'y avait point d'étranger chez elle, tous les misérables étaient ses chers amis. Elle eut bien voulu nourrir tous les pauvres, délivrer tous les prisonniers, racheter tous les captifs, consoler les affligés, et jamais personne ne s'est adressé à elle, dans le temps qu'elle a été en pouvoir, sans y trouver du secours dans leurs besoins.

Depuis qu'elle fût établie à la rue Cassette, plus de trente familles de pauvres honteux et des personnes de qualité ruinées ne vécurent pendant plusieurs années que des charités qu'elle leur faisait ou qu'elle leur procurait. Sa charité pour les malades a été si loin qu'elle en a guéri plusieurs en demandant à Dieu de souffrir les maux qu'ils avaient.

Elle a avoué elle-même que Dieu lui avait donné un amour inconcevable pour la perfection des âmes et surtout pour celles qui étaient peinées intérieurement ; qu'elle avait souffert ce qui ne se peut imaginer de corps et d'esprit pour leur soulagement, que souvent on la voyait à l'extrémité sans connaître son mal et sans

219

que les remèdes humains puissent la soulager, parce que celui qui la crucifiait pouvait seul la guérir, et comme il l'avait choisie pour aider ces âmes souffrantes, il. lui faisait porter toutes les peines intérieures qu'on peut avoir en ce monde, qu'il y en avait même qu'elle n'avait expérimenté qu'environ une demi-heure seulement pour concevoir ce qu'il fallait faire pour les soulager dans ces rencontres. Nous pourrions prouver par une infinité d'exemples sa charité envers ces âmes. Lorsque ses grandes occupations ne lui permettaient pas de leur donner pendant le jour tout le temps qu'elles avaient besoin, ce qui arrivait souvent, elle passait une partie des nuits à les consoler, instruire et fortifier, mais cela secrétement, leur assignant des lieux où elle put leur parler en liberté sans être entendue de personne afin qu'on ne s'opposas point à l'exercice de sa charité.

Lettre de la Mère Mectilde du Saint-Sacrement à une de ces âmes peinées [P101]

"Mon enfant, Donnez-vous de garde de vous laisser aller à de trop grandes extrémités. Ne vous troublez pas. J'ai bien cru que vous auriez des combats et de rudes atteintes, mais Notre-Seigneur sera le Maître et avec sa grâce je vous aiderai et ne vous abandonnerai point si vous voulez être fidèle et tâchez de sortir de l'enfer du péché. Ne craignez point de me dire tout ce que vous voudrez, je vous promets un inviolable secret et ne vous tromperai point. Venez simplement et confidement, vos blessures sont mes blessures, vos péchés sont les miens, je gémirai pour vous comme pour moi-même. Vous savez que je suis votre Mère et votre sincère amie. Croyez que je vous aime tendrement, je vous cacherai dans mon coeur, je ferai prier Dieu pour vous, vos intérêts éternels seront les miens, et je dirai à Notre-Seigneur de tout mon coeur que je ne veux point aller en paradis sans vous. Espérez en sa divine miséricorde et aux mérites de sa mort et de son sang adorable. Il est de foi que si tôt que le pécheur se repent de tout son coeur d'avoir offensé Dieu, il le reçoit en grâce et lui pardonne ses

220

péchés. Souffrez votre trouble et vos peines en pénitence, mais ouvrez votre coeur et ayez confiance, je suis toute à vous. Ne vous embarrassez pas, il suffit que vous connaissiez que vous êtes pécheresse et que vous voudriez de bon coeur souffrir toutes les peines imaginables et n'avoir jamais offensé un Dieu si bon qui est tout près de vous pardonner. Il veut laver vos péchés dans son sang. Retournez à lui comme à votre Père, il vous attend pour vous recevoir en son amour."

Il serait difficile de trouver une personne qui ait été plus pauvre et plus désintéressée et en même temps plus contente que cette admirable Mère.

Elle ne s'appropriait jamais rien de tout ce qu'on lui donnait, non pas même les choses les plus nécessaires. Tout ce qui était à son usage, l'était de même à toutes, et elle a dit bien des fois qu'elle serait bien fâchée d'avoir quelque chose pour petite quelle soit dont tout le monde ne fut en droit de s'en servir aussi bien qu'elle ; rien n'étant plus pauvre que sa chambre, son lit et ses meubles, etc.

Elle a toujours eu dès son bas âge une inclination singulière pour la pureté, il semblait que cette vertu lui fut propre et qu'elle fût née avec elle. Plus elle avançait en âge, plus elle se fortifiait en cette vertu toute angélique de sorte qu'elle n'eût jamais rien de considérable à confesser qui y fût contraire.

Elle a toujours été très exacte dans l'observance de ses voeux et aussi jusqu'aux plus petites pratiques de la Régle. Elle soupirait continuellement après la retraite. La solitude et le silence étaient ses vertus favorites, l'ardeur qu'elle avait de se trouver seule était comme un feu qui la dévorait ; elle n'avait rien tant à coeur que de se séparer des créatures pour s'unir plus étroitement à son Dieu ".

(Fin du récit du P 101).

[...]

En novembre alors que Mère Anne s'inquiète de la très grande pauvreté de la fondation de Rouen, Mère Mectilde au contraire s'en réjouit et dit : le 12 novembre, au chapitre à Rouen :

..."Je le disais ces jours passés à une de nos Soeurs qui a vu la maison de Paris dans son commencement, qu'elle eût à me dire si jamais elle avait manqué de quelque chose et si la Providence n'avait pas pourvu à tout ? Vous n'avez pas, je vous l'avoue, un revenu de soixante ou quatre-vingt mille livres de rentes. Mais, enfin, vous avez assez pour vivre honnêtement. Et vous autres, mes Soeurs qui êtes ici, pouvez-vous me dire que quelque chose vous ait manqué ? La Mère Sous-Prieure Loyseau, qui n'est pas trop crédule, à moins qu'elle ne voie elle ne croit pas, a été surprise sur ce sujet et toute en admiration ayant vu ce qui se passait. Là-dessus j'aurai bien des choses à dire, mais il n'est pas encore temps à présent de les déclarer, ce sera pour un de ces jours."

La narratrice du P.101 poursuit : "Elle voulut lui donner cette satisfaction quoique sa présence lui était fort nécessaire à Paris, étant celle sur laquelle elle pouvait s'assurer le plus ne quittant la maison qu'avec peine."

La Mère Anne du Saint-Sacrement étant de retour à Paris était toujours dans des inquiétudes au sujet de la Mère Mectilde connaissant mieux que nulle autre de quelle importance était sa conservation pour tout l'Ordre. On ne doit pas s'étonner, si après Dieu, elle n'avait rien plus à coeur et si elle lui donnait si souvent des marques de ses soins."

229

Un peu plus tard, Mère Mectilde est très gravement malade et la rédactrice du P.101, écrit : "La Mère Anne étant avertie du danger où avait été cette vénérable Mère en demeura dans des inquiétudes qui lui ôtaient entièrement le repos. Voici ce que notre digne Mère lui répondit :

"Au nom de Dieu conservez-vous, toute votre occupation est de penser à ma santé et de négliger la vôtre, et ne savez vous pas que je ne puis vivre sans vous. Si vous aimez tant ma vie, aimez un peu plus la vôtre pour l'amour de Notre Seigneur, car ce n'est que pour lui que vous et moi voulons vivre, hors de là je voudrais mourir, parce que je ne puis vivre sans péché, et que le péché me tue, c'est ma grande et terrible croix en ce monde, toutes les autres ne sont que des ombres comparées à celle là."

En 1678, Mère Anne est à Paris, Mère Mectilde à Rouen. Mère Anne écrit :... sur le fait d'un bâtiment qu'elle était obligée d'entreprendre, et dont elle lui demandait la permission après lui avoir permis, elle ajoute :"je vous prie de considérer que nous ne bâtissons point pour nous, mais pour celles qui viendront dans la suite, remarquez encore que si je veux le commode et le solide, et l'utile, je ne prétends pas donner les mains, ni mon consentement à aucune vanité, ni embellissement curieux qui tirent hors de la simplicité religieuse. Je vous recommande pour de bonnes et justes raisons que la sainteté de votre Profession vous doit faire comprendre aussi bien que moi, réglez donc toutes choses modestement afin d'attirer les bénédictions du ciel, les faisant dans cet esprit, joint à celui d'une parfaite union, je ne doute de rien pour le spirituel et pour le temporel. Ne m'attendez point faite toujours travailler crainte de laisser la belle saison."

En 1680, nous retrouvons Mère Anne à Rouen. Les Soeurs n'ont pas trouvé un lieu pour se loger convenablement. Le 16 janvier Mère Mectilde écrit à Mère Anne pour l'encourager :

"Je souffre de vous savoir dans la peine par la privation de mes lettres, et que je ne puis vous tirer de cette inquiétude, me trouvant chaque jour si surchargée qu'une chose m'en dérobe une autre ; j'ai cependant commencé de vous écrire, très chère fille, plus de cinq ou six fois, sans que j'ai pu achever, je me hâte en écrivant celle-ci, de crainte qu'il ne me survienne comme aux autres, quelque chose de pressant qui m'oblige de tout quitter. Je suis plus captive que jamais, mais tout cela n'empêche pas que je ne sois toute à vous et que je ne désire ardemment de vous donner quelque consolation ; mais, très chère, les solides ne peuvent venir que de Dieu seul, c'est lui qui peut réjouir le coeur et calmer l'esprit. Je vous conseille de vous y tenir bien attachée comme à votre divin centre. Vous êtes au lieu saint pour vous sanctifier, je vous conjure de vous y appliquer pour votre propre satisfaction après la gloire du divin Maître à qui vous vous devez entièrement. Travaillez de toutes vos forces pour remplir dignement la place que vous tenez dans l'Institut. Jamais la joie d'une âme n'est plus grande que lorsqu'elle est fidèle à la grâce qui la pousse incessamment à son devoir, la conscience en possède une tranquillité admirable.

On cherchait toujours une maison pour installer la communauté de Rouen, Mère Mectilde écrit à Mère Anne encore à Rouen pour aider en ces premiers temps difficiles : "Pourvu que vous puissiez conclure, il ne m'importe où il plaira au Seigneur de se loger, il y a longtemps que nous le prions de choisir lui-même le lieu de sa complaisance, "et la rédactrice du P.101 ajoute : "Cette bonne Mère qui était une personne fort entendue dans les affaires et qui d'ailleurs avait un grand zèle pour avancer cette oeuvre mis tout en usage pour y réussir."


De même le 29 avril 1680, car la situation est toujours difficile :

"... Un coeur moins rempli de foi et de soumission aux volontés divines se rebuterait facilement de tout, mais le vôtre, très chère Mère, est si bien façonné à ses adorables conduites que vous les regardez sans vous effrayer, attendant en paix les moments de sa Providence, qui sera toutes choses dans le temps, après qu'elle aura détruit mon orgueil et la propre vie que je pourrais bien prendre dans son oeuvre, si elle avançait selon ces mouvements de l'esprit humain.

Ne laissez pas, très chère Mère, d'entendre le prix du (château de Mathan), et si l'on n'y peut, l'on s'arrêtera à N., qui sera toujours notre petit réduit, car, en matière de cette affaire, nous ne faisons rien de moins que ce que nous voudrions. Il nous faut marcher comme l'on veut et non comme nous le souhaiterions. Allons donc à petit pas, puisque le Seigneur le veut ; j'espère qu'il nous conduira imperceptiblement dans ses volontés ; telles qu'elles soient je les accepte. A Dieu, très chère Mère, je m'en vais tâcher de faire la sainte Communion.

Je suis toute à vous en celui qui se donne par un amour infini à toutes ses créatures dans le divin Sacrement.

Je ne sais, très chère, si Monsieur votre père, vous aura donné avis de la perte que vous avez faite de Madame votre Tante de

231

Hautebruière, elle est retournée à son Dieu, je le prie nous faire la miséricorde que nous, y puissions retourner de même, c'est-à-dire avec une entière fidélité. Relevez votre courage donc, pour être uniquement toute à lui. Votre chère soeur Edith, attendant les ordres de la divine Providence sur elle, elle est encore bien jeune pour se déterminer, il faut bien prier Dieu pour elle, elle en a grand besoin. Ne m'oubliez pas aussi en vos bonnes prières. Travaillez de tout votre coeur à acquérir la vraie humilité, la douceur et la simplicité dans l'obéissance, et surtout ne regardez jamais que Dieu en celles qui ont droit de vous commander. Je vous recommande la charité envers vos Soeurs, les honorant et les aimant en Jésus-Christ, ayant clans vos pratiques une sainte condescendance, fuyant néanmoins toujours les complaisances humaines qui vous attachent à la créature avec imperfection, point de respect humain, ni de vanité, c'est une pure folie, mais partout douceur et humilité, vous souvenant des paroles de Notre-Seigneur : "Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de coeur."

Saluez de ma part toute la petite troupe des chères Victimes, je ne les oublie pas.

Du 16 (le l'an 1680.

Nous découvrons dans le "Livre de comptes" :

"A sa Profession elle donna à Mère Mectilde 3900 livres, mais elle ne voulu jamais, étant religieuse, être regardée comme bienfaitrice de la communauté". Elle avait un sens droit, un très juste discernement dans les affaires les plus difficiles, capable d'inspirer d'excellents conseils et cependant toujours prête par une humble défiance d'elle-même à écouter ceux des autres, mais soutenant courageusement, malgré les obstacles qui survenaient ce qu'elle avait cru devoir entreprendre pour le plus grand service de Dieu.

Ce que nous pouvons connaître de sa vie intérieure par quelques écrits de sa main, et par les lettres que lui adresse Mère Mectilde, porte à penser qu'elle ne connut guère de consolations sensibles, mais dit la chronique : "les croix, les sécheresses, les dégoûts, et cependant elle ne s'est jamais démentie un seul moment, toujours contente de Dieu, quelques traitements qu'il lui fit.

Elle a toujours rempli des charges importantes dans son monastère : cellerière en 1684 et dépositaire, sous-prieure en 1689. Elle remplit toutes ces charges avec tant de dévouement et de charité qu'elle fût unanimement choisie comme supérieure à la mort de la vénérée fondatrice. Mais elle devait elle-même mourir un an plus tard : le vendredi Saint 1699 à 75 ans, après trente huit ans de vie religieuse.

233

A travers tous ces textes, nous voyons se dessiner le portrait d'une moniale douée de grandes capacités humaines, mais surtout d'une âme exceptionnelle.




« Bréviaire » de la comtesse de Chateauvieux13

[Lettres choisies et ordonnées par la destinataire]



INSTRUCTION SUR LE SAINT BAPTEME

Le baptême est un mystère plein de vérité dans lequel il se fait une consécration certaine des âmes à Dieu qui se les dévoue par l'onction intérieure de la grâce et la présence de son Esprit. Et pour l'effet de ce mystère l'âme n'a rien qu'une puissance passive, laquelle ne contribue point à l'opération, mais qui la reçoit comme l'établissement d'un nouvel être et la préparation à une nouvelle vie, qui fait que saint Paul nomme le baptême une rénovation intérieures, et Jésus-Christ, en saint Jean, une naissance pure et spirituelle que Dieu opère solitairement dans les personnes qu'il a destinées pour être ses enfants et les cohéritiers de son Fils unique.

Nous demeurons obligés par le baptême d'être à Dieu et de vivre pour Dieu, suivant les mouvements de la grâce qu'il nus a donnée et qui ne manque pas, à l'ouverture de la raison, dé solliciter notre coeur d'aller à lui. Et si pour lors la grâce est victorieuse de la convoitise, et qu'elle ait son effet, qui est de nous unir à Dieu volontairement, auquel nous n'étions unis que passivement, ce que Dieu sans nous avait opéré en nous, nous l'opérons en lui et avec lui, ratifiant les promesses que la sainte Eglise avait faites en notre nom, protestant que nous voulons être à Dieu, vivre en Dieu, et mourir pour Dieu, et nous consacrant et dévouant nous-mêmes à son service, par les mouvements de cette charité précieuse qui désunit l'âme de tout ce qui n'est point Dieu, et l'unit à Dieu par état.

Vous devez, pour vous assurer les voies de votre prédestination, renouveler autant qu'il vous est possible le premier état du saint baptême et ressusciter ce premier esprit qui vous a établie dans l'adoption des enfants de Dieu, purifiant votre âme par les larmes d'une pénitence sincère et amoureuse, priant in-

80

cessamment Notre Seigneur de vous recevoir au nombre des siens, renonçant à tout esprit contraire, et renouvelant les promesses que la sainte Eglise a faites pour vous, qui est d'adhérer à Jésus-Christ et à sa croix ; et puis vous devez commencer à vivre comme vraie chrétienne, vivant de la vie originaire et primitive qui consiste, comme dit Notre Seigneur, à ressembler en sa manière d'agir au Saint-Esprit même, par trois rapports qui devraient être continuels en la vie des chrétiens.

Notre Seigneur a dit en saint Jean, chapitre troisième,que pour être spirituel au point qu'il faut, afin d'entrer au Royaume de Dieu et dans l'école de Jésus-Christ son Fils, chacun des chrétiens doit, pour la conduite de sa vie, suivant son état, avoir avec le Saint-Esprit les trois rapports qui suivent. Voici ces paroles : « L'Esprit s'insinue librement là où il lui plaît », car il est libre dans ses opérations ; « il se fait entendre » et par les paroles et par les oeuvres de ceux qui le possèdent et qui en sont les organes, et cependant on ne le voit point, car il demeure caché au-dedans ; « on ne sait d'où il vient ni où il va », par où il entre, par où il sort, on ne connaît point en quelle manière il agit ; a. hic est omnis qui natus est ex spiritu », toute personne qui est née de l'Esprit est de la même sorte.

Et le premier rapport qu'elle doit avoir avec le Saint-Esprit, c'est une parfaite liberté intérieure qui consiste :

1 - à n'être point contrainte de suivre les mouvements étrangers d'une convoitise qui précipite les âmes dans ce mal, jusqu'à tant que la grâce baptismale ait fait mourir en eux le péché.

2 - à pouvoir faire sans empêchement tout ce que la loi de la conscience montre qu'il faut faire, et ce par le moyen d'une charité victorieuse qui fortifie tellement le coeur humain que rien ne l'empêche de servir Dieu.

3 - à ne rien faire que par amour, parce que la liberté chrétienne vient de la noblesse de l'Esprit, lequel inspire à ceux qu'il anime un sentiment digne des enfants de Dieu, auxquels donc il ne convient nullement d'agir par la crainte comme des valets, ni par des prétentions intéressées comme des mercenaires, mais par un saint désir et une intention droite de la gloire de leur Père.

Le second rapport que la personne spirituelle doit avoir avec le Saint-Esprit est faire connaître qu'elle est spirituelle par les paroles et par les oeuvres, en sorte que la grâce et les dons de l'Esprit intérieur qui ne se voit point par les yeux du corps, sanctifie ses moeurs de telle sorte qu'on juge combien l'état et la disposition de l'homme nouveau est avantageuse, puisque dans sa vie, il n'y a rien que de spirituel et de divin.

Le troisième rapport est de conserver le secret du coeur avec tant de réserve qu'il n'y ait que Dieu seul, et ceux qu'il destine à l'aider dans ses voies, qui en connaisse la pureté et qui en sache la conduite.

Voilà quelque chose en général de l'état du chrétien ; pour le particulier, cela s'applique à chaque âme selon sa voie, sa grâce et sa vocation, et ne se peut dire que dans le secret de la conduite et disposition particulière.

n° 1946

RENOUVELLEMENT DE LA PROFESSION QUE NOUS AVONS FAITE AU SAINT BAPTEME

« O Jésus, mon Sauveur » et mon Dieu ! prosternée humblement à vos pieds, je vous adore comme mon Chef que je dois suivre et imiter en toutes choses selon la profession publique et solennelle que j'en ai faite au baptême : car alors j'ai promis et fait profession, par la bouche de mes parrains et marraines, en la face du ciel et de la terre, de renoncer entièrement à Satan, à ses oeuvres et ses pompes, c'est-à-dire au péché et au monde, et d'adhérer à vous comme à mon chef, de me donner et consacrer totalement à vous et de demeurer en vous pour jamais.

Promesse et profession très grande et qui m'oblige, en qualité de chrétienne, à une très grande perfection et sainteté :


86

car, en faisant profession/17 de n'être qu'un avec vous, comme les membres ne font qu'un avec leur chef ; c'est faire profession de n'avoir qu'une vie, qu'un esprit, qu'un coeur, qu'une âme, qu'une volonté, qu'une pensée, qu'une même disposition et dévotion avec vous. De sorte que c'est faire profession, non seulement de pauvreté, ou de chasteté, ou d'obéissance, mais c'est faire profession de vous-même, c'est-à-dire, de votre vie, de votre esprit, de votre humilité, de votre charité, de votre justice/18, de votre pauvreté, de votre obéissance, et de toutes les autres vertus qui sont en vous : en un mot, c'est faire la même profession que vous avez faite devant la face de votre divin/19 Père, dès le moment de votre Incarnation, et que vous avez très parfaitement accomplie en toute votre vie ; à savoir, c'est faire profession de ne jamais faire sa volonté propre, ainsi de mettre tout son consentement à faire toutes les volontés de Dieu, d'être en état de servitude perpétuelle, au regard de Dieu et des créatures/20, pour l'amour de Dieu, et d'être dans un état d'hostie et de victime continuellement sacrifiée à la pure gloire de Dieu. Voilà le voeu et la profession que j'ai faite au baptême/21 . O que cette profession est sainte et divine, et qu'elle m'oblige à une vie sainte et divine ! O combien ma vie est éloignée/22 de cette sainteté et perfection ! Combien vous suis-je contraire, ô mon très adorable Jésus, et combien ai-je détruit et consommé vainement votre grâce et profané vos dons par l'orgueil, la vanité et complaisance que j'ai pris dans les créatures et dans moi-même ! Ma vie passée n'a été qu'une actuelle opposition à la sainteté de vos desseins. Que la malignité de mon fond est grande d'avoir tant de fois anéanti votre grâce, dérobé votre gloire, foulé aux pieds votre sang ; bref, je vous ai été

17. De demeurer en vous et d'adhérer à vous comme à mon chef, c'est faire profession...

18. De votre pureté.

19. Devant la face de votre Père.

20. Et des hommes.

21. O Jésus, mon Seigneur. Oh que cette profession...

22. Le passage suivant est propre à Mère Mectilde qui ne rejoint le texte de saint Jean Eudes qu'à : réparez pour moi, je vous en supplie... A partir de : ô combien ma vie est éloignée... Saint Jean Eudes a un autre texte : « Combien de manquements ai-je commis en toute manière contre une si sacrée profession. Pardon, mon Sauveur, pardon, s'il vous plaît. O mon divin réparateur...

87

contraire toute ma vie, commettant des infidélités en toutes manières contre une profession si sainte et si sacrée. Pardonnez-moi, mon très adorable Seigneur, s'il vous plaît. O mon divin Rédempteur et réparateur, réparez pour moi, je vous en supplie, tous ces miens manquements, (et péchés), et en satisfaction offrez à votre Père tout l'honneur que vous lui avez rendu en toute votre vie, par le parfait accomplissement de la profession que vous lui avez faite au moment de votre Incarnation.

O Jésus, en l'honneur et union du très grand amour et de toutes les autres très saintes dispositions avec lesquelles vous avez fait cette même profession, je veux faire maintenant par moi-même ce que j'ai fait par autrui en mon baptême, c'est-àdire/23, par la bouche de mes parrains et marraines. Pour cet effet, en la vertu/24 de votre esprit et de votre amour, je renonce pour jamais à Satan, au péché, au monde et à moi-même. Je me donne à vous, ô Jésus, pour adhérer à vous, pour demeurer en vous, et pour n'être qu'une avec vous, de coeur, d'esprit et de vie. Je me donne à vous pour ne faire jamais ma propre volonté, ains pour mettre toute ma félicité à faire les vôtres très saintes/25.

Je me donne, je me voue et je me consacre à vous, en état de servitude perpétuelle au regard de vous et de toutes sortes de personnes pour l'amour de vous.

Je me donne encore, je me voue et me consacre/26 à vous, en état d'hostie et de victime, pour être tout immolée à votre pure gloire, en toutes les manières qu'il vous plaira.

O divin Jésus, donnez-moi la grâce, s'il vous plaît, par, votre très grande miséricorde, d'accomplir parfaitement cette sainte profession : mais accomplissez-la vous-même en moi et pour moi, ou plutôt pour vous-même et pour votre pur contentement, selon toute la perfection que vous le désirez, car je m'offre à vous, pour faire et souffrir à cette intention tout ce qu'il vous plaira.

n° 2408

23. Une phrase de saint Jean Eudes a été omise par la copiste de ce manuscrit, on la trouve dans d'autres copies « Je veux renouveler la profession que j'ai faite alors... »

24. Et puissance.

25. A faire toutes vos saintes volontés.

26. Et me sacrifie.

DE LA CONSECRATION QUE JESUS-CHRIST FAIT DE NOS AMES AU SAINT SACREMENT DE BAPTEME

Je me donne à Notre Seigneur Jésus-Christ pour vous parler du saint baptême selon la parole que je vous ai donnée pour correspondre à votre désir.

Le baptême est une consécration de nos âmes faite par Jésus-Christ à la très Sainte Trinité. Et pour vivre selon votre obligation chrétienne, vous devez vivre selon la dignité que vous avez reçue au baptême. Or, de toute éternité, Dieu vous a regardée et choisie pour être consacrée à lui par le baptême ; et dans le temps de votre naissance sur la terre, Jésus-Christ en a fait la consécration. Vous savez ce que ce mot signifie, je ne l'explique point ; mais seulement je vous dirai que votre âme et tout votre être étant référés à Dieu par votre baptême, vous n'êtes plus à vous et vous ne pouvez plus vivre pour vous. Votre âme est un temple dédié aux trois divines Personnes, et Jésus-Christ en fait la dédicace et l'oint de l'onction sacrée de sa grâce, au baptême.

Or comme les temples matériels ne servent plus à aucun usage profane, ains aux sacrifices et oblations saintes que l'on offre journellement à la très Sainte Trinité, de même votre âme ne doit plus être profanée d'aucun petit péché, ni être souillée des créatures. Vous devez regarder votre âme comme un temple consacré ; et en cette vue, la conserver pure et nette, puisqu'elle doit être le sacré reposoir de la divinité. Elle est obligée de se séparer de tous les usages profanes qu'elle pourrait faire de ses facultés. Elle doit se contenir dans un recueillement continuel et dans une attention très respectueuse de la grandeur qu'elle contient en soi. Oh, si tous les chrétiens concevaient bien leur haute dignité, pourraient-ils jamais se ravaler à des impertinences et des abominations, si je l'ose ainsi dire, que nous voyons tous les jours ! O profanation épouvantable des temples vivants de la très Sainte Trinité ! Aucun respect de la divinité présente ne retient ces malheureux !

Quelle obligation avez-vous à la bonté de Dieu qui vous donne des sentiments contraires, et qui vous fait la très grande miséricorde de vous retirer de vos égarements pour vous appliquer à la dignité de votre âme, et à lui conserver autant qu'il vous sera possible la pureté qu'elle a reçue par le baptême, ou tâcher de la recouvrer si par malheur vous l'avez perdue.

Tenez donc votre âme comme une chose non seulement sacrée, mais consacrée : c'est-à-dire qui n'est plus à soi, qui est dédiée. Et tous les usages que vous faites de vous-même qui ne sont pas référés à Dieu, ce sont des usages profanes ; vous déshonorez la divinité en vous et profanez son saint temple. Concevez bien cette vérité et désormais ne souffrez plus que votre âme ni ses facultés soient employées à l'usage des créatures, de vos sens, ni de votre amour-propre. Il faut que Dieu seul règne dans son temple ; et, si vous servez les créatures. que ce soit pour son pur amour ; que le temple de votre âme reçoive les continuels sacrifices, les immolations, les victimes présentées à Dieu en odeur de suavité.

96

Voilà à quoi votre âme doit servir, et non à une retraite de brigands, comme dit Notre Seigneur dans l'Evangile, ni un lieu de trafic, ni admettre rien indigne de sa grandeui, de crainte l'obliger sa Majesté de prendre encore les fouets pour les chasser" et vous priver, pour le peu de respect que vous lui portez, de sa sainte présence.

Il faut que vous conceviez encore les intentions de Jésus dans votre baptême. Ce que je viens de vous dire en contient une partie, car vous voyez que son dessein a été de vous référer toute à la gloire de son Père, de vous adopter pour son enfant, de vous associer avec Jésus-Christ pour partager l'héritage éternel. Bref, de vous unir tellement à lui que votre vie ne soit qu'une suite de sa vie.

Voilà les desseins de Jésus dans votre baptême, et vous êtes obligée d'y entrer par amour et soumission et de n'en jamais sortir.

Si un enfant dans son baptême était capable de concevoir ce que Jésus fait en lui, comme il le consacre et comme il le dédie à la gloire de la très Sainte Trinité, et que cet enfant s'unît aux intentions de Jésus-Christ dans le baptême et qu'il consentît à tous ses desseins sans s'en détourner par le péché, il n'aurait pas besoin de renouveler ses intentions. Car le renouvellement n'est que pour suppléer à tant de ruptures d'intention, d'égarements dans les créatures et de retours vers nous-mêmes par amour-propre, qu'on peut dire très hardiment que notre vie n'est que péché et corruption par une pente continuelle que nous avons aux créatures.

C'est le sujet qui oblige une âme qui veut être à Dieu de se renouveler, non seulement une fois dans l'année, mais à tous moments, si elle pouvait, puisque nous sommes si penchants dans l'impureté de nos sens que nous nous souillons à tous moments.

Il est vrai que nous sommes très misérables par Adam notre premier père, mais nous avons un digne réparateur en Jésus-Christ. Le baptême nous remet en grâce et nous fait enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ selon l'Ecriture38. Ce que nous avons à faire, c'est de bien concevoir notre obligation chrétienne et nous lier à la perfection d'icelle.

Il n'est pas besoin de tant d'intelligence pour être sainte, mais il faut une vraie foi et beaucoup d'amour. Nous voyons

37. Mt 21, 12. 38. Rm 8, 15-17 ; Ga 3, 26-27.

98 peu de savants qui soient bien spirituels. Saint Paul ne voulait rien savoir que Jésus-Christ et icelui crucifié/39. Vous savez assez vos obligations et la dignité de votre condition chrétienne, il faut vivre conformément à cette connaissance, et vous étudier à une grande fidélité et pureté de vie, car la grâce que vous avez reçue au baptême vous oblige à cela.

Vivez comme Jésus-Christ car par le baptême vous êtes revêtue de lui/40. Ne pensez pas qu'à force de raisonner dans votre esprit vous puissiez bien concevoir Jésus-Christ : il ne s'apprend point de la sorte. Une profonde humilité de coeur et une grande soumission d'esprit font plus que la science. La foi est la vraie lumière de l'âme chrétienne. C'est un flambeau qui vous a été donné au baptême pour vous éclairer toute votre vie, et vous apprendre que la science et la doctrine de Jésus-Christ s'apprennent dans les pratiques d'humilité, de simplicité, etc.

Notre Seigneur dit dans l'Evangile : « Si vous pouvez croire, vous serez sauvés »/41. Il ne dit pas « si vous pouvez voir », mais : « si vous pouvez croire », pour nous apprendre que notre voie dans le christianisme est une voie de foi, et celui qui croit est capable de recevoir la grâce du baptême. Aussi dans les cérémonies du baptême, l'on fait dire : « Credo » à nos parrains et marraines, à notre nom. Ils le disent pour nous et nous le disons en eux, car ils sont nos cautions. Et lorsque nous avons l'usage de raison, nous sommes obligés de confirmer et ratifier notre croyance par les actes de foi, à raison que nos parrains et marraines ne sont engagés pour nous que jusqu'à ce temps-là.

Renouvelons donc notre foi tous les jours pour suppléer à notre insuffisance et nos incapacités en cet état d'enfance. Prions Jésus-Christ qu'il répare tous ces temps et celui que nous consommons tous les jours dans une infinité d'oppositions à notre grâce chrétienne. Concevez donc ce que nous vous disons.

La foi est absolument nécessaire pour être chrétienne. Vous n'avez point d'obligation de comprendre la profondeur de nos saints Mystères, ni les grandeurs infinies de Dieu, ni les opérations intimes de Jésus-Christ, mais vous êtes obligée de les croire et de vous y soumettre.

39. 1 Co 2, 2.

40. Rm 13, 14.

41. Mc 16, 16.

99

Trois choses sont données dans le baptême en vertu des trois divines Personnes : 1. la foi - 2. l'espérance - 3. la charité.

La foi est attribuée au Père, l'espérance au Fils, la charité au Saint-Esprit. Avec ces trois dons qui vous sont infus au baptême, vous êtes capable d'entrer dans la plus haute sainteté et perfection. Qu'est-ce qui a fait les saints ? La foi, l'espérance et la charité.

La foi établit l'âme dans la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ et de ses saints Mystères, non par des raisonnements humains, mais par une simple croyance aux vérités qui nous sont révélées par l'Ecriture Sainte et par l'Eglise. Nous y soumettons notre jugement sans les vouloir éplucher, et par cette soumission nous les adorons et nous lions à la grâce qu'elles contiennent, notre esprit y étant totalement assujetti.

L'espérance nous fait demeurer fermes en la foi et nous donne une pleine confiance en Dieu par Jésus-Christ, nous tenant assurées par la vérité de ses saintes paroles. L'espérance nous dégage des choses terriennes et nous fait aspirer aux éternelles que nous attendons, dit saint Paul/42.

La charité nous unit à Dieu et nous fait être une même chose avec lui. Elle nous fait aimer les choses divines, nous lie à la croix, nous sépare des créatures et de nous-même pour nous transformer en Jésus-Christ.

Voyei donc si dans le baptême vous n'êtes pas revécue de la vertu divine et des dons divins, sans l'usage desquels vous ne vous pouvez sauver. Si vous vous plaignez de votre faiblesse à combattre vos ennemis, voilà des armes que Jésus-Christ vous donne dans le baptême qui sont offensives et défensives/43 : vous n'avez qu'à vous en servir... Voyez saint Paul ce qu'il a dit là-dessus.

Donc pour faire usage de la grâce de votre baptême, il faut faire usage de ces trois vertus que l'on nomme théologales à raison qu'elles ont Dieu immédiatement pour objet. Commencez dès ce moment à les bien pratiquer et vous verrez qu'elles feront en vous de très bons effets.

n° 996

42. Col 3, 2.

43. 2 Co 6, 7.

101

DE LA SAINTETE DIVINE

Tu autem in sancto habitas, laus Israël /61

Ce matin, je me suis trouvée à mon réveil disant ces sacrées paroles du prophète : « O Seigneur, vous habitez dans la sainteté et toutes les créatures vous louent ». Si la Providence m'eût donné (du) temps cette matinée, je vous aurais entretenue de ce qui se passe en mon fond au regard de la fête que nous célébrons aujourd'hui, et mon désir était de vous appliquer à la sainteté de Jésus-Christ.

Plût à Dieu que vous puissiez comprendre ce que je voudrais pouvoir dire de cette sainteté infiniment adorable ! Respectez ce que vous ne pouvez comprendre et sachez que la fête d'aujourd'hui est la fête de la sainteté de Jésus, laquelle émane des effets dans tous les saints. Ce sont les paroles de l'Eglise à la sainte messe : « Vous êtes seul saint ». Oui en vérité, Dieu seul est saint et nul n'est saint que par participation à sa sainteté divine.

Adorez donc en votre communion aujourd'hui les émanations de la sainteté divine dans tous les saints, et dites souvent avec l'Eglise : « Tu solus sanctus », vous seul êtes saint. O mon Dieu, je me réjouis de votre divine sainteté et que tous les saints sont des effets d'icelle.

Exposez-vous à la sainteté divine pour y avoir quelque part, mais souvenez-vous qu'elle opère une pureté admirable dans les âmes, car il faut pour être sainte porter la destruction de toutes les impuretés qui sont en nous.

Or Notre Seigneur vous fait porter dans votre état présent des effets de sa sainteté divine mais vous ne les connaissez pas. Sachez donc qu'il habite dans sa sainteté. Dieu est en vous retiré dans lui-même, il demeure dans sa sainteté ; adorez-l'y et ne réfléchissez que le moins que vous pourrez sur vos misères.

La sainteté est la plus sévère et rigoureuse et la plus abstraite entre toutes les perfections divines et il n'y a rien en Dieu qui soit tant à Dieu, et si éloigné de ce qui n'est pas Dieu que sa sainteté. Aimer sa sainteté, c'est l'aimer très purement pour lui-

61. Ps 21, 4 - Lettre pour la fête de la Toussaint.

104

même, sans aucun intérêt et sans aucun regard vers soi. Et les moindres perfections en Dieu, s'il se peut dire quelque chose de plus grand ou de moindre en lui, sont celles qui nous regardent, comme sa miséricorde, car il n'en a point affaire pour soi.

Moïse qui était homme mortel, et regardait Dieu par rapport aux créatures, magnifie la miséricorde de Dieu et s'écrie : « Misericors, clemens, patiens et multae misericordiae »/62. Mais les Séraphins qui sont esprits purs, dégagés et tout consommés en Dieu, célèbrent sa sainteté et chantent : « Sanctus, sanctus, sanctus ». Et c'est l'avantage de la nouvelle loi établie par Jésus de regarder Dieu, non par nos intérêts, mais par ceux de sa grandeur et de sa gloire. C'est l'obligation que nous avons d'honorer et célébrer la sainteté avec les séraphins ; de l'aimer non seulement comme bon et miséricordieux à notre égard, mais aussi comme saint et pour lui-même.

Jésus en son agonie a porté proprement la justice de Dieu, mais au délaissement de la croix, il a porté sa sainteté. C'est pourquoi afin d'exprimer la rigueur de son délaissement et le profond abîme auquel cette divine sainteté l'a réduit, après avoir dit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé, je crierai de jour et de nuit et vous ne m'exaucerez point », il ajoute : « Tu autem in sancto habitas, laus Israël »/63, quant à vous, vous demeurerez et habiterez en votre sainteté : c'est-à-dire que Dieu au regard de son Fils en croix s'est retiré dans la plus haute solitude et plus éloignée retraite de sa sainteté et qu'il l'a entièrement délaissé en ses souffrances.

Dieu est si saint, si incompréhensible et si profond que nous pouvons dire en vérité qu'il est un Dieu caché : Deus absconditus /64 ; mais caché si profondément qu'il est au-delà de tout ce que notre esprit peut penser. Il est un Dieu caché à nos sens, il est un Dieu caché à notre entendement, bref il est « Deus absconditus » en une infinité de manières. Et si nous l'adorons caché sous les espèces sacramentales, combien devons-nous l'adorer dans l'abîme de lui-même, ou plutôt dans son incompréhensibilité et renfermé dans sa sainteté divine.

Oh ! si vous connaissiez la dignité et l'excellence d'un Dieu caché, vous prendriez un singulier plaisir dans la retraite

62. Ex 34, 6.

63. Ps 21, 2-3-4.

64. Is 45, 15.

que Dieu fait en lui-même dedans vous. (Mais ce qui vous empêche de vivre de cette vérité qui néanmoins est de foi, c'/65 est lorsqu'il n'épand point les douceurs et suavités de ses grâces dans votre âme : vous croyez que Dieu s'est retiré de vous. Oh ! que notre aveuglement est grand et que notre présomption est épouvantable ! Pourquoi voulez-vous que Dieu s'abaisse jusques à contenter vos sens ? Il faut que appreniez à trouver Dieu dans lui-même et à prendre votre complaisance dans le plaisir qu'il trouve d'habiter dans sa sainteté.

Toutes les retraites que Dieu fait en lui-même sont saintes et adorables et vous y devez avoir amour et union. Lorsque vous trouvez dans votre fond que Dieu s'y rend inaccessible, il faut que vous demeuriez cachée dans votre néant, et vous absconçant [cachant] de la sorte, la grandeur divine jettera ses sacrés regards sur vous et prendra ses délices de vous voir anéantie par hommage à la retraite qu'il a en vous dans lui-même.

C'est une témérité à l'âme de vouloir comprendre quelque chose de Dieu ; ce n'est pas à de petits avortons tels que nous sommes de pénétrer dans l'ineffabilité divine. Il faut faire comme les séraphins, voiler nos faces et crier avec un profond respect et amour : « Sanctus, sanctus, sanctus ». O que Dieu est saint, ô que Dieu est grand, ô que Dieu est immense, ô que Dieu est puissant, ô que Dieu est inacessible et incompréhensible ! Tai une joie très profonde et très grande dans mon âme de voir que Dieu ne peut être compris que de lui-même ; qu'il faut nous perdre et nous abîmer en lui et non point éplucher ses qualités divines. Et il me semble que nous connaissons Dieu d'une manière bien plus pure lorsque nous n'en connaissons rien du tout par notre intelligence, ains seulement par la lumière de la foi.

Notre manière de concevoir Dieu ravale ses grandeurs, mais l'usage de la foi pure nous élève à lui et nous le fait trouver dans le centre de notre âme, où il fait sa demeure, et qui nous fait dire avec Jacob : « Vraiment Dieu est ici et je n'en savais rien »/67. Oui, Dieu habite en nous « et habitavit in nobis ».

65. Cette phrase est omise au D. 10. Elle appartient au texte du manuscrit Cr. C et explicite mieux la pensée de Mère Mectilde.

67. Gn 28, 16.

106

et vous ne le savez point. Il se repose dans lui-même dans le suprême de votre esprit, où il a établi sa demeure comme autrefois sur la sainte Sion, et en ce lieu il repose comme dans un trône de paix, comme dit David : « et factus est in pace locus ejus »/69. Oh bienheureuse l'âme qui est introduite dans cette région de paix et qui ne la trouble point par l'impureté et le tintamarre des créatures et de ses sens.

C'est dans cette solitude profonde où l'âme apprend l'admirable leçon : « Soyez saints parce que je suis saint »/70. Dieu veut que vous soyez sainte, c'est de sa divine bouche qu'il vous le commande. O sacré et divin commandement ! O commandement adorable ! Puisque Dieu vous ordonne d'être sainte, cela est de la foi qu'il vous en donnera les grâces.

Mais que faut-il faire, selon notre petite capacité ?

Il faut tendre à vous vider de vous-même le plus que vous pourrez, et marcher en la présence de Dieu. Ce seul point bien fidèlement pratiqué est capable de vous faire habiter dans la sainteté qui est Dieu même. Il n'y a rien de si puissant pour bien régler une âme que l'actuelle présence de Dieu ; elle vivifie, elle purifie, et elle sanctifie. C'est pourquoi Dieu dit à Abraham : « Ambula coram me, esto perfectus »/71. Marche en ma présence et sois parfait.

Croyez que Dieu vous dit ces mêmes paroles, recevez-les par l'obéissance comme de sa divine bouche, et ouvrez votre coeur pour être remplie de la vertu de foi, afin que par l'usage pur (d'icelle) vous y puissiez persévérer.

Je vous y souhaite le comble de toutes les bénédictions et la grâce de persévérance ou plutôt consommante en l'amour de Jésus.

n° 88

69. Ps 75.

70. Lv 19, 11.

71. Gn 17, 2.

108

SUR LA CREATION DE L'AME

Ma très chère soeur, vous n'avez rien que vous n'ayez reçu/73, et si vous l'avez reçu, de quoi vous glorifiez-vous comme si vous ne l'aviez pas reçu ? dit l'Apôtre.

Votre âme est sortie de Dieu, la foi vous l'enseigne ; elle n'est donc point de vous ni à vous. Elle vous est prêtée pour mériter l'éternité, et partant vous êtes obligée de retourner à Dieu comme à la source d'où vous êtes sortie, et de vous rendre parfaitement à lui par Jésus-Christ qui est venu sur la terre pour être notre voie par laquelle nous allons à son Père14.

Or votre âme avec toutes les excellences dont on vous la représente, ornée de ses trois puissances, par lesquelles elle a rapport aux trois divines Personnes, est pourtant créée de rien. Et c'est dans cette vérité que l'âme établit l'origine de son néant, duquel elle ne doit jamais sortir.

Le Fils de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ, nous dit en saint Jean, chapitre 12, que si le grain de froment tombant en terre n'y est premièrement pourri, il demeurera tout seul, mais s'il meurt, il apportera beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui la hait en ce monde la gardera pour la vie éternelle/74.

Oh ! que ces divines paroles contiennent de mystères ! Rendons-nous à Jésus-Christ pour en porter les effets et recevoir la grâce qu'elles doivent opérer en nous. C'est Jésus-Christ qui parle, nous le devons écouter avec attention et respect.

n° 3117

73. 1 Co 4. 7.

74. Jn 12. 24-25.

C’EST PAR LA FOI QUE L'ON CONNAIT DIEU

Ma très chère fille, je réponds à votre lettre sans vous rien dire davantage de celle que la bonne Mère N. vous a écrite, il faut trouver bon que Dieu me confonde dans mon néant comme il lui plaira.

Je vois sur ce que vous m'écrivez que vous travaillez toujours pour voir et pour connaître. Vous avez une curiosité secrète qui vous fera bien de la peine car il faut être sourde, aveugle et muette, et je vous en vois bien éloignée. Il n'en est pas de la vie intérieure comme des choses extérieures que l'on voit, que l'on touche et que l'on goûte et comprend. La vie d'esprit lui est toute contraire : la foi est sa lumière et sa sûreté. Donc il faut apprendre à vivre de cette vie et négliger vos sens plus que vous n'avez fait du passé.

Vous ne vous appliquez pas assez aux usages de la foi, vous n'y avancez pas parce que vous voulez qu'elle vous soit sensible, et votre esprit ne peut mourir à l'inclination qu'il a de tout voir et savoir. Quand il ne jouit pas de sa prétention, il croit qu'il ne fait rien, il se rebute et se décourage.

Vous dites que vous ne comprenez pas ce que c'est que votre âme; vous n'avez pas la capacité de la comprendre, non plus que de comprendre Dieu15. Vous ne pouvez connaître l'un et l'autre que par la foi et par leur opération. Vous voyez bien que vous avez une âme puisque vous ressentez l'opération de ses facultés. Ne voyez-vous pas que vous avez une mémoire, un entendement et une volonté ? Vous vous souvenez, vous entendez et comprenez, et vous aimez. Voyez donc que vous avez une âme puisque ses puissances sont opérantes. Penseriez-vous voir votre âme en quelque figure ? Ne savez-vous pas qu'elle est faite à la semblance de Dieu ? Qu'elle est pur esprit, ainsi, qu'elle n'est point palpable ; de même Dieu n'est pas palpable : il n'est ni vu ni senti.

Vous me demanderez : pourquoi dit-on quelquefois : « Je voyais Dieu qui faisait telle chose ? » C'est à cause de son opération qui se fait quelquefois voir et sentir à l'âme. Ainsi elle dit

113

qu'elle a vu Dieu qui l'attirait, qui la soutenait ; et c'est un effet de sa grâce opérant en nous quelquefois sensiblement pour fortifier et encourager l'âme. D'autres fois il opère secrètement. Il faut que vous compreniez que le voir de l'âme est en foi. C'est la lumière de la foi qui lui fait voir. Et cette vue n'est qu'une croyance simple qui la tient dans cette vérité. Les sens grossiers n'y ont point de part. Les intérieurs y participent quelquefois, lorsqu'ils sont bien purifiés. De même vous comprenez que vous avez une âme à cause qu'elle opère et que vous ressentez souvent ses différentes opérations.

Une chose m'a fait peine en votre esprit : c'est qu'étant dans l'inclination de notre première mère qui nous a tous conçus en péché, vous avez retenu et conservé une partie de ses dispositions, sans vouloir pourtant être contraire à Dieu. Vous pensez que la grâce d'oraison et toute la sainteté de la vie intérieure s'acquièrent à force de travail d'esprit, de raisonnement, de lumière, de science ; et vous croyez tellement cela que quand la lumière ou la connaissance vous manquent, vous n'estimez plus rien ce qui se passe en vous. C'est là votre pierre d'achoppement et celle de votre grand retardement.

Vous ai-je pas tant dit autrefois que vous n'aviez que de l'esprit et point de coeur pour Jésus-Christ ? Vous avez une pente et une inclination naturelle de savoir, et c'est ce qui a mis en désordre nos premiers parents. Vous voulez connaître, vous voulez comprendre et vous ne voulez pas vous soumettre à l'aveugle à la conduite de Jésus-Christ votre divin Maître. Vous dites bien de bouche que vous le voulez ; mais votre esprit n'y est point assujetti. Et tout son mal vient de ce que vous l'entretenez dans sa pente à voir et connaître. Et lorsque vous ne comprenez point votre disposition, vous travaillez pour en discerner quelque chose, ou vous aspirez à voir ce que l'on vous enseignera là-dessus.

L'affection que vous avez eue toute votre vie d'être instruite vous a beaucoup nui et vous nuira encore plus si vous n'y prenez garde, car votre capacité s'applique toute à comprendre et il n'y a rien pour l'amour. Votre esprit épuise votre coeur. Je suis pénétrée de ce défaut en vous et ne le puis souffrir davantage. Il faut vous réduire en pauvreté d'esprit, puisque votre voie de grâce vous y oblige. Il faut que je sois impitoyable à votre amour-propre ; et cette connaissance que Dieu me donne sur votre âme, ma très chère fille, est une très grande miséricorde pour vous. Je vous assure de sa part que c'est là votre re-

114

tardement et ce qui s'oppose le plus en vous à la sainteté de son règne et de son pur amour. Vous n'êtes point pauvre d'esprit puisque votre fond intérieur est tout plein de désirs : vous prenez un chemin à n'arriver jamais où vous désirez. Lorsque vous aurez appris à demeurer dans le néant et que vous vous en contenterez, vous verrez bien plus d'abondance et d'une manière bien plus épurée.

« Depuis que je me suis mis à rien

J’ai trouvé que rien ne me manque ».


Ce sont les paroles d'un grand saint qui l'avait bien expérimenté/75. Vous vous trompez, ma chère fille, la vie intérieure n'est pas dans les lumières, mais dans le pur abandon à la conduite et à l'Esprit de Jésus.

Il est bon de voir ce que Dieu nous montre comme notre propre misère, notre néant, notre impuissance, pour nous tenir dans l'humiliation et nous convaincre que nous ne sommes rien et ne pouvons rien que par sa grâce. Ces connaissances-là sont bonnes parce qu'elles nous sont données de Dieu. Mais celles qui sont recherchées par l'activité, la force et la diligence de notre esprit sont bien sèches devant Dieu, parce qu'elles n'ont pas l'onction de sa grâce.

L'unique moyen pour faire un grand progrès dans la vie spirituelle, c'est de connaître devant Dieu notre néant, notre indigence et notre incapacité. En cette vue et dans cette croyance que nous avons tant de fois expérimentée, il faut s'abandonner à Dieu, se confiant en sa miséricorde, pour être conduite selon qu'il lui plaira : soit en lumière, soit en ténèbres ; et puis simplifier son esprit sans lui permettre de tant voir et raisonner.

Il faut vous contenter de ce que Dieu vous donne sans chercher de le posséder d'une autre façon. Ce n'est point à force de bras que la grâce et l'amour divin s'acquièrent, c'est à force de s'humilier devant Dieu, d'avouer son indignité, et de se contenter de toute pauvreté et basseté/76. Il faut vous contenter de n'être rien, et

75. Jean de la Croix [...]

Les citations de cette lettre sont extraites de « La montée du Carmel », chap. XIII, libre I — et graphique du Mont de la Perfection.

76. Règle de saint Benoît, chap. VII, de l'humilité, 6' degré, v. 49.

115

« Vous serez d'autant plus

que vous voudrez être moins ».


La vie de grâce n'est pas comme la vie du siècle. Il faut s'avancer et se produire dans le monde pour y paraître et y être quelque chose selon la vanité ; mais dans la vie intérieure, on y avance en reculant. C'est-à-dire : vous y faites fortune en n'y voulant rien être et vous paraissez d'autant plus aux yeux de Dieu que moins vous avez d'éclat et d'apparence aux vôtres et à ceux des créatures.

« Pour être quelque chose en tout

il ne faut rien être du tout ».

Les richesses de la vie de grâce, c'est la suprême pauvreté. Vous êtes bien loin de la posséder, car au lieu de vous dépouiller vous vous revêtez, sous prétexte de bien mieux faire. Quand le soleil est trop grand, il éblouit ; quand vous avez trop de lumière, elle vous offusque. Votre esprit naturel est ravi de ne demeurer point à jeûn, et lorsqu'il n'a ni lumière ni sentiment, il crie miséricorde, il vous trouble et vous tire de la paix. Il faut, ma très chère fille, le mettre en pénitence : nous en sommes dans le temps ; et il ne faut point avoir de pitié de ses cris. Ce sont ses intérêts qui le font crier. Il faut fermer les oreilles à ses plaintes et vous contenter dans votre ignorance, votre impuissance et pauvreté.

Jusqu'ici vous n'avez pas cherché Dieu purement, mais vous vous êtes recherchée vous-même. Votre tendance secrète, et souvent manifeste, n'a été que de contenter et satisfaire votre esprit qui a toujours été partagé le premier ; et pourvu qu'il fût en repos vous croyiez avoir fait beaucoup. Apprenez maintenant une leçon contraire, qui est de contenter Dieu, vous abandonnant à sa conduite en foi et simplicité sans l'éplucher, vous résignant humblement à ses saintes volontés, attendant en patience sa grâce et sa lumière, sans que l'activité naturelle de votre esprit la prévienne pour la dévorer et se satisfaire soi-même.

Voilà une grande leçon que je vous ai faite contre mon dessein, car je ne pensais pas vous rien dire, et cependant je vous ai dit la plus pressante vérité qui regarde votre état intérieur ; et me suis trouvée si remplie, si assurée de la vérité que je vous ai dite que je n'en puis nullement douter. Pensez-y, ma très chère fille, voilà vos liens intérieurs qui sont bien plus malins que vous ne pensez. Priez Notre Seigneur qu'il les rompe et qu'il vous fasse la grâce d'être comme un petit enfant, tout soumis et simplifié à sa sainte conduite.

Il y a longtemps que je vous prêche ces qualités, tâchez de vous en remplir et renoncez à tous désirs de savoir, de connaître, de sentir, etc.

« Ut jumentum factus sum », dit David : « J'ai été faite comme la jument » et ai demeuré avec vous. Demeurez à Dieu comme une pauvre bête incapable de quoi que ce soit, sinon d'être ce qu'il lui plaira ; ignorant tout et ne sachant rien que sa très sainte volonté à laquelle vous serez abandonnée et soumise sans la connaître. Et vous verrez que sa grâce, son amour et son esprit règneront en vous.

N° 1391


DES EFFETS DE LA FOI

Ma très chère fille, j'avais bien le désir de vous écrire ce matin sur l'Evangile, mais la Providence nous a donné la sainte messe fort matin. C'est ce qui a rompu mon dessein, mais qui m'a remplie d'un désir très intime de voir votre âme établie dans la grâce de la Transfiguration. Et je me suis trouvée très appliquée à prier pour elle à la sainte communion. Si vous êtes fidèle, vous connaîtrez quelque chose des merveilles qui sont en Dieu et qu'il fait goûter à ses élus.

J'ai toujours dans l'esprit de vous exhorter à avoir une haute estime de Dieu, de ne rien préférer à son amour/78 et de vous référer toute à lui. Pesez bien l'importance de ce que je vous dis et l'obligation que vous avez de vous y rendre fidèle. Ce sera, ma très chère fille, par l'usage de la foi.

Il faut que quelque jour je vous parle parle de son excellence et de ses effets, et que vous soyez convaincue de la nécessité que vous avez de la pratiquer. C'est par elle que votre âme s'élève à Dieu. C'est par elle qu'elle le connaît. C'est par elle qu'elle se rend soumise aux desseins adorables et secrets

77. Ps 72.

78. Règle de saint Benoît, chap. 72, du bon zèle que doivent avoir les moines.

117

que Dieu a sur elle. C'est par la foi que vous êtes en actuelle jouissance de Dieu présent. C'est par la foi que vous sortez des créatures pour entrer en Jésus. Bref, c'est par la foi que vous êtes unie et transformée en Jésus. O sainte foi, que tu as de grâce et de puissance ! et que de saints et divins effets tu produis dans une âme qui agit et opère par ta lumière et par ta vertu.

Si vous voulez être transfigurée, il faut aller à la montagne de la pure oraison. C'est par icelle que l'âme est vraiment transfigurée, qu'elle est toute dépouillée d'elle-même et revêtue de Dieu. On monte à Dieu sur la montagne pour y trouver Dieu par le sentier de l'oraison et de la mortification, et lorsque l'âme arrive au sommet d'icelle, elle y trouve Jésus-Christ transfiguré parlant de l'excès de son amour en ses divines souffrances, et entend cette voix adorable : « C'est ici mon Fils bien-aimé en qui j'ai pris mes plaisirs, écoutez-le »/79.

Sur cette montagne, l'âme est très attentive à Dieu, elle écoute le Verbe divin revêtu de notre chair qui parle à son coeur, et qui l'instruit de son amour et de ses mystères. Oh ! que de merveilles, que de prodiges, que de grâces dont l'âme est remplie par ce parler divin ! C'est sur la montagne que Dieu fait entendre sa voix, c'est sur la montagne que Dieu se manifeste, c'est sur la montagne qu'il parle de sa Croix.

Laissons-nous conduire sur cette montagne bienheureuse! Quittons le fatras des sens et des créatures, élevons-nous par la foi et écoutons la divine leçon de notre adorable Maître. Il nous parle de l'excès de sa Passion, pour nous apprendre que la gloire et la félicité de Jésus étaient de souffrir pour nous, et de nous témoigner son amour.

Portons un très grand respect et amour aux paroles saintes de Jésus, désirons qu'elles soient opérantes dans le fond de nos coeurs, et qu'elles impriment en nous un puissant amour de sa Croix, puisque les marques de la transfiguration d'une âme, c'est l'union à Jésus-Christ en Croix, c'est d'aimer et de parler de la Croix et d'y être consommée.

Soyez transfigurée en cette manière et ne prenez point de plus intime satisfaction que de souffrir pour Jésus-Christ et avec Jésus-Christ.

Voyez les petites saillies de mon esprit que l'affection intime que j'ai pour vous jette dans votre âme.

N° 884

79. Lc 9, 31-35.

COMME IL FAUT OPERER EN FOI

Ma très chère fille, j'espérais vous faire réponse comme j'en avais formé le dessein lisant la vôtre, mais la Providence en a disposé tout autrement, me liant si étroitement au silence que je n'ai point trouvé de capacité de vous rien dire, sinon que vous devez apprendre à vous taire et à bien souffrir. Voilà la réponse que j'ai trouvée en moi, pour vous, après la sainte communion.

Il faut que je vous laisse un peu dans la privation et dans le silence, et le trop de désir que vous avez de savoir vous nuit beaucoup. Je l'ai vu très clairement. Donc je suis résolue de vous laisser un peu porter votre croix, et voir quelle sera votre fidélité.

Ma chère fille, je ne vous ai point encore imposé de joug trop rude ni difficile, mais il faut que vous trouviez bon que j'aide à vous détruire selon que Notre Seigneur m'en donnera la grâce. Ne prenez point tant de travail à la fois, une leçon suffit pour plusieurs jours, et je voudrais bien que vous vous exerçassiez en foi. Voici comment :

Croire Dieu présent en foi, sans le voir ni ressentir, agir pour lui autant qu'il vous sera possible, c'est-à-dire faire et souffrir toutes choses en sa sainte présence et en son amour, tâchant de purifier vos intentions et les animer de sa dilection sacrée. Peut-être me direz-vous que vous ne trouvez pas en vous cette pureté ni ce dégagement, et que si vous voulez faire quelque effort, c'est une productions/80 de vous-même qui, n'ayant point d'onction de la grâce, ne fait point son effet ; et vous n'en ressentez pas la bénédiction. Je vous réponds que votre insensibilité ne rend pas moins bonne votre action : au contraire, elle en est doublement épurée, car vous renoncez à votre amour-propre, sans satisfaction.

80. Le manuscrit a la leçon « ce sont des productions .. On a rétabli le singulier qui s'accorde avec le reste du texte.

118

Voilà la leçon que je vous donne : de faire avec pureté vos opérations. Exemple : je bois, je mange, et la nature y veut prendre quelque plaisir, je me détourne en esprit de cette satisfaction et désire de tout mon coeur n'y point adhérer, ains de manger pour l'amour de Dieu et par obéissance à sa conduite qui nous y oblige, et mon dessein est de demeurer en cette intention. Si je m'en détourne par faiblesse ou infidélité, j'y retourne par un simple souvenir ou désir d'y être, et de cette sorte je fais mon oeuvre en la présence de Dieu et pour Dieu, autant que je l'y puis faire.

Dieu veut que j'opère avec sa grâce dans certaines rencontres ; et en d'autres il veut que je sois toute passive et toute adhérente à l'impuissance qu'il me fait ressentir. Il le faut suivre comme il lui plaira de nous mener. Vous en avez un exemple en vous-même sur le mouvement qui vous a été donné de vous rendre victime des familles X. Il faut souffrir ce trait-là en vous laissant à la disposition divine pour lui donner tel effet qu'il lui plaira sans vous empresser ni beaucoup résister, ains vous laissant à Dieu pour être sa victime. Il vous appliquera comme il voudra. Car dans les attraits ou mouvements des choses extraordinaires, il faut se donner de garde de la tentative, notre propre esprit nous en suggère quelquefois, c'est pourquoi il s'en faut défier. Voici comment vous devez vous y comporter pour éviter la tromperie : il faut les remettre en Dieu avec abandon et confiance à sa grâce, vous tenant liée à sa très sainte volonté, sans jamais vous en séparer, et sans vous beaucoup occuper du particulier, de peur qu'insensiblement cela ne vous jette dans des égarements d'esprit et dans les distractions.

Soyez donc toute à Dieu pour tout ce qui lui plaira, car il est juste que la victime soit immolée à la gloire de celui à qui elle appartient. C'est à lui de vous appliquer pour qui et à qui il lui plaira. Votre motif doit être seulement sa pure gloire, ne vous détournant pas un moment de lui. Que s'il vous applique au salut des âmes, votre zèle ne doit être que lui, que de le voir régner partout et honoré de tous. Si vous quittez cette simple vue, votre esprit naturel et raisonnement/82 vous mènera bien loin dans ses diverses pensées, dans ses craintes, dans les créatures et dans ses considérations. Il faut fermer l'oreille de notre âme à tout ce qu'il nous veut dire, et demeurer passive, c'est-à-dire patiente dans le trait de Dieu ; ainsi des autres choses qui vous arrivent, remettant ou laissant toutes choses à la disposition divine, et par ce moyen vous demeurez en Dieu, remplie de Dieu, car les volontés de Dieu, c'est Dieu même. Ainsi l'on ne se trompe point en s'amusant à ce qui se passe.

Vous avez désiré savoir à quoi vous obligerait cet état de victime que vous avez mouvement de porter pour X. Il vous chargerait de tous crimes, et vous ferait comme Jésus-Christ Notre Seigneur a fait pour vous : mourir et souffrir pour eux. C'est que vous seriez obligée de satisfaire à la divine justice de ce dont ils seront redevables. En un mot, c'est vous donner en proie à toutes sortes de souffrances et de morts, puisque les péchés méritent des supplices infinis.

Rendez-vous à Dieu pour ce qu'il lui plaira, et lui dites qu'il vous rende lui-même victime pour X s'il veut cela de vous. Parce que s'il le veut, sa grâce le fera en vous. Mais pour votre égard, ne vous avancez pas de vous-même. Voyez votre impuissance et votre peu de fidélité. Ainsi dans la vue de votre néant, misère et pauvreté, demeurez abandonnée à la volonté divine ; voilà pour ce point.

Je reviens au premier de ma lettre et la conclus comme je l'ai commencée, en vous disant qu'il faut souffrir et se taire ; c'est-à-dire qu'il faut embrasser votre croix telle qu'il plaira à Notre Seigneur vous la donner, et demeurer seule avec lui sans vous dissiper dans les créatures. Soyez solitaire au milieu des embarras, que votre esprit s'en dégage. Ne faites rien avec empressement, avec affectation, avec attache, avec intérêt propre ; et opérant pour Dieu et par soumission à son bon plaisir, vous demeurerez libre et agirez en sa sainte présence sans vous souiller dans vos opérations.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous en fasse la grâce.

n° 1435

81. Il faut se garder de la tentation.

82. Et raisonneur.

121

« CONTINUATION POUR OPERER EN FOI »

Aimez Dieu, ma très chère fille, aimez Dieu pour l'amour de lui-même. Ce peuple de l'Evangile d'aujourd'hui/83 aime Jésus et le poursuit pour le faire Roi parce qu'il les a repus et rassasiés de pain et de poisson. Oh ! qu'il y a peu d'âmes qui aiment Dieu pour l'amour de lui-même, et qui le fassent régner dans leur coeur ! Tant que nous ressentons les doux effets de ses grâces, que nous avons la lumière et le goût, nous le suivons et l'adorons comme notre Dieu et notre Roi ; mais s'il nous prive de ses douceurs et qu'il nous mette dans le renversement, nous ne le connaissons plus.

Jésus est toujours Dieu, plein de grandeur, plein d'amour et de sainteté. Il est le même dans les privations, dans les impuissances que vous expérimentez tous les jours. Il faut donc que vous l'aimiez et l'adoriez de même coeur, que la foi vous élève au-dessus de vos sens, que vous connaissiez par icelle comme vous devez vivre dégagée de vous-même et des appuis de vous-même et de votre amour-propre.

Elevez-vous en simplicité à Dieu qui vous est actuellement et réellement présent. Dépouillez-vous de toutes vos lumières, de tous vos goûts, de toutes formes, de toutes images et espèces. Dieu est un pur esprit : il veut être adoré de vous en esprit/84, dénué de tous fantômes/85.

La foi vous enseigne que tout ce qui tombe sous les sens et dans la compréhension humaine n'est point Dieu. Non, non, ma très chère fille, tout ce que vous ressentez, tout ce que vous goûtez, tout ce que vous voyez n'est point Dieu. Ce peut bien être quelque effet de ses grâces, mais ce n'est pas Dieu source de grâce.

Et pour le trouver dans sa pureté divine, il faut que vous vous éleviez au-dessus de tout ce que vous sentez et, par une simple ignorance de toutes choses, vous demeuriez en foi dans Dieu, c'est-à-dire : le croyant ce qu'il est, vous demeurerez dans un abîme de respect en sa sainte présence, sans former d'autre discours. Vous vous laisserez à la puissance divine pour être la victime de son amour. Vous demeurerez en cette posture immobile ne permettant pas à votre esprit de se réfléchir, vous négligeant vous-même pour vous laisser toute à Dieu et remplie de lui. Et si la tentation vous attaque, vous la négligerez de même, étant comme insensible à tous vos intérêts, car il faut que vous vous perdiez vous-même si vous voulez jouir de votre Dieu. « Celui qui perd son âme la gardera pour la vie éternelle »/86.

Je vous écris ces choses à genoux, prosternée devant la majesté adorable de mon Dieu qui m'a donné tout ceci et beaucoup d'autres choses à vous dire, après la sainte Communion du matin où j'ai été pénétrée d'une manière toute particulière à votre sujet16. Oh ! que vous êtes redevable à la bonté divine ! Combien de miséricordes il vous prépare ! Votre voeu ne vous y sera point contraire, car très assurément il est agréé de Dieu en la manière que je vous l'ai exprimé. Mais soyez fidèle et vous abandonnez parfaitement.

Il faut que vous vous rendiez digne, par la vertu de Jésus-Christ, de recevoir les grâces qu'il vous veut faire. Déterminez-vous à être tout à Dieu et soyez résolue d'y mourir à la peine en la manière que l'obéissance vous fera connaître.

Je ne suis point votre ange visible, je suis un démon de péché, mais Dieu veut que je vous enseigne ses voies, et que vous portiez le poids de cette humiliation : que vous soyez liée à une pécheresse par l'ordre divin. Mais vous devez faire abstraction de la créature pour vous rendre tout à Dieu, en la créature.

n° 9

83. Jn 6, 1-15.

84. Jn 4, 23.

85. Espèces, fantômes : représentations sensibles.

86. Mt 11, 39 ; Jn 12, 24-25.

123

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS D'ETRE A JESUS-CHRIST, REVETUES DE JESUS-CHRIST, ET DE FAIRE TOUTES NOS ACTIONS POUR JESUS-CHRIST

J'ai bien envie de vous parler de Jésus-Christ, de vous faire connaître Jésus-Christ, et de vous voir toute remplie d'amour et d'estime de Jésus-Christ. Oh ! qu'il est grand, qu'il est saint, qu'il est aimable et adorable ! Soyons toutes à lui, ne vivons que pour lui, ne respirons que lui, ne pensons qu'à lui, ne désirons que lui. Je vous avoue que je prends un singulier plaisir de vous parler de Jésus-Christ, de voir la bonté que vous avez de souffrir qu'une bouche impure comme la mienne vous en parle.

Le sacré nom de Jésus-Christ est si suave et si doux, qu'il y a des délices de le prononcer. O Jésus-Christ, Jésus-Christ, Jésus-Christ, soyez en nous et nous remplissez toute de vous-même. Une âme qui a Jésus-Christ n'a plus besoin d'autre chose. Si vous me demandez qui peut avoir Jésus-Christ, je vous dirai que tous les chrétiens l'ont reçu au baptême. Vous l'avez en vous, mais il ne se manifeste pas toujours. C'est la foi qui vous le découvre, et quelquefois il se communique si particulièrement à l'âme, qu'elle l'expérimente d'une admirable manière. Jésus-Christ est la vie de votre vie, il est l'esprit de votre esprit et l'âme de votre âme. Si Jésus-Christ n'était en vous, vous ne seriez rien de ce que vous êtes.

Adorez donc Jésus-Christ comme votre vie, votre âme, et votre esprit, c'est-à-dire voyez plus Jésus-Christ en vous que vous ne vous voyez vous-même. Nous ne devons plus rien voir que par les yeux de Jésus, rien désirer que par ses désirs, rien aimer que par son amour. Enfin d'être, comme dit saint Paul, ce digne amateur/91 de Jésus-Christ, toute revêtue de JésusChrist/92.

C'est un grand bonheur à l'âme d'avoir une haute estime de Dieu et de ne voir rien de grand que lui, de ne voir rien digne de nos respects, de nos hommages, ni de notre amour que lui, afin que dans cette vérité nous lui rendions ce que nous devons à sa grandeur et à sa sainteté. Dans cette vue vous ne pouvez rien faire que pour Dieu, vous ne pouvez rien désirer que Dieu, vous ne pouvez rien aimer que Dieu, et en toutes choses vous voyez Dieu et tendez à Dieu.

Dieu, Dieu, Dieu seul, c'est-à-dire : que Dieu soit unique dans vos pensées, dans vos paroles, dans vos intentions, dans vos oeuvres, dans vos désirs, dans vos affections. Dieu uniquement partout : Dieu dans l'affliction, Dieu dans l'humiliation, Dieu dans la vie, Dieu dans la mort, enfin Dieu partout.

L'Evangile/93 nous dit aujourd'hui en deux mots en quoi consiste toute la sainteté chrétienne. C'est une leçon admirable, écoutez-la, je vous prie. La Loi dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton esprit »/94. Pesez bien ces choses et vous verrez combien vous êtes obligée à donner à Dieu jusqu'à la plus petite de vos actions. S'il faut l'aimer, par l'obligation de ses com-

91. Amateur est peut-être employé au sens de : amant. Seul le D. 10 a cette version, les autres manuscrits ont : imitateur.

92. Rm 13, 14 ; Ga 3, 27.

93. Mt 22, 34-46. Evangile lu autrefois le 17' dimanche après la Pentecôte.

94. Dt 6, 5.

127 [128!]

mandements, de toutes les capacités de votre âme, jugez si vous ne lui devez pas toutes vos pensées, tous les mouvements et même tous les respirs de votre coeur.

La Loi dit : « De toute ton âme, de toutes tes forces ». Si vous considérez bien l'importance de ces paroles, par obligation de commandement vous vous devez tout à Dieu. Et par surcroît saint Paul vous dit : « Vous n'êtes plus à vous, vous êtes rachetée d'un grand prix »/95. Vous trouverez dans une infinité d'endroits de l'Ecriture Sainte l'impuissance où vous êtes de disposer de vous-même, voire seulement d'une de vos pensées, si vous ne voulez la dérober à Jésus-Christ. Mais de droit vous ne le pouvez. Vous êtes achetée : qui achète l'arbre achète le fruit, donc vous n'êtes point à vous. Pesez bien cette vérité, répétez souvent ces paroles : Je ne suis point à moi, je suis à Jésus-Christ. Il m'a rachetée par amour, je suis donc nécessairement esclave de son amour. O digne esclavage !

Après que vous aurez compris cette vérité et que l'Esprit de Notre Seigneur aura fait impression sur votre âme, vous connaîtrez par une expérience de grâce que vous appartenez toute et sans aucune réserve à Jésus-Christ ; que c'est une nécessité absolue qu'il faut que vous soyez toute à lui ; que vous ne pouvez plus vous en dédire. Etant convaincue de cette vérité que vous devez croire comme article de foi, voyez ensuite combien vous êtes obligée de vous rendre à lui. C'est consentir à tous les droits, les pouvoirs et autorités qu'il a sur vous, et demeurer en lui. C'est ne sortir jamais de sa sainte présence et faire toutes choses par son esprit. Autant qu'il vous est possible, de n'avoir jamais dans votre idée d'autre objet que lui. Bref que sa pure gloire vous fasse agir en toutes choses, jusqu'à la moindre de vos actions. Ne pensez pas qu'il y ait rien de petit au regard de Dieu : tout est grand, tout est saint, son amour sanctifie toutes choses.

Soyez donc très ponctuelle dans les plus petites choses. Tout se fait pour un grand Dieu. Il faut donc que tout soit fait avec esprit, c'est-à-dire avec attention à Dieu, et dans un simple désir de le glorifier et contenter en toutes choses. Il ne faut plus écouter la nature ni l'esprit humain qui se plaint de son esclavage. Que cet esclavage vous rendra libre/96 un jour17, après que vous aurez tout assujetti à Jésus : vos sentiments, votre raisonnement, vos retours, vos intérêts, vos passions et votre amour-propre. Pour lors, vous posséderez une liberté intérieure si sainte que vous vous étonnerez comme vous avez pu appréhender de vous rendre captive de Dieu si plein de bonté et d'amour.

Celui qui quitte ce qu'il a pour suivre Jésus-Christ, il lui rend le centuple en ce monde et la vie éternelle en l'autre/97 Oh ! quelle récompense ! Il rend le centuple en ce monde. Oui, ma très chère fille, la liberté que vous aimez tant et que votre amour-propre craint de sacrifier vous sera rendue doublement. C'est-à-dire que vous serez plus libre et que plus rien ne vous captivera. Les créatures n'auront plus d'empire sur vous, toutes choses seront au-dessous de vous et rien ne vous pourra plus troubler.

N'est-ce pas donc un grand bonheur de perdre en Jésus notre liberté, de lui en faire volontairement un sacrifice, puisqu'il nous la rendra toute sainte. Captivez-vous donc pour Jésus jusqu'aux plus petites choses. Il veut que vous ayez cette fidélité, et puis il vous élèvera à de plus grandes. Celui qui ne fait point estime des petites choses tombera bientôt dans de grands désordres.

L'amour-propre souille bien plus les grandes actions que les petites. La complaisance et la vanité secrète ruinent tout. Mais dans les petites choses tout y est petit, vous en êtes humiliée ; elles n'éclatent point, et vous n'en recevez pas la vaine louange des créatures.

L'amour-propre ne se plaît pas aux petites choses. La malheureuse inclination de propre excellence que le péché a mise en nous nous fait toujours aspirer à des choses hautes ; et nous voyons peu d'âmes qui n'aspirent à de grandes choses sous prétexte de la gloire de leur Maître. Ne vous trompez pas, ma très chère fille, suivez la vraie lumière et les leçons que Jésus-Christ vous donne par lui-même. Si vous voulez être grande dans la grâce et dans les dons de Dieu, soyez si petite et si abjecte à vous-même et aux créatures que vous ne puissiez plus vous trouver. Faites votre demeure dans le néant, ne soyez rien en aucune chose, et vous serez toute en Jésus-Christ.

95. 1 Co 6. 19-20.

96. 1 Co 7.22.

97. Mt 19, 29.

129 [130]

Ne regardez pas les petites choses par la vue de votre esprit humain. Voyez-les dans l'ordre que Jésus-Christ a établi sur vous, auquel il vous assujettit par les pressants mouvements que sa grâce imprime en vous. Vous y devez une ponctuelle obéissance sans regarder la petitesse de l'action. C'est assez que c'est Dieu qui vous le commande. Il faut obéir à l'aveugle, sans retour ni sans réfléchir sur votre action. Et s'il ne veut de vous que de petites choses, en devez-vous pas être contente ? Est-ce à vous de donner des lois à Dieu ? L'esclave n'a point de droit de choisir ou de refuser. Il faut quelle soit sujette à tout moment, sans dire pourquoi.

Aimez donc la fidélité en petites choses, et vous y tenez sujette. Vous pouvez plus glorifier Dieu en relevant une paille par soumission à Dieu, que de faire cinquante disciplines, ou autres plus grandes austérités, de votre propre esprit. Et si Dieu se contente de ces petites choses, il les faut faire purement et avec la même perfection, le même amour et la même fidélité que si vous convertissiez tout le monde. Votre petite action a Dieu pour fin et pour objet comme la plus grande. Donc il la faut faire saintement parce qu'il faut honorer Dieu et tout faire pour son amour et par la direction de son Esprit.

1. Pour bien faire votre action il la faut faire pour Dieu, c'est-à-dire pour son amour et par respect et soumission à son bon plaisir, pour lui seul, sans se considérer soi-même, sans réfléchir sur votre propre satisfaction ou intérêts.

2. Il la faut faire en Dieu, c'est-à-dire en sa présence, demeurant unie de coeur et d'esprit en lui.

3. Il la faut faire par l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire qu'il faut vous laisser à Dieu, afin qu'il agisse en vous, que ce soit sa grâce et sa vertu qui fassent toutes choses dignes de lui.

Quand nos actions sont faites de cette sorte, elles sont glorieuses à Dieu. Comment connaîtrez-vous que votre action est faite de la sorte ? Vous le remarquerez lorsque faisant vos actions, vous n'aurez point d'autre motif que de contenter Dieu. Vous demeurerez en sa sainte présence, sinon ressentie, du moins crue, c'est-à-dire en foi ; et vous vous laisserez à lui par un pur abandon pour faire cette action comme il lui plaira.

Or il n'est pas besoin en toutes vos opérations d'avoir ces trois points distincts dans votre pensée. La simple application de votre esprit à Dieu par un simple et amoureux désir, vous met en possession des trois ; et votre fond intérieur les contient en foi, et cela suffit. Faites donc toutes choses avec la perfection que vous pouvez, imitant Notre Seigneur qui a fait toutes choses saintement et parfaitement ; qui a fait toutes choses selon qu'il l'a jugé plus à sa gloire.

Faites tout ce que vous faites :

1. Avec présence d'esprit.

2. Sans précipitation.

3. Volontairement et de bon coeur pour Jésus-Christ.

4. Sans écouter les plaintes de la nature.

5. Avec une amoureuse complaisance dans l'accomplissement des volontés de Dieu en vous. Si vous avez à écrire, écrivez ayant Dieu présent en foi et avec tranquillité, sans empressement.

Ne voyez que Dieu et son plaisir dans ce que vous faites ; et bien que ce soient actions humaines, vous les rendez divines par le motif divin qui vous anime. Dans vos autres travaux, faites le même et gardez-vous d'être propriétaire de votre oeuvre ; ne vous y complaisez point et ne vous y attachez point. Quittez facilement toutes choses au moindre signe ou mouvement de l'ordre de Dieu. Faites ce que vous faites avec grande liberté. Rendez-vous toute sorte de travaux indifférents : pourvu que ce soit Dieu, il vous doit suffire. Or ce sera toujours Dieu quand vous n'envisagerez pas les créatures ni vos intérêts.

Quand vous faites un ouvrage, faites-le en la vue de Dieu et pour Dieu, dans la perfection que vous pouvez. Donnez gloire à Dieu en faisant parfaitement ce qu'il vous commande.

J'ai connu des âmes qui auraient fait scrupule de ne point faire un ouvrage autant parfait qu'elles pouvaient, leur pensée étant comme un reproche de ce qu'elles n'agissaient point dans toute l'étendue de la grâce ou de la perfection que Dieu mettait en elles.

Il y a des âmes si pures et si délicates qu'elles observent jusques aux plus petites choses, ne voyant rien de petit de ce qui peut et doit honorer Dieu. Ces âmes font usage de toute la capacité que Dieu a mis en elles pour le glorifier, même dans les moindres choses de la vie qu'elles font avec quelque degré de perfection.

Pour bien réussir en ceci, il faut concevoir, en foi, une haute estime de Dieu et vous estimer bienheureuse d'être consommée pour sa gloire, quand même il ne vous en récompenserait jamais.

Voilà donc pour vos actions et obligations que vous avez d'être fidèle en petites choses, et comme vous les devez faire

131 [132]

dans toute la perfection que vous pouvez ; puisque c'est pour Dieu et non pour la créature que vous opérez. Ce que j'ai dit pour une action je l'ai dit pour toutes.

Disons un petit mot des services qu'on vous rend et que vous vous rendez à vous-même.

Premièrement, vous ne devez point vous approprier aucun service de ceux qu'on vous rend : c'est à Jésus-Christ qu'on les rend en votre personne. Et supposé que ceux qui vous servent n'aient pas ces sentiments, vous ne devez pas pour cela vous approprier ce qui n'est pas à vous ; et vous devez suppléer au peu de lumière et de grâce de vos gens en référant à Dieu tous les services que vous recevez d'eux.

Soyez très fidèle en ce point, afin que Dieu soit en toutes choses, et que la créature ne soit pas l'idole de la créature. Car pour l'ordinaire, les domestiques n'ont que des vues humaines dans les services qu'ils rendent. Vous êtes chrétienne, c'est pourquoi vous êtes obligée à cette fidélité ; et dans cette disposition recevez humblement tous les services qu'on vous rend, saine ou malade.

Cette petite pratique de fidélité rend l'esprit très libre et fait que l'on souffre avec humilité les services que l'on reçoit ; car souvenez-vous bien que ce n'est pas à vous, ni pour vous, mais à Jésus-Christ en vous.

Quant aux services que vous vous rendez à vous-même, vous devez avoir le même sentiment, qui est de les rendre à Jésus en vous ; car Jésus-Christ est plus pour vous que vous n'êtes vous-même. Vous pouvez aussi les appliquer comme à un pauvre de Jésus-Christ. Car bien que vous ne mendiez pas votre pain comme ces gueux des rues, êtes-vous pas pauvre et vraiment pauvre, puisque vous n'avez rien par vous-même ? Vous êtes mendiante tous les jours, donc vous êtes en vérité pauvre en toute manière : pauvre de vertu, pauvre de grâce, pauvre de perfection, pauvre de bien, enfin pauvre en toutes choses. Est-ce pas Dieu qui vous donne tout, et lui demandez-vous pas du pain tous les jours ? Oui, vous êtes pauvre dans l'abondance des choses du Ciel et de la terre. Rien n'est à vous, pas seulement une pensée ; et tous les biens de fortune dans un moment vous peuvent être ôtés comme à Job, et vous réduire sur un fumier, couverte de pourriture98. Oh ! quand Dieu veut faire des renversements, il en trouve d'étranges moyens !

Vous êtes donc pauvre, et vous devez vivre pauvre dans un total dégagement de toutes choses ; et dans cet esprit, servez-vous comme vous feriez un pauvre. Appliquez à votre corps la charité que vous rendriez à autrui, comme la rendant à Jésus-Christ en vous, et pour avoir plus de capacité de le servir. Il ne faut pas tout dénier au corps, car il faut qu'il serve votre âme ; c'est pourquoi il le faut faire subsister, non par amour et tendresse de nature, mais pour être plus capable de glorifier Dieu. Soulagez-le donc par charité, mais ne le flattez point par trop d'humanité. Donnez-lui sans scrupule les choses nécessaires, et toujours par un motif divin, ayant Dieu et sa gloire pour objet.

Etant en santé, servez-vous vous-même autant que vous pouvez et que la prudence vous le permettra, vous estimant indigne qu'un membre de Jésus-Christ soit employé à vous servir. Mais étant indisposée, recevez tous les services nécessaires en la manière ci-dessus.

J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais je crains que le trop de viande ne charge votre estomac. Lisez attentivement cette leçon, non une fois mais plusieurs, doucement, sans effort ni contrainte18. Recevez ce qu'il plaira à Notre Seigneur opérer en vous. Ne vous gênez de rien, non pas même de vos imperfections ; nous avons à vous en écrire quelque chose quand il plaira à Notre Seigneur. Il ne faut point surcharger votre esprit. Demeurez paisible dans vos misères et souffrez que Dieu vous confonde et vous humilie comme il lui plaira.

n° 674

98. Jb 2, 8.

133 [134]

COMMENT L'ON DOIT SERVIR LES MALADES

Dieu soit béni des grâces qu'il vous a données d'arrêter votre promptitude dans les occupations où sa sainte Providence vous a engagée. Liez-vous à ses effets et servez votre cher époux comme la personne de Jésus-Christ, si vous le voyiez sur terre. Vous ferez en cela ce que saint Paul vous conseille/99, et en rendant vos devoirs à la créature selon vos obligations, vous honorerez Dieu par vos intentions.

Gardez-vous d'un petit empressement secret qui vous domine, lequel vous cause des ténèbres et quelquefois un peu d'inquiétude. Voyez toutes choses dans l'ordre de Dieu et recevez tout de sa sainte main. C'est lui qui fait malade votre mari, et c'est lui qui vous assujettit à le servir. Appliquez-y votre temps et votre capacité par obéissance à Notre Seigneur, et qui veut cela de vous et qui vous y oblige. Servez-le avec amour et avec respect : c'est votre maître en une certaine manière et c'est aussi [...]/100.

Dans la vue de ses douleurs, ne soyez point si humaine. N'y compatissez pas par nature. Vous êtes chrétienne, il faut agir actuellement selon la grâce chrétienne ; et faire autrement, c'est dégénérer de la dignité que nous avons reçue et mépriser les ordres de Dieu qui nous y oblige. Ayez compassion de la douleur qu'il porte, mais chrétiennement, voyant la main de Dieu qui la lui applique. Respectez les desseins de Dieu sur son âme et sur son corps et l'offrez à Notre Seigneur en victime ; car c'est une partie de vous-même par le sacrement qui vous a unis. Vous êtes obligée de référer à Dieu tout le droit que vous y avez, dans le désir de le voir tout à Jésus-Christ, et qu'il le sanctifie par ses souffrances.

Il ne faut point aimer d'un amour de chair et de sang ; mais il faut aimer d'un amour pur et dégagé qui n'a que Dieu pour son principal motif. Jamais la créature ne le doit emporter, car vous ne servez la créature que par hommage et obéissance à Dieu. Elevez donc votre esprit à Dieu qui vous est présent et qui est plus en vous que vous n'êtes à vous-même, et faites en sa sainte présence et par le motif de son pur amour tout ce que vous avez à faire.

Donnez-vous librement aux affaires et à la servitude quand Dieu veut cela de vous. Soyez contente en toutes les dispositions où Dieu vous mettra tant pour l'intérieur que pour l'extérieur. Ne vous occupez pas par votre propre esprit, mais laissez-vous occuper par la Providence qui ne manquera pas de vous visiter par ses événements. Soyez-y fidèle sans gêne ni sans empressement. Contentez-vous de la divine volonté que vous devez accomplir en toutes choses. Il ne vous faut que l'attention sur vous-même, ou plutôt l'attention à Dieu, et son Saint-Esprit vous fera de bonnes leçons.

Ne vous captivez point vous-même, soyez libre dans vos exercices de piété ; et quand l'ordre de Dieu vous en tire, soyez soumise et gardez-vous de chagrin. Il faut être toute à tous, et toujours en état de faire ce que Dieu veut, n'ayant aucune attache à aucune chose particulière. Donnez à Dieu sa liberté de vous employer à tout ce qui lui plaît.

Ne faites jamais rien que vous ne soyez prête de le quitter dans le moment, si Dieu et l'obéissance vous ordonnaient autre chose. Il faut que Dieu seul nous maîtrise et non les créatures ; et cependant nous nous rendons bien souvent volontairement leurs captives par infidélité et par aveuglement.

La Providence est adorable, ayant ménagé la privation de deux ou trois choses que je voulais vous ordonner de faire. Portez-la de bon coeur, et commençons à mourir à tous les appuis et recherches de notre amour-propre.

Je veux de bon coeur être privée de votre présence, c'est assez que je vous trouve en Dieu où je prends plaisir de vous voir, et que les créatures ne vous possèdent plus. Je vous dirai une autre fois comme il faut prier pour le prochain. Travaillez avec fidélité suivant le mouvement du Saint-Esprit.

n° 353

99. Ep 5, 21-24.

100. La phrase n'est pas achevée dans le manuscrit. Certaines copies plus récentes ont remplacé les points de suspension par : votre époux.


AFIN D'HONORER DIEU PAR NOTRE OBEISSANCE « Dieu et rien de plus ! »

La lumière et la grâce qui vous sont nécessaires pour connaître en fond votre état ne vous seront point données par les efforts de votre esprit, mais bien en vous exposant le plus actuellement que vous pourrez à Notre Seigneur, avec une profonde humilité et une remise de tout vous-même à lui, attendant avec confiance, respect et patience qu'il lui plaise opérer en vous ce qui est de sa gloire, et qu'il verse dans votre âme un rayon de sa lumière et quelque petite étincelle de son pur amour.

Gardez-vous de l'empressement intérieur. Oui, ce serait mon désir, si cela se pouvait, que vous soyez dans l'ignorance de beaucoup de choses de la vie intérieure. Tout votre travail n'a été que dans la superficie, curiosité, vanité ; le pur amour

139 [+1 dorénavant omis]

de Dieu n'avait point de vie en vous. Figurez-vous que toute votre science n'est rien ; car qui sait tout et ne saurait point Jésus-Christ crucifié, ne sait rien, dit l'Apôtre/3. La vraie science est de savoir et connaître Jésus-Christ, mais par une sainte expérience. Donnez-vous bien à la puissance de son Esprit pour terrasser le vôtre et le réduire dans l'anéantissement qu'il doit être.

Vous honorerez Jésus-Christ par votre obéissance en vous assujettissant à Dieu et aux créatures en la vue et en l'union de son obéissance à son Père éternel, à sa sainte Mère et aux bourreaux.

L'obéissance qu'il rend à son Père vous apprend le respect et la soumission que vous devez aux ordres éternels de Dieu sur vous, et à recevoir tous les événements et accidents de votre vie de sa sainte main ; les recevant avec amour, les souffrant avec résignation au bon plaisir de Dieu et, si vous pouvez, avec agrément et complaisance de voir que Dieu accomplit ses desseins en vous, comme il faisait en son Fils.

Celle qu'il rend à sa sainte Mère vous apprend la soumission que vous devez avoir à la direction que le Saint-Esprit a établi dans l'Eglise.

Et celle qu'il rend aux bourreaux vous apprend comme vous devez recevoir les croix, les afflictions, les privations et le reste. Jésus-Christ se laisse dépouiller, coucher et attacher sur la croix, non par pure soumission aux hommes, mais par une vue et parfaite connaissance qu'il avait de la volonté de son Père au regard de sa mort. Il s'assujettit au cruel traitement des hommes, de manière qu'on peut dire que l'amour du bon plaisir et la gloire de son Père l'ont fait mourir, les créatures n'étant que les instruments de son supplice.

Ne chargez point votre esprit de multiplicité. Il n'est que trop rempli de ses propres lumières et de l'inclination qu'il a de savoir les choses qu'il agrée ou qui ne lui soient point communes.

Soyez petit enfant dans la main de Dieu et vous laissez conduire. Suivez la grâce, ce n'est pas à vous à la prévenir.

Humiliez-vous et ne vous découragez point. Les lumières que Dieu vous donne par lui ou par autrui, vous les devez recevoir avec une grande simplicité, les laissant faire l'impression dans votre âme qu'elles y doivent faire, par la grâce et non par vos efforts.

N° 1873

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS DE CONNAITRE JESUS-CHRIST ET QUE LES ATTRIBUTS DE DIEU AIDENT BEAUCOUP A LE CONNAITRE EN PURE FOI

Les désirs que j'ai de voir votre âme toute unie à Jésus-Christ me font prendre la liberté de vous dire mes petites pensées et vous enseigner derechef, par sa lumière et par son esprit, la nécessité que vous avez de connaître Jésus-Christ et de vivre de sa vie. Il y a longtemps que je vous souhaite toute à lui et que je le prie vous y attirer.

Il me semble que je conçois quelque chose, selon ma pauvre capacité, des désirs adorables de Jésus vers les âmes et les très grandes bénédictions qu'il veut départir à la vôtre si elle se rend fidèle. Oh ! que la créature est misérable de refuser tant de miséricordes ! Combien en avez-vous rejetées et même méprisées ! Oh ! que c'est un grand secret dans la vie intérieure de bien suivre le trait de la sainte conduite de Jésus-Christ ! Plût à Dieu que je vous puisse dire ce que j'ai appris sur ce sujet, et de quelle manière nous devons demeurer en Jésus-Christ et vivre de lui. Mais hélas ! je souille tout, je profane tout, je suis indigne de parler. Je prie Jésus-Christ de parler pour moi et en moi, et de me faire dire ce qui lui plaira. J'ai peine à parler d'une chose si digne, et il faut que l'Ange du Seigneur fasse en moi ce qu'il fit à un prophète/104, qui est de purifier mes lèvres, et de me faire parler les paroles de vie éternelle puisque Jésus-Christ contient en soi la vraie et unique vie. Car hors de lui il n'y a que mort. O vie sainte et divine quand sera-ce que nous vivrons de ta vie ?

Mon âme étant touchée d'amour et de respect pour Jésus-Christ ne pouvait s'empêcher de gémir sous le poids malheureux qui la va séparant de son tout et la retire de cette application amoureuse. Et souvent elle s'écriait avec saint Paul : « Qui

103. 1 Co 2, 3. 140 104. Is 6, 6-7. in 6, 68.

141

me délivrera de ce corps de mort ? »/105. Qui rompra mes liens et le tracas des créatures ? Et qui me donnera une profonde solitude qui m'éloigne de toutes choses pour m'unir à Jésus-Christ et pour me rassasier de Jésus-Christ ? Les bienheureux en sont remplis et occupés actuellement, et cette plénitude et actuelle application compose leur béatitude.

Toute la félicité des saints consiste à voir Jésus-Christ. O vue sainte et adorable, que ne puis-je vous Voir sans intermission ! Hélas ! qui me donnera des ailes de colombe/107 pour voler d'un vol simple dans Jésus-Christ, et là y établir ma demeure, vivant séparée de tout le reste. Oh ! si nous connaissions le bonheur d'une âme qui est en Jésus-Christ, pourrions-nous vivre un moment sans nous procurer la même grâce ? Jusqu'à quand serons-nous plongées dans son contraire qui sont les impures créatures ? O créature malheureuse, combien devrais-je te haïr, puisque si souvent tu me prives de l'objet de ma divine béatitude ! N'y-a-t-il pas moyen de nous en séparer une bonne fois ? Entrez avec moi en compassion de notre extrême misère et de notre aveuglement qui nous fait si continuellement préposer/108 la très indigne créature à Jésus-Christ.

Ne vous verrons-nous jamais en profonde solitude pour nous rassasier de Jésus-Christ, pour ne plus rien voir que Jésus-Christ, ne plus penser qu'à Jésus-Christ et ne plus rien aimer que lui ? Il me semble que mon âme soupirerait après cet unique bonheur qui nous ferait jouir d'un avant-goût de cette vie divine. Mais hélas ! je respire après une grâce dont je suis tout à fait indigne. Elle est réservée au pur et net de coeur et qui ne se souille plus comme je fais actuellement. Mais nonobstant mes impuretés, la grâce chrétienne m'oblige d'y aspirer par une très profonde humilité, et il m'est permis de désirer Jésus-Christ comme la vie de ma vie. Vous avez la même obligation, c'est pourquoi unissons-nous ensemble pour le désirer, le chercher et le posséder.

Commençons par une haute estime de Jésus-Christ. Je ne prétends point vous exprimer mes grandeurs, je les rabaisserais et les profanerais d'une étrange manière. Il faut nous servir de la foi pour croire avec humble respect ce que nous ne sommes pas capables de comprendre.

105. Rm 7. 24.

106. Actuellement : qualifie l'acte toujours présent car il est hors du temps.

107. Ps 54.

108. Préférer.

Un des points les plus importants dans la vie intérieure, c'est d'estimer Dieu d'une estime digne de lui-même, qu'il soit en notre esprit et en notre coeur par-dessus toutes choses. Cette estime attire l'amour, et l'amour fait la sainte union.

Mais quelque grand que soit l'amour, ne sortez jamais du respect, souvenez-vous toujours qu'il est le Tout et que vous êtes le néant. Et quel rapport y a-t-il de l'un à l'autre, la sainteté et le péché ? Ne vous oubliez donc jamais de votre devoir, quelque haute grâce que vous receviez de Notre Seigneur. J'aime beaucoup de voir dans une âme le respect et l'amour. Il faut qu'ils marchent d'un pas égal. Ne vous oubliez jamais. C'est une redite, mais elle est nécessaire pour vous en faire mieux concevoir l'importance.

Cette estime et ce respect de Dieu vous tient en votre devoir et vous fait communiquer avec Dieu d'une manière qui fait honorer sa grandeur ; et dans cette disposition, vous rendez hommage à l'incompréhensibilité divine. Vous vous abaissez et avouez votre insuffisance. Et cette pensée de Dieu incompréhensible borne toutes les curiosités de l'esprit et l'assujettit à une simple et très respectueuse croyance de ce que Dieu est, sans vouloir le comprendre, puisque cela ne se peut. Il n'y a que Dieu seul qui se puisse comprendre lui-même ; et cette vérité nous doit donner de la joie. Dieu est si saint et si divin et si ineffable qu'il n'est et ne peut être connu essentiellement que de lui-même. Oh ! quelle consolation a une âme qui aime Dieu de voir qu'il est incompréhensible !

Je connais une âme qui a été longtemps occupée de ce divin attribut, lequel opérait en elle une amoureuse complaisance de voir son Dieu être incompréhensible. Elle se perdait et s'abîmait dans cette incompréhensibilité divine. Et ce mot : « Dieu est incompréhensible » la nourrissait merveilleusement, parce qu'en icelui son âme était arrêtée dans un profond silence et respect qui abaissait les ailes de son esprit, ne voulant plus rien savoir que Dieu incompréhensible.

Tous les affirmatifs que nous prenons pour monter à la connaissance de l'Essence divine nous éloignent infiniment de la réalité de ce qu'elle est. La foi simple a bien plus d'efficace, laquelle se servant du négatif donne bien plus de gloire à Dieu et produit plus d'amour et d'assujettissement.

Il est bon que vous connaissiez quelque chose des attributs divins et de leurs opérations dans votre âme, pour vous y

142

lier et ne vous y opposer pas. La connaissance que vous en devez avoir n'est pas par spéculation, mais par une application humble et amoureuse à leur effet en vous.

Les attributs divins servent pour nous donner une connaissance grossière de Dieu ; mais la foi, qui élève l'âme dans une sainte ignorance de tous les affirmatifs, la fait entrer dans une simple et amoureuse croyance de ce que Dieu est en lui-même, surpassant toute lumière et toute intelligence. Elle croit Dieu dans la vérité de son Essence, sans lui donner aucune forme ni image, pour délié qu'il soit.

Cette manière de connaître Dieu est la plus parfaite. Mais en attendant que l'âme en reçoive la grâce, il faut qu'elle monte de degré en degré jusqu'à ce qu'elle trouve le Dieu des dieux en Sion/l09, dit le Prophète. Servez-vous donc des attributs divins et de l'intelligence qui vous en est donnée, jusqu'à ce qu'elle vous soit infuse.

Voyez comme une âme est, dans les pures et saintes pratiques de la vie intérieure, toute revêtue de la divinité : c'est par l'étroite union et transformation d'amour qu'elle a avec Dieu, laquelle étant par la force de ce divin amour faite une même chose avec lui, elle est toute remplie de ses saintes et divines qualités. Elle est sainte par une participation de la sainteté divine ; elle est bonne par une émanation de la bonté divine ; elle est juste par la justice divine, douce par la douceur divine, charitable par la charité divine, patiente et débonnaire par la patience divine, etc. Toutes les grâces et vertus qui éclatent en elle sont des effets opérés par les divins attributs ; de sorte qu'une âme dans cet état se voit toute revêtue des perfections divines. Elle se sent forte par la force de Jésus, immuable par son immutabilité divine, et ainsi du reste. Ce qui fait qu'elle ne s'approprie aucun de ces dons. Elle voit tout en Dieu et de Dieu, et rien du tout en elle ni d'elle que le péché ; et c'est ce qui la tient si parfaitement unie à Dieu sans sortir de son néant. Elle voit sa dépendance, et comme toutes grâces et miséricordes sont en lui.

Cette connaissance soutient notre impuissance et nous oblige par deux raisons de demeurer unies à Jésus-Christ. La première, par amour que nous devons à Jésus-Christ, Ye connaissant notre unique principe et la fin de toutes choses/110, bref

109. Ps 83.

110. Ap 1, 8.

pour le respect de lui-même, car il est seul digne d'un éternel amour. La seconde réfléchit sur nos propres intérêts, qui est la nécessité que nous avons de Jésus-Christ, mais un besoin si grand que nous ne pouvons opérer une seule bonne action sans son concours. A tous moments, il faut recevoir ses miséricordes, ou nous périssons.

Notre dépendance est si étroite que nous n'avons de vie qu'en lui. C'est la vie de notre vie et l'âme de notre âme. Enfin il nous est tout, et sans lui nous n'avons rien du tout. Jésus est donc notre divine suffisance, nous n'avons rien qu'en lui111. Si cela est une vérité de l'Ecriture, demeurons-y assujetties et souffrons que notre propre existence nous fasse ressentir le besoin actuel que nous avons de Jésus.

En cette vue et connaissance nous devons nous tenir très étroitement unies à Jésus-Christ, nous devons ne rien faire que par Jésus-Christ/112, recevoir toutes choses dans son ordre et être continuellement tendantes à Jésus-Christ. Voici comment :

Je sens ma nécessité, mes faiblesses et mes indigences. Je sais par la foi et même par mon expérience et par la vérité de l'Evangile que je ne puis rien faire sans Jésus-Christ. Je suis donc pressée et obligée de me rendre à lui pour demeurer en lui, afin que les paroles adorables qu'il a dites soient efficaces en moi. En saint Jean : « Qui demeure en moi et moi en lui, porte beaucoup de fruit. Sans moi vous ne pouvez rien faire »/113. C'est Jésus lui-même qui prononce cette vérité. Je dois donc demeurer nécessairement en lui, comme le sarment demeure en la vigne, comme il dit lui-même en saint Jean, car quiconque ne demeure en lui, il sera jeté dehors et mis au feu/114.

O parole épouvantable [admirable19] ! Il n'y a point de salut qu'en Jésus, point de fruit ni de bonnes oeuvres pour la vie éternelle, et qui ne demeure en lui sera rejeté à jamais. Voilà la double nécessité que j'ai d'être et de demeurer en Jésus-Christ. Car si je m'en retire, non seulement je ne fais point de bien, mais je péris nécessairement. Car celui qui ne demeure en lui sera jeté dehors et mis au feu, c'est-à-dire sera réprouvé éternellement. Cette vérité me condamne si je ne me rends à Jésus. Me voilà donc convaincue que je dois être à lui et opérer par lui, puisque je n'ai point de vie qu'en lui.

111. 2 Co 3, 5 ; Jn 1, 3-4 ; 15, 5. 113. in 15, 5.

112. Col 3, 17. 114. Jn 15, 6.

145

La première chose que j'ai à faire, c'est de sortir de moi-même, c'est de me renouveler dans le désir que j'ai de me rendre à Jésus. Le Père éternel m'a donnée à Jésus, et Jésus m'a rachetée. Je suis donc à lui par droit obligatoire. J'y suis encore par nécessité. Il me reste d'y être par élection de ma part et par amour. C'est le premier pas que je veux faire, ma première démarche pour sortir de moi-même et entrer en Jésus-Christ. C'est un retour vers Jésus du plus intime de mon coeur par un très sincère désir de me rendre tout à lui, de lui restituer les droits que j'ai usurpés sur mon âme, comme autant de larcins. Je lui dois rendre, avec respect, compte de tous les usages profanes que j'en ai fait, tant à mon regard qu'au regard des créatures.

En troisième lieu, je me dois souvent exposer à Jésus-Christ pour me lier très étroitement à toutes ses appartenances, à tous ses droits et à tous ses pouvoirs sur moi, désirant sortir entièrement de moi-même pour lui céder la place et qu'il y règne absolument.

Quatrièmement je me dois donner ou laisser à Jésus-Christ pour opérer par lui ; et je dois tellement être cachée en lui, comme dit saint Paul/115, que l'on ne puisse rien voir en moi que Jésus-Christ. Tout doit être Jésus-Christ, tout doit ressentir son odeur et exprimer sa vertu, et ma vie ne doit être qu'une suite de sa vie.

Or pour continuer la vie de Jésus, il faut que je vive comme lui, que j'aime comme lui, que je pense comme lui, que je parle comme lui, que je songe comme lui, et que j'opère comme lui.

Comment ? C'est que dans toutes mes paroles et mes opérations, je dois envisager Jésus-Christ, je dois regarder comme il faisait sur la terre lorsqu'il y était, comme il parlait et comme il souffrait. Et je me dois rendre à son Esprit pour opérer par sa vertu, en'sorte que je fais cessation de moi-même et de toute ma capacité naturelle pour opérer par l'Esprit et la vertu divine de Jésus-Christ. Je me laisse en lui pour parler, opérer et souffrir par lui, et dans cette sainte pratique, je demeure, par désir et par affection, anéantie en Jésus, le laissant être en moi tout ce qu'il y doit être, lui donnant l'honneur et la gloire de toutes choses, puisque tout se fait par lui ; et dans cet état, je me gar-

115. Col 3, 3.

146

derais bien de me rien approprier, de tirer vanité de mes œuvres, puisque c'est Jésus-Christ qui les opère en moi. La foi m'apprend cette vérité, et la dépendance actuelle que j'ai de la grâce de Jésus-Christ en toutes choses me le confirme. Quelle grâce et quelle miséricorde d'être ainsi liée à Jésus-Christ !

Or ce n'est pas assez de connaître par la foi et par la splendeur des perfections divines Jésus-Christ dans le sein de son Père comme son Verbe éterne/116, par lequel il a tout fait, et par lequel il nous sanctifie ; mais il le faut connaître dans sa vie voyagère sur la terre pour nous y conformer. Notre âme doit être unie à l'âme de Jésus-Christ, et toutes nos actions doivent avoir rapport aux siennes. Voilà notre obligation, car il faut être Jésus-Christ en toutes choses. C'est pourquoi il faut faire ce qu'il nous dit dans l'Evangile : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, porte sa croix et me suive »/117. Nous ne pouvons donc suivre Jésus-Christ qu'en portant notre croix et en renonçant à nous-mêmes. En un autre endroit il dit : « Celui qui ne quitte son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, sa femme, son mari et tout ce qu'il possède, n'est pas digne de moi»/118. Il n'est pas digne d'être son disciple.

On ne peut suivre Jésus-Christ que par le dépouillement de toutes choses. Il faut tellement perdre toutes choses qu'il se faut perdre soi-même. Une âme qui fait quelque réserve ne peut trouver ni goûter parfaitement Jésus-Christ. Il dit à son Apôtre : « Suivez-moi »/119 et ce grand avare quitte tout à cette divine parole. Hélas ! combien de fois sommes-nous pressées intérieurement de tout quitter, de retirer nos affections de la terre pour suivre Jésus-Christ dans sa vie pauvre et souffrante ; mais nos attaches sont si fortes qu'il faut que la Sagesse divine nous envoie des renversements, des pertes et des accidents de diverses manières pour emporter de force ce que nous ne voulons point donner par amour.

Ce n'est pas sans raison que les âmes bien éclairées appellent les afflictions de la terre des visites de Notre-Seigneur et des effets de son saint amour. Si vous pouviez pénétrer l'amour que Jésus-Christ porte aux âmes et le désir infini qu'il a de les

116. Jn 1, 1-3.

117. Mt 16, 24 ; Mc 8, 34 ; Le 9, 23.

118. Mt 10, 37 et 19, 29.

119. Mt 4, 19.

147

sanctifier, vous prendriez grand plaisir aux afflictions, aux croix et aux souffrances ; puisque, dans la vérité de Dieu même, ce sont les inventions dont son amour se sert pour attirer ses élus et les obliger, par la presse de leur douleur, de se retourner vers lui en se séparant des créatures.

O croix, ô affliction, ô perte, ô renversement, que vous êtes favorables ! Il faut confesser notre aveuglement et avouer que nous sommes bien misérables et que le péché nous a bien pervertis d'avoir tant d'horreur de ce qui nous sanctifie, et qui nous rend vrais disciples de Jésus-Christ, et qui nous rend dignes de lui. Commençons à voir nos croix d'un oeil plus éclairé de la vraie lumière ; ne fuyons plus leurs approches, ains plutôt allons au devant. Unissons-nous à Jésus-Christ pauvre et souffrant ; et si nous ne sommes pas dans la peine, humilions-nous d'en être indignes, et nous laissons dans la main sainte et adorable de Jésus pour être ce qu'il lui plaira.

Il faut donc connaître Jésus-Christ dans la vie de souffrance dans laquelle il nous a mérité la grâce que vous avez reçue au baptême et que vous recevez actuellement. C'est par Jésus crucifié que vous êtes ce que vous êtes. Soyez par désir unie étroitement à lui, ne faites rien sans lui et faites tout par lui. Lorsque vous avez à souffrir quelque chose, désirez que la grâce de ses souffrances fasse un usage de la vôtre digne de lui. Dans les humiliations, souhaitez que son humilité sainte sanctifie vos abjections. Ayez rapport à Jésus-Christ en tout ce que vous faites, dites, pensez ; désirez que tout soit uni à Jésus, et qu'il tire sa vertu et sa perfection de lui.

Ayez une dévotion que j'ai vu longtemps pratiquer par quelque âme, de vous exposer souvent en esprit à Jésus, pour recevoir en vous sa grâce et sa vertu. Je sais combien cette vertu est efficace, mais il faut de la patience et de la persévérance. Je puis dire en vérité que l'âme qui y est fidèle reçoit ce que je ne puis exprimer, et je vous prie d'en faire l'expérience. Je voudrais que vous preniez un quart d'heure dans votre journée, selon votre loisir, pour vous exposer à Jésus-Christ selon vos besoins. Quelquefois pour invoquer sur vos faiblesses la puissance de Jésus-Christ. D'autres fois, dans le sentiment de vos impuretés et du fond malin qui est en vous, vous exposer à sa sainteté, vous y abandonnant pour recevoir en vous ses effets, et ainsi du reste. Dans vos pratiques ordinaires, vous donner à sa grâce et à son esprit ; dans vos actions, désirant que

Jésus-Christ les fasse en vous, et n'en faire jamais aucune que par sa direction et par obéissance à sa conduite.

Si vous concevez bien ce que je veux dire et si vous y êtes fidèle, vous verrez les bons effets que cela produira en votre âme, et comme insensiblement vous vous trouverez remplie de Jésus-Christ. Vous serez toujours en sa sainte présence et toujours occupée de lui. Vous verrez toutes choses en lui et vous serez à tous moments et dans tous les événements liée à son ordre et à son bon plaisir. Vous rendrez une actuelle obéissance à Jésus-Christ ; et par ces moyens vous vous trouverez actuellement unie à lui, et toutes vos paroles auront l'odeur de JésusChristm, et vos actions en seront plus épurées.

Et ce qui vous doit donner plus de consolation, c'est que tout votre être ainsi rempli de Jésus-Christ donnera gloire à Dieu en l'union de son Fils. Et la plus petite de vos actions en cet esprit est glorieuse à Dieu et méritoire en votre âme. Vous sortez, sans quasi y penser, de vous-même et suivez Jésus-Christ.

Plût à Dieu que toutes les âmes chrétiennes voulussent expérimenter ce que je dis. Je sais qu'il y a un peu de peine à en prendre les habitudes ; mais pour peu qu'on s'y applique, l'on en tire de merveilleux profits. Les âmes qui en ont fait usage peuvent confirmer les vérités que je dis.

n° 2054

120. 2 Co 2, 15.


COMME L'ON DOIT SE SACRIFIER EN QUALITE DE VICTIME /126

Ma chère fille. Vous serez demain en l'état que Notre Seigneur aura agréable de vous mettre. Je suis d'avis que vous vous abandonniez très entièrement et sincèrement à sa miséricorde et à la conduite de son divin Esprit, sans faire choix ni élection dans votre esprit d'aucune disposition particulière, sinon celle qui ne vous doit jamais quitter, qui est de vous rendre à Dieu. Confiez-vous en sa bonté, je vous assure qu'il fera son ouvrage et se glorifiera en vous après qu'il y aura détruit et anéanti tout ce qui s'oppose à la sainteté qu'il y veut établir. S'il vous laisse en cette précieuse action en état de mort, soyez contente qu'il vous prive de la vie que vous avez toujours menée dans vous-même et dans vos sens.

Il faut que la journée de demain soit la journée de votre véritable et réel sacrifice ; que vous soyez faite avec Jésus la victime de son Père ; que vous vous laissiez lier par les saints voeux et promesses de votre baptême ; que vous vous laissiez mener et conduire par l'Esprit pur et saint de Jésus dans le sentier de la pure mortification et abnégation de vous-même, dans ce « sentier étroit » dont l'Evangile nous dit « qu'il conduit à la vie »/127.

126. Cette lettre semble adressée à la comtesse de Châteauvieux avant qu'elle n'émette les voeux d'obéissance et de victime. Elle accomplit cet acte quelques jours après la mort de son mari, survenue le 6 novembre 1662, cf. Catherine de Bar, Documents historiques, p. 204, Rouen, 1973.

127. Mt 7, 14.

153

Il faut vous laisser égorger : c'est-à-dire qu'il faut donner un consentement de mort à tout ce qui est contraire à Dieu en vous et souffrir que les ressorts de la très sage et adorable Providence, par ses secrets événements, vous fasse mourir à vous-même, à vos appuis, aux secrètes recherches de votre amour-propre.

Il faut être consommée par le feu du pur et divin amour de Jésus. Or le feu ne brûle la victime que premièrement ces autres effets n'aient précédé, pour nous apprendre que le feu sacré de la charité divine ne s'allume dans le coeur qu'après que toutes les impuretés de nous-même, qui sont en nous-même, sont égorgées et détruites. Figurez-vous que vous êtes cette victime condamnée à la mort pour recevoir en Jésus une nouvelle vie.

Faites peu de retours sur vos dispositions propres, mais donnez-vous beaucoup à Jésus pour être revêtue de son Esprit et de ses saintes dispositions. Priez-le très humblement et ardemment qu'il fasse lui-même cette action en vous, qu'il soit votre vertu, votre force et votre grâce pour la faire comme il la désire ; et qu'il vous fasse la miséricorde de prendre un nouvel empire et souveraineté sur vous. Que c'est dès ce moment que vous vous rendez toute à lui, avec regret d'avoir consommé vos années passées avec tant d'ignorance et d'impuretés.

La plus importante disposition que vous devez avoir, et que Dieu ne vous dénie pas, c'est le néant. Retirez-vous dans votre néant en la présence de la très Sainte Trinité et, dans une humiliation profonde dans laquelle vous devez entrer, abandonnez-vous à leurs saintes opérations en votre âme, et croyez qu'elle fera en vous un effet de rénovation, bien que vous ne vous en aperceviez point ; et il est bon que vos sens n'y aient point de part, au moins volontairement.

Vivez en esprit de mort puisque vous êtes victime. Gardez-vous bien de chercher la vie dans vos sens et dans vous-même. Il faut être anéantie en soi pour vivre en Jésus. Demeurez en paix et en tranquillité d'esprit. N'oubliez pas le respect que vous devez avoir en sa divine présence, aux mouvements de sa grâce, à ses ordres, et la soumission d'esprit pour vous assujettir et les accomplir, quoiqu'il vous en coûte. Ne vous séparez point de la discrétion, vous savez ce que je vous en ai dit.

n° 3146

CE QUE C'EST QUE PUR AMOUR ET DE SES EFFETS

Je me trouve en disposition de vous répondre bien amplement sur ce mot de pur amour, ce que c'est et comme il s'opère. C'est une entreprise qui surpasse ma capacité. Mais je ne prétends pas en parler comme ces grandes âmes, ains seulement comme je pourrai selon ma stupidité et mon peu de lumière, n'étant pas digne de vous parler de ce pur amour, car il faudrait la capacité des séraphins et leur intelligence. Je confesse mon extrême ignorance, et j'avoue qu'il faut avoir expérimenté les effets du pur amour pour en parler efficacement. Je puis bien dire avec le prophète : « Je ne suis qu'un enfant je ne puis parler »/133. Il faut que ce soit le Saint-Esprit qui vous fasse cette divine leçon. Il n'y a que lui qui vous la puisse bien enseigner. Tout ce que je vous en pourrais dire diminuera son excellence.

Mais puisqu'il faut parler sans retours, je vous dirai donc que le pur amour est Dieu même, « Deus caritas est. Dieu est charité, et celui qui demeure en charité demeure en Dieu »/134. Oui, ce sont les paroles de saint Jean, desquelles vous ne pouvez douter.

Une âme en charité, c'est une âme en amour. C'est une âme toute remplie de Dieu, toute occupée de Dieu, toute zélée des intérêts de la gloire de Dieu ; qui ne peut plus rien faire ni souffrir que pour lui seul ; qui ne se regarde plus soi-même ni les créatures ; et en ses opérations, elle n'a plus aucune tendance ni désir que de contenter Dieu. Elle ne regarde plus si elle en aura récompense, si elle en sera plus parfaite, si son oeuvre est méritoire, si elle aura plus de grâce ou de repos en son esprit. Son seul et unique motif est de contenter Dieu, sans envisager les intérêts de notre amour-propre. L'âme opère tellement pour l'amour et respect de Dieu seul qu'elle ne peut envi-

133. Jr 1, 6.

134. 1 Jn 4, 16.

159

sager que son bon plaisir. Elle ne regarde pas si elle est contente, car elle n'opère point pour elle, ains pour son seul uniquement adorable Jésus-Christ. Toutes sortes de souffrances et de peines lui sont agréables, pourvu que son divin Maître soit satisfait. Enfin Dieu, Dieu tout seul, sans mélange de nos intérêts ni des créatures.

Le pur amour ne sait ce que c'est que d'être intéressé, que de se regarder soi-même. Il ne saurait souffrir la moindre souillure de vanité ni des créatures. Il fait tout pour Dieu. Il rend tout à Dieu, sans s'approprier jamais aucune chose. Sa tendance est de faire régner Dieu, de le glorifier en tout, sans se mettre en peine de soi-même.

Oh ! que le pur amour est puissant et qu'il fait de grands effets dans une âme qu'il maîtrise et en laquelle il ne trouve plus de résistance à ses opérations. Qu'a-t-il fait en sainte Madeleine ? qu'a-t-il fait en la séraphique Catherine de Gênes ? et qu'a-t-il fait en tous les saints ? Oh ! qu'il est admirable ! et que ne ferait-il pas en nous s'il avait la liberté d'y opérer ! Donnons-nous souvent à sa puissance afin qu'elle détruise nos oppositions.

Oh ! si vous saviez quelle est la vie des âmes pénétrées et animées du pur amour, vous seriez dans une grande admiration. Mais nous ne sommes pas encore en état de la pouvoir comprendre. Ne savez-vous pas que notre état présent est de connaître et de goûter notre néant et l'abîme de notre misère pour nous établir dans une profonde humilité? Portons respect à ces âmes amantes, mais attendons le moment de la miséricorde divine qui nous tirera de nos impuretés, après que nous en aurons bien connu et goûté la puanteur et l'amertume.

Le pur amour est beau et tout rempli de charmes, mais nous sommes encore trop impures pour le posséder ; il ne pourrait demeurer un moment en nous. Il fait sa retraite dans les âmes tout anéanties, et jusqu'à ce que vous le soyez, souffrez en patience de vous voir en cette dure et cruelle privation. Il faut que vous connaissiez que vous n'êtes pas digne de le posséder ; et pour vous en rendre digne, il faut que vous soyez dans l'abîme de l'humiliation. Car tant que la superbe règnera en vous, le pur amour n'y pourra demeurer.

Laissez-vous donc détruire, humilier et consommer dans le centre de votre néant, et après vous verrez le pur amour se reposer en vous comme en son lit de repos. Mais sachez que le pur amour ne saurait souffrir la moindre impureté, le moindre intérêt, vanité et complaisance. Il est aimable en sa possession ; il est bien rigoureux en son opération. C'est un monarque si puissant qu'il réduit tout sous son empire, et ne laisse point une âme en repos qu'il n'ait fait un total renversement. Il est sans pitié et sans miséricorde : il brise tout, il détruit tout. Il passe encore plus outre, car il consomme tout. Il ne peut souffrir la moindre résistance. Il a des armes très puissantes, et il en vient jusqu'à faire des martyrs. Enfin c'est un grand conquérant. Il veut assujettir les âmes à Jésus-Christ, les arrachant de la tyrannie où le péché les a tenues si longtemps.

Les âmes qui souhaitent le règne du pur amour souhaitent en même temps, sans qu'elles y pensent, une guerre épouvantable qui les doit réduire au néant. Il y en a beaucoup qui désirent le pur amour, mais il n'y en a quasi point qui veuillent soutenir ses assauts, ses foudres, ses ruines et ses renversements. Qui parle du pur amour sans le connaître en ses effets croit que ce n'est que plaisir et douceur. Mais une âme qui le possède connaît très bien, par son expérience, qu'il n'y a point de trêve avec lui. Il faut que tout lui cède et qu'il égorge tout ce qui a vie en nous pour nous donner vie en lui.

Le pur amour n'est jamais sans souffrance : la croix, la douleur, le mépris sont son aliment. C'est de quoi il se nourrit dans les âmes. Et si vous voulez le retenir chez vous, il faut que vous ayez de quoi l'entretenir. Faites provision de croix et de souffrances, autrement vous ne le tiendrez pas longtemps. La croix entretient le pur amour, et le pur amour soutient la croix. Ils semblent inséparables, et lorsque l'âme ne ressent point sa croix, elle souffre de ne pas souffrir.

Oh ! que nous sommes encore bien éloignées d'avoir en nous le pur amour ! Cependant nous avons quelque sujet de nous consoler, car il a déjà envoyé ses fourriers/135 marquer ses logis. Je suis certaine qu'il y veut loger. Mais il faut qu'il le fasse nettoyer et le mettre en ordre. Et c'est ce qu'il fait en vous présentement. Laissez-vous donc purifier. Et si vous me dites que vous ne voyez point cela, je vous réponds que vos yeux sont trop impurs pour le voir et que Dieu veut de vous non les sens, mais la foi pure. C'est pourquoi vous la devez exercer.

135. Fourrier : sous-officier chargé du logement et de la nourriture des troupes en campagne, d'où : grâces déjà données pour préparer la demeure de Jésus-Christ dans l'âme.

160

Il y a longtemps que je vous prêche cette leçon, mais votre esprit est tellement accoutumé au raisonnement, à voir et à sentir, que ce mot de foi lui est si nouveau qu'il ne s'y peut assujettir. Cependant c'est votre voie, et si vous n'y marchez vous ne goûterez pas Dieu et ne l'adorerez jamais en esprit et en vérité/136.

Entrez donc dans les usages de la foi. Or possible, me demanderez-vous : « Qu'est-ce que la foi ? » afin que vous la puissiez mieux exercer, et que votre esprit puisse subsister dans ses pratiques. La foi est un don de Dieu, et lequel vous avez reçu au baptême, non pour le laisser anéantir, comme vous faites et quasi tous les chrétiens, mais pour en faire usage. La foi est une ferme et sincère croyance de Dieu et des vérités qu'il a révélées à son Eglise.

On appelle la foi une lumière ténébreuse. Pourquoi ? Parce qu'elle n'est pas vue mais crue. Ainsi c'est une simple croyance qui assure l'esprit et le fait subsister dans les vérités qu'on lui fait entendre, sans voir ni sentir, et sans aucun autre appui que cette simple foi qui vous dénue de toutes images, de tous raisonnements, et qui vous tient dans la vérité essentiellement.

N° 1014 [= référence du passage précédent]

POUR LAISSER REGNER LE PUR AMOUR, IL FAUT ETRE ABANDONNEE A TOUTES SORTES D'ETATS ET DE DISPOSITIONS

Ma chère fille vous êtes bien, souffrez tout ce que Dieu vous envoie : les ténèbres, les ignorances et vos impuissances. Tout est bon puisque Dieu le donne : il en fera lui-même les usages en vous qu'il prétend. Quand je dis que vous vous abandonniez, j'entends vous dire : demeurez dans votre misère et impuissance, et attendez en confiance que Notre Seigneur vous en délivre. Il faut bien autrement souffrir : vous ne faites que de commencer.

Ne vous découragez point, je vous assure que Notre Seigneur sera votre force et qu'il ne vous abandonnera point. Et lorsque vous ne savez plus ce qu'il faut faire, dites : « Mon Dieu je suis une bête, je n'ai ni grâce ni esprit, faites pour moi et en moi tout ce qu'il vous plaira ». Dites cela de coeur ou de bouche, il n'importe, et puis laissez-vous dans l'impuissance et dans la croix, souffrant les reproches de votre conscience sur les impuretés de vos opérations tant passées que présentes ; et attendez le temps que vous soyez revêtue de la vertu d'en haut/139 pour opérer plus purement et avec plus de sainteté.

Notre Seigneur ordonna à ses disciples après son Ascension de se retirer, de se reposer et d'attendre qu'ils soient revêtus de son Saint-Esprit. Faites de même, je vous prie, et vous laissez entièrement à Notre Seigneur, et vous confiez en sa bonté.

Votre état présent ne sera pas d'une longue durée ; après la douleur vient la joie. Ne désirez rien, ne cherchez rien, n'aimez rien que le bon plaisir de Dieu en toutes choses, vous contentant de tout état, de toutes dispositions, bref de tout ce que la divine Providence vous fera ressentir. Soyez la victime dévorée et consommée, et prenez plaisir d'être dans les ténèbres, im-

139. Lc 24, 49.

165

puissances, captivités, etc : tout cela est bon et fait de bons effets si vous continuez d'être abandonnée. Vous ne voyez pas ce que Dieu opère en vous ; vous sentez votre douleur et le gémissement de votre nature, mais vous ne voyez pas que Dieu la purifie en détruisant ses satisfactions. Oh ! si votre âme avait assez de courage pour se laisser en proie au pur amour, qu'il ferait de glorieux effets ! Mais parce qu'il faut souffrir et qu'il ruine notre amour-propre pour établir son divin empire, cela nous retire de notre abandon et nous prive d'une possession si sainte.

Tout le bonheur et félicité de l'âme est d'aimer Dieu, et c'est l'ouvrage des bienheureux dans la gloire. Pourquoi ne commencerons-nous pas dès ce monde-ci, puisque nous pouvons aimer et que Dieu nous le commande ? Aimons comme Dieu le désire et comme il veut être aimé de nous. Or pour l'aimer comme il faut, c'est l'aimer en toute manière, c'est trouver bon tout ce qu'il fait, c'est approuver et consentir à tous ses desseins secrets et manifestes sur nous, c'est soumettre toutes nos volontés aux siennes, c'est ne rien préférer à son amour, c'est le regarder en toutes choses, c'est recevoir immédiatement tout de sa sainte main, c'est agréer nos pertes, nos humiliations, et nos croix, bref c'est être faite, par ce même amour, une même chose avec lui par une perte totale de nous-mêmes.

Mon Dieu, qu'une âme est heureuse qui se peut plonger dans l'amour du bon plaisir de son Dieu sans retour ! Oh ! que la corruption que nous avons contractée par le péché est abominable, puisqu'elle nous a rendues si malignes que tout ce que la grâce veut faire, nous le détruisons. Vraiment il nous est bien permis de gémir avec saint Paul et de dire ces mêmes paroles : « Qui nous délivrera de ce corps de péché ? »141 Que la vie est douloureuse à une âme pénétrée de cette vérité, qui sent son poids ! Mais quoi ? Il faut vivre et mourir tout ensemble. Il faut souffrir nos impuretés en la vue de la sainteté divine et adorable de Jésus. Il faut mourir à la mort même et vivre par soumission au bon plaisir de Dieu.

Nous ne devons plus rien être à nous-mêmes, et pourvu que Dieu soit content il suffit. Vous le contentez quand vous demeurez en sa sainte présence, portant un esprit de victime

140. R.B. chap. 4 et 72.

141. Rm 7, 24.

166

qui accepte la vie et la mort sans autre choix que la volonté divine. C'est là où on vous ordonne de demeurer. Ne réfléchissez pas beaucoup sur votre état présent ; ayez patience, Dieu fera son oeuvre ; et quand il vous anéantirait sans ressource, il y faudrait prendre plaisir. Si votre douleur vous cause trop d'abattement, on vous permet d'un peu vous divertir ; mais ne vous jetez point trop avant dans les créatures.

Je vous prie d'observer une chose et de nous l'écrire si vous pouvez : quelle est la pente de votre esprit présentement ? Peut-il prendre quelque plaisir dans les créatures ? Se peut-il retirer de sa douleur ? Cette douleur cause-t-elle inquiétude secrète, gêne-t-elle l'esprit ? Vous cause-t-elle scrupule de vous divertir et de faire les choses de votre obligation ? D'où vient que vous avez peine de les faire ? Est-ce que votre esprit est stupide, ou que vous en avez du rebut ? (n° 3057).

Vous me laissâtes hier l'esprit occupé de votre douleur, ma très chère fille, et je me suis exposée devant Notre Seigneur pour lui présenter et demander lumière sur votre état. J'ai, ce me semble, toujours plus de croyance de la grâce qu'il vous veut faire de vous rendre tout à lui, et pour cet effet de vous faire sortir de tout vous-même et des créatures. Il n'y a plus moyen d'y résister. Il faut, à ce coup-ci, que le pur amour de Jésus-Christ l'emporte. Il faut céder à sa douce violence, et tout quitter ce qui vous retarde d'être à lui.

Quelle miséricorde recevez-vous, et qu'avez-vous fait à Dieu pour être choisie, attirée, pénétrée et éclairée des divines vérités, à l'exclusion d'une infinité d'autres qui demeurent dans les ténèbres et dans les ignorances tout le temps de leur vie ? Oh ! que les jugements de Dieu sont profonds et ses voies incompréhensibles ! L'obligation que vous avez d'être à Dieu est infinie. Commencez donc à lui être fidèle. Que ce soit aujourd'hui le jour que vous voulez mourir à toutes choses pour avoir vie en Dieu seul. Heureuse l'âme qui se donne, ou pour mieux dire qui se laisse toute à Dieu !

Aimez Dieu, adorez Dieu, soyez à Dieu, glorifiez Dieu : vous pouvez faire tout cela par la perte de vous-même. Une âme qui ne vit que pour Dieu et de Dieu vit dans une vie divine. Elle n'a plus de plaisir ni d'attache aux choses de la terre. Les créatures lui sont à dégoût, parce que son unique complaisance est en celui qu'elle aime. Quittez toutes choses pour l'amour de Jésus-Christ. Quittez tout de volonté, en attendant que vous les puissiez quitter par effet. Dégagez-vous de tout ce

167

qui vous peut souiller. Ne possédez les choses que par pure soumission à l'ordre de Dieu qui vous a liée dans votre condition. Mais gardez-vous bien de vous les approprier : il en faut rendre compte. Tous les biens sont à Dieu comme tout le reste, et vous ne les devez tenir que par emprunt, toujours prête à les rendre à votre divin Maître qui vous les a prêtés pour en faire des usages dignes de sa gloire, et vous donne les moyens de mériter quelque chose pour l'éternité.

Soyez donc pauvre au milieu de vos richesses. Imitez le grand Théodose, empereur, qui sous la pourpre royale et le diadème était plus pauvre que les ermites des déserts. La pauvreté ne consiste pas seulement à ne posséder rien extérieurement mais à être dégagée intérieurement. L'un et l'autre sont excellents. Mais la pauvreté extérieure que l'on voue dans les monastères, n'est qu'un moyen pour arriver à la parfaite pauvreté d'esprit/142 qui est si hautement estimée de Notre Seigneur dans l'Evangile, et au total dégagement du coeur pour être dans la pratique de ces divines paroles qu'il dit encore : « Que si nous ne renonçons à tout ce que nous possédons et à nous-mêmes, nous ne pouvons être ses disciples »/143.

Hélas ! si nous ne sommes disciples de Jésus, de qui le serons-nous ? Il n'y a point de milieu, il faut être à Dieu ou au démon. « Nul, dit Notre Seigneur, ne peut servir deux maîtres »/144. Est-il pas juste que nous servions Jésus, que nous soyons tout à lui, puisqu'il nous a rachetées au prix de son sang et de sa vie, et qu'il nous prévient de tant de bénédictions ? Il faut un coeur épouvantablement ingrat pour s'en dédire ; ne le soyez pas. Rendez-vous digne des grâces que Dieu vous prépare en vous abandonnant, en vous humiliant et en vous dégageant de toutes choses, afin que votre coeur soit toujours en état d'être élevé à Dieu par-dessus toutes choses.

Que rien ne tienne votre âme ni votre affection captive sur la terre, de peur que vous ne soyez privée de tant de miséricorde que Dieu vous fait ressentir. Soyez toujours de loisir pour entendre Dieu dans votre fonds intérieur et pour le suivre. Ne faites point comme ceux de l'Evangile qui refusent d'aller

142. Mt 5, 3.

143. Mt 10, 34-40.

144. Mt 6, 1-4 ; Lc 16, 13.

au banquet pour des intérêts de boue et de terre145. Notre fortune est dans l'éternité : c'est là où toutes nos croix seront consommées et revêtues de gloire. Mais en ce monde il faut souffrir.

Notre Seigneur dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix et me suive »/146. Voilà ce que nous avons à faire dans le monde : renoncer à nous-mêmes et être en croix. Les âmes bien éclairées de la lumière de la grâce appliquent tout leur bonheur à la croix et tiennent pour une espèce de châtiment lorsqu'elles ne sont point plongées dans les souffrances, parce que le pur amour les transforme à l'objet aimé et les rend semblables par conformité d'état et de disposition à son âme sainte sur la terre, qui a toujours été dans l'amour de la pauvreté, de la douleur et du mépris. Et la vie sainte et adorable de Jésus sur la terre n'a jamais été un moment séparée de ces trois vertus. Et c'est ce que les âmes vraiment chrétiennes doivent aimer et y avoir rapport autant qu'il est possible. C'est ce que nous avons promis dans notre baptême ; et si nous avons fait profession de Jésus-Christ, avons-nous pas fait profession de sa sainte vie ? Oui, c'est notre obligation de vivre de la vie de Jésus, de souffrir avec Jésus, d'être pauvre avec Jésus, d'être méprisée et rebutée avec Jésus, bref de mourir en croix avec Jésus, et de vivre de sa vie ressuscitée, c'est-à-dire dégagée et séparée de la terre.

Donnons-nous à sa grâce pour avoir part à la sainteté de sa vie et nous abandonnons à la puissance de son amour pour en porter les effets. Que j'aurais de choses à vous dire sur un sujet si saint et si ineffable ! Mais il faut conclure en vous laissant toute à Jésus-Christ, car je crains qu'il serait trop tard. Demandez à Dieu je vous prie, s'il vous le permet, la grâce d'être ce qu'il veut que je sois. Nous ne devons demander que cela.

Tout ce qu'on désire sans parfaite indifférence et ce qu'on entreprend de sa propre volonté est propre recherche et amour de soi-même.

Jésus-Christ est mort sur la croix pour tirer l'homme à soi et le perdre, par plongements amoureux et continuels, en l'abîme infini de son amour.

145. Mt 22, 2-10 ; Lc 14, 15-24.

146. Mt 16, 24 ; Mc 8, 24 ; Lc 9, 23.

169

Malheureux est celui qui, pouvant aimer Dieu de toutes ses forces et en amour perfectif/147, ne l'aime point que de l'amour commun à toutes les créatures.

Celui qui est dans un parfait amour de Dieu ne lui demande jamais rien que pour sa très haute gloire et en parfaite conformité à la divine volonté.

Le comble et la misère des misères humaines, c'est ignorer Dieu, ne le sentir, ne le désirer et ne le point goûter.

On connaît l'amour de Dieu et ses effets quand l'âme qui en est touchée est profondément humble et véritablement méprisée.

Le lieu, l'habit, la profession, les voeux, les règles et les statuts ne sanctifient pas le religieux, mais l'excellente charité, l'amour et la profonde humilité. Tout le reste ne sont qu'excellents moyens ordonnés à cela.

Raisonner pour aimer Dieu, c'est pécher contre le pur amour.

n° 3057 et 3098 à partir de : vous me laissâtes hier l'esprit occupé de votre douleur.

REGLEMENT EN FORME DE JOURNAL SUR LES ACTES LES PLUS IMPORTANTS DE LA JOURNEE

J'ai un très grand désir de satisfaire à la prière que vous nous avez faite de vous écrire quelque petit règlement de votre journée. Mais plus j'attends la grâce et la lumière, moins j'en trouve en mon fonds. De sorte que me voyant pressée par votre besoin, je m'abandonne dans l'abîme des ténèbres qui m'environnent, suppliant notre divin Maître conduire ma plume selon son bon plaisir et imprimer par son Saint-Esprit dans mon âme ce qu'il veut que je vous dise pour sa gloire.

Autrefois nous vous avons donné de petits journaliers dressés par une âme très sainte : j'espère que vous en pourrez faire quelque jour un bon et saint usage. En attendant que la grâce vous ait purifié et simplifié l'esprit pour le rendre capable d'un règlement plus saint, nous vous prescrirons seulement les plus importantes actions de votre journée, laissant au Saint-Esprit l'ordre qui doit être observé au-dedans.

Vous vous lèverez tous les jours à six heures, vous couchant à onze heures ; si plus tard, à six heures et demie.

Aussitôt que vous serez éveillée, vous élèverez votre esprit à Dieu non seulement qui vous est présent mais dans l'immensité duquel vous venez de vous reposer.

Si votre esprit se trouve distrait ou appesanti par infirmité ou par sommeil, vous formerez un acte de foi de la vérité de Dieu, et un acte d'adoration et d'abandon total de tout votre être, vous délaissant tout à Dieu, et continuant ce que vous avez à faire en cet esprit.

Si à votre réveil vous êtes prévenue de quelque trait ou touche intérieure, vous le suivrez, vous laissant emporter doucement et suavement à la grande miséricorde de Notre Seigneur qui vous prévient.

Allant à votre oraison, entrez dans votre oratoire comme dans le sanctuaire où vous devez être en commerce avec Dieu ; ou si vous voulez, comme dans le lieu où se doit consommer votre sacrifice. Et dans cet esprit mettez-vous à genoux pour vous immoler et entièrement abandonner à l'Esprit pur et saint de Jésus-Christ.

Après que vous aurez tourné votre sable/148, ne vous détournez plus ; tenez votre corps et vos sens en captivité, au moins la première demi-heure que vous passerez dans le silence le plus profond et le plus respectueux qu'il vous sera possible, vous rendant très attentive à Dieu présent, et vous délaissant toute à la puissance de sa grâce et de son amour pour faire en vous ses très saintes volontés.

N'adhérez point à la curiosité et à l'activité de vos sens. Ne remuez point votre horloge, s'il n'est arrêté. Ne vous occupez point de l'immortification de votre esprit qui voudrait que l'heure fût passée pour sortir de sa captivité. Faites état que vous êtes là pour être victime, mais victime crucifiée. En un mot vous êtes là non pour jouir de quelque consolation, mais bien pour opérer votre destruction.

Vous vous abandonnerez à tous les états et différentes dispositions que Notre Seigneur vous y fera porter, sans jamais vous plaindre de ses conduites sur vous, ni permettre à votre amour-propre de les contrarier.

148. On mesurait le temps à l'aide d'un sablier. L'écoulement du sable indiquait approximativement le temps passé et servait en quelque sorte « d'horloge ».

171

La première chose que vous devez faire dans votre oraison, c'est un acte de foi qui vous fait croire Dieu. Le second qui vous oblige de l'adorer. Le troisième, de vous abîmer dans votre néant, vous estimant très indigne de converser avec Dieu, et d'être un moment en sa sainte présence. Tenez-vous dans la bassesse, ne vous élevant point par témérité.

Laissez-vous conduire comme il plaira à Notre Seigneur. Soyez très flexible aux touches de son Esprit et vous rendez toujours de son parti contre vous-même. Et lorsque l'activité vous attaque, résistez en négligeant ses atteintes et en vous laissant mourir plutôt que d'être infidèle.

Vous trouvez bien des heures et du temps pour les créatures ; il est bien juste que vous en trouviez pour Dieu, et que durant l'emploi de celui que vous lui devez donner vous soyez inaccessible, si ce n'est à l'obéissance de votre N.../149, ou aux affaires qui ne peuvent être remises. Soyez très fidèle en ce point.

A la seconde demi-heure, si vous êtes trop fatiguée, vous pourrez vous asseoir ; mais toujours dans une posture d'attention et de respect, afin que la lâcheté ne vous dérobe point la grâce de votre oraison.

Après votre heure de prière, vous vous habillerez. Mais prenez garde de ne point sortir de votre oraison ; il en faut conserver l'esprit et agir en toutes choses en disposition d'oraison. Donc, sortant de votre oratoire, vous ne sortirez point de votre recueillement: Puisque la vérité vous apprend que vous ne sortez point de Dieu, pourquoi sortiriez-vous de l'attention, du respect et de la soumission que vous devez avoir aux mouvements particuliers de sa grâce et aux conduites que sa sainte Providence veut tenir sur vous ?

Faites donc tout ce que vous avez à faire ou à souffrir en cet esprit de récollection, prenant garde de vous trop épancher dans les créatures. Défiez-vous toujours de votre esprit qui ne manquera point de faire une infinité de saillies par son actuelle activité.

Soyez posée en toutes vos actions. Ne vous précipitez point, ne vous empressez ni inquiétez point, pour quoi qui vous puisse arriver.

Mortifiez les inclinations naturelles de votre esprit qui peut encore avoir quelque choix et attache à quelque chose. Ne lui pardonnez point qu'il ne vous ait rendu les armes, entrant dans une sainte abnégation de toutes les choses qui lui peuvent encore donner quelque vaine satisfaction.

N'ayez point de pitié des gémissements de votre amour-propre. Soyez inexorable aux cris de la nature, il n'y a plus de miséricorde pour elle : il faut mourir.

Lorsque vous entreprenez une affaire, voyez-la toujours dans l'ordre de Dieu, et qu'il vous assujettisse à ces ouvrages pour sa gloire. Faites-les conformément à ses desseins, et toujours dans un esprit dégagé de toutes vos complaisances, intérêts et satisfactions. Si l'action vous répugne, faites-la avec grande attention, patience et soumission, y voyant plus manifestement la conduite divine et sa volonté.

Tous les jours vous entendrez la sainte messe avec amour et révérence à ce saint Mystère et grande attention, vous laissant immoler avec Jésus dans l'hostie pour être offerte seulement avec lui à la gloire de son Père. Je ne m'étendrai point sur ce digne sujet, je crois vous en avoir dit ailleurs quelque chose, ou que vous ne l'ignorez pas.

Prenant votre repas, mortifiez-vous de quelque chose, au moins en la qualité ; et mangez par obéissance à Dieu qui vous assujettit à ce besoin pour soutenir la vie que vous devez consommer en son amour. Mangez suffisamment et indifféremment, si vous n'êtes indisposée. Et si votre esprit se ravale sur les objets sensibles, il faut le relever doucement pour lui donner quelque petite habitude de demeurer en Dieu. C'est en lui qu'il se doit reposer ; et au regard des créatures, il ne les doit toucher ni goûter qu'en passant et par pure nécessité.

Dans la conversation avec le prochain, soyez libre d'une sainte liberté, sans vous gêner. Parlez quand la charité chrétienne vous y oblige, mais soyez posée en vos paroles et en vos actions. Aimez le silence et sa pratique, autant qu'il vous sera possible. Ne dites jamais rien que vous ne l'ayez regardé devant Notre Seigneur. Que vos paroles soient douces, humbles et charitables, ressentant la bonne odeur de Jésus-Christ/150.

149. Probablement : de votre mari, le comte de Châteauvieux.

150. 2 Co 2, 25.

173

Quelque temps après le dîner, vous prendrez une demi-heure de votre loisir, si la Providence vous le donne libre, pour vous renouveler dans l'attention et dans l'amour à Dieu présent. Et entrant dans votre oratoire, vous vous prosternerez en terre dans un esprit d'aba.ndon et renouvellement de tous les sacrifices que vous devez à la Majesté divine.

n° 844

INSTRUCTION POUR MONTRER LA DIFFERENCE DE LA MÉDITATION ET DE L'ORAISON

Qu'est-ce que l'oraison ? C'est une élévation de l'esprit à Dieu et une tendance à l'union divine, ou même une possession de cette divine union pour les plus avancés. Et nous ne devons point avoir d'autre fin que celle-là, parlant en général. Mais les âmes ont en particulier différentes dispositions. Vous en devez avoir trois qui pourtant ne vous multiplieront point :

La première est la foi par laquelle vous croyez et adorez Dieu dans la vérité de lui-même, et laquelle foi vous fait tenir en respect devant sa grandeur.

La seconde est une exposition de vous-même à la puissance divine, vous dépouillant de tous vos intérêts et de toutes les productions et recherches de votre amour-propre.

La troisième est une humble soumission à toutes les conduites de Dieu sur votre âme, un abandon à son bon plaisir et un acquiescement amoureux à ses desseins.

Avec ces trois dispositions vous ferez une oraison très excellente.

Pourquoi allons-nous à l'oraison ? C'est sans doute pour rendre nos devoirs à Dieu d'adoration, de sacrifice et d'amour. Bref, c'est avec dessein de nous rendre tout à Jésus-Christ. C'est dans le désir que nous avons d'être revêtues de son Esprit, et d'être faites une même chose avec lui. Or pour parvenir à la fin de l'oraison, il faut que l'âme souffre de très grands et rudes sacrifices. Il faut qu'elle souffre qu'on la dépouille de ses habitudes et qu'on la désapproprie de tant d'appuis. En un mot il faut qu'elle soit renversée et toute renouvelée. Et c'est le sujet pourquoi tant d'âmes souffrent en l'oraison, tantôt des sécheresses, d'autres fois des dégoûts, des ténèbres, et mille autres peines que nous y ressentons et qui nous apprennent que dans ces misères Dieu détruit notre amour-propre et établit secrètement son règne. Mais il faut que l'âme s'abandonne à la souffrance et se résigne humblement entre les mains de Notre Seigneur pour être la victime de son bon plaisir.

Je vous ai dit autrefois que nous devons faire sur la terre ce que les bienheureux font au Ciel. Ils regardent Dieu en pure contemplation et sont consommés en son amour. Nous devons avoir une actuelle vue de Dieu en foi et tendre toujours à son amour. Or le parfait amour ne consiste pas à être touchée dans les sens, mais il consiste à une totale conformité ; étant perfectionnée, c'est elle qui fait l'actuelle union d'amour avec Dieu, comme les bienheureux, union que nous pouvons conserver même dans les actions et le tracas de nos obligations, en faisant toutes choses par amour et soumission à Dieu.

Il y a bien de la différence de la méditation et de l'oraison. La méditation est une étude sainte, en laquelle on apprend les mystères et les vérités chrétiennes ; et l'oraison les savoure, les goûte et se remplit de la grâce qu'ils contiennent. La première regarde et considère la beauté de Dieu ou ses grandeurs ; l'autre l'adore, l'aime et s'unit à lui. La première est multipliée par beaucoup de considérations, de matières et de discours ; l'autre est plus pure, plus simplifiée et plus unissante à Dieu. En la première, l'esprit humain a de quoi s'occuper : la lumière, les goûts, les raisonnements nourrissent l'entendement et souvent notre amour-propre. En l'autre nous sommes immolées et nos opérations sont anéanties, ou du moins plus épurées et simplifiées. En celle-là nous nous appuyons sur notre travail ; et en celle-ci nous recevons l'opération divine, très simplement exposées en esprit d'abandon et d'un amoureux acquiescement. En la première, c'est l'entendement qui agit. En la seconde, c'est Dieu qui conduit. Et si une âme a tant soit peu de courage pour persévérer en l'oraison, quoique remplie de toutes sortes de misères, je suis assurée que Notre Seigneur lui aidera et qu'il l'introduira en la sainte union. Mais il faut de la constance, car le démon et la nature sont ennemis de l'oraison et font leur possible pour en détourner l'âme. Soyez persévérante. ma fille. vous n'y souffrirez pas toujours de si rudes combats. Mais il y en a encore à passer. Ayez du coeur : c'est pour les intérêts de votre divin Maitre Jésus-Christ et pour l'établissement de son règne en vous. Je le supplie vous soutenir et nous unir parfaitement à lui pour jamais.

no 2613

175

DE L'ORAISON DE PURE FOI ET D'ANEANTISSEMENT

Dans votre oraison, je trouve bon que la seconde demi-heure de votre oraison, vous permettiez à votre esprit de s'occuper des vérités qu'on vous enseigne. Mais donnez-vous de garde de l'activité actuelle de votre esprit, lequel étant tellement produisant, s'occupera beaucoup plus par soi-même que par la pure lumière de Dieu. C'est pourquoi il vous [en] faut défier et observer fort tranquillement s'il ne s'empresse point dans ses pensées, dans ses vues et considérations.

L'Esprit de Dieu est pacifique, et c'est la marque de son Esprit quand il nous fait agir en paix. Notre Seigneur visitant ses disciples leur dit : « Pax vobis ». C'est le premier effet de la présence de Dieu véritable en l'âme : la paix s'établit et le calme se fait même ressentir dans ce fond d'esprit.

Il y a bien de la différence entre nos productions et celles de la grâce. Celles qui partent de nous sont toujours impures et ne peuvent s'élever vers Dieu, n'ayant que notre intérêt pour objet. C'est pourquoi ce sont lumières et opérations qui sont produites de nous-mêmes. Elles n'ont point de force ni de vigueur pour se tenir élevées vers Dieu ; et si l'âme y fait quelque petit effort, elle se retourne bientôt vers elle-même et ne se remplit point de Dieu, ni ne se vide point par conséquent d'elle-même.

Les opérations de la grâce sont d'une autre manière : elles sortent de Dieu et retournent à Dieu. Elles élèvent l'âme, la dégageant d'elle-même et des choses de la terre, la rendant capable de recevoir Dieu, c'est-à-dire son règne ; et l'âme étant fidèle à la grâce opérante, elle fait en peu de temps un progrès admirable, se rendant capable des miséricordes de Dieu.

Quand vous vous trouvez en impuissance et dans les ténèbres, ne pensez pas que votre temps soit perdu. Dieu vous fait porter ces dispositions pour vous apprendre petit à petit à mourir. L'esprit humain ayant accoutumé d'agir, souffre des agonies quand il se trouve en sécheresse et en privation. Et l'aveuglement dans lequel nous sommes au regard des choses saintes, nous fait penser que nous ne sommes pas bien avec Dieu. Et insensiblement l'âme s'empresse pour se tirer de sa peine et de sa captivité, pour se donner la satisfaction de ressentir autre chose.

C'est une grande infidélité à l'âme en cet état de travailler pour en sortir ; il faut se laisser anéantir. Cette disposition arrive par deux causes. La première peut venir de Dieu qui nous éprouve, pour dénuer l'âme de ses propres appuis. La seconde, par châtiment de nos fautes. Et toutes deux sont utiles à notre âme. C'est pourquoi elle en doit faire un saint usage.

Le premier, d'agrément de la conduite de Dieu sur elle, trouvant bon qu'il en dispose comme il lui plaît. « Bene omnia fecit »151. Le second, de soumission à sa justice. Et en tous les deux l'âme doit toujours demeurer anéantie, attendant en patience le bon plaisir de Dieu.

Qu'est-ce que d'une âme morte ou anéantie ? C'est une âme sans désir, sans affection, sans choix, sans élection, sans souhaits, sans inclinations, sans vouloir, sans passions. Elle est faite en cet état d'anéantissement une pure capacité de Dieu. Que fait cette âme ainsi anéantie ? Elle est revêtue de Jésus-Christm152, elle est remplie de Jésus-Christ. C'est Jésus-Christ qui l'anime, c'est Jésus-Christ qui agit en elle, qui pense pour elle, qui désire pour elle et qui aime pour elle, qui choisit pour elle, qui souhaite pour elle. Le grand Apôtre le savait d'expérience quand il disait : « Vivo ego, jam non ego, vivit vero in me Christus »/153.

Si vous aviez goûté un moment le bienheureux état d'anéantissement, vous trouveriez que la vie intérieure est bien facile, toute la peine qui s'y fait ressentir ne procédant que de la résistance que nous faisons à la mort de nous-même. Je vous souhaite cet esprit pour régler vos actions et pour rendre à Dieu la gloire que vous lui devez. Vous savez ce que je vous en dis il y a peu de jours et dans l'entretien et par écrit.

Votre peine présente est de savoir quand vous devez faire des actes, ou quand vous devez les anéantir. Vous en devez

151. Mc 7,37.

152. Rm 13, 14.

153. Je vis, mais ce n'est pas moi, mais le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20).

177

faire lorsque l'Esprit de Dieu vous en donne le mouvement. Pour ceux de votre propre esprit, vous les devez anéantir. Vous connaîtrez ceux que l'Esprit de Dieu produira en vous par les fruits qu'ils produiront, et ils seront toujours efficaces dans votre fond, c'est-à-dire qu'ils feront des effets de dégagement de vous-même, de liaison à Dieu, de dépendance de lui, de paix et de tranquillité. « Dum medium silentium », au milieu d'un profond silence, c'est-à-dire d'un calme profond, l'Esprit de Dieu parle en silence. O mystère adorable !

Formez donc les actes de sacrifice, d'abandon, de patience et d'humiliations ; mais observez ce point de les faire par la direction de l'Esprit de Dieu. Qu'ils soient brefs, suaves, et vous remplissant de Dieu, vous laissant à la puissance de sa grâce pour les former en vous.

Quant aux actes que vous pouvez faire de vous-même, je ne crois pas qu'ils vous fassent faire grand progrès. Si toutes nos opérations propres sont devant Dieu comme une saleté/155, selon que le Saint-Esprit dans l'Ecriture nous l'enseigne, jugez quelle gloire elles rendront à Dieu et quel bonheur il nous en peut arriver ! De toutes les opérations qui sont au pouvoir de notre âme, il n'y en a point de plus utile ni de moins opposée à Dieu que la sainte humilité que l'âme ne doit jamais quitter, quelque élevée puisse-t-elle être. Jamais il ne faut oublier notre néant.

Durant la journée, vous pouvez faire des actes quand vous en aurez le mouvement. Mais quand vous vous trouvez recueillie avec Dieu en amour et en adoration, n'en sortez point pour faire vos actes. Ne quittez point Dieu pour chercher celui que vous possédez. Entretenez-vous avec Dieu autant que sa miséricorde aura agréable de vous occuper. Ne quittez jamais Dieu dans cette pure et simple occupation s'il ne vous le permet directement par son ordre particulier. ou indirectement par les emplois de votre condition.

Les actes que l'Esprit de Dieu nous fait produire nous remplissent de Dieu ; et ceux que nous faisons par notre esprit nous remplissent de nous-même. Il ne faut point faire acte pour envisager vos actions ; il ne faut qu'une simple vue en Dieu qui vous fait bientôt voir et même ressentir l'impureté que vous commettez en les opérant.

Les actions de vos obligations, vous savez dès longtemps comme il ne les faut point négliger. Celles de la bienséance chrétienne peuvent être pratiquées dans les occasions ; pour les inutiles il les faut retrancher ou régler. Les mauvaises, je n'en parle point, sachant bien que vous n'en voudriez point faire.

Il ne faut pas grand examen pour connaître vos obligations, la conscience au fond vous l'enseigne et ne permettra point de vous tromper si vous êtes attentive et fidèle à ses mouvements. Il n'est donc pas besoin de faire des actes pour les discerner, mais simplement regarder Dieu et son pur amour qui vous doit faire agir et régler. Oui, toute notre vie se passe en actions extérieures ; mais notre âme demeure anéantie intérieurement et mystiquement, se laissant régir par l'Esprit de Dieu ; de sorte qu'elle n'est plus active en son opération, mais patiente en celle que Dieu opère en elle. Elle souffre que Dieu fasse en elle ce qu'il lui plaît, ce qui est de son bon plaisir et de sa gloire, ne vivant plus pour elle, mais uniquement pour Jésus-Christ.

n° 312

154. Sg 18. 14 15. actuellement introït du 2e dimanche après la Nativité.

155. Is 64, 6.

179

DE L'ORAISON QUI SE FAIT EN SIMPLICITE D'ESPRIT /156 SELON LES SENTIMENTS DE M. DE GENEVE

Ma très chère soeur en Jésus-Christ : plus je vais en avant et plus je connais clairement que Notre Seigneur conduit les âmes/157 à l'oraison d'une très simple unité et unique simplicité de présence de Dieu, par un entier abandonnement d'elles-mêmes à sa très sainte Volonté et au soin de sa divine Providence. Le bienheureux Monsieur de Genève/158 la nommait oraison de simple remise de tout nous-même à Dieu, et laquelle il disait être toute sainte et salutaire, et qu'elle comprenait tout ce qui se pouvait désirer pour servir Dieu.

Or néanmoins je sais qu'elle est fort combattue par ceux que Dieu conduit par la voie du discours et raisonnement. Et plusieurs âmes en ont été troublées, leur disant qu'elles sont oisives et perdent le temps. Mais sans manquer au respect que je dois à ces personnes-là, je vous assure, ma très chère soeur, que vous ne devez point désister de votre trait/159 pour tels discours. Car le bienheureux évêque de Genève, qui entendait excellem-

156. Cette lettre reproduit un texte de sainte Jeanne de Chantal qui se trouve dans : Réponses de notre très honorée et digne Mère, Jeanne Françoise Frémiot, p. 508, Paris 1665. Nous n'avons noté que les variantes les plus significatives. [...]

157. Conduit quasi toutes les Filles de la Visitation.

158. Notre bienheureux Père (saint François de Sales).

159. Vous ne devez point détourner de votre train.

180

ment toutes sortes d'oraisons, ainsi qu'il se voit dans ses écrits, a toujours approuvé celle-ci, et disait : tandis que les autres mangent diverses viandes à la table du Sauveur, que nous reposions nos âmes et toutes nos affections par une toute simple confiance sur sa poitrine amoureuse.

Avec un si solide conseil, il nous faut demeurer fermes et suivre fidèlement cette voie dès que nous y sommes attirées. Car il ne s'y faut pas porter de nous-mêmes, ains attendre avec humilité et patience l'heure que notre divin Sauveur a destinée pour nous introduire à ce bonheur. Car enfin, pour aller à Dieu et arriver à lui, il se faut laisser conduire par son Esprit. Ce qui est de son choix est [toujours] le meilleur pour nous.

Or il y a divers degrés en cette manière d'oraison, comme en toutes les autres. Les uns possèdent cette unique simplicité du repos en bien plus éminent degré que les autres et y reçoivent diverses lumières ; mais enfin toutes aboutissent là sans quasi le connaître qu'elles n'y soient arrivées ; et semble que Dieu se serve de cette seule conduite pour faire arriver à la fin de la journée, c'est-à-dire de la perfection/160, et que là nous trouvons et recevons toute la lumière et la force qui nous est nécessaire pour toutes choses. Et cet attrait nous est tellement propre que les âmes que l'on en tire semblent sortir de leur centre, perdant la liberté d'esprit et entrant dans une certaine contrainte et entortillement qui leur ôtent leur paix et les retardent grandement en leur chemin. Je n'ai que trop d'expérience de cette vue [vérité].

Marchez donc dorénavant avec une très humble assurance dans cette voie divine et n'y apportez aucune façon, ni industrie que de suivre très simplement et fidèlement l'attrait de Dieu, vous contentant de la portion qu'il vous donne, sans en désirer davantage. Celles qui sont conduites par cette voie sont obligées à une grande pureté de coeur, abaissement, soumission et totale dépendance de Dieu. Elles doivent fort simplifier leur esprit en tout, retranchant toutes réflexions sur le passé, sur le présent et sur l'avenir ; et au lieu de regarder ce qu'elles font et feront, elles doivent regarder Dieu, s'oubliant, tant qu'il leur sera possible de toutes choses, par un continuel souvenir de Dieu, unissant leur esprit à sa bonté pour tout ce qui leur arrive

160. C'est-à-dire de la perfection est ajouté par Mère Mectilde.

181

de moment en moment ; et cela [se doit faire] simplement [sans aucun effort /161.

Il arrive souvent que les âmes qui sont en cette voie sont travaillées de beaucoup de distractions et qu'elles demeurent sans appui sensible, Notre Seigneur leur retirant les sentiments de sa douce présence et toutes sortes d'aides et de lumières intérieures ; si bien qu'elles demeurent dans une totale impuissance et insensibilité, bien que quelquefois moins. Cela étonne les âmes qui ne l'ont pas encore bien expérimenté. Mais elles doivent demeurer fermes et se reposer en Dieu par-dessus toutes vues et sentiments, souffrant, recevant et chérissant également toutes les voies et opérations qu'il plaira à Dieu faire en elles ; se sacrifiant et abandonnant sans aucune ressource à la merci de son amour et très saint vouloir, sans voir ni vouloir voir ce qu'elles font ni doivent faire/162. Elles doivent, avec la suprême pointe de leur esprit, se joindre à Dieu et se perdre tout en lui, trouvant par ce moyen la paix au milieu de la guerre et le repos dans le travail. Bref il se faut tenir en l'état où Dieu nous met : en la peine, patienter et en la souffrance, souffrir.

Aussi les marques assurées d'une bonne oraison, c'est quand elle produit les fruits des vraies vertus dans une exacte et fidèle observance des obligations chrétiennes/163 et que l'âme est aussi constante en la fidélité à toutes les bonnes oeuvres, au milieu des désolations et amertumes, qu'en la jouissance des faveurs et consolations divines.

Bienheureuse l'âme qui se rendra affectionnée et persévérante en ce saint exercice, nonobstant toutes les difficultés qui s'y rencontrent. Car c'est en elles où elle s'enrichira et recevra le pain de grâce, et qui la nourrira en vie éternelle.

Or entre tous les dons, celui de la sainte oraison ne s'obtient principalement que de Dieu. C'est pourquoi il lui faut demander continuellement avec une profonde humilité sans jamais se lasser/164.

Je trouve qu'il est utile de parler des profits qui nous reviennent de l'oraison : cela anime et nous y rend plus affectionnées.

L'oraison est la vraie vie de l'âme et d'où nous tirons la force pour la pratique des solides [vraies] vertus.

L'oraison et la mortification sont les deux principaux exercices de la vie chrétienne/165.

Une âme qui veut être anéantie en soi-même et perdue en Dieu ne se soucie plus de ce qu'elle devient pour le corps, pour l'esprit, pour la perfection, et pour la gloire. La pure, pure, pure disposition divine lui plaît, en elle et aux autres ; et nous devons pour ce sujet nous abandonner totalement entre les mains adorables de Dieu qui veut que nous vivions à lui, mourant à nous.

Tôt, tôt, tirez-moi de mon être et me mettez dans l'opération de ma fin/166

Quis me liberabit de corpore mortis/167.

No 2471

161. Souvenir de Dieu ... et cela se doit faire simplement sans aucun effort. Les mots entre crochets sont de Mère Mectilde.

162. Ni doivent faire, mais par-dessus tout leur voie et propre connaissance.

163. Sainte Jeanne de Chantal ne mentionne que l'exacte observance. Mère Mec-tilde écrivant à une laïque ajoute : des obligations chrétiennes.

164. Sainte Jeanne de Chantal a ici deux paragraphes non reproduits par Mère Mectilde.

165. De la religion.

166. Expression souvent citée par Mère Mectilde. On n'en saisit bien le sens qu'en la replaçant dans son contexte : Catherine de Gênes (Vie. chap. 32), « comme elle démontre avec une figure du pain mangé, comme se fait l'anéantissement de l'homme en Dieu » (édité à Lyon en 1610).

167. Rm 7, 24.

COMMENT L'ON PEUT PRIER EN TROIS MANIERES POUR LE PROCHAIN

Je prie Notre Seigneur qu'il me rende digne de vous dire comme l'on peut prier pour le prochain :

1. vocalement - 2. mentalement - 3. en pur esprit.

La première, c'est de dire des prières comme le chapelet, le Veni Creator, etc., à leur intention.

La seconde est de prier en pensée et en paroles intérieures comme par des offrandes, des sacrifices et des jaculations168 que l'on fait vers la majesté de Dieu à leur intention.

183

La troisième [forme de prière] se fait en pur esprit, tout remis et absorbé en Dieu ; ou quelquefois par une oeillade amoureuse, ou simple élévation à Jésus-Christ ; ou un simple souvenir des misères qu'on nous a recommandées ; ou en simple foi, se contentant que le bon plaisir de Dieu soit accompli en tout le monde, et particulièrement sur le sujet pour lequel on vous fait prier.

Quand et comment faut-il prier ? Deux motifs nous obligent à prier Dieu et le prochain.

Pourquoi Dieu nous oblige-t-il de prier ? Parce qu'il prend plaisir de nous donner, afin, comme il dit dans l'Evangile : « que notre joie soit pleine »/169. Il ordonna même à ses disciples de lui demander.

Que faut-il demander à Dieu ? La sanctification de son saint nomm, l'avènement ou établissement de son règne, et l'accomplissement de sa très sainte volonté. Vous pouvez demander tout ce qui regarde sa gloire. Pour le prochain, vous pouvez prier pour sa conversion, sa sanctification et pour demander les grâces et les vertus nécessaires à son salut, mais toujours par relation à la pure gloire de Dieu.

Quand faut-il prier ? C'est lorsque l'Esprit de Dieu nous presse, lorsque l'obéissance nous le commande, ou que notre prochain et nos obligations nous portent à cela. Quelquefois l'âme se sent pressée de faire des prières particulières pour les intérêts de Dieu, d'autres fois pour le prochain. Elle doit prier comme on la fait prier, se simplifiant et priant par obéissance et par amour de la gloire de Dieu ; quelquefois par charité et par compassion des afflictions d'autrui.

Comment faut-il prier ? Il faut prier avec amour et confiance, mais aussi avec une profonde soumission et avec respect des conduites de Dieu sur toutes choses, et particulièrement sur les âmes, prenant un singulier plaisir que la divine volonté s'accomplisse en toutes manières au Ciel, en la terre, aux enfers et partout.

Si vous me demandez quelle est la meilleure sorte de prière des trois que je vous propose, je vous répondrai qu'elles sont bonnes toutes trois. Mais la troisième est plus pure, qui distrait moins l'âme, et qui la retient plus intimement dans son

169. Jn 15, 11.

union. Ce qui est plus dégagé d'images, de représentations et d'espèces est plus convenable à une âme d'oraison.

Mais après tout, il faut prier comme Dieu nous fait prier. Et il faut que votre âme soit si dégagée de son opération et de son action qu'elle soit indifférente à toutes celles que Dieu la voudra employer. De sorte que quand Dieu ou l'obéissance vous fera prier vocalement, vous prierez avec liberté d'esprit. Car pourvu que vous fassiez ce que Dieu veut, vous devez être contente. Je dis ceci en passant pour vous faire voir que nous ne devons point avoir d'attache à nos pratiques intérieures, et que nous devons être toujours prêtes pour tout ce que Dieu veut.

Mais si vous me demandez comment vous devez prier pour l'ordinaire dans l'état où vous êtes, pour ne point violenter votre trait ou même [en] sortir, vous devez prier selon la troisième manière que je vous viens d'expliquer. Premièrement votre âme doit être dégagée de tous les intérêts humains, même dans toutes les créatures. Votre unique désir et affection est que Dieu soit glorifié dans toutes les créatures, qu'il y règne et qu'il y accomplisse ses desseins.

Voilà les trois motifs qui vous obligent de prier et que vous devez uniquement envisager par-dessus toutes autres vues d'intérêts, de compassion naturelle, etc.

Apprenez donc à prier en foi sans raisonner dans votre esprit.

Qu'est-ce que prier en foi ? C'est prier en silence, se contentant d'exposer ses besoins à Notre Seigneur, ou ceux de son prochain, et demeurer dans une ferme confiance en sa bonté qu'il y donnera les remèdes nécessaires : bref que sa charité éternelle y pourvoira, remettant de la sorte toutes choses amoureusement entre les mains de Dieu. Il en prendra soin infailliblement et nous donnera et à notre prochain ce qui nous est nécessaire.

Une âme qui marche dans la voie où Dieu vous a fait l'honneur de vous appeler ne doit plus avoir de choix ni de volonté pour elle, ni pour son prochain, et toute sa complaisance doit être de voir le bon plaisir de Dieu accompli. Or vous priez quelquefois, et ce n'est que l'amour-propre qui vous fait prier.

Ne priez donc plus que pour les intérêts de Dieu en vous et en votre prochain. Et quand il arrive quelque accident sur la terre, cela ne vous doit pas troubler ni surprendre, mais vous devez incontinent en ces fâcheux événements, tant à votre

185

égard qu'aux autres, adorer les secrets jugements de Dieu et les ressorts de sa sagesse et de sa science éternelle que vous ne pouvez comprendre. Et sans vous troubler ni inquiéter, vous devez souffrir que Dieu fasse ce qu'il lui plaira, en vous et en votre prochain, ne faisant autre chose que de vous complaire dans son oeuvre, quoiqu'elle répugne à vos sens. Et quand Dieu voudrait renverser tout l'univers, vous devriez être ferme et constante, n'estimant rien digne d'être que Dieu ; et par conséquent n'estimant rien tout le reste, il ne faut point s'affliger si Dieu l'anéantit.

Or vous pouvez encore prier intérieurement et sans aucun soin ni effort de votre part. L'on vous applique même quelquefois imperceptiblement à prier pour quelque affaire, ou pour une personne en particulier, ou pour autre chose. Pour lors, il ne faut point résister, ains prier comme le trait vous y engage. Cette sorte de prière est bonne, car c'est l'Esprit de Dieu qui vous fait prier. Lors donc que vous vous trouverez pressée de prier pour quelque chose, priez sans scrupule, mais toujours dans la vue ou dans l'intention des intérêts de Dieu. Mais pour l'ordinaire, priez en silence, comme je vous viens de dire, et assurez-vous que ce silence crie bien haut, qu'il pénètre les Cieux/171 et va jusqu'au coeur de Jésus-Christ. Priez donc de cette sorte.

Comment est-ce que vous satisferez aux obligations que vous avez de prier pour l'Eglise, pour les morts, pour les pécheurs, bref pour beaucoup de choses que l'on vous recommande actuellement ?

Je vous ai dit autrefois que comme chrétienne vous êtes membre de Jésus-Christ et que vous faites partie de son corps mystique qui est l'Eglise. Vous ne pouvez vous en séparer qu'en renonçant à Jésus-Christ et à votre baptême. Vous voilà donc éternellement liée à l'Eglise ; et dans cette union vous entrez nécessairement dans toutes ses intentions, bien que vous n'y soyez pas actuellement appliquée, et c'est une impuissance d'être autrement. Donc, ma fille, vous priez avec l'Eglise, pour l'Eglise et pour ses intentions. Et vous n'avez qu'à vous renouveler une fois le mois ou une fois l'année, disant à Notre Seigneur que vous vous renouvelez dans tous les intérêts et intentions de votre sainte Mère l'Eglise, pour le temps et pour l'éter-

171. Imitation de Jésus-Christ, L. III, chap. 21, 4.

nité, selon ses desseins et les obligations où le saint baptême vous assujettit, et que vous désirez avoir une intention éternelle à cet effet. Cela suffit une fois pour toute votre vie, si vous ne veniez à sortir de la sainte société des fidèles. Ne soyez donc point en scrupule. Si vous ne priez point distinctement, vous priez comme Dieu veut, cela vous suffit.

Vous serez encore bien aise de savoir comme il faut prier, lorsque votre prochain vous presse de lui promettre de prier Dieu pour lui ou pour quelque affaire. Vous devez intérieurement vous rendre à Dieu ou vous laisser à lui pour vous faire prier comme il lui plaira, sans vous empresser quelquefois par complaisance ou compassion naturelle. Et s'il faut répondre à ces personnes-là, vous pouvez dire que vous vous donnez à Notre Seigneur pour prier pour cela. Ne vous engagez jamais de prier Dieu pour personne, mais dites que vous ferez ce que vous pourrez, laissant toujours à Dieu la liberté de vous faire faire ce qui lui plaira.

Souvenez-vous que vous n'êtes point à vous et que vous êtes dans l'impuissance de disposer de vous en aucune manière, ni pour peu que ce soit. Mais ayez la volonté de faire ce que Dieu veut que vous fassiez, sans même le connaître. L'union que vous avez avec la très sainte volonté de Dieu vous fait faire beaucoup de choses en Dieu qui lui sont agréables et que vous ne voyez point.

Quand Dieu fait prier l'âme, sa prière est toujours efficace ; mais quand elle prie par son propre esprit, pour l'ordinaire c'est inutilement.

Soyez toujours simplifiée devant Dieu, avec intention d'y être et d'y prier selon ses desseins. Voilà une bonne et sainte disposition de prière.

Pour les prières vocales, il faut dire celles qui sont d'obligation avec une intention simplifiée ou simple application à Dieu. Il est bon de dire le Pater tous les jours par simple obéissance à Jésus-Christ notre divin Maître qui nous l'a appris. Il le faut réciter selon ses intentions, avec grand respect et dans le désir qu'il ait toute l'efficace que Notre Seigneur a eu dessein de lui donner lorsqu'il nous l'a enseigné.

Il faut dire le Credo pour vous renouveler dans la foi et dans l'Eglise ; le dire avec respect et entière croyance des mystères qu'il contient.

Il faut dire le Confiteor pour vous confondre devant la grandeur et majesté de Dieu, comme criminelle et pécheresse :

187

et par cette prière vous en faites une confession publique de. vant Dieu et ses Anges. Donc, il le faut réciter avec une profonde humilité.

Il faut dire l'Ave Maria pour honorer le mystère de l'Incarnation et adorer la maternité de la très Sainte Vierge, et aussi l'honorer comme votre bonne Mère et Maîtresse, et dans le désir de vous donner à elle, pour être par elle rendue à Jésus-Christ son Fils.

Vous pouvez dire encore d'autres prières selon que vous en aurez la dévotion, mais celles-ci que je vous ai spécifiées ne seront point négligées tous les jours.

N° 1324

LA VOIE QUI REND PLUS DE GLOIRE A DIEU EST CELLE D'ANEANTISSEMENT

Ma très chère fille, je ne sais si Notre Seigneur aura agréable de me donner la grâce de vous dire deux mots sur la fermeté que vous devez avoir dans votre voie, sans vous occuper ni vous remplir par amour-propre de celle d'autrui. Il fut dit à Daniel de demeurer dans son degré/212 pour vous apprendre que chaque âme doit demeurer en sa voie et se tenir dans son degré, sans vouloir entrer dans celle que nous voyons belle et agréable en autrui.

212. Dn 8, 18.

C'est un très grand défaut dans la vie intérieure et particulièrement dans la voie d'anéantissement d'entrer par désir ou affection dans une disposition où Dieu ne vous appelle pas, de vouloir faire de bonnes oeuvres à quoi Dieu ne nous applique pas. Et sous prétexte que vous voyez les oeuvres extérieures de piété bonnes et saintes, votre amour-propre voudrait tout embrasser, sans discerner si Dieu veut cela de vous ou non. Et le plus souvent, dans cette façon d'agir, vous faites de bonnes actions par le choix et l'inclination de votre esprit, sans ordre ni mouvement de grâce, d'où vient qu'après de très longues pratiques de ces oeuvres de piété, vous n'en êtes pas plus morte à vous-même, ni plus parfaite. Il les faut donc faire par la direction de l'Esprit de Dieu.

Secondement, il se faut bien garder de se remplir de toutes les bonnes choses que vous voyez pratiquées ; parce que, ce que Dieu demande d'une âme, il ne le demande pas de toutes. Les unes, il les applique à la charité et au service du prochain ; les autres, à consoler les affligés ; les autres à l'humilité, d'autres à la pauvreté, d'autres à la pénitence et à l'austérité, etc. Il ne s'ensuit pas que toutes fassent même chose. Il y a bien quelquefois quelque rapport dans les oeuvres extérieures, mais très grande différence dans le fond de l'esprit, à raison de la dissemblance des voies.Et c'est en quoi paraît d'une manière du tout admirable la puissance et la sagesse éternelle de Dieu qui a donné à chacun selon son bon plaisir pour la sanctification de ses élus, sans qu'aucune des voies se ressemble.

O profondeur de la sapience et science de Dieu, qui pourra comprendre la sublimité et sainteté de vos voies/213 (saint Paul). Dans la diversité des voies de Dieu nous en trouvons qui sont dédiées à honorer la vie cachée et anéantie de Jésus-Christ ; et celles-là ayant un trait puissant qui les retire de tout ce qui a éclat, elles se retirent dans l'abîme de leur néant pour n'avoir aucune vie dans les créatures. Il me semble, selon la connaissance qu'il a plu à Notre Seigneur me donner sur votre âme, que vous êtes du nombre de celles-ci et que vous y devez une fidélité inviolable.

Or ce n'est pas une petite grâce de connaître votre voie : car la connaissant vous ne pouvez plus manquer que par une infidélité qui ne peut jamais recevoir d'excuse. Il faut se rendre

213. Rm 11, 33-34.

212

à Dieu en la manière qu'il vous appelle. Si donc par votre voie vous devez honorer par imitation la vie cachée et anéantie du Fils de Dieu, vous devez mener une vie retirée des créatures, une vie de silence, d'humble obéissance, bref une vie de mort, une vie qui ne paraisse plus votre vie, mais une vie qui soit cachée en Jésus-Christ comme l'Apôtre vous l'enseigne/214.

Il faut vous plaire dans la voie où Dieu vous a mise. Ce n'est pas vous qui l'avez choisie, mais la Sagesse éternelle l'a choisie pour vous et vous oblige de vous y appliquer, sans vous gêner/215 que vous ne faites rien de grand ni d'excellent pour la gloire de Notre Seigneur. La foi vous apprend que la plus grande et la plus digne gloire que vous lui pouvez donner, c'est d'être parfaitement soumise à son bon plaisir, c'est d'être la captive de son amour, c'est d'être sans choix, sans vie et sans aucune volonté ; parce que lorsque vous êtes de la sorte il se glorifie parfaitement en vous.

En cet état, vous lui donnez plus de gloire que si vous bâtissiez mille hôpitaux et que si vous faisiez beaucoup d'autres bonnes oeuvres dans lesquelles votre amour-propre prendrait vie dans votre bonne action. Au lieu que dans la voie où la bonté de Dieu vous mène, tout tend au néant et à la destruction de vous-même. Votre voie est assurée; et vous, ne doutez pas que Notre Seigneur ne vous appelle par ce sentier : vous en recevez trop de grâce et d'intelligence pour hésiter. J'avoue que cette voie est plus crucifiante que l'autre ; mais elle est aussi plus purifiante et plus sanctifiante. Elle est plus certaine parce qu'il y a moins du nôtre et qu'elle nous rend plus purement à Dieu.

Soyez donc désormais en repos quand vous voyez votre prochain qui fait les bonnes oeuvres que vous ne faites pas. Ne sortez point de votre voie pour entrer dans une voie étrangère et qui ne vous est point propre. Et ce qui vous doit consoler et mettre en repos, c'est l'union que vous avez comme chrétienne à l'Eglise. Et comme vous faites un corps avec tous les chrétiens qui sont les membres de Jésus-Christ, toutes les bonnes oeuvres qu'un bon chrétien fait, vous y avez part et vous y contribuez en une certaine façon ; à raison que vous êtes unie à ce membre comme faisant un même corps. Et dans cette sainte liaison, vous êtes charitable, humble et patiente avec votre pro-

214. Col 3, 3.

215. Gêner : inquiéter.

214

chain. Il ne faut point vouloir faire ce qu'ils font, dans votre voie. Vous ne devez plus dire : « Je voudrais ceci ou cela », car la divine volonté doit tellement agir en vous qu'elle soit la toute-puissante dans votre âme, sans permettre à votre amour-propre de souhaiter, ou s'inquiéter de ne faire pas tant de bien que beaucoup d'autres. Si Dieu ne veut point ces oeuvres-là de vous, pourquoi les voulez-vous faire ? C'est un reste de la malignité que nous avons reçue d'Adam de vouloir toujours être et faire quelque chose qui nous paraisse, pour y prendre une secrète satisfaction. Nous ne pouvons mordre dans l'anéantissement ; la pensée d'icelui nous tourmente et cependant c'est notre salut. Dieu vous veut dans cet état : est-ce à vous d'en vouloir un autre ? La volonté de Dieu est-elle pas plus sainte que tout le reste ? Et ce que Dieu a choisi pour vous, vous est-il pas plus salutaire que tous les biens et bonnes actions que vous pourriez opérer ? O ma fille, serions-nous si téméraires de donner des lois à Dieu ? Pour moi, je vous avoue que j'ai tant de respect pour son bon plaisir, que j'aime mieux relever de terre des fétus, par son ordre, que de convertir tout l'univers par l'ardeur de ma volonté.

Aimons ce divin bon plaisir ; prenons nos félicités d'y être attachées. Les bienheureux n'ont point d'autre bonheur, et cette complaisance qu'ils ont dans l'accomplissement des volontés divines compose leur béatitude. Aussi voyez-vous sur la terre de certaines âmes qui, étant toutes mortes à elles-mêmes, jouissent d'une félicité anticipée. Car ayant perdu leur volonté propre dans la divine [volonté], elles sont toujours dans la satisfaction entière, ne voyant rien sur la terre hors du bon plaisir de Dieu.O ma fille, quand serons-nous dans cette bienheureuse mort qui donnera vie au bon plaisir de Dieu en nous ? Il faut bien travailler à l'abnégation de nous-mêmes. Il faut bien détruire nos propres satisfactions.

Je ne sais si vous avez bien compris ce que je vous veux dire touchant les bonnes actions qui sont faites par autrui. Je vous dis que comme vous priez avec tous les chrétiens à cause de l'union, que vous travaillez aussi avec eux. Tous les premiers chrétiens n'ayant qu'une volonté comme ils n'avaient qu'une foi, une loi et un baptême, ainsi que vous le remarquez aux Actes des Apôtres216, tous les chrétiens n'ont qu'une volonté en Jésus-Christ, et tous ont un désir de le glorifier ; du

216. Ac 4, 32 et Ep 4, 46.

215

moins ils ne peuvent prendre d'autre intention dans leurs œuvres, ou elles ne seraient pas opérées chrétiennement. Demeurant donc dans l'intention de l'Eglise votre bonne Mère, vous honorez Dieu dans toutes les bonnes oeuvres qui se font par ses enfants, à raison, comme je vous ai déjà dit, que vous ne faites qu'un corps/217.

Voici la disposition que vous devez porter en fonds pour y avoir part : premièrement, consentir à toutes les bonnes oeuvres qui se pratiquent dans toute l'Eglise. 2. Etre bien aise que Dieu soit glorifié en plusieurs manières selon son bon plaisir. Et quand vous voyez faire une bonne action, offrez-la à Dieu par une simple élévation, vous réjouissant intérieurement de voir des âmes qui font l'oeuvre de Dieu que vous n'êtes pas digne de faire. N'estimez pas votre voie meilleure et plus élevée que celle des autres. Soyez fort retenue sur ce point ; d'autant que vous ne voyez pas le degré de grâce d'un chacun et qu'il ne vous appartient pas d'en juger.

Souvenez-vous que chaque âme a sa voie : celle des autres n'est point la vôtre. Dieu a donné à un chacun ce qui lui est propre. Si vous entriez dans la voie de quelque autre, vous y péririez ; et un autre dans la vôtre n'y ferait point son salut. Laissez donc toutes les âmes faire ce qu'elles font et si elles se fourvoient vous n'en répondrez point. Soyez fidèle dans la vôtre et gardez-vous bien de vous occuper de celle-ci ou de celle-là. Demeurez séparée des créatures. Ne condamnez point ce que vous ne pouvez comprendre. Et d'autant que vous trouvez quelquefois des âmes dont les voies et leur façon d'agir choquent vos sens et même souvent votre raison, gardez-vous de les juger ni désapprouver. Dieu ne vous a point donné d'ordre ni d'autorité pour les condamner ; laissez-les à son jugement et ne vous souillez pas par jugements téméraires. Si c'étaient des âmes qui soient sous votre direction, il y aurait quelque chose de plus à vous dire ; mais comme ce n'est qu'en passant et dans les rencontres de certaines personnes dévotes, il en faut retirer votre esprit qui va un peu bien vite sur ce sujet.

Soyez donc fort circonspecte, de crainte que vous ne rejetiez ce que Dieu reçoit et désapprouviez ce qu'il approuve. Et bien que la voie de mort et de vrai anéantissement soit la plus réelle et la plus sainte et assurée de l'Eglise, il faut respecter la

217. Ep 4, 7-17.

grâce de Jésus-Christ dans les âmes et les diversités d'un chacun. Car il en est au regard de Notre-Seigneur comme au regard d'un roi qui a tous ses officiers. Sa cour est composée de différentes personnes où chacune a diversité d'emplois ; et celle que le roi destine pour être actuellement en sa chambre et jouir de sa présence ne doit point s'amuser à la cuisine. Il faut que chacun fasse sa charge et son office, autrement ce ne serait que confusion.

Demeurez dans votre degré, et puisque le roi Jésus-Christ, votre tout, vous fait l'honneur de vous tenir en sa sainte présence et qu'il veut cette fidélité de vous, ne ravalez point votre trait pour vous occuper des créatures, pas même des anges. Lorsque Dieu vous occupe de lui, laissez toutes les créatures en Dieu être ce que Dieu veut qu'elles soient. Et vous, ma fille, cachez-vous dans Dieu même, dans sa divine Essence qui vous environne ; n'en sortez point, s'il est possible, au moins volontairement. Simplifiez votre esprit en toutes choses, notamment en ce que vous n'avez point d'ordre ni d'obligation d'éplucher ou de connaître ; par ainsi votre âme demeurera libre et dégagée.

Apprenez une vérité qui vous étonne si souvent : qui est lorsque je vous dis que N. est dans une voie la plus basse et la plus petite de l'Eglise. Et cependant l'on nous assure — et l'Ecriture sainte nous l'apprend par la bouche de Jésus-Christ même — que la voie d'anéantissement est la plus sainte de l'Eglise. Et les serviteurs de Dieu disent que c'est la plus élevée et des plus pures et plus sanctifiantes. Pour moi, je la vois, par la miséricorde de Dieu, dans son excellence, selon que j'en suis capable ; mais avec toute sa sainteté, je la trouve ravalée au-dessous de toutes les voies en une certaine manière.

1. Elle est sans éclat.

2. Elle n'est quasi point connue, et peu de personnes en font état.

3. Une âme de cette voie se connaît si petite et si fort au-dessous de toutes choses, qu'elle ne se voit en tout qu'un néant.

4. Elle ne se compare pas même aux démons.

5. Elle se voit indigne de tous rebuts, mépris et confusion ; de sorte qu'elle est infiniment au-dessous de toutes choses.

217

6. Elle n'est rien dans les lumières ni dans les dons de Dieu ; elle ne prend part à aucune chose que dans le néant/218. Or y a-t-il rien moindre que le néant ? La voilà bien basse en elle-même et dans les créatures : elle se voit rien en toutes choses. Voyez donc combien cette voie est basse en cette manière. Cette âme qui y est conduite peut-elle s'élever d'aucune chose ? Quand elle ferait des miracles et qu'elle convertirait tout le monde, elle ne sortirait jamais de son néant. C'est sa vie, son bonheur et sa complaisance que d'y être plongée et d'être si bas qu'on ne la trouve plus. O heureuse perte ! O saint et sacré anéantissement, que tu causes de bonheur et de bénédiction à l'âme qui te possède !

Voyez donc que ce n'est pas sans raison que je vous dis que cette voie est basse. C'est le sentier étroit et secret/219 que Notre Seigneur nous dit qui conduit à la vie véritable, puisqu'il vous conduit dans Dieu même où vous recevrez une nouvelle vie ; mais vie de grâce, vie d'amour, vie divine, vie qui ne peut être connue que de ceux qui l'expérimentent, vie si sainte et si digne que tout ce que l'on dit pour expliquer son excellence la ravale infiniment au-dessous de ce qui en est. O qu'il fait bon vivre de cette vie ! qu'heureuse et mille fois heureuse l'âme qui s'y laisse conduire !

Je me veux donc taire de la sainteté de cette voie et des prérogatives et excellences qu'elle tire de Jésus. Il ne m'appartient pas de parler de matières si dignes, pauvre et chétif avorton que je suis. Hélas ! ce n'est point affaire aux pécheresses comme moi de parler des faveurs et des grâces que l'Epoux divin donne aux âmes fidèles. Je me retire dans mon néant et dans le silence que je devrais éternellement observer.

Je crois être obligée de vous laissez quelque temps remâcher ce que Notre Seigneur a voulu que je vous donne, bien que j'en sois très indigne. Vous en ferez l'usage qu'il lui plaira, et apprendrez à vous dégager tellement de toutes choses et à si bien purifier et simplifier votre esprit, que les vertus d'autrui ne vous soient pas des vices.

218. Tout ce passage est très proche de la pensée de sainte Catherine de Gênes. Cf. Dialogue, livre 1, ch. 10, La vie et les oeuvres spirituelles de sainte Catherine d'Adorny de Gennes, à Lyon, chez Pierre Rigaud, 1610.

219. Mt 7, 13-14.

Notre Seigneur vous dit : « Laissez les morts ensevelir les morts »/220. Laissez les créatures dans la créature, et vous, ma fille, retirez-vous dans Dieu où vous devez faire votre demeure actuelle. N'en sortez point volontairement pour vous amuser dans les créatures. Ne quittez point le tout pour le néant.

Adieu ma fille, je crois que je serai privée quelque temps de vous écrire. Je me retire dans mon centre pour vous laisser avec Dieu. Il est votre divin Maître, je le prie qu'il vous instruise et qu'il me pardonne toutes les infidélités que je commets en ne recevant pas avec la pureté que je dois les vérités qu'il me fait connaître pour vous énoncer ; j'en diminue la grâce, et c'est ce qui me fait désirer que vous receviez de Dieu immédiatement. Ce sera quand il lui plaira.

CE QU'IL FAUT FAIRE POUR ENTRER DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT

Ma très chère fille. Je suis demeurée toute cette journée dans un soin très particulier de votre personne au milieu de mes petits négoces. Je vous avais présente en mon esprit, dans la crainte que votre âme ne soit dans quelque disposition qui vous pourrait crucifier et jeter dans la tentation. Néanmoins je m'en suis entièrement reposée sur la bonté de Notre Seigneur qui ne permettra pas que vous soyez tentée par-dessus vos forces.

Confiez-vous en sa miséricorde par-dessus vos répugnances et la malignité de votre fonds qui vous retire autant qu'il peut de votre cher abandon. Ne quittez point, ne cédez point, que pour vous abîmer dans le néant profond. C'est votre asile ; mais vous ne l'avez point encore bien remarqué. Vous êtes encore très grossière/228 dans les voies de la grâce. Vous ne pouvez encore pénétrer comme vous pouvez vivre en mourant et mourir en vivant.

Oh ! qu'il y en a peu de ceux-là à qui Jésus parlait dans l'Ecriture Sainte : « Veux-tu être parfait ? Donne tes biens aux pauvres, renonce à toi-même, prends ta croix et me suis »/229. L'on en trouve encore qui donnent leurs biens aux pauvres, mais l'on n'en trouve quasi point qui suivent Jésus-Christ. Heureuse l'âme qui connaît son appel et qui le suit avec fidélité.

Que craignez-vous ? de vous perdre, ou les créatures ? Hélas ! ne l'appréhendez point, car cette perte est le commencement de votre bonheur éternel. C'est en nous quittant nous-même que nous trouvons Dieu et que nous recevons la grâce de le suivre. N'ayez plus de regret de tout perdre, puisque c'est l'unique moyen de posséder Jésus. Prenez garde, ma fille, que les créatures ne vous entraînent et ne vous dérobent à vous-même. Ne vous empressez jamais pour aucune chose humaine et gardez-vous bien de rien préférer à Jésus-Christ/230.

228. Grossière : ignorante, peu expérimentée.

229. Mc 8, 34 et 10, 21.

230. Règle de saint Benoit chap. 4 et 72.

225

Il y a deux ou trois pas qui vous coûteront cher, mais aussi ils vous causeront un extrême bonheur. Le premier c'est le mépris des créatures, de leurs louanges et de l'estime qu'elles peuvent avoir de vous, vous rendant insensible à leur opinion et à leur jugement. Le second de captiver votre esprit à la présence continuelle de Dieu. Vous souffrirez en votre esprit avant que d'en avoir l'habitude, d'autant qu'il s'est fort dissipé dans les sens et dans l'application à vous-même. Le troisième c'est l'abandon au-dessus de vos sens et de votre raisonnement humain ; l'esprit voulant toujours voir et connaître toutes choses pour en tirer ses appuis et sa satisfaction/231.

Oh ! que c'est un grand secret de se savoir bien abandonnée dans un profond silence devant Notre Seigneur ! Demeurez-y paisible en la partie supérieure de votre âme, et trouvez bon qu'il vous purifie comme il lui plaira. Gardez-vous bien de vouloir donner des lois à Dieu touchant votre conduite. Les états humiliants sont les plus saints et les plus utiles. Si nous étions éclairées de la pure lumière de la foi, nous ne voudrions jamais sortir de l'état d'impuissance et d'abaissement.

Oh ! qu'il est bon que vous soyez réduite dans votre néant sans vous en apercevoir, comme dit le prophète. L'âme qui est anéantie est faite une pure capacité de Jésus-Christ/232, elle ne lui est plus opposée. Oh ! quand sera-ce, ma fille, que je vous verrai dans cet anéantissement ? Hélas ! pour lors, vous verrez toutes choses d'une autre lumière, car vos sens ne vous tromperont plus. Laissez-vous y conduire en secret et comme en cachette de vous-même, afin d'éviter les empêchements que vous y pourriez apporter. La main de Dieu a une puissance infinie pour vous y introduire, mais n'y résistez pas. Consentez à tous les dépouillements que la Sagesse éternelle fera en vous, soit pour les opérations de votre âme, soit pour les créatures que vous possédez encore, auxquelles vous pouvez avoir des attaches secrètes. Exposez-vous toute dénuée à la force du divin amour, et vous expérimenterez sa puissance. Notre Seigneur cherche des âmes vides pour les remplir de lui-même, et il n'en trouve point. Nous sommes si chiches au regard de Dieu. Quand vous lui donnez un petit moment de votre vie, ou que vous souffrez un quart d'heure de peine, il vous semble qu'il

231. Le manuscrit porte : sanctification qui ne se retrouve en aucune autre copie.

232. Bérulle écrivait aussi : « L'homme est un néant capable de Dieu ».

226

vous en redoit beaucoup. Vous n'avez pas assez de reconnaissance de ce que Notre Seigneur a fait pour vous, ni de l'amour qu'il vous porte.

Vous avez encore cela de mauvais d'être trop humaine, de vouloir trop accommoder la grâce avec la prudence de la chair. Vous rabaissez votre trait/233 et quelquefois vous l'anéantissez par vue ou pour des craintes humaines. Vous ne simplifiez pas assez votre esprit et vous ne vous abandonnez pas assez à la conduite divine. Vous vous égarez dans les créatures. Vous n'êtes pas fidèle dans les événements à les voir dans l'ordre de Dieu et dans la dispensation divine. C'est le point auquel vous devez vous attacher fortement, et il faut le rompre, avec la grâce de Jésus-Christ, au-dessus des mauvaises habitudes que vous avez eues jusques ici, d'envisager toujours les créatures. C'est l'exercice que vous devez pratiquer actuellement et tenir doucement votre esprit en bride, de peur que, comme un cheval indompté, il ne s'échappe.

Humiliez-vous donc de bonne sorte. Agréez en esprit d'humilité toutes les pauvretés et misères que la Providence vous fait ressentir : les privations, les ténèbres et les impuissances ; tout est bon, puisque c'est Dieu, la Sagesse éternelle qui les donne. Demeurez seulement constamment abandonnée, et ne vous mettez point en peine pour le reste, Dieu pourvoira à tous vos besoins : votre sanctification est son ouvrage.

Ma fille, je vous écris la leçon que je vous aurais faite ce matin, si la Providence m'avait permis la consolation de vous voir. Je ne sais si elle vous sera utile. J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez recevoir présentement. Il faut attendre que votre âme soit un peu plus forte. En attendant, travaillez fidèlement et sans écouter les plaintes de la nature.

Je prie Notre Seigneur qu'il vous y fortifie de ses grâces et qu'il me donne la lumière et les dons de son Saint-Esprit pour vous y seconder, selon l'affection qu'il m'a donnée pour votre âme et l'obligation que j'ai de procurer sa gloire.

n° 1474

233. « Trait » désigne le jet d'une flèche. L'expression signifie ici que la comtesse, arrêtée par des vues trop humaines, ne place pas assez haut son désir de la perfection. Trait est mis pour : attrait, ce qui tire vers Dieu.

INSTRUCTION SUR LE SILENCE

Puisque votre vie ne doit être autre chose qu'une suite de la vie de Jésus, il faut que vous appreniez à garder le silence comme Jésus et à parler et opérer comme Jésus. C'est une leçon que nous vous avons souvent réitérée ; mais puisque vous ne vous ennuyez point d'entendre les choses nécessaires à votre perfection, je commencerai à vous parler du silence d'esprit et de la langue.

Ce n'est pas sans cause, ma fille, que nous vous avons tant exhortée au silence, à parler peu et à bien peser ce que vous devez dire ; parce que, selon l'Ecriture : « le beaucoup parler n'évite point le péché » ; et saint Jacques dit que : « celui qui ne pèche point en parole, il est parfait »/246. Nous avons des exemples presque infinis des mauvais effets de la langue ; mais je ne m'arrêterai pas à vous les raconter. Il suffit de dire que vous en avez vous-même assez, voire trop d'expérience ; et qu'il y a peu d'âmes qui ne se rendent plus ou moins criminelles par le beaucoup parler.

Je sais et je puis dire avec douleur et regret que j'ai péché une infinité de fois par la langue ; et que me voyant si malheureuse que d'offenser Dieu à toute heure par la parole, j'ai demandé à Dieu plusieurs années la grâce d'être muette, puisque ma faiblesse était si épouvantable et la malignité de mon fonds si horrible que je ne me pouvais garantir de ses méchants effets. Mais j'ai été indigne de l'accomplissement de mon désir. Je suis contrainte de souffrir cette extrême misère en moi et un grand nombre d'autres que mon orgueil mérite de ressentir.

Mais puisque la nécessité nouspresse de parler quelquefois, il faut parler comme Jésus-Christ et se taire comme Jésus-Christ. Vous savez qu'il a gardé trente ans un profond silence. Saint Joseph parlait peu et la très Sainte Vierge encore moins. Voilà un exemple de silence admirable et qui vous doit toucher et confondre votre propre suffisance et l'orgueil qui vous fait produire et agir. Pouvez-vous mieux parler que Jésus-Christ et dire des choses plus saintes et plus justes ? Et cependant l'Evangile dit : « Jésus se taisait »/247. Il garde le silence pour vous mériter la force de l'observer dans les occasions. Il faut donc apprendre à vous taire. Aussi est-ce au Maître de parler et au disciple d'écouter/248. Vous êtes écolière, ma fille, et écolière de Jésus-Christ : écoutez donc votre divin Maître.

Je vous ai dit qu'il y a deux sortes de silence : l'un de l'esprit, l'autre de la parole. Celui de la parole se doit exactement observer en deux ou trois manières :

1. De ne jamais parler inutilement.

2. De parler d'une voix modérée.

246. Prov 10, 19 ; Ja 3, 2 ; Règle de saint Benoît, chap. VI, 4.

247. Mt 26, 63.

248. Règle de saint Benoît, chap. VI, 6.

240

3. Avec prudence et présence d'esprit, c'est-à-dire sans activité ni précipitation.

L'on tombe souvent en faute, mais très importante, pour n'être pas assez considérée en ses paroles. Il faut peser en la présence de Dieu ce que l'on doit dire, notamment les choses plus importantes, et se rendre attentive à Dieu pour parler selon son esprit et pour sa gloire.

Si les simples paroles vaines sont châtiées si exactement/249, combien le seront plus rigoureusement celles qui ont plus de malignité et qui sont plus volontaires ? Il y a beaucoup de motifs qui vous doivent porter au silence ; mais le plus pressant, et qui vous doit plus toucher, c'est qu'il purifiera votre âme et la rendra plus capable de la présence de Dieu. Il vous donnera plus de facilité au recueillement intérieur, et vous disposera à recevoir les dons de Dieu. Si la parole oiseuse souille votre âme, combien par le silence éviterez-vous de péchés !

Aimez le silence. Ecoutez beaucoup et parlez peu. Avant que de vous engager dans les discours de longue haleine et de chose importante, élevez votre esprit à Dieu, le suppliant de parler par vous et de vous préserver de l'offenser par la langue. Il est malaisé de beaucoup parler sans pécher ! Pesez bien cette vérité tirée de l'Ecriture Sainte, et la mettez en pratique. Parlez sans scrupule des choses nécessaires et de vos obligations, et dans les rencontres où la charité demande vos paroles ; mais n'en dites que le moins que vous pourrez de superflues.

Tâchez que toutes vos paroles honorent Dieu, comme les paroles de Jésus-Christ honoraient son divin Père. Ayez toujours le désir de produire par icelles Jésus-Christ, de le faire connaître et de le faire aimer des âmes à qui vous serez obligée de converser et de communiquer. Prenez bien garde, dans la multitude de paroles, de blesser votre prochain. C'est une chose bien délicate et où l'on tombe insensiblement, même souvent, par complaisance.

Ne parlez jamais des défauts d'autrui ; et lorsque dans les compagnies l'on en dit quelque chose, observez prudemment votre silence ou, si vous pouvez, détournez adroitement le discours, afin d'éviter quelque péché que l'on peut facilement commettre en pareilles occasions.

Ne contestez jamais contre personne quand il n'y ira que de votre propre intérêt. Cédez en tout ce qui vous sera possible,

249. Mt 12, 36.

sans pourtant excéder la discrétion et l'autorité que vous devez conserver pour régler vos domestiques, non en maîtresse sévère, mais en chrétienne remplie de la charité de Jésus-Christ qui, étant le Maître et Seigneur de tous, se rend le moindre et serviteur de tous/250. Mêlez l'huile avec le vin, comme le bon Samaritain/251 de l'Evangile. Ayez de la gravité et de l'affabilité tout ensemble ; mais surtout, voyez toujours votre force, votre grâce et votre capacité en Jésus-Christ.

Dans les entretiens, ne parlez de vous que le moins qu'il vous sera possible. Il est impossible d'en beaucoup parler sans se produire et sans se souiller de plusieurs autres infidélités. Les complaisances, la vanité et la propre excellence font bien leur jeu dans la multitude de discours.

Soyez attentive à Dieu, et vous verrez que ce que je vous dis est important et très véritable. N'ayez jamais une complaisance si malheureuse que de déplaire à Dieu pour plaire à la créature. Et lorsque vous connaissez que Dieu veut de vous quelque fidélité, soyez immuable à tout ce qui vous en peut détourner. Que Dieu soit toujours le premier dans vos pensées, dans vos paroles et dans vos intentions ; qu'il soit toujours Dieu puissant et régnant en vous. Ne préférez jamais rien à son amour/252.

Ma chère fille, je vous recommande très instamment ces choses. Peut-être seront-ce les dernières instructions que je vous donnerai ? Je prie Notre Seigneur qu'il les imprime dans votre coeur pour sa gloire. Je suis bien indigne de vous énoncer ses volontés, mais je dois faire en simplicité ce qu'il m'ordonne, en attendant qu'il vous donne un truchement plus capable de vous faire entendre et exprimer ses desseins.

Oh ! que j'aurais de choses à vous dire en la vue de votre éloignement, non seulement sur le silence, mais sur beaucoup d'autres points très importants. J'espère toujours que Notre Seigneur sera votre Maître et qu'il vous fera lui-même connaître son bon plaisir. Mais pour vous disposer à recevoir une telle grâce, il faut entrer dans le silence intérieur et commencer d'être plus présente à lui et plus attentive aux mouvements de sa grâce. Il faut pour en venir là et vous mettre en un état plus

250. Jn 13,13-14.

251. Lc 10,34.

252. Règle, chap. IV, 21.

digne de recevoir les divines leçons de votre adorable Maître congédier toutes les inutilités de votre esprit : les pensées et les discours inutiles et même extravagants de votre esprit. Il faut renoncer à la complaisance de vos pensées et apprendre à vous taire, puisque vous êtes devant votre maître, votre juge et votre roi.

Il faut du silence, de l'amour, du respect, et sans ces trois points vous n'apprendrez rien à cette sacrée école. Le silence vous dispose pour entendre. L'amour vous fait embrasser les instructions que l'Esprit de Dieu vous donne. Et le respect vous tient dans une profonde révérence de la science de Jésus-Christ.

Soyez donc attentive à Dieu présent avec amour et respect. Ne vous oubliez jamais de ces trois points qui ne doivent point être l'un sans l'autre. Car si vous êtes attentive sans amour et respect, les paroles de Jésus-Christ ne feront point en vous les effets qu'elles y doivent faire. Si vous êtes sans attention, vous n'entendez pas sa voix. Si vous êtes sans amour, votre opérer [agir] est sans vie et sans âme. Donc que l'amour et le respect se tiennent liés inséparablement à l'attention. C'est pour cela que je vous ai tant de fois recommandé l'attention amoureuse à Dieu présent. Souvenez-vous de Dieu avec amour et respect.

Soyez donc en silence d'esprit pour entendre la voix de Dieu qui parle à l'âme en diverses manières : quelquefois par des paroles formées, autrefois par des touches au fond du coeur ; quelquefois par des traits délicats qu'il fait ressentir au suprême de l'âme, autres fois par ses divines inspirations ; quelquefois par quelques paroles ou actions, même extérieures, que nous voyons ou entendons en autrui.

Dieu a des voix partout : dans les flammes, dans les eaux, voix dans la vertu, dans la magnificence, etc., selon que David nous l'apprend/253. Et le grand secret de la vie intérieure, c'est de bien entendre ces voix et se rendre à ce qu'elles nous enseignent. Il faut aussi entendre sa voix dans les afflictions, dans les mépris, dans les contradictions, dans les douleurs, dans les confusions. « Vox, Vox, Vox ». Voix, Voix, Voix partout, au Ciel et en la terre. Une âme attentive n'entend que des voix qui l'invitent à aimer, à adorer et à glorifier Celui qui est/254. Toutes ces voix vous appellent pour voir et connaître Dieu en toutes choses, pour vous faire adorer sa sainte main qui vous applique la croix, les clous et les épines, qui vous dit de souffrir pour le pur amour, qui vous convie à vous humilier et anéantir au-dessous de toutes les créatures, qui vous exhorte à la fidélité en toutes occasions.

« Ma fille, écoutez cette divine voix et gardons-nous, dit l'Ecriture, d'endurcir nos coeurs »/255 Soyez flexible à ses amoureuses semonces. Quittez tout pour le suivre. Possible me demanderez-vous, qu'est-ce que le silence d'esprit intérieur, et comment on le peut observer ?

Le silence d'esprit consiste à faire taire les trois puissances de l'âme. Il y a deux manières de se taire : la première est d'anéantir toutes les opérations des puissances, faisant de notre part tout ce que nous pouvons, aidées de la grâce, pour nous mettre dans un vide de tout nous-mêmes. Et cette manière s'appelle anéantissement actif, à raison du travail que l'âme fait pour y arriver :

Premièrement elle met la mémoire en silence, selon son pouvoir, en ne correspondant point à tous les objets qu'elle représente à l'entendement. Elle les néglige autant qu'elle peut pour vider cette puissance et l'empêcher de ses productions qui distraient l'âme du simple souvenir de Dieu en foi, qui est plus précieux à l'âme et plus glorieux à Dieu que toutes les imaginations que l'esprit se peut représenter. La mémoire donc garde le silence parce qu'on ne lui souffre pas de se ressouvenir ni s'occuper volontairement d'aucune chose créée.

L'entendement est de même en silence quand on ne reçoit point ses images ni ses raisonnements. Il faut négliger toutes ses productions pour se rendre attentive à Dieu en pure foi, sans le revêtir de nos imaginations. Il faut anéantir sa curiosité naturelle et se contenter de Dieu seul qui saura bien vous illuminer quand il lui plaira.

Votre volonté est en silence lorsqu'elle n'a aucun désir, aucune affection vers les choses créées, et que rien ne l'engage plus sur la terre ni même pour les intérêts de sa perfection. Elle est toute en Dieu, elle se laisse toute à lui.

Dans votre oraison présente, votre mémoire doit se souvenir simplement de Dieu, votre entendement le doit croire, c'est-à-dire doit être élevé à Dieu en foi, et votre volonté doit être en

253. Ps 148 ; Dn 3, 57-87.

254. Ex 3, 14.

255. Ps 94, 8.

amour pur et simple, vous laissant tirer doucement par le trait puissant de la grâce de Notre Seigneur qui vous attirera comme il lui plaira, plus ou moins, selon la pureté et fidélité de l'âme ou selon le bon plaisir du Maître qui purifie quelquefois longtemps les âmes dans des états de peines, de ténèbres et de privations, pour les disposer à recevoir les hautes grâces et miséricordes qu'il leur veut communiquer. Il faut, mon enfant, que vous soyez très fidèle en toutes les différentes dispositions que la Providence vous fera porter.

Si votre mémoire vous représente dans votre oraison des choses qui ne servent qu'à vous distraire et effacer le simple et amoureux souvenir de Dieu, il faut les négliger et n'y point prêter d'attention. J'en dis de même de votre entendement qui voudra quelquefois produire avec des activités naturelles. Négligez toutes ces vivacités et impertinences, vous élevant doucement à Dieu par-dessus toutes ces choses ; et si le bruit et tintamarre est trop grand, que vous ne le puissiez anéantir vous-même, en vous abandonnant à la permission divine qui vous veut crucifier par ces choses, demeurez paisible. On appelle cet anéantissement, anéantissement de volonté, qui est le plus excellent de tous ; car la volonté comme la dame et maîtresse étant anéantie, les autres puissances n'ont pas grand pouvoir. Or vous ne pouvez pas toujours anéantir les opérations de votre mémoire, ni de votre entendement ; mais pour la volonté, vous la pouvez anéantir ; car vous n'avez qu'à le vouloir à raison de votre liberté. Et quand vous dites : « Je ne veux point ceci ou cela », la volonté se fait obéir. Or votre volonté s'anéantira par l'affection que vous avez de vous laisser toute à Dieu, abandonnée sans réserve à son bon plaisir, ne voulant plus rien choisir au Ciel ni en la terre que ses divines volontés.

N° 2549
n° 725

SUR LE MYSTERE DE L'INCARNATION

J'eus hier beaucoup de pensées de vous écrire, et même cette nuit en attendant l'heure de l'Incarnation adorable du Verbe/287. Mais deux choses m'ont divertie de ces pensées.

La première c'est que Notre Seigneur Jésus-Christ est un grand Maître, très adorable en ses divines leçons. C'est lui qui a instruit saint Paul dans le désert soixante-dix années/288 qu'il y a vécu solitaire sans aucune conversation humaine. C'est lui qui a enseigné Marie l'Egyptienne et une infinité d'autres qui s'étaient volontairement, pour son pur amour, séparés des créatures. Et je voyais que ces grands saints s'étaient sanctifiés par la solitude, par le silence, par l'anéantissement et par la mort profonde d'eux-mêmes, vivant comme des morts dans l'oubli de tout le monde.

Oh ! que cette vie me paraît sainte ! Je la respecte en vous, non qu'elle y soit établie, ni que vous viviez de la sorte, mais dans la vue que Jésus est votre divin Maître, qu'il peut vous rendre savante dans tous ses saints mystères, par lui-même. Et je le priais de vous faire ces leçons adorables de son divin amour. Et comme je porte grand respect aux opérations secrètes de la grâce en votre âme, je les révérais en silence cette nuit, adorant cette Incarnation adorable du Verbe en vous, en une certaine manière, et je désirais que votre âme soit toute fondue et toute liquéfiée en l'amour de ses anéantissements.

Oh ! que ce mystère est adorable ! qu'il est grand et qu'il est saint et divin ! Notre esprit n'est pas digne de le comprendre. Mais il nous faut unir et lier à la grâce qu'il nous confère, désirant qu'il ait son effet en nous selon les desseins de Jésus-Christ ; et nous tenons aux pieds de la très Sainte Vierge notre Maîtresse, pour participer à ce prodigieux mystère d'un Dieu

287. Mère Mectilde a établi la coutume, dans notre institut, de réciter un acte, composé par elle, en hommage au Verbe s'incarnant en Marie. Cet « Acte » précède l'Office de la nuit, le 24 mars à minuit.

288. Saint Paul, ermite, qui vécut dans les déserts de la Thébaïde (Egypte méridionale, capitale : Thèbes). Saint Paul mourut à 113 ans en 342.

278 anéanti dans ses entrailles virginales. Imitez son humilité et sa soumission. Consentez que Dieu soit en vous en toutes les manières qu'il lui plaira, et dites aujourd'hui trois fois en esprit d'amour, de révérence et d'abandon : « Verbum caro factum est »/289 et trois fois : « Ecce ancilla Domini »/290, adorant les abaissements d'un Verbe fait chair et l'humilité de la très Sainte Vierge. Ne sortez point de cette disposition. Soyez toujours abaissée devant la grandeur de Dieu, consentant à son bon plaisir.

La seconde cause qui m'a privée de vous écrire est venue de ma propre part, par la disposition où je me trouvais hier toute la journée et suis encore aujourd'hui.

Je prends plaisir que vous soyez toute pleine de Dieu, que toutes les parties de votre corps, de votre âme, de votre esprit, soient remplies de Jésus-Christ. Laissez-vous remplir de son amour en vous vidant de vous-même, vous tenant en silence et respect devant Dieu. Il me semble que Dieu me donne des désirs bien saints pour votre âme. Mais hélas ! Je n'ai que des désirs, Jésus-Christ a en soi les effets et c'est lui seul qui vous peut sanctifier.

n° 1562

DISPOSITIONS DANS LESQUELLES ON DOIT ETRE POUR LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST

Ma très chère fille. Ne pouvant dormir à cause du redoublement de ma toux, vous voulez bien que je passe un quart d'heure de temps en esprit avec vous pour vous dire quelque petite pensée sur les dispositions où votre âme doit être pour recevoir en elle Jésus naissant.

Si je me réfléchissais, je garderais un profond silence sur un mystère si adorable et profond qui comprend les anéantissements d'un Dieu revêtu de notre chair et l'excès d'amour que le Père éternel nous porte de nous donner son Fils.

Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son propre Fils/291.

Hélas ! je confesse mon indignité et mes ignorances ! Aussi ne prétends-je pas vous parler de l'excellence et de la sainteté de ce mystère. Je suppose que vous ne l'ignorez pas et que vos prédicateurs vous ouvriront ces divins trésors cachés et

291. Jn 3, 16.

280

renfermés dans un Dieu-enfant. Disons seulement en simplicité la disposition que vous devez avoir pour n'empêcher point en vous les effets de la divine naissance.

La première est un vide des créatures en vous-même. « Il n'y a point de lieu en l'hôtellerie »/292, en saint Luc, pour loger Jésus. Les créatures avaient tout occupé les places ; et les intérêts de notre amour-propre ont été préférés à la réception de Jésus et de sa sainte Mère dans la petite ville de Bethléem. Si vous désirez, mon enfant, que Jésus vienne naître en vous, faites-lui place dans votre coeur. Videz-le de toutes les créatures et vos propres intérêts. L'étable de Bethléem se trouva désoccupée et Dieu y logea comme dans son palais et y fit son entrée au monde.

La seconde disposition c'est la foi. Jésus naît au milieu de la nuit, dans les ténèbres, sans autre lumière que celle de sa divinité. Dégagez-vous de vos sens et demeurez en foi si vous voulez recevoir la grâce de ce mystère. Il faut être en ténèbres au regard de vos sens et de votre propre esprit si vous voulez recevoir la lumière divine, et Jésus naîtra spirituellement en vous.

La troisième c'est le silence. Jésus fait son entrée au monde dans un temps de paix, à une heure qui tient toutes les créatures en silence pour nous apprendre qu'il est le roi de paix, qu'il aime le silence et que c'est dans le calme de toutes nos passions, de nos sens et de nos puissances qu'il fait ses profondes communications à l'âme, que c'est dans le recueillement et dans la solitude intérieure où il fait entendre sa divine voix. O qu'heureuse est l'âme qui ordonne si bien toutes choses en elle, que son adorable Seigneur y fait le lieu de sa naissance.

Or il y a trois sortes de silence que nous devons tâcher selon notre capacité de pratiquer.

1. Le silence de nos passions qui se fait par une fidèle et actuelle abnégation de nous-même, en sorte que nos passions étant mortifiées elles ne font plus de bruit.

2. Le silence de nos sens qui voudraient toujours voir et sentir ce qui se passe, ils font du bruit et troublent le repos d'une âme qui doit être en profonde attention vers Dieu. C'est pourquoi il les faut tenir en silence sans les écouter ni nous ranger de leur parti.

292. Lc 2, 7.

281

Le troisième silence est [celui] des puissances de notre âme, qui doivent être anéanties. Votre entendement doit être en silence, ne lui permettant pas tant de raisonnements superflus ni tant de productions inutiles qui ne procèdent que d'une recherche de vous-même. Il doit demeurer en silence, regardant Dieu avec respect. La mémoire doit être en silence, ne recevant volontairement aucune image ni souvenir des créatures, demeurant simplifiée en la présence de Dieu. Et la volonté doit être en silence, sans désir, sans inclination, sans ardeur, sans contrainte, sans affection et sans aucune attache qu'à Dieu seul.

En un mot la meilleure et la plus sainte disposition et celle pour laquelle mon âme a plus d'attrait, c'est la profonde mort en nous-mêmes, que nous appelons le véritable anéantissement. C'est cette sainte disposition qui a tiré le Verbe du sein de son divin Père pour le faire incarner dans le coeur virginal de Marie. Dieu a regardé l'humilité de sa servante/293. Dieu a regardé les bassesses et le néant dans lequel la très Sainte Vierge était plongée. Rien n'est plus capable d'attirer Dieu en nous que de nous anéantir au-dessous de toutes choses. Une âme dans son néant est ravissante aux yeux de Dieu, et l'on peut dire qu'il est tellement épris d'amour pour elle qu'il s'oublie de sa grandeur, s'abaissant en elle, l'élève jusqu'à Dieu.

Oh ! qu'il faut bien que l'orgueil soit un abîme d'une effroyable malice, de nous aveugler à ce point de ne pouvoir discerner la beauté et la sainteté de l'anéantissement. Jusqu'à quand serons-nous environnés de ténèbres, pour ne point voir que notre bonheur et notre félicité consistent à n'être rien en nous ni dans les créatures ?

Jésus vient naître au monde dans une pauvreté suprême de toutes les créatures, pour nous apprendre combien nous en devons être séparées, si nous voulons avoir l'honneur de le voir naître et régner en nous.

Dieu et les créatures sont incompatibles dans un coeur. Les créatures veulent partager la royauté avec Dieu, et Dieu veut régner seul dans l'âme, et la posséder de son amour. Est-il pas juste que Jésus-Christ soit le Maître ? Lui pourriez-vous bien faire cet affront de lui refuser votre coeur pour le donner aux créatures ? Il demande d'y faire son entrée et d'en prendre derechef possession. Rendez-vous avec humilité et respect à la grâce de sa naissance. Soyez dans une disposition de vide, de silence, de foi et d'anéantissement. Il faut que tout soit détruit et anéanti, afin que Dieu seul soit.

Soyez donc, ô adorable Jésus, soyez naissant, vivant et régnant parfaitement en nous. Que tout ce qui vous y est contraire soit consommé par la puissance de votre divin amour. Que nous vous connaissions pour ce que vous êtes et que nous soyons les victimes de votre bon plaisir, sacrifiées par hommage à votre divine enfance.

Oh ! mon enfant, pouvez-vous penser à la sainteté du mystère d'un Dieu anéanti sans être touchée d'amour et de respect ?

Oh ! mon divin Maître, que votre grandeur est abaissée et que notre bassesse est relevée ! C'est en ce mystère adorable que vous faites un Dieu homme et un homme Dieu. Opérez en nous l'abîme de vos merveilles et nous rendez dignes de la grâce que vous nous voulez communiquer.

N° 2238

293. Lc 1, 48.

DE LA PAIX QUE LES ANGES ANNONCERENT AUX PASTEURS

Puisque la Providence ne me laisse point de nécessité de dormir, je désire employer ce petit moment pour vous annoncer la paix avec les Anges qui l'annoncent aux pasteurs.

Gloire soit à Dieu Très Haut, et en terre aux hommes de bonne volonté/294.

Paix, mon enfant, dans votre âme, paix dans votre mémoire, paix dans votre entendement, paix dans votre volonté, paix avec Dieu, paix avec les créatures, paix avec vous-même. Paix, paix, paix au ciel et en la terre. Paix dans le centre de votre coeur. C'est ce que l'Enfant Jésus nous donne par sa naissance. Il nous réconcilie avec son Père et nous remet en puissance pour triompher de nos ennemis et jouir de la paix au milieu de la guerre.

294. Lc 1, 14.

Comment avez-vous avez-vous passé cette sainte nuit, mon enfant ? Avez-vous eu l'honneur de trouver la Mère et l'Enfant ? Vous y êtes-vous trouvée en ténèbres, en silence et dans le vide des créatures et de vous-même ? Avez-vous adoré les anéantissements adorables et incompréhensibles d'un Dieu-Enfant ?

O que d'amour, ô que de grâce, ô que de sainteté ce mystère produit ! Mais il faut que ce soit dans une âme de foi, une âme séparée. Adorez avec une haute estime les bassesses de Jésus-Enfant, les impuissances de ce Dieu fort, dont l'Ecriture Sainte, en Isaïe, fait mention, qui doit régner d'un règne qui n'aura point de fin/295.

Voyons un peu en quelle manière ce Prince de paix vient établir son règne, étaler sa puissance sur toutes les âmes et tenir les Etats de sa souveraineté. Il naît dans une étable, dans la pauvreté suprême de toutes choses, pour nous apprendre que le plus puissant moyen d'établir en nous une profonde paix, qui est le trône de ce roi pacifique, c'est la pauvreté véritable de toutes choses : pauvreté des grandeurs, pauvreté des honneurs, pauvreté des plaisirs, pauvreté des biens de la terre, pauvreté des consolations, pauvreté de l'affection/296 des créatures, pauvreté de désirs, pauvreté d'inclination, pauvreté dans nos sens, pauvreté de pensées, pauvreté de volonté, en un mot pauvreté de toutes choses. Car une âme dépouillée et dénuée de tout est en parfaite et profonde paix, et rien au ciel ni en la terre ne lui peut ravir cette précieuse paix. Elle jouit de Dieu qui se repose en elle comme en son lit de délices, et l'enfer avec touté sa furie ne la saurait troubler.

O secret trop peu connu et très mal pratiqué ! De combien nous privons-nous de grâces et de bénédictions divines pour être trop remplies de ces malheureuses possessions qui n'enrichissent l'âme que d'impureté et de corruption étrange.

Notre adorable Roi établit sa puissance dans les opprobres, dans les croix. C'est là qu'il est magnifique et c'est ce qui le rend aujourd'hui comme un objet d'étonnement à nos esprits.

Un Dieu se fait enfant et se réduit dans les infirmités de notre chair. Il a porté nos langueurs et s'est chargé de nos dou

295. Is 9, 1-6, 1ere lecture de l'office de la nuit de Noël.

296. Le manuscrit dit : affliction, peut être faut-il le comprendre au sens de compassion. Les manuscrits parallèles ont lu : affection.

leurs/297, dit le prophète. Il est puissant dans nos faiblesses et il commence à régner dans l'anéantissement.

Oh, qu'il y a de prodiges renfermés dans un Dieu Enfant ! Il vient régner dans votre coeur d'une manière qui ne se comprend point. Il s'anéantit pour captiver les âmes et il fait en nous et pour nous ce que nous devrions faire si le péché ne nous avait détruit la grâce de l'accomplir. Il vient réparer la gloire de son Père et triompher de nos rébellions, mais par une voie bien contraire aux sens et à l'esprit humain. Il fait tout le contraire de ce que nous faisons actuellement.

Nous vivons pour nous-mêmes, et il vit pour la gloire de son Père et vit de sa vie divine. Nos tendances actuelles sont des élévations de nous-mêmes dans nous et dans les créatures ; une démangeaison effroyable d'être dans l'estime et l'affection des créatures, dans l'applaudissement, dans l'honneur et dans l'approbation. Jésus vient être l'opprobre des hommes et le rebut du peuple, se comparant à un ver/298.

O, mon enfant, notre vanité et notre ambition pourront-elles encore avoir place dans nos coeurs ? Quoi, la criminelle sera élevée dans un trône de gloire et de majesté, s'idolâtrant soi-même et se faisant idolâtrer des créatures, et la divinité revêtue de notre chair est dans le mépris sur un peu de foin ! Nous ne serons pas touchées de voir notre Juge tenir le lieu de criminel, commençant à faire pénitence de nos malices et de nos impuretés. Hélas ! que nous sommes insensibles au regard de Dieu ! Un père, une mère, un enfant nous touchent, et Jésus-Christ vrai Dieu anéanti ne nous touche point. Humilions-nous de voir que la chair et le sang l'emportent.

Je vous avoue que je suis un peu pénétrée du peu d'amour et de respect que nous avons pour Jésus, de l'ignorance dans laquelle nous vivons. Vous voulez bien que je me soulage en vous découvrant ma peine. Hier dans votre lettre vous me dîtes que je suis toute votre consolation et que vous versez vos pensées et vos afflictions dans mon âme. Permettez-moi d'user en votre endroit de la même liberté, non que j'en veuille faire un usage actuel299, j'y craindrais la satisfaction et l'amour-propre. mais quand ma faiblesse m'emporte à me plaindre du sujet de ma douleur, supportez-moi en patience. mais toujours avec la fidélité que vous m'avez promise de me dire ingénuement ce qui

297. Is 53, 4.

298. Ps 21, 7.

299. Usage actuel : dans la langue de Mère Mectilde veut dire : pratique frequente.

285

vous y peut peiner ou donner du rebut. Il y a longtemps que vous ne m'avez point réjouie et consolée par votre sincérité et franchise sur ce sujet ; pensez-y quelquefois quand vous serez débarrassée.

Au reste, je vous ai portée non seulement dans le Palais Royal de Bethléem, mais dans le coeur adorable de Jésus, et vous êtes et avez été si présente et pressante dans mon esprit que je crois oser dire qu'actuellement je vous dévoue à Dieu et vous y sacrifie. Je suis contrainte intérieurement de prier pour vous sans relâche, en veillant et dormant, et en négociant nos petites affaires. Il y a la principale partie de mon âme qui vous offre à Dieu et m'est impossible de m'en dédire ni pouvoir distraire, jamais je ne me suis trouvée au regard d'aucune âme de cette sorte. Je ne puis vous ôter ni reculer, vous êtes si ferme dans votre place qu'il me semble que mes bras n'ont pas assez de force pour vous en arracher. J'en ai voulu faire l'épreuve cette nuit en quelque rencontre, mais en vain : il faut vous y souffrir autant de temps que l'ordre de Dieu vous y tiendra et m'anéantir sur tout cela.

Ne vous peinez point pour m'écrire, vous ne le pouvez pas aujourd'hui. Ne vous empressez de rien. Laissez-vous doucement et paisiblement à Dieu. J'espère qu'il bénira vos croix et qu'elles ne seront pas si lourdes qu'on se l'imagine. Ayez une entière confiance en Dieu et attendez en paix les événements de sa Providence et les grâces qu'il vous veut donner pour vous rendre toute à lui.

Bon jour, mon enfant, je vous laisse aux pieds de Jésus-Enfant. Priez-le qu'il m'anéantisse et que je commence aujourd'hui à vivre d'une vie de mort, sans plus de retour ni de réserve. Pour que Dieu règne en nous, il faut que tout ce qui est de nous et des créatures soit anéanti. Ce sont les souhaits d'un coeur qui en Jésus est plus à vous qu'à lui-même. Adieu.

n° 2540

SUR LE MYSTERE DE LA RESURRECTION

Du Vendredi saint au soir

Mon enfant, communiez demain si vous le pouvez et que Jésus mort entre en vous comme dans son sépulcre. Donnez-lui le pouvoir de vous remplir de la sainteté de sa mort et désirez d'avoir part à la grâce de sa Résurrection. Puisque comme membre de son corps vous avez été crucifiée avec lui, il faut ressusciter avec lui/307. Ce sont les paroles de l'Apôtre.

Il (y) faut commencer une nouvelle vie, une vie qui ne soit plus de la terre, une vie qui soit toute séparée des sens, toute purifiée et élevée à Dieu.

Saint Paul dit : « Si nous sommes ressuscités, cherchons les choses d'en haut »/308. Une âme ressuscitée ne saurait plus prendre de plaisir aux choses de la terre. Les créatures lui sont croix et tout ce que le monde a de plus délicieux lui est un enfer.

Voulez-vous savoir si vous êtes ressuscitée mystiquement ? Voyez si vous en portez les marques et si votre âme est revêtue des douaires/309 des bienheureux, et dont l'humanité de notre divin Seigneur a été revêtue au moment de sa résurrection.

1. Elle a été rendue impassible, car : « Jésus ressuscitant des morts ne meurt plus »/310, dit l'Apôtre, et ensuite il ne peut

306. Répons de la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, 14 septembre. Ce Répons se disait aussi à la fête de l'Invention de la Sainte Croix célébrée autrefois le 3 mai.

307. Rm 6, 5. 308. Col 3, 1.

309. Héritage. 310. Rm 6, 9.

295

plus souffrir. Qualité que vous devez spirituellement imiter par une forte résolution faite par sa grâce de ne mourir jamais plus par le péché, de n'adhérer plus à vos passions, à vos sens ni à la tentation.

2. Il a reçu l'agilité, par laquelle il se pouvait transporter en un moment d'un lieu en un autre éloigné. Et vous devez être agile spirituellement par une prompte obéissance et correspondance à tous les mouvements de la grâce, disant avec Samuel : « Parlez Seigneur car votre serviteur vous écoute »/311.

3. Il a reçu la subtilité par laquelle il pénétrait les choses matérielles, comme lorsqu'il s'est levé du sépulcre sans lever la pierre. Et vous devez être spirituellement subtile à vous séparer et éloigner de toute adhérence à vos volontés, à votre propre esprit, aux choses basses et périssables ou à tout ce qui n'est pas Dieu, ou qui ne tend pas à lui, passant tellement par les choses temporelles que vous soyez toujours aspirante les éternelles, disant avec David : « Qu'ai-je dans le ciel, et qu'ai-je voulu sur la terre, sinon vous, mon Dieu »/312.

4. Le quatrième douaire du corps glorieux de Jésus, c'est qu'il a été revêtu de clarté et de splendeur qui eût obscurci celle du soleil. Mais elle n'a pas été visible aux yeux encore mortels des Apôtres, soit par la condition de cette lumière de gloire, soit par le dessein de Jésus, afin qu'il pût encore converser et traiter avec èux. Vous devez être claire et resplendissante spirituellement par la pure intention à Dieu, qui est l'oeil de notre âme, selon la parole de Notre Seigneur qui dit : « Si ton oeil est simple tout ton corps sera lumineux »/313, qui nous fait regarder Dieu purement en toutes nos actions. C'est aussi la lumière de la foi vive et de l'oraison, par laquelle Dieu éclaire nos ténèbres et nous découvre ses divins conseils et nous inspire ses voies.

Je ne pensais pas, mon enfant, vous dire ces choses. Je m'étais réservée à vous les dire de vive voix sans vous l'écrire. J'aurais beaucoup d'autres pensées sur la cérémonie que l'Eglise fait aujourd'hui ; mais je craindrais de trop multiplier votre esprit. C'est pourquoi je me contenterai de vous dire que vous portiez un grand respect à tout ce que l'Eglise fait, et vous abandonnez à l'Esprit de Jésus qui la dirige et qui la conduit,

311. 1 S 3, 9-10. 312. Ps 72, 25. 313. Mt 6, 22.

désirant que la grâce de toutes ces cérémonies et les saints mystères qu'elles représentent soient infus dans votre âme et qu'elle soit revêtue de leurs saints effets.

Enfin voici un jour tout nouveau Jésus-Christ fait toutes choses nouvelles. Priez-le humblement qu'il renouvelle toutes choses en vous et que vous commenciez à vivre d'une nouvelle vie.

n° 279

TOUCHANT LE GENERAL DE VOS ECRITS, VOICI CE QUE NOTRE SEIGNEUR NOUS EN A FAIT CONNAITRE

1. Il y a moins de réel que de lustre.

2. C'est tout esprit et point de coeur.

3. Le plus grand empêchement que vous aurez jamais en la vie spirituelle, c'est la bonté/314 de votre esprit.

4. Le trop de lumière humaine vous aveugle, et il faut que l'aveuglement vous illumine, d'autant que vous êtes du nombre de ceux dont parle Jésus-Christ en l'évangile de saint Jean qui sont aveugles parce qu'ils s'imaginent avoir de bons yeux. Mais pour bien voir, il les faut crever/313.

5. L'inégalité intérieure qui paraît continuelle en vos écrits est une marque de la vocation de Dieu et de votre infidélité. Vous n'avez pas besoin d'aller chercher hors de vous des matières de pénitence ; car il y a longtemps que vous en donnez à Dieu par vos fuites et résistances, lequel est aussi lassé d'attendre que vous de fuir.

6. Vous avez grand sujet de dire que votre esprit va trop vite, car en effet il prévient celui de Dieu et veut faire ce qu'il devrait souffrir.

7. Touchant l'oraison, vous n'y réussirez jamais si vous continuez à faire comme vous avez fait, par un trop grand désir de bien faire. Car votre oraison n'a été que l'étude d'un esprit

314. La bonté au sens de : vivacité ou curiosité.

315. Jn 9, 39-41.

297

amoureux des belles vérités et qui cherche de se perfectionner par la connaissance de ce qu'il y a d'éminent en notre religion, comme je le remarque plus particulièrement en l'article 27 de l'écrit.

8. Et pour y réussir vous ne vous êtes point contentée de votre industrie, vous avez employé et recherché l'aide des autres ; lequel, ou pour ne vous l'avoir pas assez bien pénétrée/316, ou pour avoir suivi l'erreur commune qui est de faire un métier de la dévotion, vous ont fait perdre beaucoup de temps et c'est ce que je regrette, d'autant que Dieu vous a donné grande capacité au vrai bien.

Il est absolument nécessaire de laisser un peu plus faire à Dieu en vous et de vous mettre en état de le suivre.

9. Apprenez à déférer à la direction du Saint-Esprit, à l'attendre et à travailler par soumission à la grâce qu'il vous a donnée. Car le positif et ce qui sert comme d'établissement à l'esprit du christianisme, c'est de demeurer avec Jésus-Christ sous la maîtrise de l'Esprit de Dieu, attendant qu'il parle pour agir et cessant dès lors qu'il ne nous applique plus : « Spiritus Domini super me »/317.

Je vous supplie de faire un peu d'application à ce que dessus, en forme d'un petit examen, et vous verrez ce que l'Esprit de Dieu vous en fera connaître.

10. Pour ce qui regarde la présence de Dieu, vous ne l'avez pas pris comme il faut. Car outre que c'est un don de Dieu que l'on reçoit bien plutôt dans l'oraison, qu'on ne l'acquiert par étude, au lieu de vous mettre dans un état que Dieu vienne à vous, vous voulez aller à lui par où il vous plàît et prenez la liberté de choisir votre voie, n'ayant point jusques ici entré dans la dépendance que vous devez avoir à la conduite que Dieu veut établir en vous.

n° 2804

316. Pénétrée : expliquée.

317. Lc 4, 18 et Is 61, 1.

298

INSTRUCTIONS IMPORTANTES

Ma très chère fille en Jésus-Christ, je le prie me rendre digne de vous dire sa sainte volonté et de vous faire connaître et remarquer plus particulièrement les vérités que je vous ai déjà exprimées touchant l'état général de votre vie. Je vous les réitère par écrit pour vous réveiller par la lecture d'icelles et exciter à une nouvelle fidélité ; et vous serez d'autant plus coupable au jugement de Dieu que vous aurez négligé de les observer.

I. La plus grande défiance que vous devez avoir est de votre propre esprit, soit pour ses propres recherches, soit pour les appuis qu'il tâche de trouver en lui-même ; mais surtout pour sa très maligne vanité et présomption d'esprit. Je vous ai déjà dit que vous devez vous défier généralement de tout ce que votre esprit produit ; ne faire jamais de fonds sur vos lumières. Bref vous devez tendre au dégagement total de vous-même, vous appuyant toujours sur la lumière de Dieu par une foi simple et dénuée d'appuis et de sens.

II. Un des plus grands retardements de votre âme dans la voie en laquelle Dieu vous fait l'honneur et la grâce de vous appeler, c'est que vous ne vous abandonnez pas assez à la conduite de Dieu, à sa grâce et à sa puissance. La confiance que vous avez en lui n'est pas entière dans le fond de votre esprit. Vous ne vous dénuez [dépouillez] pas assez de vos forces et industries naturelles. Vous ne vous perdez point dans le total abandon que vous devez avoir à Dieu. Et ce manquement vient d'une secrète estime de vous-même qui vous fait réfléchir par amour-propre sur vos dispositions ; et de tout ce que vous trouvez en vous qui a quelque apparence de bien, vous en faites appui et c'est votre mal; d'autant que vous vous revêtez de vous-même, conservant un je-ne-sais quoi qui vous donne vie dans vos propres opérations et dans vos dispositions. Et pour vous retirer de ce malheur qui ne vous est pas encore bien connu et qui vous retardera infiniment d'arriver à la voie ou état pur où vous êtes appelée :

299

Ne faites aucune estime de tout ce que vous ressentez en vous, soit lumière, soit bonne volonté, soit bonnes oeuvres, soit bons sentiments, ferveurs et résolutions, etc. Elevez-vous à Dieu au-dessus de toutes ces choses. Ne vous attachez point aux dons que la divine miséricorde vous fait ; mais servez-vous en pour vous élever à Dieu et vous unir à son amour. Ce ne sont point les goûts ni les faveurs que vous devez chercher, parce qu'ils ne sont pas notre fin, mais seulement des moyens pour nous faciliter le chemin qui nous y doit conduire. Désappropriez-vous de tout afin que vous soyez remplie de Dieu seul.

III. N'ayez jamais aucune attache d'affection aux créatures pour bonnes et saintes qu'elles vous paraissent, d'autant qu'une lame d'or posée devant vos yeux n'empêche pas moins la vue du soleil qu'une lame de plomb. Il faut donc vous garder de cette trop grande imperfection qui se rencontre dans la plupart des spirituels et qui bien souvent ruine leur perfection.

Souvenez-vous de ce que je vous ai dit tant de fois : Dieu est jaloux de votre coeur, il veut le posséder entièrement. Il ne faut point qu'il soit divisé. Votre amour est pour lui seul. Il ne saurait souffrir de rival. Il faut que vous soyez toute à lui ou toute aux malheureuses et abominables créatures. « Personne, dit Jésus-Christ, ne peut servir à deux maîtres »/318. Vous ne pouvez être toute à Dieu et vivre dans les créatures et dans vous-même. Il en faut nécessairement sortir. Vous n'y pouvez demeurer sans vous souiller, en vous recherchant, en vous produisant et en vous établissant dans les créatures, les attirant en vous et vous introduisant en elles. Et tout ce malheureux négoce ne produit que corruption. Il vous remplit de ténèbres, d'empressements, d'inquiétudes, de désirs, bref de mille distractions et vous y consommez beaucoup de temps en des superfluités, niaiseries et inutilités étranges.

Vous en avez l'expérience aux dépens de votre propre perfection. Oh ! combien y avez-vous perdu de moments ! Il n'en faut qu'un pour mériter l'éternité et cependant vous en avez fait un usage si profane, l'employant si indignement dans les créatures ! Souvenez-vous qu'il coûte le sang d'un Dieu et que vous n'en pouvez faire d'usage que pour les intérêts de sa gloire. Autrement, vous vous rendez criminelle, faisant un larcin de ce sang adorable. Travaillez à vous dégager continuelle-

318. Lc 16, 13 ; Mt 6, 24.

300

ment. Ne désistez jamais de tendre à Dieu et voyez combien nous en sommes retardées par nos amusements.

Si je vous défends, mon enfant, si expressément, l'attache aux créatures, même qui ont réputation de sainteté, de peur de vous détourner tant soit peu de Dieu qui veut être unique dans votre coeur, jugez combien je vous interdis et condamne en vous toutes les autres affections qui seraient moins pures. Si je ne puis souffrir en vous l'attache à une bonne âme, à plus forte raison vous dois-je commander de vous garder de toutes les autres, conservant votre coeur pour Dieu seul.

Faites souvent réflexion sur le retardement de votre âme et sur le malheureux état où elle se précipiterait si elle s'engageait derechef dans ses attaches d'affection. Est-ce pas un affront épouvantable que vous faites à Dieu de loger la créature impure dans son trône ? C'est ce que vous faites lorsque vous attirez en vous les créatures et que vous les aimez, vous les préférez à Dieu, vous en faites votre idole. Hélas ! combien de fois une bagatelle, un rien a occupé votre esprit et avez-vous une infinité de fois quitté Dieu pour vous appliquer suivant l'inclination de votre esprit, sans respect de Dieu présent. Oh ! que la patience divine est adorable de nous souffrir dans les déshonneurs que nous rendons actuellement à Jésus-Christ.

IV. Le quatrième avis que je vous donne et qui doit être reçu de vous comme un commandement qui vous est fait par Jésus-Christ, c'est de ne jamais faire estime des louanges, des applaudissements des créatures. Souvenez-vous des paroles de l'Ecriture Sainte : « Omnis homo mendax »/319. Tous hommes sont menteurs, Dieu seul est véritable. « Je suis la vérité »/320, dit Jésus.

Tout ce que les créatures disent procède de la créature et la créature n'étant que mensonge et vanité, il faut être dans un étrange aveuglement pour prendre complaisance en leurs discours et à l'estime qu'elles témoignent faire de nous. C'est vivre dans les ténèbres et dans l'ignorance d'y prendre tant soit peu de satisfaction. Et quel moyen de vous nourrir de vent ? De vous appuyer sur une louange qui n'a point d'autre source que l'aveuglement et que l'ignorance ? Pouvez-vous faire appui sur un sentiment humain ? Ne savez-vous pas cette vérité que je vous viens de proposer : « Tous hommes sont menteurs ». Si vous le croyez comme la foi vous y oblige. pourquoi estimez-

319. Ps 115. 11. 320. Jn 14. 6.

301

vous tant leurs vaines louanges ? Il faut être bien aveugle pour s'en contenter et pour y prendre plaisir. C'est vivre dans le mensonge que de vous remplir de cette vanité. Les créatures pour l'ordinaire approuvent ce que Dieu condamne. Elles ne parlent que par leurs sens et par la très impure lumière de leur propre esprit ; et tout celà n'est pas dans la lumière de Dieu. Pour moi je ne comprends point comme nous ne tremblons pas d'horreur lorsqu'on parle à nos louanges, qu'on nous applaudit.

Nous ne savons qui est digne d'amour ou de haine. Cette créature vous exalte et Dieu qui est la Vérité, Sainteté et Sagesse éternelle, qui ne se peut tromper, vous condamne. Et peut-être que cette créature en qui vous prenez votre complaisance pour ses flatteries et sifflements de serpent sera éternellement dans les flammes. Quelle tromperie ! quel aveuglement !

Mais après tout, quelle utilité trouvez-vous dans les louanges mensongères des créatures ? Vous rendent-elles plus pure, plus sainte, plus fidèle, plus anéantie ? Bref, vous unissent-elles à Dieu? Hélas, tant s'en faut ! elles vous en séparent pour vous appliquer à cette créature qui vous revêt de son impureté, qui ne se contente pas d'être souillée en elle-même : elle vous jette son venin et tend à vous donner la mort. Voilà ce que fait l'orgueil et la vanité en nous. Elle ne ruine pas seulement la sainteté de nos intérieurs, mais elle a une malheureuse tendance à la ruiner encore en autrui. Voyez l'épouvantable malignité.

C'est assez sur ce point, je vois que j'en dis trop et que je ne m'en puis retirer, me trouvant touchée sensiblement de l'aveuglement d'une infinité d'âmes et particulièrement de la vôtre qui s'est nourrie et substantée si longtemps de cette horrible corruption. Notre Seigneur vous a fait une très grande miséricorde de vous faire ressentir votre malheur ; mais ce n'est pas assez, il vous en faut absolument garantir. Il ne faut plus retourner dans son vomissement. Souvenez-vous que cette maligne complaisance et vanité détruit entièrement la sainteté. Elle vous retire du bienheureux état d'anéantissement où la grâce vous conduit et où vous devez une fidèle correspondance ; et comme c'est votre faible, votre pente et votre inclination, soyez sur vos gardes.

1. Ne vous produisez jamais sans nécessité de charité ou par un ordre très particulier de Dieu.

2. Ne donnez jamais sujet d'être louée volontairement et à dessein.

302

3. Si les créatures vous approuvent et vous exaltent, tremblez dans l'incertitude d'être désapprouvée de Dieu, et vous souvenez que les créatures ne voient en vos actions que l'extérieur et Dieu en pénètre le fond. « L'homme voit la face, mais Dieu voit le coeur »/321, dit l'Ecriture Sainte.

4. Retirez-vous aux pieds de Notre Seigneur, adorant en silence, humilité et respect, les sentiments qu'il a de vous. Vous élevant doucement vers Dieu en cette manière, vous vous séparerez de la créature qui tend à vous souiller par ses vaines louanges et par ses impuretés.

5. Ne dites jamais rien qui puisse tourner à votre louange et votre gloire, du moins directement.

6. Ne découvrez jamais les grâces que Notre Seigneur vous fait, à personne, si ce n'est à ceux qui ont reçu de Dieu la direction de votre âme ou que vous y soyez portée et incitée par un motif de la pure gloire de Dieu bien manifeste ; d'autant que la pente que vous avez à vous élever et estimer en vous-même et en autrui vous en fournira quelquefois des occasions très bonnes en apparence. Mais vivez anéantie, vous défiant de tout, Contentez-vous que Dieu vous voit et vous connaît. Renoncez aux créatures, n'en espérez ni prétendez plus rien, puisque vous êtes et devez être sans aucune réserve, toute à Jésus-Christ.

V. Soyez fort circonspecte et réservée à communiquer et découvrir votre état. Gardez-vous bien de le confier indifféremment à toutes sortes de personnes qui ont puissance et juridiction. Si vous n'êtes pas fidèle en ce point, vous brouillerez votre âme et la remplirez d'une multitude de choses qui vous jetteront dans les ténèbres, dans les troubles et dans les tentations.

Contentez-vous des directeurs que Dieu vous donnera, soyez-leur très fidèle et les écoutez comme Jésus-Christ, et leur obéissez de même. Et si la Providence vous privait de celui que vous avez présentement, qui est rempli de grâce, de doctrine, de prudence et de lumière, n'en choisissez point par votre propre mouvement : vous le devez demander à Dieu avec ferveur, afin qu'il vous donne un guide qui vous conduise selon son Esprit. C'est un grand trésor qu'un bon directeur qui soit désintéressé et qui soit rempli de Jésus. Je vous avoue qu'ils sont bien rares. Plusieurs se mêlent de direction, mais je ne sais s'ils en ont tous la grâce. Quoi qu'il en soit, faites usage des conseils qu'on vous

321. 1 S 16, 7.

303

donne et vous souvenez qu'on a que trop d'expérience du malheur qui arrive à une âme quand elle tombe sous la conduite d'un directeur qui n'est pas revêtu des intérêts de Jésus-Christ.

Votre âme étant faible et remplie de l'impureté des créatures comme elle est présentement, elle a besoin d'une bonne conduite qui la tire d'elle-même, des créatures et de ses sens. Et je prie Notre Seigneur que sa grâce vous subvienne en ce point très important. Votre besoin est très grand, d'autant qu'il n'y a encore rien en vous de solide. Vous commencez bien à connaître les vérités de Jésus-Christ et de son saint Evangile, mais vous n'êtes point établie dans la perfection qu'elles vous proposent, voire vous n'en êtes pas encore pleinement convaincue. Et c'est ce qui me fait douleur de vous voir sans conduite — si vous y étiez à l'avenir — bien que j'espère que Dieu ne vous manquera ; mais je doute de votre fidélité à persévérer, vous trouvant d'un côté sans appui et d'autre part tout environnée, car les créatures vous persécuteront et au-dedan's et au-dehors. Soyez inébranlable. Dieu est plus que tout ce que les créatures, le monde et la vanité vous peuvent présenter. Souffrez leurs persécutions et leur tyrannie pour Jésus-Christ, et il sera votre force pour les surmonter.

Ne confiez donc jamais votre état qu'aux âmes bien éclairées et bien remplies de l'Esprit de Dieu et qui aient expérience des différents états par où Dieu conduit les âmes, surtout qu'elles aient la grâce et l'esprit d'oraison. Tâchez que ces âmes soient plutôt dans la vraie et solide piété que dans la seule doctrine. L'Esprit de Dieu en fait plus dans un moment, comme vous savez, que toute la science humaine en quantité d'années. Soyez sincère et candide quand vous conférez de vos dispositions intérieures, mais n'envisagez jamais la créature, ains le seul Jésus-Christ qui vous apprend ses divines volontés par cette voie de soumission et direction qu'il a établie dans son Eglise.

VI. Je vous recommande très instamment la fidélité que vous devez à Jésus-Christ dans l'état où sa grâce vous appelle. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit tant de fois. « Cheminez pendant que la lumière vous éclaire »/322, dit Jésus-Christ. Ne négligez point les miséricordes que Dieu vous présente, de peur que vous ne les perdiez pour jamais. Je ne vois point de chemin

322. Jn 12. 35.

pour votre âme que celui que Jésus-Christ vous apprend depuis quelques jours ; et si vous en désistez, je vois un malheureux naufrage qui vous environne et lequel vous n'éviterez pas, si vous n'êtes fidèle. Vous en savez les raisons qui sont en vous-même :

1. Les faiblesses naturelles de votre esprit.

2. L'inconstance qui vous a accompagnée en tous vos états passés, mais si grande qu'elle ne vous a pas permis de vous établir jusqu'ici dans aucune voie solide. Avez-vous jamais fait autre chose que de changer ? Que de vouloir tantôt une chose et puis une autre ? Avez-vous donné lieu un moment à l'Esprit de Dieu de vous diriger ? Hélas ! jamais Jésus-Christ n'a régné comme Roi dans votre coeur. Vous l'avez tenu comme un esclave qui n'avait point de puissance ni d'autorité dans son domicile ; et lorsqu'il voulait user de ses droits, votre propre esprit et les créatures y étaient opposés. Oh ! mon enfant, que de sujets d'humiliation en vous, si votre âme en était un peu plus pénétrée !

3. Une insensibilité que l'inconstance de votre esprit attire en vous, laquelle rend les choses de Dieu insipides, vous en dégoûte facilement et vous jette dans une certaine lâcheté et paresse intérieure qui n'a plus de goût au service de Dieu. Cette misère provient du peu d'estime et de respect que vous avez pour Dieu et le mauvais fondement de votre âme dans la voie intérieure. Et si vous voulez fouiller dans votre fond sans vous flatter, vous trouverez qu'il n'y a rien du tout et qu'il n'y a jamais rien eu que vous même et la vanité des créatures, que c'est sur le sable mouvant que vous avez bâti le palais de vous-même. Mais il faut qu'il soit entièrement renversé. Il faut qu'il soit battu en ruine, Dieu y veut placer son trône. Il a droit d'y régner. C'est ce qu'il fait présentement et qu'il fera parfaitement si vous ne lui êtes contraire.

4. Si vous désistez de ce que Dieu demande de vous, vous tomberez dans des misères intérieures, dans le dégoût et dans le découragement ; mais encore dans un malheur plus étrange. Car selon que je connais votre esprit, vous en viendrez à une nonchalance volontaire, et si j'ose proférer ce que je vois, en un mépris des voies de Dieu et des opérations saintes de sa grâce. Hélas ! j'en ai vu de bien plus élevées que vous et bien mieux établies en apparence, tomber épouvantablement. Que devient l'âme quand elle quitte son Dieu ? Son malheur ne se peut exprimer.

« Si vous êtes droit gardez-[vous] de tomber »/323. Or vous ne tomberez point de votre état présent tout d'un coup, mais petit à petit. Aujourd'hui par une négligence, demain par un petit dégoût, après par une liberté que vous donnerez à vos sens et puis par une complaisance, après par une vanité, et ainsi peu à peu votre âme s'émancipera et votre premier malheur viendra de négliger l'attention que vous devez avoir à Dieu présent et aux mouvements de sa grâce en vous.

Votre âme donc, se laissant aller dans ce désordre effroyable, quittant son Dieu, elle demeurera sans force et sans secours, exposée à la puissance des démons qui en feront leur jouet. Et pour vous en relever, il faudrait un très grand miracle. Et je ne sais si Dieu le ferait, après tant de miséricordes qu'il vous a faites. Car pour des moyens ordinaires il n'en faudrait plus parler. Votre âme y serait insensible, car infailliblement elle deviendrait endurcie. Et à moins que d'un miracle je ne vois pas qu'elle s'en retire.

Evitez ce funeste et épouvantable malheur. Tenez-vous très étroitement liée à Dieu. Que l'enfer, les démons et les créatures ne vous en puissent jamais séparer. Faites une haute estime de votre grâce et ne désistez jamais de la tendance actuelle que vous devez à Jésus-Christ. Soyez-lui fidèle.

Or si vous me demandez en quoi consiste la fidélité, je vous dirai qu'elle consiste à se rendre ponctuelle et très soumise aux ordres du bon plaisir de Dieu et aux mouvements de sa grâce ; à plutôt mourir que de transgresser la plus petite de ses ordonnances. Elle consiste à chercher la pure gloire et les intérêts de Dieu en toutes choses. à voir toutes choses en Dieu, soit la peine, soit le repos, soit la paix. soit la guerre. soit le bien, soit le mal, soit la douceur, soit les amertumes.

Tout est en Dieu et dans l'ordre de sa divine Sagesse. Il n'y a point d'accidents en Dieu et dans l'ordre de sa divine Sagesse. Il a prévu de toute éternité vos voies. vos croix et les traverses de votre vie. « Un cheveu de votre tête ne tombe point sans l'ordre et permission du Père »/324, dit Jésus-Christ. Cela étant. comme nous n'en pouvons point douter puisque c'est la Vérité éternelle qui le dit, jugez de la bonté et de la Providence de Dieu sur les moyens de notre sanctification. et combien votre Père céleste vous subviendra si vous vous savez abandonnée toute à lui.

323. 1 Co 10. 12. 324. Mt 10. 29.

1. Conservez un bas sentiment de vous-même devant Dieu et les créatures. Soyez toujours prête de vous voir anéantie sous les pieds de tout le monde, si le bon plaisir de Dieu était de vous y réduire/325.

2. N'estimez rien que Dieu et ne préférez jamais rien à son amour/326.

3. Ne vous préférez jamais à aucune créature pour imparfaite qu'elle vous paraisse/327. Respectez intérieurement ce que Dieu opère secrètement dans le fond des âmes.

4. Ne jugez jamais des actions ni intentions d'autrui/328. Demeurez dans votre néant et laissez à Dieu le jugement de toutes choses.

5. Conservez toujours la présence de Dieu/329. Ne vous en distrayez pas volontairement. Opérez en cette simple vue et aussitôt que vous avez fait ce que sa Providence vous prescrit, rentrez intérieurement en vous-même pour vous occuper de ce regard simple et amoureux de Dieu.

Voilà, mon enfant, ce que je vous puis dire présentement. Je crois que la Providence ne veut pas que je vous en dise davantage. Nous verrons d'ici à quelques jours ce qu'elle aura agréable nous donner pour continuer ce que nous avons encore à vous dire, tant sur les points proposés sur votre mémoire que sur d'autres que je vois encore très nécessaires.

Il me semble que je vous dois donner toutes les précautions qui seront à mon possible pour vous conserver et vous faire, par la grâce de Jésus-Christ, persévérer. Je crains toujours que votre esprit ne se décourage et qu'il ne se dégoûte par infidélité. J'en connais en fond les misères et faiblesses, et c'est ce qui m'en fait douter. Mais si vous suivez les conseils qu'on vous donne, je crois certainement, appuyée sur la vertu de Jésus-Christ, que vous ne désisterez point de tendre à Dieu.

J'ai fait réflexion sur ce que vous me dites dernièrement sur la nécessité que vous aviez de nous parler souvent, d'autant que je détruisais ce que les créatures établissaient en vous. Il y

325. Règle ch. VII, V 49 et 50 et Ps 72, 22-23.

326. Règle ch. IV, V 21 et ch. 72.

327. Règle ch. VII, V 51-54.

328. Règle ch. IV, V 42-44.

329. Règle ch. VII, V 11.

307

a encore d'autres sujets qui me la font connaître nécessaire ; mais surtout pour tenir en bride et en captivité votre esprit qui vous fera de grandes peines s'il s'échappe.

Néanmoins, ce silence où il vous met à présent, selon que votre lettre de ce soir signifie, demande quelque chose. Il faut tâcher de le connaître et s'y rendre fidèle. C'est peut-être une disposition éloignée de quelque séparation. Ne vous en occupez pas. Laissez le tout à la Providence de Dieu et à la conduite de son Saint-Esprit. Hélas ! si j'avais à vous quitter à présent, il me semble que j'aurais une infinité de choses à vous dire, et beaucoup d'autres à vous donner pour le reste de votre vie. Mais je crois que ce ne sera pas encore et que nous pourrons nous voir encore plusieurs fois avant que la Providence en dispose. Ne vous arrêtez point, ne vous affligez point. Quand il faudrait nous séparer, Notre Seigneur vous pourvoira d'une bonne conduite. Il vous tirera d'une main impure pour vous mettre dans une capable d'opérer en vous la sainteté. Toutes choses ont leur temps. Demeurez en paix et priez Dieu pour moi.

Adieu, ma chère fille, à Dieu en Dieu pour l'éternité dans laquelle je vous perds et vous abîme, me retirant dans le centre de mon néant/330. Hélas ! vous m'en avez bien fait sortir ; mais la Providence nous y fera bien rentrer, et nous y conserver l'amour qu'elle nous a donné pour votre âme et l'union que Jésus a faite en nous. Je serai éternellement en lui entièrement vôtre. Adieu.

n° 389

330. N'oublions pas que le « centre de son néant » chez Mère Mectilde est le « lieu de l'humilité parfaite où Dieu même vient lui faire la cour ». R.B. VII. V. 62 à la fin.

REPONSES A QUELQUES PROPOSITIONS

Dans l'état de ténèbres est-il mieux de demeurer dans cette disposition quoi qu'on n'ait rien qui fasse connaître que l'on voit Dieu en foi que de s'en apercevoir ?

Si l'âme est assez généreuse pour se perdre dans Dieu au-dessus des sens, de son esprit et de sa lumière, elle peut persister en la présence de Dieu par une foi nue, et cela est très excellent. Mais pour vous, vous pouvez quelquefois renouveler votre esprit par un acte de foi simple, vous souvenant que vous êtes dans Dieu, environnée et pénétrée de la divinité, où vous le recevez dans votre simple intelligence, où vous le formerez si le mouvement vous en est donné.

Il faut remarquer que dans les ténèbres Dieu a des desseins très particuliers sur l'âme que sa sagesse y fait marcher et qu'elle y doit une fidélité extrême. Il ne faut point dans cet état rechercher de soulagement dans les sens ni dans les créatures. Il faut demeurer très simplement abandonnée et se laisser conduire à l'aveugle. Ne doutez point, vous êtes dans une main sainte et divine, vous n'y pouvez périr. Laissez-vous donc toute sacrifiée, car le sacrifice véritable demande ténèbres aussi bien qu'impuissance et le reste. Il faut que le sacrifice soit entier, car dans l'état de ténèbres l'âme sacrifie à Dieu la lumière de son propre esprit pour recevoir celle de Dieu. Il faut que tout soit purifié et renouvelé en vous ; c'est pourquoi prenez bon courage, et vous laissez aveugler comme il plaira à l'Esprit de Dieu.

Le souvenir secret de Dieu qui est dans le fond de l'âme fait bien voir que l'âme n'en est point séparée. Mais d'autant qu'elle ne le voit ni le goûte, elle ne le croit pas. Il faut que vous vous habituiez à l'usage d'une foi pure et dégagée : c'est votre sentier. Mais je vois que vous y aurez très grande peine, d'autant que votre esprit étant accoutumé à sa lumière et à son raisonnement, cela le troublera souvent avant que d'être établi dans cet état où Dieu vous désire. Mais il faut souffrir les combats et demeurer ferme. Ne craignez rien, la grâce de Jésus-Christ ne vous manquera pas. Plus vous donnerez à Dieu, plus vous recevrez de sa bonté. Sacrifiez-lui votre propre lumière : vous serez remplie de la sienne toute sainte et toute divine.


Comment connaît-on quand on agit par l'esprit de la grâce ou par celui de la nature ? A quoi connaît-on cette différence ?

La grâce dirige notre esprit à la pure gloire de Dieu, et la nature le réfléchit sur les créatures et sur ses intérêts. Pour reconnaître en nous le mouvement de la grâce, il faut être en silence et dans le calme de ses passions. Autrement l'on ne discerne pas l'Esprit de Dieu et au lieu de l'un nous prenons souvent l'autre.

Il faut se défier beaucoup de soi-même en ce discernement. Et pour se tirer du piège de notre nature, il faut conserver votre âme dans une actuelle indifférence à tous emplois, à toutes dispositions et à toutes élections ou inclinations, tenant votre esprit vide de tous désirs, afin que vous soyez en état de recevoir l'impression de l'Esprit de Dieu en vous. Et lorsque vous l'avez reçu, pour opérer il est bon de vous élever simplement à Dieu qui vous est présent pour, par ce simple regard, lui diriger et sacrifier vos actions.

A mesure que vous vous viderez de vous-même, de vos lumières et de l'attache à vos opérations, vous serez plus capable de reconnaître le mouvement de la grâce en vous. Il y en a un excellent chapitre dans le livre de l'Imitation de Jésus/338 20, mais j'estime qu'il se peut dire encore quelque chose de plus particulier que ce qu'il en dit, car il y a les mouvements de la grâce pour les opérations secrètes. Je crois que vous ne pouvez encore comprendre ce que je dirais sur ce sujet. Il faut attendre en humilité et patience que la grâce de Jésus-Christ vous purifie entièrement.

Et cependant, agissez autant qu'il vous sera possible par l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire cherchez toujours sa gloire et l'accomplissement de ses divines volontés. renonçant à toutes les recherches de votre amour propre. les tendresses de la nature. les créatures. bref vos intérêts, de quelque sorte qu'ils vous paraissent. Séparez-vous de tout cela pour ne regarder que Dieu seul.

338. Imitation de Jésus-Christ, L. III. ch. 37.

319

Je ne sais pas faire la différence entre l'état et la disposition.

Les dispositions sont très différentes et variantes dans les âmes de grâce ; car tantôt l'âme porte esprit de sacrifice, d'autres fois d'amour, d'autres fois d'abandon, d'autres fois d'anéantissement, d'autres fois de respect de la grandeur et majesté de Dieu.

L'état est une chose permanente qui ne varie point. C'est pourquoi quand l'on dit : cette âme est dans un état d'abandon entier à la Providence, c'est-à-dire que cette disposition est établie en fond et que l'âme n'en sort jamais, bien qu'elle ne laisse en cet état de recevoir différentes dispositions et opérations de la grâce. Ainsi en est-il d'une âme en état de mort aux créatures/339.


Comment est-ce que nous sortons de Dieu par nos opérations... ?

L'âme demeure bien dans l'Essence divine et notre corps même en est tout pénétré, et c'est une nécessité inévitable d'être, de vivre et d'opérer en Dieu en cette manière. Mais il y a de la différence d'opérer par sa pure grâce. Vous êtes dans Dieu essentiellement, et pour cela Dieu ne concourt point à l'imperfection ou péché que vous faites. Son Essence divine vous conserve l'être, la vie, etc, mais Dieu ne coopère point à ce défaut que vous commettez, d'autant qu'il ne peut tomber dans l'impuissance du bien. C'est pourquoi quand vous le commettez, vous vous retirez non de son Essence — vous ne vivriez plus mais de sa grâce qui vous fait opérer le bien. Et de là, vous faites un acte de votre propre esprit et de pure malice, voulu et accepté par votre volonté déréglée qui se détourne de son divin principe pour se convertir à la créature/340. Donc pour commettre le péché, l'âme ne sort point de l'Essence de Dieu, cela lui est impossible ; mais elle sort de sa grâce et de la direction de son Esprit.

Or vous dites que Dieu concourt au péché. Il ne peut concourir à votre maligne volonté. Mais quant à l'action, il y a concours, disent les théologiens, c'est-à-dire une conservation de notre liberté. Et Dieu nous la conserve lui-même, nous donnant la puissance de faire cette mauvaise action qui est choisie et déterminée dans notre malheureuse volonté, parce qu'il ne

339. Rm 6, 6-11. 340. Rm 1, 21, 24-25.

violente point notre libre arbitre et que nous pouvons choisir ou le bien ou le mal/341.

Nous péchons sans lui, mais nous ne pouvons nous relever sans lui. Et ce serait un blasphème de dire que Dieu concourt à notre péché ; car le péché est une négation de Dieu qui nous convertit à la créature, soit en une manière soit en une autre ; et Dieu qui est l'unité éternelle ne peut être nié de lui-même. Remarquez donc ce que je vous dis : que son concours conserve notre liberté, mais il ne coopère point au péché. Or ce n'est pas ma main qui fait le péché, quoique je frappe, mais c'est la malignité de mon fond qui me met en colère/342.


Est-il mieux de faire une action simple ou d'en avoir le désir dans le fond de l'esprit ? Mais à cause que ce désir est imperceptible, et que cet esprit ne peut subsister dans le vide, il se trouve embarrassé. De même pour la présence de Dieu, car ne connaissant pas ni ne sentant pas dans l'esprit et dans les sens cette présence de Dieu, je ne crois pas y être actuellement, quoique je me mette à l'oraison pour cela. Au moins, si je l'examinais, je crois que ce serait le sujet.

Il n'y a point de danger de former votre acte, si vous en avez la disposition et le mouvement, ou bien qu'il soit simple. Que si l'âme est en captivité et dans l'impuissance d'opérer, elle se contentera du désir dans le fond de son esprit. Mais je trouve bon que vous, n'étant pas encore établie dans les pures voies de l'esprit, vous fassiez un acte ou deux au commencement de votre oraison.

Premièrement, un souvenir de Dieu en foi, c'est-à-dire sans image, qui porte votre esprit à former un acte d'adoration, lequel acte contiendra en disposition le respect, l'estime et l'hommage que vous devez à la grandeur suprême de Dieu.

Le second, un acte de total abandon entre ses divines mains, vous soumettant à sa sainte conduite et vous sacrifiant comme une victime à l'amour de son bon plaisir pour le temps et pour l'éternité/343.

Et si vous voulez, un troisième qui désavoue tout ce qui se pourrait passer en vous, durant le saint temps d'oraison, contraire à Dieu.

341. Eccl. 15, 11-17. 342. Mt 15, 18-19. 343. Rm 12, 1.

321

Après que vous aurez fait cela, demeurez toute abandonnée, vous laissant toute à Dieu, prenant plaisir de vous consommer en sa sainte présence, rendant hommage à tout ce qu'il est en lui-même et qu'il doit être en vous. Et demeurez ferme et inaccessible aux affaires et aux créatures, si Dieu ou la charité du prochain ne vous en retirait.

Durant votre oraison, s'il vous est donné quelque vérité à révérer et qui vous touche, vous vous laisserez exposer à Dieu pour en recevoir en vous l'impression par son divin Esprit. Vous vous donnerez à sa grâce pour cela. Et si vous vous trouvez dans le vide, vous demeurerez anéantie. Si vous y portez impuissance et distraction, soyez sacrifiée. Tout cela purifie l'âme, la faisant souffrir, Dieu tire sa gloire de tout, quand elle se sait bien abandonnée.


Lorsque je me trouve dans l'état de ténèbres, et que je ne m'aperçois pas de cette présence de Dieu, je tâche de m'y mettre par foi, en captivant mes sens, en bandant mon esprit. Et lors, cela me donne la connaissance que je crois être en la présence de Dieu. Je ne puis démêler cela. Pour agir purement en foi, je crois qu'il ne faudrait point faire tout cela ; mais j'appréhenderais que cela ne me mît dans quelque nonchalance d'esprit, lequel se relâche facilement et ne peut être longtemps captif.

Il est bon de vous servir de la foi pour vous mettre en la présence de Dieu ainsi que nous avons dit, mais il ne faut point faire d'effort indiscret. Il faut vous servir à cet effet d'élévation simple qui vous fait souvenir que Dieu vous voit et qui vous tient en respect en sa sainte présence. Il n'est pas besoin que vous bandiez votre esprit pour vous donner des assurances que vous êtes en la présence de Dieu, car c'est vous tirer de la foi qui est pure et qui n'est point sensible, Si votre présence de Dieu était sensible, elle ne serait plus de foi. Ce n'est pas qu'elle ne rejaillisse quelquefois jusque dans les sens ; mais quand cela arrive il faut le recevoir avec un esprit dégagé, sans s'approprier ni se complaire en cette grâce sensible ; mais il faut s'en servir selon les desseins de Dieu qui vous la donne pour vous encourager à la fidélité, vous faisant goûter quelque petite étincelle du plaisir que les âmes reçoivent en l'aimant.

Le goût de Dieu par la foi est bien plus pur et plus saint. Mais il faut recevoir humblement ce que Dieu vous donne, vous estimant toujours indigne de la plus petite de ses miséricordes. Ne tendez point à être élevée dans la grâce, mais tendez à vous laisser purement à la disposition divine. Abandonnez-vous, et Dieu fera de vous ce qu'il lui plaira. C'est à lui de diriger nos voies et de dresser nos sentiers ; et à nous de marcher en simplicité.

Ne vous peinez pas de démêler votre présence de Dieu, n'en cherchez point trop curieusement de certitude. Gardez-vous de votre ennemi, lequel ne manquera pas de faire ses efforts pour réparer les ruines que nous avons tâché de lui causer jusqu'aujourd'hui, et lequel jouera de ses ruses.

Soyez toute petite à vos yeux et toute simple comme un petit enfant entre les bras de l'obéissance. Dieu, mon enfant, vous y assujettit très particulièrement. Il veut que, comme Adam vous a retirée de Dieu par sa désobéissance/344, et que vous avez adhéré si longtemps à la malignité de son esprit, vous retourniez à Dieu par la très parfaite et entière soumission d'esprit à ceux que sa Providence vous a donné pour conduite.

Votre esprit ne deviendra point nonchalant et paresseux dans l'usage de la foi, car elle vous imprimera une haute estime de Dieu et cependant elle captivera vos sens dans le respect. Si vous sentez par rencontre de l'assoupissement, réveillez-vous par un acte formé qui vous fait souvenir de la majesté incompréhensible de Dieu vivant ; ou si un simple souvenir vous suffit pour vous éveiller, vous demeurerez dans votre recueillement sans vous peiner de passer plus outre par les susdits actes.


Lequel est le mieux quand on fait dire des messes : d'avoir des intentions particulières et les dire au prêtre, que de n'en avoir point que celles de l'Eglise et de joindre son intention à celle du Sacrifice ?

L'intention du Sacrifice et de l'Eglise est très sainte, vous les pouvez honorer et respecter, y unissant les vôtres. Mais cela est permis d'avoir quelquefois des intentions particulières et de les exprimer au prêtre. Vous pouvez aussi les offrir vous-même selon vos intentions secrètes et particulières, ou pour les besoins de votre âme, ou pour les morts, ou pour les nécessités de quelques affaires, ou de votre prochain. Comme aussi pour les purs intérêts de Dieu, demandant l'établissement de son règne en vous, la grâce de le connaître, ou de vous séparer de tout ce

344. Rm 5, 19.

323

qui n'est point lui. Ou pour honorer quelque saint à qui vous avez recours, ou en action de grâce de quelque miséricorde etc. Vous pouvez faire de même à la sainte communion.

Mais remarquez toujours que le saint Sacrifice de la sainte messe vous sacrifie avec Jésus-Christ, qu'il faut que vous soyez hostie et que vous ayez un désir de vous rendre aux desseins de Jésus et que vous entriez dans cet esprit de victime, toute immolée à la gloire du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

A la communion, votre sacrifice est encore plus entier, car vous y consentez par effet, logeant en vous les trois divines Personnes pour prendre puissance et autorité en vous et vous assujettir à leur divin empire, vous abandonnant sans réserve à Jésus-Christ.

Je crois être bien criminelle sur l'amitié de mon prochain.

La charité ou l'amour du prochain marche du même pas que l'amour de Dieu : saint Jean vous l'assure/345. Je ne vois pas encore cet amour établi en vous. Vous êtes trop intéressée pour vous-même, trop peu désirante du Règne de Dieu dans tous les coeurs, trop chiche pour les âmes. Vous les envisagez comme détachées de Jésus-Christ, ne vous souvenant pas qu'elles sont ses membres, qui composent son Corps mystique/346. Il y a bien à travailler en vous sur ce sujet. Mais à mesure que Dieu s'établira en vous, l'amour du prochain y germera et produira ses fruits/347.

Dans le renouvellement de mon voeu du Baptême je remarque qu'on se donne à Dieu, et vous me disiez l'autre jour qu'étant à Jésus-Christ en tant de manières, vous ne pouviez vous y donner derechef.

Je crois vous avoir écrit qu'étant à Dieu nous sommes données et sacrifiées à lui par Jésus-Christ, comme membres de son Corps mystique et parce que toutes choses appartiennent à Dieu. Nous sommes donc nécessairement à lui, mais d'une manière ineffable, par le sacrifice de Jésus-Christ, tant en la croix que sur l'autel. Car en la croix vous y avez été crucifiée mystiquement — voyez saint Paul ce qu'il en dit — et vous êtes morte avec lui/348. C'est pourquoi vous êtes obligée de vivre d'une vie de mort, toute dégagée et séparée de la vie de vos sens, car « Votre vie est cachée en Jésus-Christ »/349, comme dit l'Apôtre.

Donc si votre vie est cachée en Jésus-Christ, rien ne doit paraître en vous que Jésus-Christ/350. Vous devez être une vive expression de ses vertus, de ses dispositions et de sa sainteté. Tout ce qui est en vous, de vous, doit être anéanti afin que Jésus seul y paraisse. En un mot, vous devez mener une vie crucifiée puisque vous l'êtes avec Jésus-Christ.

Quant au sacrifice de l'autel, vous savez comme c'est un mémorial de celui de la croix et une continuation de ce très adorable Sacrifice. Il y a cela de différence qu'il n'est plus sanglant, mais efficace, et opère des effets puissants sur les âmes qui s'y appliquent et qui demeurent dans la grâce qu'il nous communique.

Je crois que je vous disais cette nuit passée, pourquoi je ne pouvais plus dire : « Mon Dieu je me donne à vous ». Si je suis donnée à Dieu par Jésus-Christ, la donation n'est-elle pas parfaite ? Suis-je moins obligée d'être à Dieu ? Puisque Jésus-Christ m'y sacrifie continuellement, je ne m'en puis dédire. Cette donation est-elle pas plus que suffisante ? Il faut se laisser sacrifier et y acquiescer amoureusement, continuant par une disposition de soumission et de respect, cette vie ou cet acte de sacrifice.

Et comme vous n'étiez pas sur le Calvaire pour consentir à votre crucifiement, Notre Seigneur veut que vous consentiez à celui de l'autel pour accomplir ce qui manquait à sa Passion/351, de sorte que, comme son membre, vous êtes offerte au Père avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ, et le prêtre vous tient mystiquement entre ses mains, et vous êtes en l'hostie en cette manière.

O dignité de l'état chrétien d'être faite une même chose avec Jésus-Christ, d'être crucifiée avec lui, et d'être tous les jours immolée sur l'autel avec lui ! O adorable impuissance où la grâce chrétienne nous met d'être séparées de Jésus, mais qui

345. 1 Jn 4, 19-21. 346. 1 Co 12, 27.

347 Jn 15, 5 ; 1 Jn 3, 23. 348. Rm 6, 6 ; Col 2, 11.351. Col 1, 24.

349. Col 3, 3. 350. Ga 2, 19-20.

325

nous fait une même chose avec lui ! /352 Puisque nous faisons partie de son Corps, nous sommes donc partie de lui-même.

Dans le renouvellement de votre baptême vous ne faites point un acte nouveau de vous donner à Dieu, mais c'est que vous renouvelez la donation et le sacrifice que Jésus-Christ a fait à la très Sainte Trinité. Et c'est ce qu'on désire vous faire concevoir, afin que vous connaissiez que tous vos actes et sacrifices ne sont que des suites de ceux que Jésus-Christ a faits pour vous. Donc renouvelez votre baptême pour vous renouveler dans le sacrifice que Notre-Seigneur y a fait de vous. Vous ne pouvez faire un sacrifice de vous-même à Dieu plus saintement que celui que Jésus-Christ en a fait à son Père. Il le faut continuer et ne vous en retirer jamais, ains vivre actuellement dans cet esprit d'hostie, non par votre choix, mais parce que Jésus-Christ vous y assujettit par son sacrifice. Et faisant de la sorte vous êtes victime, non de votre volonté, mais de celle de Jésus-Christ.

352. Rm 8, 8-29 et 37-38.


Quand je veux faire le sacrifice à Dieu de moi-même pour me joindre à Jésus-Christ en qualité de son membre, je me trouve dans l'embarras...

Le sacrifice que vous faites doit être très simple, vous contentant de la pure foi qui vous apprend cette vérité que vous et tous les chrétiens sont membres de Jésus-Christ. Il suffit de le croire sans l'éplucher.


Lorsque je considère être membre de Jésus-Christ avec plusieurs autres...

Il est bon de désirer que tous les membres de Jésus-Christ lui soient sacrifiés. Et nous devons désirer que toutes les âmes soient des pures victimes de Jésus-Christ. Mais vous n'êtes point obligée de vous beaucoup remplir de ces pensées. L'état d'actuel sacrifice en la continuelle présence de Dieu met une âme comme cela.


Les pécheurs au moins qui me paraissent tels, je ne puis...

Le pécheur, par son péché, se désunit d'avec Jésus-Christ. Mais soyez circonspecte à juger. Ne vous souillez point par les péchés d'autrui. Ceux que nous croyons quelquefois plongés dans les péchés sont peut-être déjà touchés de Dieu et tout convertis.

Je ne puis souffrir qu'une âme qui fait profession d'aimer Jésus-Christ s'occupe à se réfléchir sur son prochain. Il faut que son esprit observe en ce point un très rigoureux silence. « Ne jugez point, vous ne serez point jugé »/353 dit Notre Seigneur. Estimez votre prochain comme Dieu l'estime. N'élevez point les créatures, et ne les rabaissez point.

Gardez une prudence et une très grande discrétion fondées sur la charité, car c'est la marque de l'Esprit de Dieu dans une âme. Car si la prudence manque, elle est sans conduite. « Soyez, dit Jésus, simples comme des colombes et prudents comme des serpents »/354. En matière qui concerne votre prochain, il faut être fort retenue de parler. Je vous laisse à juger des effets qui leur seraient préjudiciables.

N'examinez point si les pauvres à qui vous donnez sont en grâce, il vous suffit qu'ils sont chrétiens ; et quand ils ne le seraient point, c'est pour Dieu et par conséquent c'est à lui que vous donnez votre aumône, et non à la créature qui se présente à vous. L'intention enrichit et ennoblit l'action. Ayez en toutes choses la pure vue de Dieu et vous serez en paix dans toutes vos actions.


Lorsque nous sommes obligées de converser avec le prochain, quelle pensée faut-il avoir ?

C'est la vue de Dieu que nous ne devons jamais oublier. Et dans la conversation il y faut toujours garder la douceur, la condescendance charitable, l'humilité et la discrétion. Il faut converser avec votre prochain comme les anges, avec respect et modestie ; et gardez-vous de scandaliser les petits dont Notre Seigneur parle dans l'Evangile/355. Les petits, selon le sens de l'Ecriture, ce sont les pécheurs ; car ils sont les plus petits en la vue de Dieu, puisqu'ils sont par le péché doublement anéantis.

Tendez toujours dans les entretiens à ne vous point occuper des vanités et des sottises du monde. Gardez-vous aussi d'y trop parler et de vous précipiter par votre trop grande activité. Soyez considérée et retenue.

N'oubliez jamais que Dieu vous voit, qu'il sonde le fond de votre coeur. Bref, conversez par soumission à la volonté di-

353. Mt 7, 1.

354. Mt 10, 16 ; Lc 10, 3.

355. Mt 18, 6-8 ; Mc 9, 42.

327

vine qui vous assujettit à cette loi de converser et de garder la société avec votre prochain. Soyez-y libre et sans vous gêner. N'y contestez jamais si la gloire de Dieu et la pure charité ne vous y contraint. Ne conversez que par obéissance et charité, de crainte de vous y trop plonger, souiller et engager.


Les affaires de notre obligation...

Les affaires qui sont de votre obligation ne doivent point être négligées. Si elles pressent, vous les pouvez préférer à vos oraisons. Et si vous y savez bien conserver, en les faisant, l'esprit intérieur qui vous doit accompagner en toutes vos opérations, vous trouverez que vous agirez en vos affaires en esprit d'oraison. Vous y conserverez la présence d'esprit pour les faire comme vous devez. Et observant les autres leçons que je vous ai déjà données en pareille rencontre, vous ferez ce qui se doit faire dans le temps, mais toujours par obéissance à l'ordre de Dieu qui vous y applique, sans perdre Dieu présent.

Que si les affaires ne pressent point et que vous n'ayez pas d'attrait ni de facilité pour y travailler, vous les pouvez remettre à une autre fois. Mais gardez-vous de lâcheté ! Néanmoins, vous pouvez différer et vous occuper à la lecture ou à l'oraison en attendant que Notre Seigneur vous donne capacité pour les expédier. Mais remarquez bien que si elles pressent, il faut tout quitter et s'abandonner. Tout est pour Dieu : aussi bien votre opération que votre oraison, et ce serait tromperie de vouloir prier quand Dieu veut que l'on agisse. Il faut être tout à fait dans un total abandon de nous-mêmes à la conduite du bon plaisir de Dieu.

Les actions qui dépendent de votre choix, il faut tâcher de les rapporter toutes à Dieu, et bien qu'elles soient à votre liberté, il ne les faut jamais faire néanmoins que par obéissance à Jésus-Christ qui vous l'inspire. Si l'action est bonne en soi, il la faut envisager dans l'ordre de Dieu. Si elle est mauvaise elle doit être rejetée. Si l'action est bonne en soi mais que notre amour propre la corrompe, il faut purifier l'intention par un regard pur et simple vers Dieu pour la diriger à la pure gloire de son nom.


Est-ce pas le degré d'amour qui donne le mérite à l'action ?

Oui, plus il y a d'amour, plus il y a de grâce. Or je n'entends pas parler de l'amour qui frappe les sens ; je veux dire que plus il y a de pureté dans votre fond, c'est-à-dire une intention plus épurée et qui tend à taire uniquement pour l'amour et par l'amour de Dieu, il y a plus de grâce, et par conséquent plus de mérite. C'est pourquoi la très sainte Mère de Dieu étant sur la terre méritait plus par un tour de fuseau que les saints par des pénitences et austérités étranges (et) parce qu'elle avait plus de pureté d'amour que tous les anges et tous les saints ensemble. Donc si vous relevez une paille avec plus de pureté d'amour qu'une autre n'en a prenant la discipline, votre mérite est plus grand. Vous pouvez aussi inférer de là que si deux actions, l'une grande et l'autre petite, sont faites en même degré d'amour, que la grande l'emporte par-dessus la petite. C'est la pureté d'amour qui donne le poids.


Quelle pensée faut-il avoir lorsqu'on est obligée à recevoir quelque service de notre prochain ?

Il les faut recevoir en esprit d'une profonde humilité intérieure étant confuse en nous-même que des âmes créées à l'image et semblance de Dieu, ses membres et ses épouses, et qui peut-être seront infiniment élevées dans le Ciel plus que nous, soient occupées à nous servir — mais bien plus : qui sont peut-être dans un degré de grâce, sur la terre, très élevé. Car l'âme dans l'état de la grâce est chérie et honorée de Dieu même et de ses anges ; et elles sont plus dignes d'être considérées que tous les plus grands monarques de la terre puisqu'elles sont dignes d'être les objets de la complaisance divine. C'est le trône de sa grandeur où il prend ses délices, les anges en ont respect, et cependant nous n'y pensons pas.

Nous avons bien souvent de la témérité et de l'arrogance dans les services qu'on nous rend. Cela vient de notre extrême ignorance qui fait que nous nous approprions les services qu'on nous rend. Ce n'est point pour l'amour de vous qu'on vous sert, mais pour l'amour de Dieu en vous/356. Donc ces services, cet honneur, ce respect qu'on vous porte ne vous appartient pas, ains à Jésus-Christ ; et vous lui dérobez, car vous en faites votre propre, sans y avoir droit. C'est une usurpation qu'il faut rendre tôt ou tard. Laissez à Dieu ce qui appartient à Dieu, et tenez ce qui est vôtre, savoir le néant d'être, le néant de péché, l'ire de Dieu et la damnation éternelle. Voilà ce que vous méritez. Pourquoi anticipez-vous sur les droits de Jésus-Christ ?

De plus, ne savez-vous pas qu'en qualité de pécheresse

356. Ep 6, 7 ; Col 3, 22-24.

329

vous ne méritez aucun service des créatures, ains plutôt des châtiments actuels ? Car si Dieu faisait justice, toutes les créatures se banderaient contre nous pour venger le déshonneur que nous avons fait à Dieu et au sang de son Fils. Et ne le faisant pas, c'est par sa très grande miséricorde qui « ne veut point la mort du pécheur, ains qu'il se convertisse et vive »/357.

Or il ne faut pas que la bonté de Dieu nous fasse oublier ce que nous sommes. Vous êtes toujours assez criminelle pour vous tenir dans votre abjection et dans la vue que vous êtes indigne que la moindre créature vous serve. Et pour moi, je vous avoue que j'ai peine que les bêtes soient même occupées à quelque chose de mon service. Je vois qu'ayant péché, je mérite d'être ravalée au-dessous des bêtes ; donc en cette manière les bêtes sont plus que moi et ont droit de m'humilier et même de me crucifier. O vérité profonde qui anéantit puissamment un esprit qui en est pénétré ! Hélas ! les créatures et les bêtes me servent, et peut-être que je serai éternellement damnée. Cette vue m'est un second tourment en la vue des services que la charité m'applique. Je les dois pourtant souffrir puisque la Providence m'y assujettit, et m'en beaucoup humilier, les rendant à Jésus-Christ.

n° 307

357. Ez 18, 22 et 32; 33, 11; Le 5, 32; 2 Pi 3, 9.

330

Lettres publiées en « Documents » 21

ANNEXE XVIII. LETTRE A UNE RELIGIEUSE DU MONASTÈRE DE LA RUE CASSETTE

Mon enfant, si vous voulez m'en croire, vous vous mettrez au-dessus de plusieurs petites choses qui choquent votre sens et dont la vie est quasi toujours remplie par mille petits événements qui nous contrarient. Je vous conseille de n'être point esclave de cela ni des façons de faire et d'agir d'autrui parce que nous ne les pouvons pas changer. L'expérience nous doit persuader que ce sont de certaines choses qu'il faut souffrir, mais pour en faire bon usage, ne vous appliquez point volontairement à regarder la manière ou la conduite des créatures parce qu'il est du tout impossible que leur façon de faire vous puisse toujours agréer, mais tenez-vous en Dieu ; ne voulez en aucune chose que Dieu, ne vous souciez que de lui plaire et abandonnez le reste à sa divine Providence et vous posséderez un plus grand repos dans votre coeur. Notre-Seigneur a permis comme vous dites que le démon vous ait surprise, mais pour vous en garantir une autre fois faites ce que je vous dis.

Souvenez-vous du passage de l'Evangile : laissez les morts ensevelir les morts, suivez-moi. C'est ce que Notre-Seigneur répondit à un jeune homme qui demandait d'aller ensevelir son père. Laissons les créatures dans les créatures, mais nous, allons à la suite de Notre-Seigneur. Il vous y appelle comme moi, et je puis dire plus fortement que moi qui ne suis plus qu'un tronc sans vigueur et sans fidélité. Relevez-vous promptement de votre faute et vous remettez en Dieu par le secours de sa très sainte Mère qui ne vous le refusera jamais. Priez-le pour moi qui suis en son amour toute à vous.

Ne vous troublez point de vos défauts mais tâchez de vous en humilier plus profondément par une plus grande expérience de votre faiblesse et du besoin actuel de la grâce de Dieu pour vous soutenir. Réparez par l'humilité les avantages que le démon a pris sur vous. S'il ne vous avait pas trouvée hors du sacré anéantissement, vous n'auriez pas été attaquée. Relevez votre courage et votre fidélité.

Archives du monastère de Bayeux. Novembre 1662.

ANNEXE XIX. A UNE RELIGIEUSE (RUE CASSETTE) EN LA FAISANT SORTIR DE RETRAITE A QUI ELLE DONNE PLUSIEURS INSTRUCTIONS POUR SA PERFECTION

316

Rendez donc un hommage continuel à l'être infini de Dieu, en lui sacrifiant tout ce que vous êtes, et tout ce qui n'est pas lui, puisque lui seul doit régner. Vivez donc en continuel sacrifice ; l'autel est votre coeur, les trois divines personnes sont dessus, et toutes les créatures qui se présenteront à votre esprit, allez les brûler et dites à Notre-Seigneur : « Mon Dieu, je vous immole ces créatures, cette curiosité, cette parole que l'on m'a dite qui me choque, ce désir de plaire, et d'être estimée, enfin, mon Dieu, je vous prie de l'accepter, puisqu'il n'y a que vous qui devez avoir vie en moi ».

Vous ne devez pas seulement sacrifier ce que je viens de dire, mais ma soeur, il faut sacrifier le fond d'ardeur que vous avez de votre perfection, puisqu'en vérité, c'est souvente fois plus tôt notre élévation que nous recherchons que la gloire de Dieu ; brûlez donc de ce désir de votre éternité, et laissez en le soin à Dieu ; et pour vous n'en ayez aucun que celui de lui tout immoler par rapport à Jésus au Très Saint Sacrement : conformez donc votre vie à la sienne, et pratiquez tout doucement et petit à petit les vertus dont il vous donne de si fréquents exemples, et ne vous étonnez pas de vous voir si impuissante, car c'est le propre de la créature.

Les avis que j'ai à vous donner, c'est d'agir avec toutes vos soeurs dans une grande douceur, et un grand respect, ne les contrariant point.

Faites vos efforts pour ne les point contrister, et si par hasard il vous échappe quelques mots qui leur puissent donner de la peine, faite leurs en excuse ; ne dites jamais vos sentiments sur quoi que ce soit, à moins que ce soit quelques choses qui ne porte point de conséquence ; ne trouvez à redire ni à l'humeur ni aux actions d'aucunes. Tous les mouvements qui vous en viendront, portez les aussitôt au feu, et sacrifiez les, soyez ponctuelle au silence, soit la nuit ou le jour, et moins vous parlerez ce sera le mieux, et vous aurez plus de tranquilité d'esprit, que vous devez chérir comme votre bonheur, puisque l'on ne peut trouver Dieu que dans le calme intérieur, et il vous fait faire votre possible pour le conserver dans tous les événements de la vie qui n'est remplie que de troubles.

Si l'on ne sais se ménager, et rentrer dans la solitude du coeur, très souvent et insensiblement, vous reconnaîtrez la grâce et la force que vous en tirerez ne vous ingérez à faire quoi que ce soit qui n'est point de votre charge, et laissez toutes les choses dont vous n'avez que faire, et vivez autant que vous pourrez dans un saint dégagement de tout ce qui n'est point Dieu ; vous n'avez que Lui à contenter ; et référez Lui toutes vos actions, les faisant dans la plus grande pureté que vous le pourrez, sans mélange des créatures, et de vous même, et tenez pour suspect toutes vos pensées, et tout ce qui provient de vous même comme étant le plus grand ennemi que vous ayez sur la terre, puisque rien ne met tant d'obstacles entre Dieu que nous même.

Tâchez donc ma chère soeur à faire usage de tous ces petits avis et j'espère que Dieu vous bénira.

Archives du monastère de Ghiffa (Italie).


318

ANNEXE XXI. A LA COMMUNAUTÉ DE LA RUE CASSETTE

Toul, fin novembre 1664.

J'ai reçu avec grande joie les témoignages de vos affections vers ma grande patronne sainte Catherine, et les marques de votre souvenir en me régalant de tant de jolis bouquets et autres belles choses. Je vous assure qu'en défaisant votre boîte à dix heures du soir pour être plus en repos, nous avons dit pour le moins cent fois : les pauvres enfants, elles ont trop de bonté, elles s'incommodent pour m'envoyer leur présent. Je les reçois donc, mes très chères, du même coeur que je sais que vous me les envoyez, et vous en rend un million de grâces, et payerai le port fidèlement. Mais vous seriez bien étonnées si je vous le portais moi-même ; l'ardeur que vous me témoignez toutes pour mon retour me fait croire que vous n'en serez pas fâchées.

Soyez certaines que je l'avancerai de tout mon possible, et qu'il n'y aura que N. qui le pourra retarder, incontinent après que nous aurons exposé dans la petite chapelle que nous avons dressée en ce lieu le très saint et très auguste et très adorable Sacrement de l'autel le jour de l'Immaculée Conception de la très sacrée Vierge. Comme c'est le jour que la fondation a pris naissance ou pour mieux dire a été conçue dans l'esprit de ceux que Dieu a choisis pour y travailler.

Voici donc, mes enfants, une production de la maison du Très Saint Sacrement. Voici ce qu'elle a présenté à Dieu par les mains de sa très sainte Mère et je vous conjure de joindre vos voeux et prières à celles que nous tâchons de faire ici et que la dédicace s'en fasse de tout nos coeurs, avec même zèle et même sentiments dans la vue d'une entière union pour la gloire de Jésus-Christ, dans ce mystère d'amour et auguste Eucharistie, que nous faisons profession publique d'honorer de toutes les manières qui nous sont possibles. Mon Dieu, que j'aurais de joie dans la naissance de cette oeuvre si mes indignités et infidélités ne s'opposaient à la complaisance que Notre-Seigneur y prendrait s'il était fait dans la pureté qu'il désire. Je ne puis comprendre comme cet ouvrage vient à son effet, je croyais en moi-même que Notre-Seigneur l'anéantirait à cause de mes crimes. J'en ai souffert en sa sainte présence des confusions très grandes et n'en peux revenir. Cependant les choses sont fort avancées et apparemment tout réussira. Après cela je voudrais être abîmée dans un cachot pour toujours, et n'était la tendresse que Dieu m'a donnée pour vous toutes, je n'aurais pas la force de retourner. Mais l'affection donne des ailes pour voler où elle ne peut marcher.

Puis donc, mes chères filles, que Notre-Seigneur fait une seconde maison à l'honneur de sa personne adorable dans le Très Saint Sacrement renouvelons notre zèle pour l'aimer plus constamment, et pour souffrir pour son amour je vous invite de redoubler votre fidélité pour vous rendre de vraies victimes. Mes très chères soeurs, ce n'est point une qualité nouvelle que je vous donne, c'est un titre que Jésus vous a imprimé au baptême, avec obligation de la rendre efficace. Je vous conjure que ce soit dès ce moment que vous entriez dans les usages de cette précieuse qualité par une simplicité d'esprit, une obéissance de coeur, et une profonde humilité. O mes enfants, la superbe n'a point de part aux communications divines et ineffables de Jésus au Très Saint Sacrement. C'est pourquoi l'on trouve peu d'âmes qui portent les sacrés effets de ce divin mystère. Notre-Seigneur s'en est plaint à la bienheureuse Angèle de Foligno.

Vidons nous, mes très chères soeurs, de mille petites délicatesses d'esprit, du petit point d'honneur, de la petite présomption d'esprit, du petit dédain que nous avons du prochain, et surtout de la secrète estime de nous-mêmes ; c'est notre malheur et c'est cette propre excellence qui fait tout le désordre et qui empêche la tranquillité de l'âme. Sacrifions tout cela et nous serons de véritables victimes, capables d'être consommées au feu du divin amour que Jésus est venu apporter en terre, et qui veut qu'il brûle absolument. Ne l'empêchons pas, et quand nous ne travaillons pas à la mortification de ces choses ne nous étonnons pas de nos pauvretés, de nos désolations, et de nos misères. Si la superbe fait le trouble de nos esprits, comme l'humilité en fait le calme, c'est assez dire à des âmes qui veulent contenter Dieu uniquement.

Je vous crois toutes dans cette disposition, et le prie de vous y maintenir, autrement je mourrais de douleur et d'affliction, parce que Notre-Seigneur n'aurait pas en vous sa joie et sa complaisance. Vous savez qu'il ne demande que cela d'être tout à vous, et vous d'être toutes à lui sans réserve. Ainsy soit-il.

Archives du monastère de Craon.


ANNEXE XXII

LETTRE A LA MÈRE ANNE DU SAINT-SACREMENT (RUE CASSETTE)

Toul, 28 décembre 1664.

Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis.

C'est, très chère, cette précieuse paix que Jésus a apportée sur la terre au moment de sa naissance que je vous souhaite. Jésus est un fruit de paix ; il l'envoie annoncer aux pasteurs et dans sa résurrection il l'apporte lui-même : « PAX VOBIS ».

C'est, ma très chère, où je finis cette année, puisque voici la dernière lettre que vous recevrez avant la prochaine. Finissez-la en paix et commencez-la de même ; que la paix soit toujours dans votre coeur et qu'il ne soit jamais privé de cette bénite paix sans laquelle rien n'est agréable en cette vie et même pour les choses de Dieu. Je prie ce divin et adorable Enfant qu'il vous tienne dans sa paix, que vous n'ayez que des pensées de paix pour Dieu et pour les créatures, que des paroles de paix, que des oeuvres de paix.

« PAX, PAX » en tout et partout dans la maison et dans le coeur des filles du Saint Sacrement. Hélas ! pourquoi ne fait-on pas l'impossible pour être toujours en paix puisqu'il n'y a rien de si doux, ni de plus aimable à Jésus et aux hommes. Paix au ciel de votre âme, paix en la terre de votre coeur, paix partout. Je vous la désire pour étrenne et si je pouvais vous la mettre dans le coeur je l'y graverais profondément comme un bien infini. Hors de la paix c'est un enfer. Toutes les choses de la terre ne doivent pas nous ôter la paix, n'étant que des ombres et des figures qui passent. Dieu seul est, tout le reste n'est qu'un pur néant qui sera avec le temps abîmé dans le rien, et pourquoi donc nous en occuper ?

Vivez, très chère, dans la vérité, et ne vous repaissez pas de mensonges. Attachez-vous à Jésus le Prince de la Paix. Je crois qu'il en a fait quelque impression en moi en sa sainte naissance, priez qu'il me la conserve pour son pur amour et pour votre édification.

Archives du monastère de Dumfries (Ecosse).


ANNEXE XXIV. A LA SŒUR MARIE DE SAINT-JOSEPH, NOVICE DU DÉVOT MONASTÈRE DES CARMÉLITES DE RHEIMS

Du Monastère de Notre-Dame de Bon-Secours, Caen, 23 janvier 1648 Ma très chère et honorée Soeur,

Jésus-Christ soit l'Unique tout de notre coeur et notre consommation.

Il y a longtemps que je désire de vous donner des nouvelles des effets de la Divine Providence en notre endroit ; elle a permis que je sois 'envoyée en Normandie à une maison de notre saint ordre pour y établir la réforme ; il y aura bientôt un an que cette croix me fut endossée sur les épaules, laquelle j'ai trouvée si lourde et insupportable que je n'y pensais pas subsister jusqu'à présent.

Si vous saviez, ma très chère fille, la rébellion des esprits dans les commencements et les résistances qu'ils nous ont fait, un bon coeur comme le vôtre aurait eu compassion de nous ; mais la Sagesse Éternelle ne nous a pas laissé longtemps dans cette douleur, elle a eu pitié de moi et en trois ou quatre mois elle rendit tous les esprits dans une telle souplesse que je puis dire avec vérité que l'on en fait quasi ce que l'on veut, et sont à présent dans un grand désir de perfection. Tout leur malheur est d'être tombé entre les mains d'une pécheresse indigne de recevoir grâce et très incapable de les aider au chemin de la sainte vertu, en étant moi-même si dépourvue, et dans une si grande pauvreté que je n'ai jamais vu une telle abjection que celle que je porte et que j'ai portée.

Par surcroît, depuis trois mois je suis tellement malade et languissante, que j'ai souvent pensé n'en pouvoir relever. Je ne sais si c'est l'air du pays, mais la fièvre ne me quitte que très peu avec un dévoiement d'estomac. Voilà ma toute chère où l'adorable Providence me tient depuis quelque temps, durant lequel j'ai été honorée d'une de vos chères lettres que j'ai reçue fidèlement et mon âme s'est très aouïe du bonheur et des miséricordes que Dieu verse dans la vôtre.

Courage ma très aimée Soeur, il faut être sans réserve à Jésus-Christ, mais dans la pure fidélité de vertu et dans un total abandon à sa divine conduite. Tout le secret de la sainte perfection, c'est d'être purement adhérente à la grâce, et pour bien pratiquer ce point, il faut le silence et la vigilance, et l'attention sur les mouvements de son coeur. J'ai une consolation si grande de vous savoir en un lieu si saint que je n'en puis assez remercier la Divine Bonté qui vous y a conduit, et qui a donné une char:té si entière à votre sainte Communauté de vous y recevoir. N'avez-vous pas des preuves suffisantes de la miséricorde éternelle de Dieu en votre endroit, et après une telle grâce pouvez-vous jamais désister de l'aimer ? Non ma très chère fille, je réponds pour vous que vous voulez être à Jésus-Christ sans réserve et que vous êtes toute déterminée d'y mourir à la peine. Continuez donc avec une humble confiance, apprenez de bonne heure à vous anéantir et à laisser régner Dieu en vous. Je Le prie de tout mon coeur vous remplir de sa grâce et de son Esprit, afin que vous puissiez dignement persévérer. Faites un saint usage des saintes instructions que votre digne mère maîtresse vous donne, soyez candide dans la découverte de votre âme, estimez autant qu'il vous est possible la sainte obéissance et n'opérez jamais aucune chose qu'en esprit d'amour et de soumission. Ne trompez point mon espérance, ma chère fille, il m'a toujours semblé que Dieu veut quelque chose de vous, laissez-vous toute à Lui afin que sa toute-puissance l'opère.

Cependant, priez-le pour moi et pour la mission à laquelle il nous a envoyé. Ma Soeur Dorothée de Sainte-Gertrude est ici avec nous qui vous salue de tout son coeur, elle continue d'être très fidèle à Dieu, elle a un peu plus de santé qu'à Saint-Maur. Il y a longtemps que je n'ai rien appris de Remberviller, je ne sais si vous avez su qu'une bonne vieille Soeur Anne que vous y avez vue est morte. Je ne sais rien de ce pays-là, sinon que la bonne Mère Benoîte de la Passion a été voir l'Abbaye de Saint-Jean-des-Choux, c'est une abbaye de religieuses bénédictines mitigées en Alsace où l'on veut mettre la réforme, mais je ne sais point la conclusion de son voyage. Nous recevons des lettres : la croix de la guerre y est toujours, je ne sais si vous me comprenez bien. Je serais bien aise d'entendre quelquefois de vos nouvelles si votre Révérende Mère Supérieure le trouve bon, que si elle juge à propos de vous en priver, je le veux de tout mon coeur. Je vous prie de lui présenter mes très humbles obéissances et de lui témoigner l'extrême désir que j'aurais de la servir si Notre-Seigneur avait mis en nous quelque capacité pour cela ; obligez-moi de lui marquer mon affection, de l'assurer que je reçois comme à moi-même la grâce et l'honneur qu'elle vous a fait, et toute ma vie j'en demeurerai fort obligée, et d'autant que ma pauvreté ne me fournit aucun moyen de reconnaître dignement ses bontés. Je veux faire prier Dieu pour elle, non tellement par cette Communauté et la nôtre de Lorraine, mais encore par les bonnes âmes que la Divine Providence nous a fait connaître ; suppliez-la d'avoir pour agréable ma bonne volonté et de souffrir mon impuissance qui m'est d'autant plus chère et aimable qu'elle me rend abjecte dans les créatures ; recommandez-nous à ses saintes prières et de toute la sainte communauté et m'excusez si j'ai continué de vous écrire avec franchise, vous savez à quel point je vous ai toujours aimée et combien vous m'êtes chère devant Notre-Seigneur ; je Le prie derechef de vous combler de ses miséricordes et de vous sanctifier. Suis en Lui plus que jamais toute votre fidèle et intime servante Soeur du Saint Sacrement.

322




En « Lettres inédites »

[publiées sous ce titre à Rouen en 1976]

124

A UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS RESTÉE À BARBERI

Saint-Maur, 25 février (1643 ou 44)

Je suis bien consolée d'avoir de vos nouvelles et de savoir comme va votre santé celui qui nous est toutes choses unisse nos coeurs en lui pour toute Eternité. Prenez bon courage en la voie de la sainte Croix ; il faut encore un peu de temps souffrir. Votre voie est sainte et très assurée : j'en ai des sentiments tout particuliers lorsque j'y fais quelque réflexion.

Vous dites que mon absence vous est une bonne mortification ; je vous assure que je ne vous vois point éloignée mais très présente en mon Dieu, à qui je vous donne de tout mon coeur sans réserve, souhaitant de [vous] voir toute à lui selon ses desseins éternels. Courage ! Très assurément vous y serez un jour : la patience en persévérance fait merveille. Je suis bien aise que notre bon Seigneur vous fait profiter de mon éloignement ; il est admirable pour trouver des inventions qui nous obligent de nous quitter nous-mêmes. Néanmoins, selon ce que je puis juter pour le présent, je retournerai avec notre Mère (2), si la divine Providence ne fait naître quelqu'autre occasion que je ne prévois point. Nous sommes à sa toute puissance sans réserve. J'ai quelque consolation de voir que vos peines continuent ; j'en tire des conséquences très avantageuses pour votre âme, encore que cela vous soit bien sensible. Il faut passer par le creuset des peines pour être digne de la sacrée union. Laissez-vous à Dieu et vous abandonnez à sa sainte conduite. Consentez à tous les desseins qu'il a de vous anéantir par ces peines et souffrances ; il faut être plus passive qu'avilissante, en votre état. Encore que la violence d'icelles vous emporte quelquefois, la puissante main de Dieu fera un jour calmer cet orage. Attendez tout de lui et vous perdez dans son infinie bonté qui vous souffre dans les désordres de la nature. Laissez-vous à lui pour être entièrement détruite ; je vous convie encore de vous aider à détruire en vous abandonnant de bon coeur à toute sorte de désolation, vous abaissant devant sa Majesté pour recevoir les effets de sa miséricordieuse justice qui vous purifie par son éternel amour.

Je ne doute pas que votre peine ne soit grande vers le sujet que vous savez, c'est bien fait de vous faire violence, il faut dompter la nature, notamment en ces occasions où nous voyons clairement la vertu. Tenez-vous bien joyeuse et tâchez de vous fortifier ; ne négligez


(2) Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Celle-ci entrée au monastère de Rambervillers en avril 1629, y fait profession à 23 ans. Prieure en 1637, elle cherche refuge à Saint Mihiel avec les plus jeunes membres de sa communauté en 1640, puis à Paris, où elle rejoint Mère Mectilde à Noël 1642. En 1647, elle retourne en son monastère puis rejoint définitivement Mère Mectilde à Paris en 1653. Sous-prieure de la rue Cassette, prieure de Toul, puis du second monastère de Paris, elle a toujours été l'appui le plus ferme de Mère Mectilde. A partir de 1692, elle n'est plus mentionnée dans aucune correspondance. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 222.

126

point votre santé. Je suis bien aise que nos bonnes âmes de Caen (3) ne sont encore venues ; je pense que nous les verrons, s'il plaît à notre bon Dieu, car notre Mère veut partir la première semaine de Carême. Donnez quelque relâche à votre esprit en le divertissant quelquefois afin de soulager votre faible nature.

Je vous dis adieu, je vous laisse à Dieu et vous assure qu'en son saint amour je vous serai sans finir, votre etc...

n° 1447 D13

(3) Peut-être Jean de Bernières-Louvigny ou le Père Jean Eudes


PROMESSE ÉCRITE DE MÈRE MECTILDE AUX RELIGIEUSES DE RAMBERVILLERS QUAND ELLE FUT ENVOYÉE A CAEN (I)

Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le 23 mai 1647

Nous, Soeur du Saint Sacrement, très indigne religieuse du monastère de Rambervillers en Lorraine, prosternée aux pieds sacrés de Jésus Christ, aux desseins adorables duquel je m'abandonne sans réserve, faisons la promesse et protestation suivante à notre très Révérende Mère Prieure et à toutes les Mères et Soeurs de notre sainte communauté, conformément au bon plaisir de Notre Seigneur, savoir : ne les quitter, ni abandonner jamais pour me tirer hors de leur sainte compagnie par mon choix, par mon mouvement, par mon élection, ou persuasion quelconque, leur promettant leur être fidèle jusqu'à la mort et de les servir toutes, selon la puissance qu'il plaira à Dieu me donner, en reconnaissance de la grande grâce qu'elles nous ont faite de nous recevoir dans leur sainte communauté.

Me prosternant derechef aux pieds de toutes, en général et en particulier, leur demandant pardon très humblement de toutes les peines et mauvaise édification que je leur ai données, je les supplie pour l'amour de Jésus Christ et de sa très sainte Mère, de me continuer leur sainte amitié et me tenir toujours pour membre de leur corps, quoique très indigne d'une telle grâce, leur protestant derechef que je n'ai point d'autre volonté que de mourir avec elles, si tel est l'ordre et le dessein de Dieu, en la présence duquel et par son amour j'ai fait et signé la présente promesse à Saint-Maur-des-Fossés-lez-Paris, le vingt troisième Mai l'an mil six cent quarante-sept.

no 2369 P101 ajoute : l'original est conservé au monastère de Rambervillers.

(I) Envoyée à Caen pour établir la réforme dans le monastère des Bénédictines de N. - D. de Bon-Secours. Mère Mectilde doit s'engager à n'y résider que temporairement, son monastère de profession ne voulant à aucun prix se séparer d'elle. cf. C. de Bar. Documents. 1973. p. 67-68.



FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS

en résidence à Saint-Maur-des-Fossés

[de Rambervillers, fin 1650]

... Courage donc, ma très chère Mère, rendez-vous toute à Jésus Christ, la grâce duquel vous tirera de vous-même. Je vous conseille de vous exposer tous les jours à la puissance de Jésus au Très Saint Sacrement et à ses anéantissements suprêmes. Suppliez cette divine toute-puissance de vous attirer fortement, de rompre vos chaînes et de détruire en vous tout ce qui est contraire au règne de Jésus Christ. N'écoutez plus les plaintes et les tendresses de votre amour-propre, qui, par une compassion trompeuse vous détourne de votre salut et vous rend chiche au regard d'un Dieu qui, après vous avoir tout donné, se donne si libéralement et amoureusement soi-même.

Goûtez un peu, ma très chère Mère, la suavité de Dieu et vous n'aurez plus de répugnance de vous séparer de tout ce qui peut déplaire à Dieu. « Trop est avare à qui Dieu ne suffit ». Gardez-vous des reproches qu'il fait par ces paroles d'un prophète : « Ils se sont creusés des citernes d'eau bourbeuse et m'ont laissé, moi qui suis la fontaine des eaux vives (1) ». Hélas ! combien de fois nous nous sommes creusés des citernes bourbeuses et fangeuses par notre amour-propre et l'amusement des créatures qui nous retirent de Dieu ! Allons à la source, ma très chère Mère, allons à Dieu, ne nous arrêtons plus à la créature. Voyez depuis combien d'années il nous attend avec une patience admirable, nous donnant tous les jours de notre vie pour nous convertir et nous purifier de nos fautes. Les sacrées plaies de Jésus Christ nous sont ouvertes pour y puiser la pureté de son divin Esprit que je vous désire, et que vous vous rendiez toute à lui, ma très chère Mère.

Résolvez-vous d'être totalement morte à tout le créé, car les créatures ne méritent pas notre coeur, ne pouvant nous donner ce qu'elles n'ont pas. Je vous supplie de demander à Dieu une grâce pure et efficace pour vous soumettre à tout ce que sa puissance et sa sainteté veulent faire en vous. Qu'elles y opèrent un parfait anéantissement et que votre fond intérieur étant bien purifié, le règne de Jésus Christ y soit glorieusement établi comme Souverain ; qu'il triomphe de vous et de votre être ! C'est ce que je le prie de faire en vous et vous combler de ses grâces et de ses miséricordes. Je vous supplie me donner toujours part en vos saintes prières et de m'obtenir du Ciel quelque part aux grâces et aux bénédictions que je vous souhaite avec abondance.

Je ne vous mande rien de St N. La visite n'y est pas encore faite. Ce que vous savez commence de s'anéantir, je crois qu'il ne passera pas plus avant. Je vous promets de vous mander fidèlement ce que j'en apprendrai. Nos Pères de M... sont très affligés ; notre Mère Sous-Prieure vous racontera l'histoire.

Toute la pauvre Lorraine périt si Dieu par un miracle ne la soutient ; vous apprendrez bien des misères.

Sans doute vous serez étonnée de voir cette bonne Mère, mais vous saurez aussi le sujet de son voyage. Certes, nous avons bien des maux en ce désolé pays ; priez Notre Seigneur qu'il en tire sa gloire. Toute la Communauté vous salue d'affection, et moi je vous embrasse en l'amour de Notre Seigneur, par lequel je suis toute votre fidèle et très affectionnée.

no 292

(1) Jer. 2,13.


A LA REVERENDE MÈRE BENOÎTE DE LA PASSION DE BRÊME

en réponse d'une de ses lettres du 7ème novembre 1650

alors réfugiée à Sélestat en Alsace

de Rambervillers, 9 novembre 1650 (1)

Ma toute chère Mère,

Je vous fais ces mots en hâte, parce que la divine Providence nous fournit une occasion pressée, et j'ai désiré vous assurer que j'ai reçu fidèlement celle que votre charité m'a fait la grâce de m'écrire en date du 7e du courant, la lecture de laquelle me donne un très grand sujet de louer Notre-Seigneur des grandes miséricordes qu'il fait à votre âme de vous instruire par lui-même des sacrés sentiers de l'oraison. Je vous conjure de lui être fidèle. Il est vrai que, lorsque la passivité est entière, l'âme n'a point de peine d'être longtemps à l'oraison ; je voyais bien que votre âme y était encore opérante, quoique délicatement. Ne vous étonnez pas de voir cet abîme de malice en vous ; c'est une grâce et une lumière annexées à l'état de question et qui opèrent un anéantissement profond. Gardez-vous d'aucune activité sur cette vue de péché, non plus que sur l'autre qui, en vous manifestant les fautes que l'on commet en cet état, vous fait voir que vous avez un pied dans l'enfer.

Recevez ces lumières passivement, et vous rendez à la fidélité de la pure grâce qui vous mène à la parfaite mort de vous-même, et dont vous êtes, en quelque manière, encore très loin. Dieu fera son ouvrage ; laissons-le opérer selon ses desseins. Cet état, dans sa réalité, ne peut jamais produire de vanité, mais il n'empêche pas la connaissance véritable de nos misères, voire il la découvre. Si l'humilité n'est pas

(1) Mère Mectilde avait été élue prieure de son monastère de Rambervillers à la fin de son triennat à Caen. Elle rejoignait la Lorraine en septembre 1650. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 68.

130

assez dans votre âme, la main toute-puissante de Dieu l'y établira. Ayez patience et, sous prétexte de ce défaut que vous remarquez en vous, gardez-vous des opérations propres, secrètes, de votre esprit. Souffrez passivement la vue de votre fond de malice quand elle vous est donnée ; mais je vous prie ne vous y point appliquer par vous-même, ni par votre propre esprit.

Quand le trait de la grâce est puissant et qu'il fait cessation de toutes opérations en l'âme, il n'y a point d'instruction pour lors à prendre, sinon de se laisser abîmer.

Cette« parole qui vous a été dite par rapport à la grande pénitente Thaïs (2) est réelle et procède d'un bon principe, lequel aura son effet; vous l'avez compris dans la vérité. Je vous conjure d'y être fidèle.

Cet état demande une grande pureté de vie, qui n'est autre que de se laisser mourir à toute heure et en toutes choses. Ce degré de grâce que vous vîtes une nuit, être donné à certaines âmes, etc..., vous doit encore marquer plus particulièrement l'obligation que vous avez d'être fidèle à votre voie. C'est par là que Dieu veut absolument que vous marchiez. Je vous en donne assurance de sa part et vous ordonne autant que sa Providence et sa toute puissance me donnent d'autorité sur vous, de vous y rendre fidèle, selon l'attrait et la grâce que la divine miséricorde verse dans votre âme si abondamment. Voilà ce qu'il m'est permis de vous dire sur ce sujet, vous priant de nous mander de temps en temps, si toutefois vous le pouvez, ce que Notre Seigneur fait en vous ; non que je veuille que vous remarquiez les opérations que sa grâce fait en votre âme, mais vous entendez bien ce que je veux dire en ce point.

Quant à l'attrait que vous avez toujours de n'être point ici avec moi, hélas ! ma très chère Mère, c'est la grande impureté de mon âme qui vous en fait retirer, car si ma présence vous fait commettre des infidélités, je ne vous la veux jamais procurer et j'aime mieux que les paroles que la bonne âme m'a dites soient sans effet et anéanties, que de contribuer en aucune sorte à la moindre imperfection que vous pourriez commettre. Dieu seul sait à quel point votre âme m'est chère et combien il m'a donné d'affection pour vous, mais s'il veut me réduire dans une privation entière, je consens à tout, lui seul me doit suffire pour le temps et pour l'éternité. C'est assez que vous m'obteniez de sa miséricorde de lui être fidèle et de me laisser comme vous totalement anéantir.

n° 1751

(2) Egyptienne, vivait vers le milieu du IVe siècle. Courtisane, elle est convertie par saint Paphnuce, celèbre anachorète de la Thébaïde. Elle demeura enfermée dans une cellule pendant 3 ans, ne se nourrissant que de pain et d'eau et répétant sans cesse pour toute prière : «Vous qui m'avez formée, ayez pitié de moi». Le temps de sa pénitence terminé, Paphnuce la fit sortir de sa cellule. Elle mourut quinze jours après. [...]


A LA MÊME [MÈRE BENOÎTE DE LA PASSION DE BRÊME] en Alsace

[Février 1650]

Ma très chère Mère,

Je suis en peine si vous avez reçu mes dernières, lesquelles contenaient beaucoup de choses, tant pour les réponses de deux de vos chères lettres que pour mon particulier. Je vous y faisais aussi mes adieux, doutant si je pourrais encore vous écrire avant mon départ ; mais la Providence veut que je possède encore cette satisfaction, m'en donnant le loisir parmi la presse de beaucoup d'affaires qu'on a coutume d'avoir lorsqu'on est sur le point de voyager.

Disons donc sur le premier article de votre dernière lettre, que touchant le respect avec lequel je vous traite, je vous assure n'en avoir aucun scrupule, et ne crois pas contrevenir à l'attrait de la grâce en agissant de la sorte avec vous ; et si cela vous peine d'une sorte, il vous humiliera d'une autre. Je ne puis traiter autrement avec vous, ni même avec d'autres, car les âmes qui tendent à Dieu ont un je ne sais quel rapport à Notre Seigneur Jésus Christ qui m'oblige à respecter, non les âmes simplement, mais la grâce de Jésus Christ opérant en elles. Ce n'est donc pas vous que je respecte en tant que créature, mais Dieu essentiellement régnant en vous. Voilà pour le premier point, et vous devez ne faire point de retour là-dessus.

Secondement, vous dites que vous avez ressenti les effets de notre assistance, jointe à la miséricorde que Notre Seigneur vous fait de vous enseigner, et que jamais vous n'auriez entré dans la voie etc... J'avoue que la Providence s'est voulue servir de moi pour vous, comme elle fit autrefois d'une ânesse pour enseigner un prophète (1). Elle se sert de qui il lui plaît, des bêtes et des créatures. Il faut toujours demeurer dans le néant et croire que, si Dieu ne m'avait envoyée vers vous, il vous aurait instruit plus efficacement lui-même, ou aurait suscité d'autres âmes à vous aider à développer votre sentier. J'ai une grande consolation de vous y voir entrer et persévérer. Il est vrai qu'il se faut toujours défier de soi-même, mais il faut aussi beaucoup s'abandonner et ne se point tant réfléchir.

Soyez très simple dans les diverses dispositions, et très passive aux différents attraits de la grâce et mouvements du Saint Esprit. Tous les différents attraits que vous expérimentez sont bons, mais gardez-vous seulement - sans pourtant vous distraire ni gêner - de l'activité de votre esprit, par l'habitude qu'il a prise d'aspirer aux biens et perfections intérieurs. Donnez votre temps d'oraison au sacré silence d'esprit selon l'attrait, mais discrètement pourtant ; n'atténuez point votre corps et ne soyez trop à charge à votre prochain en vous rendant…….22

(I) Nm. 22, 22 - 35

A LA MÈRE BENOÎTE

Paris, ler mars 1652

J'ai lu et relu votre lettre contenant vos dispositions, et plus je les considère plus j'y remarque les effets d'une miséricorde toute particulière de Dieu sur votre âme, et je suis par icelle très confirmée d'une pensée que j'ai très souvent : qu'il fait bon s'abandonner à Dieu

138

et que le défaut du secours des créatures nous est très avantageux, puisqu'il nous met en état de recevoir immédiatement de Dieu les instructions qui nous sont nécessaires sur notre conduite. Ma très chère Mère, Dieu ne vous manque point ; soyez lui très fidèle par une parfaite mort d'esprit. Le premier article vous y oblige puissamment, puisqu'il vous commande d'observer un silence si exact qu'il ne vous est pas permis de dire un seul petit mot, en quelque état que l'on vous mette, soit au Ciel, soit en la terre, soit aux enfers. Dieu se glorifie et prend ses délices dans une âme tout anéantie, il opère en elle et il y fait son ouvrage selon son bon plaisir. Toutes les différentes dispositions de votre état présent ne demandent de vous qu'une totale mort ; c'est l'unique chose que vous avez à faire : de vous laisser mourir. Vous avez la vraie intelligence du silence qu'on vous impose, c'est pourquoi je ne vous en dirai rien. Seulement je vous exhorte à faire peu de retours sur vos dispositions ; laissez-vous perdre et consommer.

Il est très bon pour votre âme que vous soyez sans lumières et sans connaissances, mais vous n'y êtes point encore tout à fait ; il faut y être encore davantage. Laissez-vous conduire à l'esprit de Dieu. Je suis très aise de vous voir éloignée des désirs de savoir et connaître ce qu'il opère en vous.

Sur la disposition, ou effet particulier, qui se passa durant la sainte Messe et qui fut interrompu pour alle'r au travail de la communauté, il est bon. ma très chère Mère, de préférer l'observance à notre satisfaction il se faut surpasser soi-même en telles occasions.

J'en dis de même des jours de la sainte Communion. Chantez l'office divin quand vos forces vous le pourront permettre et laissez opérer Dieu dans le secret ; l'office divin n'interrompt pas son oeuvre. Il y a un peu de privation pour nous, mais il faut la vouloir pour nous acquitter, pour l'unique respect de Dieu, de notre obligation. Soyez dans la récollection autant qu'il vous sera possible, mais ne vous rendez point insupportable à votre prochain. Je vous trouve secrètement attachée à l'intérêt de votre propre perfection. Soyez très libre, sans vous divertir de Dieu ; cette sainte liberté n'est pas encore bien établie en vous.

Communiez plus souvent que vous ne faites, si vous en avez l'attrait : l'obéissance vous le permet. Voilà, ma très chère Mère, ce que je puis dire sur vos dispositions. Je vous enverrai sur icelles les sentiments de plusieurs bonnes âmes, très éclairées dans ces voies. Vous savez mon incapacité, et si ce n'était en vertu de la charge que j'occupe, je ne mé serais pas mise en devoir de vous en écrire ; mais c'est par la vertu et puissance de Notre Seigneur Jésus Christ, lequel je supplie consommer son oeuvre en vous et vous donner la pensée de prier quelquefois pour celle qui est en son saint Amour toute à vous, ma très chère, et plus que très chère Mère.

Sr Mectilde du Saint Sacrement

Je vous supplie d'aider ma chère Mère de Sainte Madeleine dans ses besoins. Donnez-nous souvent de vos nouvelles, je vous en prie. Ma Sr de Jésus L Chopinell fait très bien.

N°707



A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

religieuse à Rambervillers

Paris, [probablement après la fin mai 1652]

Ma très chère Mère,

Il faut que vous m'excusiez si je vous fait de si courtes lettres ; mon temps est si bref que je ne puis vous écrire tout ce que la nécessité et mon affection demanderaient, mais je vous prie d'agréer ce que la Providence me donne pour vous, qui est un grand désir de vous voir bien établie dans la sainte perfection, bien abandonnée à sa conduite, et entièrement assujettie à ses desseins. Je vous exhorte, ma très chère Mère, d'aimer ce qui détruit votre amour-propre, vos intérêts et vos satisfactions. Perdez-vous autant qu'il vous sera possible, et soupirez de tout votre coeur après l'établissement du règne de Jésus Christ. N'épargnez rien de ce qui est en votre puissance pour le procurer en vous, et pour vous conserver en son amour. Toute autre chose que Jésus Christ n'est rien que misère et pauvreté et affliction d'esprit. Celui qui possède Jésus a une plénitude de toute chose et son repos sera une participation de l'état des bienheureux.

Courage, ma très chère Mère, allez à Dieu sans réserve, fidélité en tout.Qui dit tout n'excepte rien. C'est un Dieu que vousservez et que vous adorez. Jésus Christ mérite bien votre amour ; donnez-lui donc tout entier sans faire de partage, n'ayez point d'égard à votre amour-propre qui crie toujours dans la vue de ses intérêts. Dieu, DIEU, ma chère Mère, ET IL SUFFIT, DIEU SEUL PEUT CONTENTER UNE ÂME, MALHEUREUSE, ET MILLE FOIS MALHEUREUSE, CELLE QUI N'EST PAS SATISFAITE DE LUI. Allez à corps perdu dans la sainte obéissance. Exposez-vous discrètement lorsqu'on vous ordonne quelque chose que vous sentez répugner à vôs inclinations, et même à votre perfection. Après que vous aurez humblement représenté la crainte que vous avez d'y être infidèle, si elle persiste, abandonnez-vous, sans retour sur vous-même, vous confiant en la bonté de celui qui est votre force et sans lequel nous ne pouvons rien faire. Agissez selon l'ordre de l'obéissance, mais toujours avec humilité, en la vue de Dieu, et dans une grande soumission à sa conduite. Si vous

140

demeurez appliquée à sa divine Présence, vous ne recevrez point de détriments de ce qui vous sera commandé. Gardez le plus qu'il vous sera possible la paix intérieure et la récollection d'esprit. Parlez néanmoins sans scrupule lorsque la charité le requerra, ou que l'obéissance vous l'ordonnera ou vous appliquera dans ces petites affaires de votre communauté et de vos offices. Soyez libre dans votre opération, et prompte à retourner dans votre application lorsque vous en aurez le loisir. Prenez garde à ne point vous diriger vainement ; tendez toujours à honorer Dieu dans tous les moments de votre vie, puisqu'ils ne vous sont donnés que pour ce sujet.

En votre oraison soyez adorante et humiliée aux pieds de Jésus Christ. S'il a agréable de vous donner de quoi vous occuper en ses divins mystères, faites-le en bénédiction. Si vous demeurez pauvre, aimez votre abjection et souffrez de bon coeur les états où la sainte Providence vous met. Votre oraison ne doit point tendre à votre satisfaction, mais à rendre à Dieu l'obéissance, le respect et les sacrifices que vous lui devez, ou le moyen de les lui rendre comme il faut. L'entier abandon à sa conduite en est le principal effet; et la suprême indiffé: rence le couronne, d'autant qu'il fait agréer à l'âme tout ce qui plaît à Dieu lui envoyer ; car ne faisant oraison que pour le seul plaisir de Dieu, elle [l'âme I sera toujours contente parce qu'elle ne veut que ce que Dieu veut. Je suis en son amour toute vôtre.

no 538 B505

A LA MÊME

Paris, 1652

Jésus anéanti soit votre force et la grâce de votre âme, pour vous souffrir vous-même et adhérer aux desseins de la sagesse éternelle sur vous !

J'ai reçu les vôtres et, pour y répondre, je vous dirai que le peu de loisir m'a empêchée de vous entretenir sur votre peine ; mais je vous en dirai à présent mes pensées. Je n'ai fait aucune estime de cela, et ce d'autant que le démon en peut faire bien davantage pour vous amuser, et qu'il fait trophée de vous distraire de Dieu sous prétexte de Dieu même. Laissez toutes ces choses pour vous humilier et agréez votre abjection ; mais l'agréer dans la paix profonde du coeur, c'est-à-dire vous donner à Notre Seigneur pour être toute votre vie abjecte en vous-même. Il remarque que le désir des vertus que vous avez vient en partie de vous-même. Votre sacrifice ne sera pas entier si vous ne vous délaissez toute à Dieu dans vos misères par une générale et totale démission de vous-même à son bon plaisir. Ne recherchez pas vos intérêts. Si Dieu vous veut laisser ressentir vos imperfections, c'est assez que nous soyons ce qu'il veut et rien plus. Votre orgueil est grand, vous y faites trop d'application par amour-propre. Il faut devenir plus simple et plus abandonnée à la sainte abjection. Vous n'aimez pas assez cette sainte vertu et vous n'imitez pas saint Paul qui se glorifie en ses propres infirmités. N'allez pas si vite, étudiez-vous d'être comme un petit enfant sans tant de réflexions ni de retours. Notre Seigneur n'est pas un Dieu de rigueur, mais un Dieu d'amour et de bénédiction. Laissez-vous doucement à sa conduite. Pour ce qui regarde N. rendez-lui toujours vos devoirs humblement et cordialement ; si Dieu ne vous donne rien par ses paroles, ayez patience et ne vous découragez pas, lui-même vous soutiendra si vous êtes humble et patiente. Ne laissez pas de vous adresser à elle pour vos besoins et souffrez doucement la peine que vous y ressentez. Dieu tout bon veut que vous y goûtiez un peu d'absinthe, elle purge le coeur et guérit des vers. Courage, les petites inquiétudes que vous ressentez sont des vers d'amour-propre et de vous-même qui vous piquent et vous rongent ; il les faut faire mourir. Or vous le ferez, ma chère Mère, en n'écoutant pas tant les plaintes et les gémissements de votre nature, je ne dis pas pour les travaux extérieurs, cela se dira à part, mais pour le reste, qui regarde votre intérieur et vos dispositions. J'ai un grand mouvement de vous dire que vous devez être plus simple. Je serais d'avis que votre oraison fût plus libre et sans une application si forte, comme vous faites, et je voudrais que vous apprissiez quelque vérité ou vertu de Notre Seigneur, pour vous en occuper et voir comme il l'a pratiquée. Rabaissez la pointe de votre esprit qui veut une oraison dont il n'est point capable, et ne le sera jamais qu'après s'être parfaitement anéanti dans toutes sortes d'abjections. Donc retirez votre pensée et demeurez constante dedans votre petitesse, puisque Notre Seigneur le veut ainsi. Si la Providence me donne du temps, je vous dirai le reste de mes pensées au plus tôt sur votre dernière qui contient beaucoup de peines de corps et d'esprit. Je pense néanmoins que vous trouverez dans la présente suffisamment pour vos besoins,.si vous le savez bien trouver. Je vous prie, ma chère Mère, de prier pour la conversion de celle qui est en Jésus Christ toute vôtre.

N° 783 B505




A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION (DE BRÊME)

[Paris] 1652, le jour de saint-Augustin - 28 août

Ma très chère Mère,

Jésus soit l'unique de nos coeurs dans le Très Saint Sacrement de l'autel !

Je vous fais ce mot pour réponse aux vôtres et vous assurer que je les ai reçues très fidèlement et avec grande joie, car intérieurement j'avais quelque chose qui semblait contenir ce désir et j'aurais bien souhaité que vous soyez vous-même témoin et juge tout ensemble, de l'oeuvre dont j'ai écrit à notre bonne mère Sous-Prieure [Mère Bernardine) - et que je crois que vous aurez vue - parce qu'étant partie lorsque mes lettres sont arrivées à Nancy vous les aurez possible reçues, et je le souhaite pour vous donner intelligence de ce que c'est afin que vous la présentiez à Notre Seigneur et que vous le priiez autant qu'il vous sera possible qu'il en fasse selon son très bon plaisir.

Voyez, ma très chère Mère, ce que je mande sur ce sujet à nos chères Soeurs de Sainte-Madeleine et Dorothée [Heurelle], pour ne point faire une répétition dans votre lettre. Je ne sais comme Notre Seigneur me tient, ni ce qu'il veut faire de moi ; je me laisse tellement à sa disposition que je ne dis pas une parole pour avancer ou reculer cette oeuvre. Elle n'est point à moi et l'on m'y fait porter un état d'anéantissement si grand que je n'ai reçu intérieurement aucune connaissance qui m'y lie. J'ai bien un lien secret mais je vous avoue que je ne le comprends pas : Tout ce qui m'a été donné, çà a été un jour à la Sainte Communion ; je compris la dignité et sainteté de cette adoration perpétuelle , j'en connus l'importance, et avec quelle pureté il y fallait agir. Mon esprit fut fait comme un mort, sans complaisance, sans désirs, sans ardeur et même sans avoir aucun être en cette affaire je crois que vous me concevez - et dès lors je demeurais passive à cette oeuvre, sans pouvoir résister ni l'avancer, car j'étais, ce me semble, morte à tout cela, et suis demeurée de la sorte, de manière que je n'y suis rien et n'y dispose de rien ; Dieu seul s'en est réservé la maîtrise. Il est vrai que les personnes qui fondent cette adoration, quelques-unes sont si soumises aux sentiments que la Providence me donne pour leur perfection, qu'elles se soumettent à ce que Notre Seigneur aura agréable de m'en faire connaître ; d'autres ne veulent point que cela soit porté hors de Paris. Enfin, le tout est entre les mains adorables de Notre Seigneur ; qu'il en fasse ce qu'il lui plaira. Je suis si indifférente que, [du moment que je parle], je suis disposée d'aller où il lui plaira, et pour ce qui est de notre chère Maison, si j'étais libre intérieurement, j'aurais un extrême désir d'y retourner, et la grâce que vous m'avez faite de me recevoir sans voix active et passive me donne de puissants attraits de retourner, et tout ce que Dieu me permettra de faire pour cela, je n'y négligerai rien, je vous le promets.

144

Non, ma très chère et plus chère Mère, mon silence n'est point une marque que je sois morte pour vous. Je suis toute vivante en Jésus Christ pour votre âme, si Notre Seigneur me donnait la grâce de la servir. Et il y a plus de six mois que vous seriez ici avec moi, si l'on ne m'avait mandé que vous n'y voulez point venir, et que vous portiez aversion très grande de demeurer ici. Je n'osais vous violenter, mais si Notre Seigneur nous y attache, je voudrais bien qu'il vous donnât la pensée et la disposition d'y venir. Nous en trouverions bien les moyens. Je vois par vos lettres et celles de nos chères Mères que vous priez beaucoup. Priez tant, ma très chère Mère, que vous attiriez cette adoration perpétuelle chez nous. O que j'y consens de bon coeur et là nous serons toutes les victimes du Très Saint et adorable Sacrement !

Ecrivez-nous, ma très chère Mère, tout ce que Notre-Seigneur vous permettra de m'écrire pour votre intérieur. Je suis indigne de grâces et de lumières, mais je suis à Notre Seigneur pour vous, telle qu'il lui plaira me faire être. Je sais qu'il vous fait de très grandes miséricordes, mais il veut toujours la soumission. Continuez votre charité pour mon âme, je vous en supplie, puisque Notre Seigneur vous en donne le mouvement : et par obéissance priez pour ma Soeur de Jésus [Chopinel], afin que Notre Seigneur la guérisse pour sa gloire. Elle fait très bien, et Dieu lui fait de grandes grâces sans qu'elle les connaisse, cela est très bon. Je n'ai jamais cru qu'elle soit pour mourir de sa dernière maladie mais je voulais m'assujettir au sentiment des médecins. Il me semble que Notre Seigneur la veut bien plus épurée qu'elle n'est encore. Priez donc pour sa guérison par obéissance.

J'ai reçu depuis peu des nouvelles de la bonne âme. Elle a reçu votre lettre avec grande joie. Ecrivez-lui quand Notre Seigneur vous en donnera la pensée. Le bon frère qui m'écrivait pour elle est malade depuis quatre ou cinq mois; priez Dieu pour lui.

J'ai bien des choses à vous écrire, mais la poste va partir. Vous trouverez dans les lettres de nos chères Soeurs ce que je ne puis vous dire pour cette fois.

Communiez souvent, je vous l'ordonne. J'écris à ma Soeur Dorothée, mais si elle n'est point chez vous, ne lui envoyez point, parce je n'ai pu encore écrire à ma chère Soeur Scholastique, cela lui ferait peine ; elle croirait que c'est par rebut, non je vous assure…

N°1743




A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU] (1)

148

12 décembre 1652

Ma très chère soeur,

Plus je vais en avant, plus je suis étonnée de l'occupation que votre âme me donne devant Notre Seigneur. Depuis le jour de la Conception de Notre-Darne, à la sainte communion, vous n'êtes quasi point sortie de ma pensée, et je ne sais pourquoi la Providence m'assujettit à vous y souffrir, cela ne m'étant point ordinaire, et ma tendance intérieure serait de m'en séparer entièrement pour n'être occupée d'aucune créature. Je ne puis cependant me défaire de vous, et je ressens même dans le fond de mon âme une liaison qui se fait avec la vôtre, par Jésus Christ qui me presse de souhaiter votre sanctification et de demander à Dieu, de tout mon coeur, qu'il rompe vos liens et vos attaches, afin que vous lui puissiez rendre un sacrifice d'amour et de louange, selon ses adorables desseins.

Je me sens obligée, voire pressée intérieurement, d'avoir un soin très particulier de votre âme, et il me semble que ce qui m'engage à cela, c'est la connaissance que l'on me donne de l'état de perfection où la grâce de Notre Seigneur Jésus Christ vous destine, pour laquelle j'ai tant de respect que je me voudrais consommer pour vous y servir. Et c'est aussi ce qui me donne la liberté de vous prier très instamment d'être fidèle et de suivre l'appel de Jésus Christ, qui vous veut toute à lui sans réserve. Seriez-vous si misérable que de le négliger ? Le châtiment que vous mériteriez serait très grand et je ne saurais souffrir que vous soyiez si résistante. Ne perdons point le temps et oc notre connaissance ne soit pas vaine, ni inutile à notre perfection. Puisque vous me donnez la liberté de vous parler, ce sera désormais sans retour ; mais je vous conjure de garder à notre égard cette même

(1) La famille Loyseau était originaire de Nogent-le-Roi. Le grand-père d'Anne, Regnault Loyseau s'installa à Paris comme avocat au Parlement et avocat ordinaire de Diane de Poitiers. Il eut trois fils et deux filles. Le père, Charles Loyseau, naquit à Paris en 1564. Il fit une brillante carrière dans le barreau. Lieutenant particulier au bailliage de Sens en 1593, puis bailli de Dunois en 1600. Il épouse, à Châteaudun, Louise Tourtier, puis s'installe définitivement à Paris. Il est élu bâtonnier en 1620, meurt en 1627 et est enterré dans l'église des Saints-Côme et Damien. Il laisse .six gros traités de droit de grande notoriété, et six enfants : quatre garçons et deux filles. L'une Jeanne, épouse Guy Joly et, après son veuvage entre au Carmel où elle meurt comme supérieure de la maison de Poitiers. L'autre, Anne, née en 1623, prend l'habit au monastère de la rue Cassette en octobre 1660 et fait profession le 31 janvier 1662 et reçoit le nom de Mère Anne du Saint-Sacrement. Elle apporte une dot importante et obtient l'autorisation pour sa belle-soeur et sa nièce (avant le mariage de celle-ci) d'entrer en clôture six fois par an pour quelques jours de retraite. Connue de Mère Mectilde plusieurs années avant son entrée au monastère, elle sera un de ses meilleurs appuis tant pour la bonne organisation de la rue Cassette, dont elle est cellerière en 1684 et sous-prieure en 1689, qtie pour la fondation du monastère de Rouen en 1677. Elle sera élue prieure à la mort de Mère Mectilde, mais elle ne pourra en porter la charge qu'une année. Elle meurt le Vendredi-Saint 1699. Sa tante Catherine avait épousé

Nicolas Absolu, receveur général du Taillon à Rouen, dont la soeur Jeanne Absolu, entra en religion après son veuvage et l'établissement de ses enfants. Elle mourra en 1637 en odeur de sainteté au monastère fontevriste de Haute-Bruyères (près de Montfort-l'Amaury).

(cf. Abbé Joseph Augereau, Jeanne Absolu une mystique du grand siècle, Ed. du Cerf, Paris, 1960, et renseignements aimablement communiqués par M. Jean Lelièvre, conservateur du Musée d'art et d'histoire de Dreux).

149

liberté, sans vous gêner ni contraindre, et lorsque je vous serai à charge vous m'en devez avertir. Gardez-moi, ma très chère soeur, cette fidélité que je vous demande comme un témoignage de votre affection afin que l'Esprit de Dieu ne soit point contraint. Je vous supplie aussi de me dire si vous avez quelque chose qui vous soit plus pressant qu'à l'ordinaire, et si vous ne vous laissez pas un peu trop occuper et pénétrer de la peine et tristesse dont la personne que vous savez est pénétrée Gardez-vous d'y excéder. La plus grande charité que vous devez faire, c'est de conserver votre âme dans le dégagement où Dieu l'attire, c'est de vous défendre de la tendresse naturelle qui vous nuira beaucoup, si vous n'y prenez garde. On ne s'aperçoit quasi pas de son désordre, ni des maux qu'elle cause en nous, jusqu'à ce qu'elle nous fasse ressentir le trouble, et bien d'autres misères auxquelles elle vous assujettira si vous n'êtes pas plus fidèle que du passé. Cette occasion vous servira d'une tentation bien rude si vous ne savez bien prendre les armes pour vous défendre. Je vous en avertis pour vous tenir sur vos gardes, et vous dire que vous devez aimer vos amis comme Dieu les aime. Il faut trouver bon que Dieu les purifie en les crucifiant et qu'il les sanctifie par sa Croix.

Si la très sainte Vierge eût aimé Jésus Christ d'un amour purement naturel, elle n'aurait jamais souffert qu'il fût mort en Croix ; mais elle, qui savait la dignité et la sainteté de la souffrance, et la gloire que le Père éternel en retirait, consentit à sa mort par une profonde soumission aux volontés de Dieu. Voilà comment il faut que vous en usiez. Vous devez plus aimer la perfection et la sainteté des âmes que la douceur et le repos du corps et de la nature. Consentons humblement aux desseins adorables de Notre Seigneur Jésus Christ qui veut se glorifier en ses élus et l'es rendre conformes à son humanité crucifiée. Soumettez votre esprit à ses ordres, et tâchez d'encourager cette personne à la Croix que la divine Providence lui a imposée. Il faut qu'il en fasse un usage digne de Jésus Christ, qu'il porte sa peine avec respect et soumission à sa conduite. Il veut le sanctifier par cette voie et lui donner les moyens de taire des actes héroïques de sacrifice, de mort et d'abandon, de patience, d'humilité, etc... et par ces saintes pratiques il se sauvera et se fera saint. Consolez-le pourtant autant qu'il vous sera possible, sans vous engager ni trop attendrir par les sentiments de nature.

Soyez généreuse, ma très chère soeur, ne vous laissez point gagner à tant de considérations humaines. Soyons toute à Jésus, Christ. Priez pour moi, très chère, vous ferez une charité très grande, car mes besoins sont extrêmes et dignes de votre compassion et je vous en serai éternellement obligée. Je vous supplie d'offrir à Notre Seigneur l'affaire que vous savez ; on espère en faire parler à la Reine ; priez àrdemment que la divine volonté se fasse en nous et qu'il m'anéantisse totalement.

A Dieu, priez pour moi.

no 2472 N254


A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

Religieuse du monastère de Rambervillers

152

Le jour de Saint Vincent 1653 [22 janvier]


Ma très chère Soeur.

Je reçois votre chère lettre avec beaucoup de consolation et si je ne vous écris point si souvent que je devrais, ce n'est pas que je n'aie quelque loisir suffisant pour cela. Mais un autre motif me jette dans un si profond silence que je voudrais être éternellement dans le néant et n'occuper jamais l'idée des créatures. puisqu:étant ce que je suis, je ne dois plus avoir d'être. O ma très chère Soeur, que d'abîmes je conçois, mais dans un silence si grand que je n'en puis rien dire ! Je ne m'étonne point que vous commenciez à ne me trouver plus en vous comme vous faisiez du passé. Il est juste, et plus que très juste, que je ne sois plus rien dans les saints et dans les amis de Dieu. Il faut que j'y sois toute anéantie, pour le temps et pour l'éternité, sans ressource. Je me laisse à la vertu divine pour cet effet ; il n'y a que Dieu qui soit capable de faire son oeuvre; nous n'avons qu'à nous laisser mourir et il saura bien nous donner la vie... Je ne veux plus avoir de pensée que pour la mort. Voilà à quoi nous sommes appliquée, mais mort sans relâche en la manière que Dieu l'entend. Au reste, je ne converse plus avec les saints ; je ne vois plus personne. Je suis plus dans le silence et la retraite que du passé et je goûte bien le bonheur que je possède, mais il me passe de petites appréhensions de n'y être pas longtemps ; si l'établissement que l'on poursuit vient à avoir son effet, il m'en fera bien sortir. Je vous avoue que c'est un sacrifice le plus grand que je puis faire que d'y consentir. Je n'y adhère que dans l'espérance que Notre Seigneur aura pitié de moi et qu'il me fera la grâce d'y trouver bientôt la mort. Cette espérance me console et me donne quelque courage, si je puis m'y appuyer. Quelquefois je ne le puis, et aussi d'autres fois il m'est permis d'en avoir la vue.

Je serai bien aise d'apprendre, si Notre Seigneur vous le permet, le changement qu'il fait en vous. J'ai une joie de m'y voir anéantie. O ma très chère, Dieu veut occuper en vous la place que j'y tenais, n'est-il pas juste ? Ne regrettez point la perte que vous faites ou pouvez faire de moi en toute manière. Réjouissez-vous de ce qu'une pécheresse n'aura désormais plus de vie en vous et que le seul Jésus Christ y règnera plus parfaitement. Mon Dieu, que ne sommes-nous dans un oubli éternel dans tout le monde, et qu'on ne se souvienne plus que de Dieu ? Lui seul doit être et tout le reste anéanti. Qu'est-ce que toutes les créatures ? Ce sont des êtres qui doivent être réduits au néant, par hommage à l'être infini de Dieu. Ne soyons donc désormais plus rien, ni pour les créatures, ni pour nous-mêmes.

Oui, ma santé est bonne, et mon humeur je ne sais ce qu'elle est sinon que, n'ayant plus rien à perdre ou à gagner, tout me doit être indifférent, et je vis sans beaucoup de souci: Notre Seigneur étant celui qui seul doit être, tout le reste ne nous doit point occuper que dans l'ordre de sa conduite, pour sa gloire et non pour notre repos ou nos intérêts. Voilà deux petits mots qui vous feront connaître quelque chose de ma misère. Priez Dieu pour môi et nie croyez toute à vous de même coeur que du passé, car je ne change point. Ayez bien soin de notre bonne Mère, conservez-la ; elle m'est bien chère et à toute la Maison. C'est notre trésor et sans elle que ferions-nous ? Donc je vous la recommande très instamment, divertissez-la et la soulagez et me donnez de ses nouvelles et des vôtres et croyez que si nous nous pouvons revoir une fois... A Dieu, je suis votre pauvre...

no 1359



A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU]

15 février 1653

Ma très chère et honorée soeur,

Nous avons reçu les effets de votre très grande charité, dont nous vous rendons mille grâces très humbles et prions Notre Seigneur qu'il vous en soit la très digne récompense. L'on dit tous les jours dans notre petite chapelle les messes que votre dévotion vous a donné le sentiment

154

de faire dire, et nous y communions à votre intention.

La bonne personne que vous savez, qui a fait parler touchant la vocation de Melle N., a encore fait un peu de bruit, et a fait parler à la dite demoiselle. Pour moi, je ne fais qu'admirer et adorer les ressorts de la Providence et trouver bon qu'il me détruise totalement. C'est ma passion présente d'être réduite au néant en toutes manières. J'en espère quelques effets de la divine miséricorde, et je vous supplie employer vos saintes prières pour obtenir ce saint état ; et quand je serai anéantie, je ferai des merveilles devant Dieu pour vous, et d'une manière efficace, car ce ne sera plus moi mais Jésus en moi. Le désir que j'ai de votre sanctification demeure toujours dans mon âme et nonobstant que je ne vous écrive point, vous m'êtes toujours très présente. J'aurais quelquefois assez de mouvement de vous dire deux mots, mais je ne crois pas cela utile ; ma pensée est de vous laisser toute à Dieu, sous la conduite où sa sainte Providence vous a mise. Et je craindrais faire plus d'obstacle à votre perfection en continuant de vous écrire qu'en observant un profond silence, que j'aurai pourtant peine de garder avec vous, après une si grande liberté que vous avez eu la bonté de me donner. Je ne puis m'empêcher de m'intéresser devant Dieu pour vous. Il faut que votre charité me souffre, car vous m'êtes, en son saint amour, plus ch ère que je ne suis à moi-même.

Soyez, ma très honorée soeur, à Jésus Christ; je vous y sacrifie de tout mon coeur avec Monsieur votre frère. Depuis que j'ai eu l'honneur de le voir il occupe très souvent mon esprit et je crois que Notre Seigneur le veut plus dans sa grâce et dans son amour qu'il n'en n'a, possible, la pensée. Je vous supplie qu'il trouve ici mes respects, et vous, les assurances de ma fidélité, qui sera pour vous inviolable en l'amour de Jésus Christ et par Jésus Christ, puisque je suis en lui toute votre plus petite et très obligée servante.

n°2324 N254



A LA MÈRE BENOITE [DE LA PASSION DE BRÊME] Sous-Prieure de Rambervillers

22 février 1653

Ma très chère Mère, (1)

Ayant appris par les lettres de notre bonne Mère l'état d'infirmité où vous êtes continuellement réduite, je me suis trouvée dans la disposition d'être fort touchée de la perte que je ferai de votre chère personne lorsque Notre Seigneur vous retirera de cette vie. C'est un sacrifice très grand et des plus grands que je puis faire ; mais il faut se résoudre à être dépouillée de tout sans aucune réserve. O que de morts il faut faire avant que de l'être ! En effet, ma toute chère Mère, selon les apparences et la continuation de vos maladies, il se faut résoudre de vous voir partir. J'ai été obligée ce matin à la sainte Communion de vous rendre à Dieu et à me désapproprier de tous les usages et de tous les appuis que j'avais en vous. C'était une vie secrète que je conservais, dans la consolation que je ressentais de notre sainte union. Je sais bien que Dieu vous a donné charité pour moi autant que pour vous-même, et lorsque je voyais la part que votre bonté me donnait en votre sainte affection, mon âme s'en réjouissait et il me semblait que je ne pouvais manquer ayant votre charité pour appui. Mais, hélas ! j'apprends une leçon bien rigoureuse, qui me va dépouillant de toute la vie que je prenais dans les âmes saintes ; je m'y suis trop souillée et j'y ai pris trop de satisfaction, c'est pourquoi Notre Seigneur m'en prive tous les jours, et me va tellement dénuant qu'il me semble me vouloir faire vivre comme un mort sur la terre, sans prendre plus aucune vie en quoi que ce soit ; et je reçois tous les jours assez de lois intérieures dans le fond de mon esprit pour être certaine que ma petite voie n'est que silence et anéantissement. Demeurons dans l'abîme où la conduite de Dieu nous tient, et que chaque âme soit victime selon son degré d'amour n'étant plus rien qu'une pure capacité de son bon plaisir. Laissons-nous consommer comme il lui plaira.

Votre âme, ma très chère Mère, approche de sa fin et du moment de sa totale consommation. Je la vois, ce me semble, se laisser en proie à l'amour divin qui fait ses opérations en différentes manières; je les révère de tout mon coeur. Je le supplie, puisqu'il me jette dans l'obligation d'un dépouillement éternel, qu'il vous permette de me donner encore une fois de vos nouvelles, et que je demeure unie à vous, comme lui-même nous a unies. J'espère qu'il ne me déniera pas cette consolation qui m'est si chère et que, s'il vous permet de me faire savoir l'état de votre âme en l'autre vie, vous m'accorderez cette grâce, par laquelle j'espère être instruite des volontés de Dieu sur mon âme. Vous avez été ma bonne et chère maîtresse sur la terre, soyez-là encore au ciel, ma très chère Mère.

S'il m'était permis d'avoir encore quelque désir, ce serait de vous revoir avant la mort. Et même la pensée de ce cher bien me voudrait faire trouver quelque invention pour obliger les personnes d'ici à consentir qué je fasse un petit voyage, qui ne durerait qu'un mois ou six semaines. Je ne sais si je l'obtiendrai, mais si j'étais libre j'en aurais le désir, que je sacrifie pourtant pour être anéantie dans les ordres du bon plaisir de Dieu, qui nous doivent être plus précieux que toutes les joies du paradis. Je fais un très grand sacrifice en votre personne et Dieu veut que je le fasse sans réserve. Je m'y abandonne, et consens que Notre Seigneur fasse en vous sa très sainte volonté pour la vie

156

et pour la mort. Je vous remets à sa disposition divine, et toute la part que j'avais en vous, je la remets en lui-même, ne voulant plus rien en vous que lui-même. Je vous rends à lui en me désappropriant de votre sainte affection, et de tous les biens que je possédais par icelle. Je ne veux plus rien être en vous, Dieu seul y doit avoir vie, et je suis indigne de celle que sa grâce m'y a donnée. Je ne veux plus vous aimer pour mes intérêts mais pour ce que vous êtes à Dieu et qu'il prend sa complaisance en votre âme. Je veux aimer Dieu en vous et vous aimer anéantie en son amour. En cette vue je vous aimerai au ciel comme je vous ai aimée sur la terre et notre liaison sera sans interruption.

Adieu donc, ma très chère Mère, allez à Dieu s'il vous retire de ce monde ! Oh, que de bonheurs dans la mort ! Mais je ne les veux pas envisager de crainte que le respect et l'amour de la mort ne me retirent de la mort même. Si Notre Seigneur vous emporte, vous serez bienheureuse de le suivre ; et s'il vous retire durant les quatre mois de ma supériorité, je vous envoie toutes les bénédictions qu'il me donne pouvoir, en vertu de cette charge, de vous donner et appliquer. Je vous les souhaite avec toute la sainteté que je vous les puis désirer, en la grâce et vertu de celui qui, par lui-même, donne la puissance. Et si ces quatre mois sont écoulés, je vous demande humblement la vôtre en qualité de votre très indigne novice. Et dans cet esprit je vous remercie de toutes les bontés que vous avez eues pour mon âme et que vous aurez éternellement, si mes péchés ne m'en rendent indigne. Je vous la recommande pour, de votre main, être rendue à son Dieu. Je vous supplie de lui rendre encore ce bon office, et je le ferai prier pour sa gloire en vous, et qu'il vous consomme en lui, par l'amour et vision béatifique qui vous abîmera à jamais en lui. Au reste, ma très chère Mère, ne pensez pas que ce que je vous écris soit par quelque connaissance que j'aurais de votre mort, je vous assure que non. Vous savez ma conduite, je n'ai point de lumière ; mais je préviens le temps auquel je n'aurai pas, peut-être, les moyens de vous écrire : la Providence m'ayant donné ce mouvement, je m'en dois servir, et vous assurer que le temps ni l'éternité ne désunira point nos coeurs que Notre Seigneur a unis en lui, et c'est par lui que je vous serai éternellement fidèle.

Adieu, ma très chère et plus que très chère Mère, je ne vous fais point d'adieu dans les sentiments de tendresse que tant de fois je vous ai témoignés. Je ne sais comme je suis, je ne me dois plus regarder. Soyez à Dieu, allez à Dieu, pourvu que vous soyez consommée dans l'amour de son bon plaisir, il me suffit, je ne dois plus rien désirer, puisque je ne dois plus rien être, ni en. moi, ni ès créatures ni en Dieu comme du passé, mais que lui seul soit. Amen

C'est votre pauvre et fidèle...

N° 55

(1) Mère Mectilde, élue en 1650 prieure du monastère de Rambervillers, le restait de droit jusqu'en juillet 1653, bien qu'elle résidât à Paris depuis le 25 mars 1651. Ce n'est donc qu'en juillet 1653 que Mère Benoite de la Passion fut élue prieure, bien qu'elle en eût rempli déjà la charge en fait.


A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU]

3 avril 1653

Ma très chère soeur,

Puisque vous m'avez donné la liberté de vous écrire lorsque j'en aurais le sentiment, je vous prie de me donner de vos nouvelles. Je ne sais si je dois être en peine de vous, mais je puis vous assurer qu'il y a plus de douze jours que vous m'êtes pressamment dans l'esprit. Etes-vous malade, ou plus triste ? C'est possible un simple effet de mon affection qui est très grande pour vous et qui voudrait être en état de vous le témoigner. Je ne le puis que par désir, car l'impuissance où Dieu me tient depuis longtemps borne le reste. Mais quant à la volonté, elle ne le peut être, car Notre Seigneur me donne une liaison trop étroite avec vous, et semble augmenter en mon âme les soins et les désirs de votre perfection. Je souffre avec peine le retardement d'icelle, parce que les moments de notre vie sont chers à Jésus Christ. Mais l'heure n'est pas encore venue, il faut l'attendre, et cependant vous rendre attentive à sa divine voix, vous souvenant des paroles du prophète qui dit : « Si aujourd'hui vous entendez la voix du Seigneur, gardez-vous bien d'endurcir votre coeur (1) ». Rendez-vous flexible aux touches de son divin Esprit et vous laissez pénétrer de son amour. Vous, ma très chère soeur, à qui Dieu a donné un coeur tout d'amour, pouvez-vous bien le divertir en d'autres objets que lui ? N'a-t-il pas assez de charme pour vous contenter ?

La Magdeleine ne voulut point s'arrêter avec les anges ; son amour la transportait vers celui qui était le Seigneur des anges. Plût à Dieu que vous en puissiez faire autant et que les créatures ne vous, puissent plus arrêter, ni occuper ! C'est assez, convertissez-vous toute à Jésus Christ ; donnez-lui ce qui vous reste. Je vous supplie que ce saint Jubilé fasse quelque changement en vous ; quittez ce qui vous retarde d'être à Dieu. O ma très chère, que vos oppositions sont grandes ! vous êtes bien enchaînée et, nonobstant que vos liens soient petits en apparence, ils vous lient bien serré ! Votre vie me paraît si humaine, vos opérations si peu animées de l'onction de Jésus Christ ; votre âme ne sent point l'odeur de Dieu, la créature y vit encore ! Cependant vous êtes chrétienne et obligée de vous revêtir de Jésus Christ. Je vous supplie d'en avoir au moins le désir et de vous donner à lui pour cet effet. Il y a quelque chose en votre âme qui la tient en terre et qui l'empêche de prendre son vol à Dieu. Je le prie vous le faire connaître et vous donner la grâce de l'arracher et vous en séparer.

Je serai bien aise de vous voir quand la Providence vous en donnera le loisir. Je vous veux faire part de la joie que nous avons de posséder le Très Saint Sacrement. On nous l'a donné sans que nous soyions établies ;

158

je vous supplie le venir adorer et lui demander ma totale conversion. Je suis en son saint amour, de tout mon cœur, toute votre fidèle amie et très acquise servante.

N°2551 N254

(1) Ps. 94,7-8.



A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Prieure du monastère de Rambervillers

161

[1653 au plus tôt]

Jésus soit l'unique de nos coeurs !

Dee reçois les vôtres du 7ème du courant, je vous y fais une prompte réponse pour votre consolation. Ecrivez à la bonne âme23 avec autant de franchise et de liberté comme si c'était à moi et plus encore, parce qu'elle est infiniment plus sainte et plus éclairée que moi. Car pour vous parler en fond de vérité, je ne suis que ténèbres et misères extrêmes ; mais il ne se faut pas toujours regarder: si je m'arrêtais à ce que je suis, jamais je n'ouvrirais la bouche. O mon Dieu, je ne vois en moi qu'abomination et péché. Croyez que je suis bien réduite, et pas encore assez, j'espère descendre dans un plus profond abîme. Priez Dieu qu'il soutienne l'âme pendant qu'il la détruit jusqu'à la moëlle des os. Nonobstant mes misères, je suis toute dans l'affection de rendre a votre âme tous les services que votre humilité désire. Je prendrai la liberté de vous dire mes petits sentiments comme du passé ; seulement il y aura cela dé différence que je le faisais par obligation, et à présent ce sera par soumission à l'ordre que j'en reçois de votre bonté, qui veut être soumise à la plus pécheresse du monde. Cette impression que vous avez eue pour la bonne âme vient sans doute de Dieu, car elle est dans un excès de souffrance plus qu'à l'ordinaire depuis quelque temps, et avait désiré que vous ayez mémoire d'elle en vos prières. Elle a de grandes affections pour vous. Cela est bien particulier car c'est une personne morte à tout; elle sera consolée d'entendre de vos nouvelles. Il ne faut point de cérémonies avec elle : c'est une âme qui n'est plus de ce monde.

Je loue et benis Notre Seigneur pour tant de miséricordes qu'il vous fait. Je crois qu'il veut bien que vous en remarquiez quelqu'une pour nous en faire part, en attendant qu'il vous ait introduite dans la perte totale de tout vous même en lui. Néanmoins le tout sans contrainte et comme Dieu le voudra, car, pour moi, je n'ai plus de vie pour Ces choses, que pour la pure gloire du règne de Jésus. Il ne m'est plus permis d'avoir aucun désir, ni l'ombre d'aucune curiosité. Il nous faut tout perdre et laisser abîmer, chacun dans sa voie, et dans la sainte et adorable conduite de Dieu. Demeurons chacune dans nos degrés ; quoique le mien soit extrême, je n'en veux jamais sortir, car il faut perdre son être propre afin que Dieu seul soit. J'aurais besoin de vos saintes prières, ma très chère Mère, et si je ne craignais-de vous être à charge, je vous supplierais très instamment de faire une neuvaine pour demander le règne de Dieu en moi selon son divin plaisir, et que je sois réduite au suprême ; mais qu'il soit le soutien de l'âme, afin que dans ces extrémités elle ne succombe point. O Dieu, que son bras est puissant ! Quand il lui plait, il fait d'étranges choses. J'adore tout,

162

m'abîmant dans le silence et le néant où je vous suis par lui et en tout ce qu'il veut que je vous sois.

Continuez d'aller le vendredi devant le Très Saint-Sacrement s'il vous plaît, cela ne nuira point à votre charge, une matinée se passe bientôt. Pour les jeûnes de la Règle, je ne crois point que vous en devez faire. Il y aura moins de vous même en ne jeûnant point et plus d'abjection. Je vous prie soumettez-vous à celles qui vous en prient.

A Dieu, ma très chère Mère, c'est votre très indigne Fille.

N°1354 N267



A RÉVÉRENDE MÈRE DOROTHÉE IHEURELLE1

Sous-Prieure du monastère de Rambervillers

28 may 1654, mercredi de la Pentecôte

Ma très chère Mère,

Je reçus avant-hier les vôtres au plus fort d’une cérémonie que nous faisions, qui était la vêture de Mademoiselle d'Uxelles (1). Priez Notre Seigneur qu'il la revête de son divin Esprit et de la grâce de sa sainte vocation. Quelqu'une de nos Mères vous en dira le détail. Je me contenterai seulement de vous dire qu'il me semble que toutes ces choses se font si hors et si loin de moi que je ne les sens point. Je ne trouve plus en moi la capacité de me réjouir de quoi que ce soit. Il faut pourtant excepter une chose, qui m'a donné grande satisfaction : c'est qu'ayant fait faire une Notre-Dame plus haute sans comparaison que moi, tenant son enfant sur son bras droit, et de la main gauche tenant une crosse, comme étant la généralissime de l'Ordre de SaintBenoit, et très digne Abbesse, Mère et Supérieure de cette petite maison du Saint Sacrement, on nous l'apporta samedi veille de la Pentecôte. Je vous avoue que son abord me fit frémir de joie et de consolation, voyant ma sainte Maîtresse prendre possession de son domaine et de tout ce petit couvent. Elle n'est pas encore parfaite, car on la doit dorer et la rendre parfaitement belle, et après qu'elle sera achevée en sa perfection, on la fera bénir (2), et puis élever sur un trône préparé à cet effet au milieu de notre choeur, entre la chaise de notre Mère Sous-Prieure et la nôtre. On l'admire, et certainement elle est belle et• me console extrêmement.

Il me semble que je n'ai plus rien à faire quand je vois cette aimable princesse tenir son rang d'autorité et de bonté en nos endroits. Je vous

(11 Cette jeune fille ne put persévérer pour raison de santé.

(2) Cette vierge est la «Notre Dame Abbesse» du monastère de la rue Cassette, bénie le 15 août 1654. Cette statue a disparu pendant la révolution. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 99 et 296 - 297.

prie de l'honorer pour nous et la supplier de prendre une souveraineté absolue sur nous toutes, et qu'elle nous rende dignes d'être ses vraies filles. Nous vous manderons toute la cérémonie quand elle sera faite ; ce ne sera encore de plus de deux mois. Nous vous prions de nous aider de vos saintes prières à nous disposer à ce saint jour, qui m'est un des plus précieux de ma vie. J'espère tout de ma sainte Mère et très aimable Maîtresse. C'est bien ma bonne Mère en vérité, et il me semble que ma confiance passée s'est renouvelée en moi plus fortement que jamais. J'attends d'elle un grand secours pour la bonne conduite de ce petit monastère qui n'est pas encore parfaitement établi. Il ne fait que naître. Priez cette sainte Mère d'y verser ses saintes et abondantes bénédictions. Dieu y veut beaucoup de sainteté, mais je suis bien opposée à ses desseins. A moins que d'être très anéantie, il n'y a pas moyen de correspondre à un ouvrage si saint et qui fait bien enrager le démon. Il en fait bien des tempêtes.

Ma très chère Mère, je suis en bonne santé, quoique nos Mères ne le croient point. J'ai été plus languissante que je ne suis maintenant. Pour ma vie, je l'abandonne et n'en sais pas la fin. Seulement, il serait à désirer que je la termine en agissant dans mes obligations, parce que nous avons trop d'occupation pour appliquer mes Soeurs à m'assister à ce dernier passage. Je ne crois pas que ce soit sitôt, car j'ai bien de la vie dans le coeur. Je vous assure qu'on n'a pas seulement le loisir d'y penser, car il ne se faut réfléchir que le moins que l'on peut et se laisser perdre sans ressource. Hélas ! Je ne me consomme pas devant le Très Saint Sacrement, mais je me consomme dans le tracas et dans les créatures. Voyez quelle effroyable consommation ! A Dieu, priez-le qu'il se glorifie en tout. Je suis en lui, et à toute la chère communauté, votre toute acquise et plus fidèle ...

N° 1361


A LA MÊME

le jour St Mathieu 1654 [21 septembre]

Ma Révérende et très chère Mère,

Jésus dans son divin Sacrement soit notre consommation !

Je viens tout présentement, Je recevoir les vôtres, très chère, en date du 10ème du courant. Elles nous ont apporté bien de la joie, car je ne pouvais plus supporter votre silence, ni un si long retardement de vos lettres. Je vous prie, ma chère Mère, une fois pour toujours, de ne nous en priver si longtemps ; cela me met trop en peine, et je demande à votre charité cette satisfaction d'avoir, de temps en temps, des nou-

164

velles de vos santés et de la maison, à laquelle je prends le même intérêt que si j'étais encore Supérieure. Je l'ai trop aimée et l'aime encore trop pour l'oublier. C'est une chose impossible, et souvent notre Mère Sous-Prieure (1) et moi cherchons un moyen d'y faire un petit voyage, pour avoir la consolation de vous entretenir encore une bonne fois avant que de mourir. Je n'en vois point de plus prompte et meilleure occasion que d'aller à Plombières au lieu de Bourbon, pour un bras que j'espère être un jour perclus. J'en ressens des atteintes très grandes et je n'y veux point faire de remèdes, afin que les médecins m'ordonnent sans autres ressources les eaux chaudes, et Dieu sait comme je drillerai [j'irai droit] à Rambervillers. C'est là où je ferai mes remèdes et, si Dieu voulait, mon cercueil sans avoir la peine de revenir.

Voilà une de nos petites saillies, mais hélas ! cela dure peu, car nous avons si peu de temps à respirer qu'à peine en trouvons-nous pour un peu nous divertir. Mais tout de bon, si ce mal de bras ne me contraint à faire un voyage, je ne vois pas lieu, de longtemps, de l'espérer ; partant il faut prier pour l'augmentation de mon mal, qui n'est pas si grand que je le désire. J'ai été languissante deux mois et plus, avec une fièvre et faiblesse de poitrine assez grande. Ce qui était plus mauvais, c'est que j'avais les jambes et les pieds fort enflés et les marques y demeuraient et, de là, je pouvais douter d'être bien plus mal. Mais de tout cela, la nature en moi s'en joue ou Notre-Seigneur s'en rit, car je passe toujours par dessus tout et n'alite pas. J'ai traîné ainsi ma pauvre vie. Présentement je suis bien mieux selon le corps, mais toujours très mal selon l'esprit, car je suis toujours tant opposée à Dieu que cela est pitoyable.

Ma Soeur Marie de Jésus [Chopinel] souffre beaucoup de corps aussi bien que d'esprit depuis quatre ou cinq jours. Continuez de prier. Je vous avais écrit une lettre à son sujet, de trois ou quatre pages, mais je la crois perdue, car vous n'en avez jamais dit mot. Hélas ! ma très chère Mère, je suis indigne de servir cette âme et toutes celles qui sont ici. Je me vois bien l'esclave de toutes, mais je suis si ténèbres que je ne vois goutte à leur conduite. Ce qui me console, c'est que la Mère de Dieu a dit à la bonne âme qu'elle aura soin de cette communauté. Cela me donne un peu de repos, et lui abandonne plus confidemment, puisqu' elle assure d'en prendre le soin. Elle prie bien pour ma Soeur de Jésus, mais il faut qu'elle se résigne à Dieu ; je ne sais quand il lui plaira la soulager. J'ai bien de la dévotion a Notre-Dame de Repos et, pour son amour, je vous y demande une neuvaine, afin qu'il lui plaise me donner-le vrai repos, que l'on peut avoir en cette vie, qui est d'être toute anéantie. Je ne sais point de repos pour moi que le centre de mon néant, dans lequel j'aspire d'être toute abîmée.

(1) Mère Bernardine de la Conception Gromaire a quitté son monastère de Rambervillers avec Mère Anne de Sainte-Madeleine fin 1653. Elles rejoignent Mère Mectilde à Paris pour la seconder dans la fondation de l'Institut.

Faites part à notre très chère Mère Prieure de nos nouvelles, et lui dites que la plus grande satisfaction que je reçois des choses de la vie ce sont ses lettres ; quand il lui plaira, elle nous écrira. J'ai différé de dire vos sentiments pour notre Marie pour quelques raisons. Si elle n'avait l'affection pour R., elle serait déjà reçue céans. Elle se change bien, mais elle a peine à se résoudre de penser à nos retours et qu'elle demeure ici. Si la Providence nous manifeste ma mort en France, je lui donnerai l'habit pour cette maison ; car si nous y mourons, il faut qu'elle se résolve - d'y demeurer, ou de n'être point religieuse puisque vous ne la voulez point. Nous en ferons le mieux qu'il nous sera possible. Faisant bien, elle n'aura pas de peine ici, car partout il faut se rendre à Dieu ; elle en témoigne bien du désir. Je la servirai de tout mon possible pour céans, elle s'en peut assurer. Mais pour ailleurs, je n'y ai point de pouvoir, et ne voudrais pas en avoir, car j'aime que tout se fasse dans une sainte liberté, ne prétendant jamais violenter les inclinations ou les sentiments d'une Communauté.

Ma chère Mère, faites bien mes recommandations à toutes, je vous en supplie, et particulièrement à notre très chère Mère Prieure. Notre Mère Sous-Prieure vous écrira plus amplement de tout et de notre Sainte Mère Abbesse. Je ne vous oublie pas, je la prie récompenser toute la charité que son Fils vous a donnée pour moi et qu'il vous consomme en son amour. A Dieu, ma très chère Mère, Messieurs de Bernières et Roquelay (2) vous saluent. Ils font des merveilles dans leur ermitage ; ils sont quelquefois plus de quinze ermites. Ils demandent souvent de vos nouvelles. Si notre bonne Mère Prieure voulait écrire de ses dispositions à M. de Bernières, elle en aurait consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l'état du saint et parfait anéantissement. Nous avons ici pour notre sacristain le bon vigneron de Montmorency (3). Je ne sais si vous l'avez connu, c'est un ange en terre. A Dieu, je ne puis finir. Je suis en Jésus toute vôtre...

no 1594

(2) Jean de Bernières-Louvigny. M. de Roquelay, prêtre, lui servait de secrétaire. Cf. M. Souriau, Le mysticisme en Normandie au XVIle siècle, Perrin, 1923 et C. de Bar. Documents, 1973, p. 64.

(3) Jean Aumont, dit de la Croix. né à Montmorency en décembre 1608 et mort le 19 avril 1689. Il a été inhumé aux Filles Pénitentes de Saint-Magloire, rue Saint-Denis à Paris. Aumont semble avoir été l'un des chefs de cette école mystique pré-quiétiste, qui cherchait à répandre l'oraison du coeur, cf. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Bloud et Gay, 1916. t. VII, chap. V, p. 326 et suiv. J. van Schaick dans Revue d'histoire de la spiritualité, t. 50 (1974), p. 457 et suiv.

166


EXTRAIT D'UNE LETTRE À UNE RELIGIEUSE

du monastère de Rambervillers

Paris, 1654

Ma très chère Mère,

Pour ce qui est de mes croix, je ne vaux pas la simple application de votre esprit à mes humiliations. J'espère que la Providence me rendra digne d'en avoir de plus grandes. Priez Dieu que je ne l'offense point. Depuis quelque temps, je vois une espèce de béatitude à être rejetée, méprisée, crucifiée et maudite des créatures et me semble que je ne serai jamais parfaitement à Dieu si je ne passe par là. Il plaît à Dieu m'y mettre au regard de plusieurs, mais non pas de tous. Ainsi le bonheur n'est pas accompli. J'avoue qu'il faut une très haute grâce pour le soutenir, mais ma confiance est en la vertu et miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ. Il sait détruire et soutenir, et si vous entendez dire beaucoup de choses de moi, ne vous en étonnez pas. Pour moi je ne sais comme je suis faite au regard de ces choses ; je suis devenue toute insensible ; il me semble que ma complaisance est au bon plaisir de Dieu. Je trouve ses voies si saintes et si adorables que je ne me puis lasser de les admirer. Mon Dieu, qu'il fait bon nous laisser dans sa sainte main ! O qu'il nous conduira bien et à bon port ! Il me semble que si Dieu nous voulait damner, il y aurait plaisir de l'être de sa main, et par son divin vouloir. Laissons-le faire, tout ira bien et il ménagera notre sanctification au milieu des obstacles que la nature, les créatures et le démon nous dressent. Il me semble que l'âme ne peut plus prendre aucun plaisir sur la terre que dans ce bon plaisir de Dieu ; dès aussitôt qu'on l'envisage, il calme tout, jusqu'au premier mouvement qu'il a la puissance de retenir. Apprenons à nous perdre. Soyons victime en vérité et non en figure. Immolons nos vies, nos intérêts et nos sentiments au bon plaisir de Dieu. Préférons-le à tout et prenons notre complaisance dans le renversement de nos desseins. Je vois que c'est une infidélité à l'âme de désirer quelque chose ; c'est à Jésus Christ de désirer pour elle et de former des desseins sur elle. Je n'oserais plus rien Souhaiter. Il me semble que Notre Seigneur veut que nous demeurions plus en lui qu'en nous et que nous soyons plus agies de son Esprit que du nôtre. Commençons à vivre pour lui dans la pureté de son amour. Donnons-lui cette gloire, que le reste de nos années, qui sont bien courtes, soient purement pour lui sans plus de retour sur nous, non pas même sur notre propre perfection.

Il faut que je vous dise ma juste douleur et dont je suis un peu touchée, ce me semble, c'est de voir qu'en quarante années qu'il y a que je suis sur la terre, je n'ai jamais vécu un moment pour Jésus Christ, je n'ai vécu que pour moi et pour les créatures. En vérité cela est tout à fait affligeant. O ma chère Mère, j'ai une grande espérance que Notre Seigneur m'en retirera. Je vous conjure de l'en prier pour moi, et qu'après avoir donné à cette oeuvre ce que Dieu veut de moi, je puisse m'en retourner dans notre chère Maison, y commencer et finir ma pénitence. Nous sommes plus à Dieu et pour Dieu qu'à nous, pour nous-mêmes. J'ai la pensée que nos vies sont si brèves qu'il ne faut plus retarder. Il faut marcher bien vite sans plus s'arrêter et je le dis souvent à nos Soeurs, je voudrais que nous tendions toutes au parfait dégagement de toutes les choses créées et à la pure adhérence à Jésus Christ. Hélas ! qu'est-ce de tout le reste ? je ne vois rien dans les créatures qu'amertume, vanité et afflictions d'esprit. Priez Notre Seigneur qu'il m'en fasse sortir, et dites, je vous supplie, à nos chères Mères, que je leur demande encore derechef très humblement pardon et que je les prie d'aller bien vite à Jésus Christ. Je les conjure de ne point retarder, et ce n'est pas sans raison que je leur fais cette instante prière, il y va de leurs intérêts etc...

no 2483



DE LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

du monastère de Rambervillers

[en date du 31 mars 1655]

Ma Révérende, toute chère et plus intime Mère,

J'ai fait la lecture de celle que votre charité a pris la peine de m'écrire, avec une joie toute particulière, en y considérant les belles lumières et les belles vérités que Notre Seigneur verse en votre âme. Je crois bien que les vues et les sentiments d'humiliation que Dieu donne font tous les biens du monde à l'âme ; mais si en suite de cela vous veniez à mettre votre talent dans un mouchoir et l'enterriez, je voudrais bien savoir s'il l'aurait pour agréable. Vous avouez vous-mê-ne que vous concevez des secrets et des merveilles dans les voies et conduites particulières de Dieu sur les âmes, et que le secret des secrets c'est de savoir bien demeurer dans sa voie. Voilà beaucoup dire en peu de mots, et je crois que c'est là tout le noeud de l'affaire, en la voie spirituelle.

Que j'aurais de choses à vous dire là-dessus, car je trouve qu'il n'est pas bien facile à de certaines âmes de connaître leur voie et qu'il faut bien souvent qu'elles marchent sans savoir si elles avancent ou reculent, si elles gagnent ou si elles perdent, si elles sont en grâce ou en disgrâce, et ce leur serait une grande consolation si, dans leurs plus grandes peines d'esprit elles savaient que c'est là leur voie pour aller à Dieu et que ces mêmes peines nous y condui-

168

sent. Vous me répondrez qu'elles ne seraient plus peines. Je vous l'avoue : au contraire, ce serait une merveilleuse joie de les souffrir. Je ne sais si j'oserais dire que Notre Seigneur m'a mise dans un exercice, depuis la mi-Carême, qui m'est bien pénible. Je crois qu'il vaut mieux avouer devant lui et les créatures que ce sont mes péchés et mes infidélités. Que je serais en disposition de causer ! Mais il faut finir et vous dire que j'ai bien pensé à ce que vous dites : que le poids d'une nouvelle maison naissante est effroyable ; je le crois certainement. A une âme à qui Dieu en donne la lumière et connaissance, et qu'il lui fait concevoir la grandeur d'une chose qui est dédiée au culte e au service et à l'adoration d'un Dieu, il faudrait des anges, et encore serait-ce peu. Néanmoins il se sert de faibles créatures pour lui rendre des hommages que les plus hauts Séraphins s'en estimeraient indignes ; cela est étonnant. Il faut que je vous avoue qu'en lisant vos sentiments là-dessus, vous me les avez imprimés à mon esprit, et vous m'en avez fait concevoir des choses que peut-être je n'y aurais jamais pensé. Car quand on vient à considérer le haut état où Dieu nous a appelées, nous avons bien sujet de nous humilier, et ces belles vérités viennent de lui, quand nous les avons, et il s'en sert pour disposition et fondement, pour rendre une âme capable d'être en état qu'il s'en puisse servir selon ses desseins. C'est un Dieu qui donne grâce aux sujets qu'il se veut servir; pourvu qu'on n'y muette point d'opposition, encore sait-il bien compâtir à nos infirmités et faiblesses de sa créature. Il connaît bien ce que nous sommes.

Je fus touchée de compassion, en lisant votre lettre, de voir que vous dérobiez à vos yeux le temps que vous preniez pour m'écrire. Je vous prie, ma toute chère Mère, de ne le plus faire, car, comme je vous ai déjà mandé, un mot me suffit. Je sais bien que le temps vous est cher et que vous n'avez que trop d'autres occupations. Quand je vous dis ceci, ce n'est point que je ne désire bien que vous m'écriviez quelquefois, mais sans vous incommoder. Je pense bien écrire à la Révérende Mère Sous-Prieure, mais je ne saurais cette fois ici, j'en suis bien mortifiée ; ce sera pour la première poste, je la salue de coeur et d'affection. Notre Mère ne manque point de faire prier Dieu pour vous, et qu'il vous donne son Saint Esprit pour la réception de vos filles (1). Nous avons aussi bien affaire de prières, car nous allons avoir la visite devant l'Ascension? Monsieur Caillier nous l'a mandé. Demandez à Notre Seigneur que toutes choses se fassent à sa gloire et pour le salut des âmes.

Toutes nos Mères et Soeurs vous présentent leurs très humbles obéissances. Je salue tout votre noviciat et leur suis à toutes, très humble Soeur, et à vous, ma Révérende Mère, votre très humble obéissante et obligée fille.

N° 695

(1) Nous ne trouvons dans le registre des vêtures et professions, à cette date, que la réception de Louise Guisselain. Celle-ci connaissait Mère Mectilde depuis son séjour à Saint-Maur-des-Fossés (1643-1646). C'est elle qui avait conduit M. Boudon, qui n'était pas prêtre alors, près de Mère Mectilde. C'est pourquoi nous le retrouvons, comme prêtre, à la vêture et à la profession de Soeur Marie du Saint Sacrement Guisselain. Elle avait pris l'habit le 27 mai 1654 et fera profession le 8 mai 1655. Il s'agit ici de sa réception à la7 profession par la Communauté. Elle meurt le ler juin 1660, âgée de 40 ans. (cf. lettre de la Mère Benoîte de la Passion de juin 1660).


A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

Paris, 5 ème février 1658

Ma très chère Mère,

Ce petit mot n'est que pour vous assurer de mon souvenir et de mon affection, quoique votre bonté n'en demande point de témoignage par mes lettres, sachant bien le peu de loisir que j'ai et l'impuissance où je suis de posséder cette consolation aussi souvent que je la désirerais. Néanmoins, je prends cette heure après Matines aujourd'hui pour demander de vos nouvelles et si vous avez bien « sauté la souche » [expression locale]. Je vous assure que partout il y a à sacrifier. Ah, que j'estime heureuse une âme qui n'en néglige aucune occasion ! Nous n'avons rien à faire en ce monde qu'à nous ruiner nous-mêmes. Il faut tout abattre : pour peu qu'il reste en nous de nous-même, il est capable de faire tout périr. Mourons donc incessamment, chacun dedans sa voie et selon la conduite de Dieu sur nous, qui ne tend qu'à nous anéantir. Plus nous tardons de mourir, plus nous retardons la vie, le règne et la consommation de Jésus Christ en nous. Priez-le, très chère Mère, qu'il me fasse la grâce de mourir, au moins un peu, avant que de mourir. La mort est horrible à une âme qui n'a point appris à mourir dans tous les moments de sa vie.

Je ne vous parle que de mort, je crois que c'est qu'on en parle céans. Notre bonne Mère Sous-Prieure étant en alarme à cause que mon cierge s'éteignit en le prenant, le jour de la Purification, elle dit qu'il en arriva autant à feu le R. Père Chrysostome (1) et que je mourrai cette année. Elle en pleure tout de bon, mais je ne fais point cas de ce pronostic : nos jours sont dans la main du Seigneur. Quand il lui plaira, il faudra partir. Si c'est cette année, à la bonne heure, pourvu que Notre Seigneur nous trouve comme il veut que nous soyons. Je ne regrette point la vie, elle est pour moi trop misérable et trop remplie de péchés. Si la divine Providence voulait que j'allasse mourir avec vous, je crois que j'en aurais beaucoup de satisfaction. Néanmoins Notre Seigneur est le Maître, il fera tout ce qu'il lui plaira ; on peut parvenir au Ciel de tous les endroits de la terre. Mais si je ne meurs avant que de mourir, tout ira mal à ma mort.

Je continue dans le dessein de vous envoyer notre bonne Mère Sous-Prieure pour achever de la guérir à Plombières. Elle répugne à cela, mais il faut faire tout ce que l'on pourra pour la conserver.

Nous allons entrer dans les grands embarras des bâtiments. Nous

(1) Jean Chrysostome de Saint-Lô, pénitent du Tiers Ordre de saint François, né à Saint-Frémont, diocèse de Bayeux. Durant son séjour au couvent de Saint-Lô, il connait saint Jean Eudes, Jean de Bernières et leurs amis. Il meurt le 26 mars 1646 au couvent de Nazareth, à Paris, alors qu'il était provincial de la province de France. cf. C. de Bar, Documents, 1973 p.68.

180

commencerons dans trois semaines ou un mois. Redoublez pour nous vos saintes prières : c'est la ruine ordinaire des âmes mal fondées en vertu. J'ai bien envie de ne m'y point trop fourrer, mais je crains de me trahir moi-même. La charge donne bien des occupations. J'ai écrit à notre Révérende Mère Prieure, je crois qu'elle vous en dira le sujet. Ne faites rien à ma considération, laissez crier mon âme, faites ce que Dieu veut. Je ne vous en dis point davantage.

Je suis très aise de la réception de notre chère Soeur [de Saint-Prosper d'Arconas], je vous en remercie. J'espère que cette bonne fille se perfectionnera. Je vous recommande la pauvre Soeur de Saint-Alexis ; je voudrais qu'elle fût professe avant que de mourir. Je ne crois pas qu'elle vive longtemps de la manière qu'elle est faite.

Je vous supplie de saluer pour moi toute la Communauté. Je voudrais bien pouvoir écrire à toutes mais le temps me manque, je tâcherai petit à petit. Je suis bien en peine de la chère Mère Placide (2) qui s'est blessée : mandez-nous, je vous prie, de sa santé.

Nous avons eu tant de malades depuis Noël que je me suis quasi vile seule à Matines. La bonne Mère Madeleine est toute indisposée et doute fort si elle ira loin sans tomber tout à fait. Je voudrais bien qu'elle fût à Rambervillers pour sa consolation. Nous aspirons toutes à retourner, du moins notre Mère Sous-Prieure, la Mère de Sainte Madeleine, ma Soeur de Jésus [Chopinel] et moi, nous sommes toujours prêtes à partir et l'on s'en étonne. Les Pères (3) qui nous gouvernent ne peuvent assez admirer notre dégagement et que nous ne nous appropriions point cette maison. Cela les surprend, et ils disent que nous ne sommes pas comme les autres. Certainement il me semble que je n'y tiens à rien et que je n'ai plus rien à espérer en ce monde. Je suis vieille, je commence à regarder la terre comme pour le partage de mon corps24. Je voudrais bien rendre mon âme à Jésus Christ ; priez-le qu'il la possède sans réserve.

Je suis en lui toute à vous très cordialement, ma très chère Mère, votre pauvre Soeur et servante

Sr Mectilde du St St.

J'oubliais de vous dire que nous faisons vendredi prochain, 8e de février, la fête du très saint Coeur de la Mère de Dieu (4). Nous avons grande joie de solenniser cette fête ; j'en espère, quoiqu'indigne, quelque bénédiction. Samedi, ma Soeur Marthe (5) fera profession avec ma Soeur de l'Enfant Jésus.

no 156

(2) Mère Placide Gérard. Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 51.

(3) de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont dépendait notre monastère de la rue Cassette.

(4) Fête instituée par saint Jean Eudes. Notre Institut fut parmi les premières maisons religieuses a inscrire cet office dans son ordo. cf. R.P. Emile Georges, Saint Jean Eudes, Lethielleux, Paris, 1936, p. 252-259.

(5) Marguerite Foin dont il est parlé au Journal de Toul, note 7.

Soeur de l'Enfant-Jésus (Marie Zocoly) reçut l'habit en janvier 1657, lors d'une cérémonie présidée par son oncle le P. Zocoly. Elle fit profession le 9 février 1658 et, en 1684, elle est sous-prieure. Elle fait encore partie des listes de moniales en 1705, mais y figure en tête comme la plus ancienne. Ses parents généreux bienfaiteurs du monastère, ont été inhumés dans l'église. Sa dot a servi à payer une part importante des travaux de l'architecte Jittard pour la construction du monastère de la rue Cassette.



DE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME](1)

182

Toussaint 1658

J'ai une joie particulière d'apprendre la charité que vous exercez envers les âmes du Purgatoire. Et je ne puis m'empêcher de vous dire que, quelques jours avant la Toussaint, je fis un songe qui me toucha beaucoup à mon réveil. Je vis donc un grand nombre d'âmes de ma connaissance qui étaient dans les flammes purifiantes depuis longtemps, qui étaient douloureusement affligées et pleuraient amèrement. Comme je les compatissais, elles me témoignèrent avoir reçu bien du soulagement de votre maison de Paris, et qu'elles y allaient en diligence pour vous rendre un service considérable, parce que votre nouveau bâtiment menaçait une ruine prochaine, et qu'elles y interviendraient avec bien de l'ardeur ; en vérité, ces âmes sont remplies de charité ! Elles me firent aussi connaître qu'elles avaient une obligation particulière à la Mère Bernardine de la Conception, votre sous-prieure : mais cependant qu'elles étaient dans une pauvreté très grande, etc...

1 Extraits du Ms P101 cf. Catherine de Bar », Documents, 1973, p. 171 qui rapporte exactement les faits.


A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

de Rambervillers

Paris, mai 1659

Ma très chère Mère,

Ce petit mot est en hâte pour vous dire une nouvelle qui vous surprendra sans doute, puisque c'est pour vous dire que Notre Seigneur a tiré M. de Bernières, notre cher frère, dans son sein divin, pour le faire jouir d'un repos éternel, samedi dernier, 3 mai. Après avoir soupé, sans être aucunement malade, il s'entretint à son accoutumée avec ces Messieurs, et après, s'étant retiré et fait ses prières pour aller coucher, il s'en est allé dormir au Seigneur (1), de sorte que sa maladie et sa mort n'ont pas duré le temps d'un demi quart d'heure. Voilà comme Notre Seigneur l'a anéanti. J'en suis touchée en joie et en douleur, mais la joie l'emporte de beaucoup, d'autant que je le vois réabîmé dans son centre divin où il a tant respiré durant sa vie.

Que faisons-nous sur la terre, sinon de soupirer après Jésus Christ pour être réunies à lui ? Nous sommes sorties de Dieu et nous y devons retourner ; hors de là l'âme n'a point de repos et n'en pourra jamais trouver. Ce grand saint est mort avant que de mourir, par un anéantissement continuel en tout et par tout, et nous pouvons dire de lui ce que dit l'Ecriture : Beati mortui qui in Domino moriuntur (2). O ma très chère Mère, en puissions-nous dire autant les unes des autres ! Mourons incessamment, mourons toujours, car, dès que nous cessons de mourir, nous cessons de vivre. Je voudrais vous dire en secret qu'on me veut persuader que je n'ai que cette année à vivre. Gardez-vous de dire ceci à notre Révérende Mère Prieure. La très sainte volonté de mon Dieu soit faite ! Je ne tiens plus à rien qu'à la corruption de moi-même qui est effroyable. Priez Dieu qu'il la consomme et que je meure avant que de mourir, c'est mon désir plus que jamais. Je suis fort excitée à cela et, à tout perdre, il me semble que tout s'abîme à tout moment et que je ne dois plus rien avoir que la mort intérieure à laquelle je dois une grande fidélité.

no 146 B505

(2) Apoc 14, 13.

A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Prieure de Rambervillers

31 août 1659

Ma très Révérende Mère,

Il me semble qu'il y a si longtemps que je ne vous ai écrit, que j'en souffre un peu de peine, car mon plus grand bonheur en ce monde est de me trouver dans votre sainte union au Coeur de Jésus douloureux en croix, et anéanti dàns le Très Saint Sacrement. Monsieur [Bertot] (1) a dessein de vous aller voir l'année prochaine, il m'a promis que si Dieu lui donne la vie il ira. Il voudrait qu'en ce temps là, la divine Providence m'y fit faire un voyage afin d'y venir avec vous

Hélas, je ne serais assez heureuse ; ma croix n'est pas encore finie; il faut que je l'embrasse, et peut être faudra-t-il que j'y meure. Je dois être hostie de Jésus Christ, qu'il me consomme selon la complaisance de son amour. Ce me serait trop de grâces de posséder la solitude, que je désire et que j'ai toujours fort à coeur, ne voyant point de véritable moyen de posséder plus intimement Dieu que dans cette retraite, mais mes péchés s'y opposent et Notre Seigneur fait justice de me la dénier. Néanmoins ma fin approche, et je meurs de n'être pas à lui comme je dois. C'est un enfer au dire du bon Monsieur de Bernières, d'être un moment privée de la vie de Jésus Christ : je veux dire, qu'il

(1) lire : il s'est endormi dans le Seigneur.

(1) Monsieur Bertot, ainsi que le dit la lettre de mère Benoite de la Passion, du 22 janvier 1660. Né à Caen, le 29 juillet 1622. il mourut à Paris (abbaye de Montmartre) le 28 avril 1681. (Renseignement fourni par le Rd P. Charles Berthelot du Chesnay).

184

soit privé de sa vie en nous ; c'est ce que je fais tous les jours, en mille manières. J'en suis en une profonde douleur et c'est pour cela que je gémis, et que je vous prie et conjure de redoubler vos saintes prières. Au nom de Jésus en croix et sacrifié sur l'autel, faites pour moi quelques prières extraordinaires, par des communions et applications à Dieu dans votre intérieur. J'en ai un besoin si grand que je me sens périr, ma très chère Mère; soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que, si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal, il m'a dit de vous presser de prier Dieu pour moi ardemment et s'il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi confidemment. Voici un coup important pour moi, et qui fait dire à ce bon Monsieur que je suis dans mon dernier temps. Donnez-moi votre secours, par la charité que vous avez puisée dans le Coeur de Jésus Christ, comme à une âme qui a perdu la vie et qui ne peut ressusciter que par Jésus Christ. Oh ! que je vous dirais de choses si je pouvais ! Je prie Dieu qu'il vous les fasse connaître...25

...Je vous avoue que j'admire quelquefois comment je le puis soutenir, mais je vois que c'est la force divine de Jésus Christ qui fait et souffre tout. Il faut une patience étrange dans ces conduites. Je vous conjure de brûler la présente après que vous l'aurez lue ; vous en savez l'importance. Quand il plaît à Notre Seigneur me laisser seulement approcher de l'ombre de la croix, hélas ! je suis à demi-morte, mais il la suspend au-dessus de moi et la soutient par sa vertu divine. Cependant je ne me saurais plaindre ; aussi n'ai-je pas le mot à dire. Je demeure comme abîmée aux pieds de Notre Seigneur, le laissant faire ma ruine, ma destruction et ma consommation comme il lui plaît. Quelques servantes de Dieu ont eu des pensées de l'état où Dieu me tient, entre autres la bonne Mère Marguerite du Saint Sacrement (2), qui me manda, lorsque j'étais fort malade, que je n'en mourrais point et que celui qui faisait le mal ferait lui-même la guérison. Cela arriva de la sorte, car ayant tous les jours la fièvre, avec des redoublements de frisson, un samedi, avant l'Immaculée Conception de Notre-Dame, l'on m'enleva mon mal tout d'un coup et je ne sais où on l'a mis ; il est à quartier [en rémission] pour revenir quand il plaira au Souverain Maître lui commander de revenir. Nous demeurons ainsi mourante sans mourir souffrante sans souffrir, car en vérité je ne puis dire que je souffre. Tout ce qui était plus fort à soutenir, c'est une effroyable destruction qui se fait au fond de l'âme ; tout y meurt et tout y est perdu ; je ne

(2) Fille de Mademoiselle Acarie, née à Paris le 6 mars 1590. Elle est reçue au Carmel en 1605 et fait profession entre les mains de la Vénérable Anne de Saint-Barthélemy le 18 mars 1607. Sous-prieure à Tours en 1615, puis prieure. On l'envoie à Bordeaux en 1620, à Saintes en 1622. Elle est élue prieure du couvent de la rue Chapon à Paris en juillet 1624, en 1628, de nouveau en 1650 et en 1654. Elle est déchargée de toutes charges le 15 avril 1657 et meurt le 24 mai 1660, ayant fait l'édification de ses soeurs et d'un nombre considérable de personnes. (Archives de nos monastères. Le manuscrit P. 108 rapporte une partie de la lettre écrite par la mère Marguerite du Saint-Sacrement à l'occasion de cette maladie).

sais où je suis, ce que je suis, ce que je veux, ce que je ne veux pas, si je suis morte ou vivante, cela ne se peut dire. Priez Dieu qu'il me fasse sortir du péché ; je suis horrible devant ses yeux divins.

A Dieu, ma bonne et toute chère Mère, en voilà bien plus que je n'espérais pouvoir vous dire, car je suis si fermée et si obscure et ensevelie que je n'ai pas le mot à dire. Priez bien Dieu pour cette Maison ; demandez bien à Notre Seigneur qu'il y règne lui seul et que tout y soit anéanti. Si vous jugez à propos de dire quelque petite chose à la bonne Mère Dorothée, de ce que je vous mande qui me regarde, pour sa satisfaction et lui témoigner toujours un peu de souvenir et de confiance, parce que je ne lui peux écrire comme je voudrais ; je n'ai quasi pas le temps de respirer ; je lui écrirai quand je .pourrai et à ma chère Soeur d'Arconas. Je suis ravie qu'elle soit bonne religieuse. Je me recommande à toute la Communauté. A Dieu, ma très chère Mère, je suis en Jésus votre pauvre et indigne fille.

570 et n° 1685. Le Ms L 14 rattache cette lettre à la précédente. D'autres manuscrits en font une autre lettre dont le début manque (brûlé peut-être) et qui est datée du 15 septembre 1659.



A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE]

Sous Prieure de Rambervillers

185

Paris 3ème septembre 1659

Ma très chère Mère,

Vous avez bien juste raison de ne m'écrire plus, étant si paresseuse à vous faire réponse, et Dieu fera justice quand il vous mettra dans l'impuissance de me pouvoir écrire. Je tâcherai de l'adorer toujours dans ses conduites, même les plus rigoureuses. Il est Dieu, c'est tout dire, et moi ie suis une ingrate et une infidèle à sa grâce. Priez-le qu'il me retire de cette vie, car je lui suis si contraire que, si je vis encore quelque temps, je crains bien de lui déplaire et l'offenser.

Il ne faut point vous étonner de votre silence ; je vois des âmes, au milieu des serviteurs de Dieu, sans qu'elles se puissent ouvrir ni prendre aucune consolation. Il faut quelquefois porter ces états de silence et même d'impuissance à parler. Cette vue de Dieu est un effet assuré de sa sainte présence. Vous n'avez qu'à remarquer quelle est votre fidélité, comme vous vous trouvez et quelle est votre mort au dedans et au dehors. Voilà la pierre de touche. Faites, si vous pouvez, cette petite remarque sans gêner votre esprit. Il ne faut que s'observer fort doucement et quasi sans y faire d'application. Voyez si la contradiction ne vous émeut point, si le calme demeure en vous au milieu des bourras-

186

ques. Cette présence de Dieu est ainsi que vous la dites, je la comprends fort bien. Ne vous étonnez pas qu'elle soit si peu sensible, mais soyez plus fidèle que vous pouvez à vous tourner vers lui. Je vous enverrai pour votre divertissement un petit brouillon de la messe mystique qui se célèbre dans l'intime de l'âme (1). Si Notre Seigneur me donnait grâce et lumière je l'étendrais un peu plus et la rendrais fort intelligible et très suave, car tous les jours et à tous moments nous la pouvons célébrer. Mais je voudrais dire quelque chose de plus, si Dieu le voulait, qui serait comme Jésus Christ est. immolé incessamment en nous, et comme il y continue son sacrifice et nous sacrifie avec lui, vous le savez mieux que moi. Mais il se faut un peu divertir quand Dieu en donne la liberté et ça a été mon divertissement de l'écrire. Mais je n'ai point de temps, et n'ai pas capacité de rien faire.

Il y a près de six mois qu'on me tient dans les remèdes pour cette grande toux qui m'est revenue avec la fièvre. Je suis bien mieux maintenant ; il y a trois jours que je ne l'ai point eue. Je suis au lait d'ânesse, j'ai pris les bains, j'ai bû les eaux, j'ai fait tout ce qu'on a voulu sans aucune résistance. Jamais je n'ai été si soumise que je suis, et c'est ce qui a mis l'alarme parmi nos Mères disant que c'était une marque de mort puisque j'étais si amortie dans mes sens et mon raisonnement. Je n'avais pas le mot à dire ; j'étais tuée de corps et d'esprit ; on ne m'entendait plus parler tant j'étais affaiblie (2). Enfin je suis dans l'incertain et plus encore pour l'année prochaine. Croyez, ma très chère Mère, que la mort ne m'est douloureuse qu'à cause que Jésus Christ n'a point vécu en moi, et que c'est une chose effroyable d'avoir empêché sa vie divine de s'établir en .moi. Oh ! quel enfer dans une âme quand Jésus Christ n'y vit point !

Il faut finir. Adieu, je vous conjure de saluer et embrasser pour moi toutes nos chères Mères et Soeurs, et leur faites mes excuses que je ne leur écris point. Notre Révérende Mère Prieure (3) vous dira comme il faut que je souffre encore un trienne (4) ici, croyez qu'il se faut bien sacrifier.

Ma Soeur de Jésus [Chopinel] est malade de son mal ordinaire, mais bien plus fort et plus fréquemment, n'ayant point de relâche. Elle me

(I) Allusion aux thèmes familiers de Mère Mectilde et qu'elle développera au cours de sa retraite de 1662. cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 128-154 et le Véritable Esprit des Filles du Saint Sacrement.

(2) Le 23 septembre suivant Mère Mectilde écrit à Mademoiselle Loyseau «Je ne puis douter que les saintes messes que vous m'avez fait la grâce de faire dire à Notre-Dame de Chartres ne m'aient entièrement guérie, car je puis vous assurer que tout d'un coup je me suis bien portée et que la fièvre n'est point revenue... ce n'est pas dès aujourd'hui que je vous suis obligée, tant pour mon particulier que pour toute la maison... Nous sommes dans un siècle où la sincère affection est très rare». (Lettre n° 1105).

(3) Mère Bernardine de la Conception Gromaire était sous-prieure du monastère de Paris, mais comme elle avait été prieure de Rambervillers, Mère Mectilde lui garde souvent ce titre par une amicale déférence, surtout avec ses correspondantes de Rambervillers.

(4) Mère Mectilde doit avoir été élue pour un second mandat de trois ans en juillet 1659. Elle espérait pouvoir retourner ensuite en son monastère de profession, comme simple religieuse.

fait si grande pitié que je ne puis m'empêcher de fondre en larmes très souvent. II faut bénir Dieu de tout. Cette maison est une maison de croix, et je ne m'en étonne pas, étant dévouée, par hommage et réparation, au Très Saint Sacrement; il faut se résoudre d'y être foudroyée. Quelques serviteurs de Dieu nous prédisent de furieuses souffrances : il les faut adorer dans la volonté et complaisance de Jésus Christ. Je suis en lui toute à vous.

Sr du St Sacrement

Je vous prie de faire part de ma santé à la Mère de la Nativité, qui a la bonté d'en être en peine. Dites je vous prie à ma Sr d'Arconas que je ne l'oublie point. Je lui écrirai quand je pourrai et surtout recommandez-moi bien à nos chères Soeurs converses.

No 3007



A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

ce 15ème septembre 1659

Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel !

Ma Révérende et ma très chère Mère,

Je devrais commencer ma lettre par vous faire des excuses de mon long silence et d'avoir tant différé à vous rendre ce que je vous dois. Mais vous ne voulez point que je consomme les moments que la Providence de Dieu me donne à vous dire ce que votre bonté sait déjà et à vous demander ce que votre charité me donne. Je vous écris, ma toute chère Mère, sans autre liberté intérieure que celle que le néant me donne, et je me sens si indigne de vous occuper un moment, nonobstant les besoins où je me trouve, que si je suivais mon sentiment, je serais dans un silence perpétuel, même avec les serviteurs de Dieu, ne trouvant rien à dire dans l'abîme où je suis descendue et dans lequel je trouve la paix, la tranquillité et la joie au-dessus de moi-même. Je suis devenue bien plus petite que je n'étais, mais pourtant encore très éloignée de ce que je dois être et que Notre Seigneur veut de moi. Je n'ai plus rien à désirer. Je n'ai, ce me semble, plus de capacité de parler et cependant je ne sais où je suis, mais DIEU EST, et Jésus Christ, [lui] qui est ma vie, ou qui la doit être en vérité, et hors duquel il n'y a point de vie, mais mort éternelle. Vous l'expérimentez mieux que moi qui suis toujours plongée dans les embarras des créatures, qui ne sont guère convenables à la disposition que je porte qui en demanderait l'éloignement entier. Je trouve néanmoins que Notre Seigneur me soutient dans ce tracas continuel ; mais ce n'est pas sans sacri-

188

fice et je vois tous les jours que la solitude est un moyen excellent pour jouir de Dieu et pour recevoir ses opérations miséricordieuses. Et cependant il en faut souffrir la privation et me tenir abandonnée jusqu'au moment qu'il lui plaira de me donner la liberté de me retirer.

Il faut un peu vous demander de vos chères nouvelles. Ma Soeur de Jésus [Chopinel] me fait la charité de m'en dire quelquefois ; elle sait que je n'ai point de plus grande consolation en ce monde. Je l'ai souvent priée de vous dire quelques petits mots pour moi, me confiant en la bonté de Notre Seigneur que ce qu'il vous a mis dans le coeur pour moi continue d'y être toujours, nonobstant mes indignités. Je vous supplie, ne m'abandonnez pas. Je vous demande par grâce une neuvaine à l'âme sainte de Jésus et à son très adorable Coeur, pour honorer toutes les douleurs intérieures et secrètes, et qui sont encore inconnues. dont il a été navré et cruellement blessé en sa douloureuse passion et qu'il continue d'être dans le Très Saint Sacrement de l'autel, quoiqu'il ne soit plus passible ni mortel. Je vous supplie de me faire cette aumône pour les adorer pour moi et y avoir la part que son amour et sa miséricorde m'y veut donner, quoiqu'infiniment indigne. Je ne vous mande point de nouvelles : notre chère Mère Sous-Prieure s'en acquitte pour moi. Priez Dieu qu'il nous la conserve, elle n'est point bien, et ne veut pas souffrir qu'on la soulage. Je ne crois pas qu'elle vive encore longtemps ; je ferais une perte irréparable, mais tout est à Dieu ; il faut être privée et séparée de tout. Trois choses font goûter Dieu divinement à l'âme, savoir : l'abjection, la mort des créatures et la croix cuisante, c'est-à-dire pénétrante ; avec ces trois choses on entre parfaitement et pleinement en Jésus Christ.

Je connais à fond Mr Desmarets ; nous le voyons souvent ; il est en croix de la bonne manière. Les intérêts de Dieu et de l'Eglise le touchent puissamment ; il vous écrivit il y a quelques jours, et comme je prétendais vous écrire aussi, je retins sa lettre potir la joindre à celle-ci.

Je ne sais si vous savez que, la bonne Soeur Anne Marie est à Paris depuis plus d'un mois. Notre bonne Mère Sous-Prieure n'en sait encore rien. Cette pauvre fille fera des discours qui nous causeront un peu de peine, mais il faut tout recevoir dans l'ordre de Dieu ; s'il l'a choisie pour cela, il le faut souffrir comme il veut. Priez pour elle, je vous en suppl ie, et me recommandez aux saintes prières de toute la Communauté, vous suppliant me permettre de la saluer et d'embrasser toutes nos chères Mères et Soeurs en esprit. Je voudrais bien leur pouvoir rendre mes devoirs à chacune en particulier, mais...

n° 969


DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Rambervillers, 22 janvier 1660

Ma Révérende et très chère Mère,

Ces mots sont pour vous congratuler de la joie que vous aurez de voir bientôt notre chère Mère Bernardine de la Conception [Gromaire] laquelle nous avons quittée avec une extrême douleur. S'il me restait encore des désirs en ce monde, j'aurais bien souhaité qu'elle demeurât en notre pauvre maison ; il faut soumettre nos volontés à celle de notre Bon Dieu, qui, vous a donné cette bonne Mère pour vous aider à soutenir le fardeau dont la divine Providence vous a chargée. Lorsqu'elle était ici, sa présence me consolait beaucoup et il me semblait que j'étais déchargée de mon fardeau. L'amour et le respect que Dieu m'a donnés pour elle, dès mon entrée en religion s'augmentant toujours, et nonobstant que je sois séparée de sa chère personne, si est ce qu'il me semble que je suis toujours avec elle en Notre Seigneur. Je n'ai que faire de vous raconter la cordiale amitié que cette chère Mère a pour votre personne, vous le savez mieux que moi : je fais d'autant plus d'estime de l'amitié qu'elle a pour vous que je sais qu'elle vient de Dieu. Je trouve une grâce en elle qui est excellente pour son salut, qui est qu'elle est honorée et chérie de tout le monde ; si est qu'elle n'y fait point de fonds. Je prie Notre Seigneur qu'il lui augmente ses grâces et qu'il nous la conserve.

Enfin, ma très chère Mère, ma Soeur de Jésus [Chopinel] s'en retourne avec notre chère Mère. Après que nous avons bien sérieusement considéré toutes choses, nous avons conclu de suivre les sentiments de Mère de Sainte-Marie. Je l'abandonne de nouveau sous la protection de la très Sainte Mère de Dieu comme l'objet de ses miséricordes. Elle ne m'a su exprimer les bontés très grandes que vous avez pour elle ; les sentiments de l'intime reconnaissance que j'en ai me causent plutôt le silence que de pouvoir vous en remercier, d'autant que tous les remerciements ne sont rien. C'est pourquoi je suis infiniment obligée de prier Notre Seigneur et sa très pure Mère qu'ils soient votre éternelle récompense ! Il faut que je vous dise, ma très chère Mère, que la liaison que mon âme a avec la vôtre va toujours croissant devant Dieu d'une manière que je ne peux vous dire et que Dieu seul connaît. Dimanche dernier après la sainte Communion, une personne a eu connaissance, ou plutôt impression, de ce qui s'est passé en vous pendant votre incommodité dernière, avec plusieurs circonstances ; et comme cette personne était obligée d'anéantir toutes les connaissances pour écouter son âme en Dieu, nonobstant, elle eut impression que tout ce qui s'était passé en vous était une singulière grâce de notre Bon Dieu, et que vous en ressentiriez les effets partkuliers en votre âme. Le jour de Saint Antoine, après la sainte Communion, recommandant une personne à la divine Majesté, je vis, par impression dans un moment que cette personne était écrite dans le livre de vie, qui n'est autre que le cœur de Marie, et que le doigt délicat de Dieu l'y avait écrit tout au long, en feu et en sang : le feu signifie le pur amour dont il a touché le fond de cette âme, lequel lui est imperceptible ; le sang est son état crucifiant ; je laisse à part une multitude de secrets qui sont en ce. mystère, que j'ai voulu anéantir à mon propre esprit, abîmant toutes ces impressions et connaissances en Jésus Christ, source de toutes lumières. Je ne croyais pas vous en tant dire.

190

Je suis en peine d'une lettre que j'ai donnée à notre chère Mère, lorsqu'elle était ici, pour vous envoyer ; c'était pour Monsieur Bertot. Je la lui donnai ouverte, ce me serait une satisfaction de savoir si vous l'avez reçue. Notre chère Mère nous a dit que ledit Monsieur voulait avoir la bonté de nous venir voir a Pâques. Vous feriez une singulière charité à mon âme de m'obtenir ce bien là, car il me semble que j'ai grande nécessité de personnes pour mon âMe. Je voudrais bien que Dieu vous donnât la pensée d'en avoir soin en sa présence, soyez assurée, ma très chère Mère, que je chéris infiniment la vôtre, en Jésus Christ et sa très pure Mère. Je vous suis sans réserve très humble, très obéissante et très obligée servante.

Toutes nos religieuses vous présentent leurs très humbles saluts, particulièrement ma Soeur Marie ; j'en aurai tout le soin qu'il me sera possible. Je salue très humblement votre sainte communauté, particulièrement la Mère Madelaine : j'avais grande envie de lui écrire, mais je n'ai pas eu le temps. Ce sera pour une autre fois.

Ms : T9



DE LA MÊME

juin 1660

Pour satisfaire à votre désir, je vous dirai simplement mes pensées touchant ma Soeur du Saint Sacrement (1), dans l'assurance que votre bonté me tiendra le secret.

Je vous dirai donc, ma chère Mère, que, après la dernière messe de Requiem que l'on a chantée pour le repos de son âme, pendant l'action de grâce de la sainte Communion, je me trouvai tout d'un coup pénétrée d'une douce et cordiale affection vers cette âme, et cette pénétration fut accompagnée de douces et violentes larmes. Je sentais dans mon âme une admirable liquéfaction, comme si elle eût été présentée à mon intérieur, ce qui me causa une joie et liesse très grandes vers elle. Je fus si bien pénétrée des paroles suivantes dans mon intérieur que je les prononçai de bouche :

«Je suis au milieu du repos, des plaisirs et des contentements, je suis heureuse sans être bienheureuse, je suis l'une des plus heureuses de celles qui ne sont pas heureuses».

Je compris que cette âme était dans un état autant heureux qu'elle pouvait être, à la réserve de la vision de Dieu. Elle disait qu'elle n'était pas parfaitement heureuse à raison de cette privation. Mon entendement entra dans une grande occultation, comme dans une nuit obscure qui occupa toutes mes puissances, et je fus certifiée que cette âme avait été privilégiée et avait reçu des miséricordes ineffables de la divine Majesté, tant à cause du nom qu'elle portait « du Saint Sacrement », que du très grand bonheur qu'elle avait d'être la première professe de l'établissement des adoratrices et des victimes consacrées à la gloire du Très Saint Sacrement ; et comme elle en avait été une adoratrice en terre, elle serait pour un temps dans cet état béatifique avant que de voir Dieu, pour rendre durant ce temps ses adorations au Très Saint Sacrement de l'autel, mais bien d'une autre manière que vous ne faites en terre. Je vis qu'un seul moment de ces adorations, en l'état où elle est, surpassait toutes celles qui se font en la terre. Pour conclusion, cette âme devait être encore quelque temps dans cet état béatifique, adorant le Très Saint Sacrement avant que de voir Dieu, et Dieu prend ses complaisances dans les regards des adoratrices qui se sont rendues à sa Majesté divine au Très Saint Sacrement dans ce monastère.

Je vis ensuite cette âme montant les degrés pour aller voir son Dieu dans sa béatitude. Elle fut arrêtée dans le degré que je viens de dire pour quelque temps, qui était un lieu de splendeur et de beauté béatifique, lequel peut être hors de la vision immédiate de Dieu. Sur le sujet de cette chère Soeur du Saint Sacrement, deux autres personnes rapportantes à celle-ci, et un autre serviteur de Dieu (2), considérable et bien connu pour véritable, m'assura de sa propre bouche qu'il avait vu cette chère Sœur dans l'état de repos et de contentement susdits, et ensuite qu'il lui avait été montré la complaisance que Dieu prenait aux hommages què l'on rendait à sa divine Majesté dans le Très Saint Sacrement en cette maison. Il me dit plus, mais je ne sais si je les dois dire, qu'il avait des assurances du bonheur éternel pour toutes les religieuses qui y étaient présentement, et ensuite me dit avec admiration :

«Oh ! que c'est grâce d'être victime en ce lieu du Très Saint Sac'r'ement !» et il suffit, le reste se doit garder en silence. Notre joie unique est d'être membres de Jésus, il faut laisser le reste dans ses jugements divins.

n. 2503 a) Ms : N267

(1) Louise Guisselain première professe du monastère de la rue Cassette, décédée le ler juin 1660, âgée de 40 ans.

(2) Il est peut être question ici de Henri-Marie Boudon (1624-1702) archidiacre d'Evreux que Louise Guisselain connaissait depuis de longues années. Cf. lettre du 31 mars 1655, note 1. Pour M. Boudon cf. H. Bremond op. cit. t VI p. 240 et suiv..



A LA MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

octobre 1660

Loué soit le Très Saint Sacrement de l'autel !

Toute autre que votre bonté, ma très Révérende et plus chère Mère, s’offenserait de mon silence et croirait que ce serait une marque de mon ingratitude ; mais je puis vous assurer, ma très chère Mère, qu'il ne part point de ce mauvais principe, mais de l'occupation si continuelle où la divine Providence me tient et que je souffre comme un châtiment que mes infidélités méritent ; il faut que je tâche d'avoir patience et de me perdre dans le bon plaisir de Dieu.

Il faut encore que je confesse qu'il me fait trop de miséricorde. Je suis au dernier jour d'une petite retraite que j'ai faite pour reprendre un peu de respir pour continuer ma course et me rendre aux desseins de Notre Seigneur qui veut que je marche dans la mort continuelle, que je demeure en lui et que j'attende tout de lui ; et cela me paraît si vrai qu'il me semble que je n'ai pas un bon mouvement que je ne le voie sortir de son Coeur divin. Je vois sa force et sa patience qui m'environnent et je suis toute surprise que, dans les occasions assez fâcheuses à l'esprit humain, il retient tous les sens et fait un si grand calme dans le fond que l'âme en demeure toute étonnée ; elle voit bien que ce n'est point son ouvrage ; enfin c'est son plaisir d'agir ainsi à l'endroit de la plus infidèle de ses créatures. Je vous dirais encore bien des choses si j'en pouvais prendre le temps. Mais j'espère que Notre Seigneur vous donnera quelques pressentiments de ce que je suis ; je n'en sais rien moi-meme, j'aime mieux me perdre et m'abandonner que de le connaître.

Au reste, ma très chère Mère, ce que vous m'avez fait la grâce de me mander touchant ma Soeur du Saint Sacrement [Guisselain] est conforme en substance à ce que deux autres personnes en ont connu, dès le jour meme de son décès et la nuit suivante. Je vous suis infiniment obligée de m'avoir confirmée. Une de ces deux personnes est un grand serviteur de Dieu auquel elle s'apparut dans ce grand repos et contentement et le remercia d'avoir prié Dieu pour elle. Elle lui fit connaître son état et il eut aussi une vue sur l'agrément que Notre Seigneur prenàit aux hommaues qu'on rend à son divin Sacrement dans cette pauvre petite maison, que les démons tâchent de troubler et renverser tant qu'ils peuvent ; et quand il semble que tout va périr, c'est pour lors qu'on voit que Dieu soutient tout. Mais croyez qu'il faut être bien abandonnée et ne tenir à rien du tout. Il faut toujours être prête de voir tout perdu sans se troubler. Votre…

n° 2814



A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Prieure au monastère de Rambervillers

A Rambervillers

18 février 1661

Est-il possible, ma très chère et plus intime Mère, que je vous sache dans une maladie extrême, et que je sois privée de la chère et douce consolation de vous écrire un pauvre petit mot ? Si je réfléchissais sur la conduite de l'adorable Providence, sans doute je la trouverais un peu sévère de me tenir dans la privation de ce qui me pourrait donner de la satisfaction. Mais il faut tout recevoir et tout adorer de cette part c'est un Dieu qui le veut et qui l'ordonne, c'est tout dire. Après cela l'âme ne peut plus rien vouloir ni désirer.

L'union très sincère qu'il m'a fait la grâce d'avoir avec vous, ma

196

très chère Mère, quoique j'en sois infiniment indigne, m'a fait ressentir la perte que j'aurais faite en ce monde si Notre Seigneur vous en avait retirée. Je vous donnais à son plaisir et cependant je vous retenais encore. Je ne me trouvais pas à votre égard dans le total dégagement. Toute la communauté m'était présente et il me semblait qu'elle avait un extrême besoin de vous, quoique peut-être vous êtes dans un sentiment bien contraire. Mais Dieu connaît tout et j'espère de sa bonté que, toute languissante que vous êtes et toute anéantie, il vous fera encore vivre. Hélas, ma très chère Mère, je sais que ce souhait vous est à charge, et que la vie vous est une espèce de martyre, puisqu'elle vous retarde de votre totale consommation ; et c'est être cruelle que de vous retenir. Pardonnez-le, ma très chère Mère, à vos enfants. Et si je demande à Dieu votre vie, étant loin, que doivent faire celles qui ont la grâce de vous posséder ?

Je voudrais bien, ma très chère Mère, vous écrire un peu amplement, tant pour ce qui me regarde que pour beaucoup d'autres choses, mais je n'ose rien avancer que je ne vous sache en état de pouvoir lire nies lettres. M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection. Voyez si vous avez quelque chose à lui faire dire. Pour moi, il faut qu'en passant je vous dise que, quoiqu'accablée dans de continuels tracas je ressens d'une singulière manière la présence efficace de Jésus Christ Notre Seigneur. Certainement, quand il lui plaît, tous temps et toutes occasions lui sont propres. Il opère ce qu'il veut et fait connaître à l'âme que son oeuvre est indépendante - même au-dedans et qu'il n'a besoin que de son amour et de sa toute puissance quand il veut opérer souverainement.

Avec tout cela je suis plus que jamais plongée dans l'abîme de mon abjection, car son ouvrage ne m'ôte pas cette connaissance et ce sentiment. N'en disons pas davantage ; mais pour l'amour de ce même pur et divin amour, priez-le qu'il fasse sa très sainte volonté en moi, et qu'il se contente lui seul en toutes les différentes dispositions que sa divine Providence me fait porter.

Je ne sais qu'un secret dans la vie intérieure : c'est le cher et précieux abandon de tout nous-même au plaisir de Dieu. Qu'il vive et règne lui seul, et il suffit, sans nous réfléchir, ni sur le progrès ni sur les dons de Dieu, ni même sur notre éternité. Que le pur et divin amour nous consomme comme il lui plaira, puisque nous ne sommes créés que pour lui seul.

Je vous supplie, ma très chère et plus chère Mère, de me faire donner de vos nouvelles lorsque vous serez en état. Et si Dieu veut disposer de vous, je vous somme de votre promesse faite et renouvelée devant le Très Saint Sacrement ; je vous conjure par le sacré Coeur de Jésus et celui de sa très sainte Mère de m'être fidèle, et si vous pouvez nous dire ce qu'il vous inspire pour nous, vous nous ferez une charité très grande. Si vous voyiez comme je 'suis dévorée, vous auriez pitié de

197

moi. Le corps même n'y peut quelquefois subvenir. Mon Dieu, ma très chère Mère, il me semble que Notre Seigneur veut que je me perde entièrement ; mais je suis encore toute pleine de moi-même et des créatures.

Je ne vous dis rien des cérémonies que M. de Toul (1) a faites céans: notre bonne Mère Sous-Prieure vous aura tout écrit. Si vous aviez quelque chose à lui faire demander, il est en très bonne disposition. il nous témoigne une affection merveilleuse.

Nous avons appris, ma très chère Mère, que vous avez reçu à profession ma Soeur Mectilde du Saint Sacrement [Philippe]; j'en remercie

Notre Seigneur et le prie qu'il lui donne la grâce de faire un saint usage d'une telle faveur. Je n'ay...

n° 412 (1) Monseigneur du Saussay [...]

A LA MÊME

20 juillet 1661

Croiriez-vous, ma plus que très chère Mère, que le silence que j'observe à votre égard ne me soit pas crucifiant ? Oui, certainement, puisque vous êtes la seule au monde à qui je puis confier mes pauvres et chétives dispositions et tous les plis et replis de mon coeur. Il y a plusieurs mois que je suis tombée dans un état que je ne sais ce que ce pourra être, s'il sera bon ou méchant. Ce n'est pas toujours les occupations qui me privent de la chère consolation de vous écrire. Depuis le voyage de notre bonne Mère (1), j'ai pris plus de repos et de temps, remettant à son retour les affaires qui se pouvaient différer. Mais il m'est survenu une étrange suspension des organes et puissances de mon âme, en telle sorte que mon corps en restait affaibli, et me trouvais sans vigueur et quasi à la mort, me semblant qu'un souffle me pourrait ôter la vie. J'ai été fréquemment de cette sorte durant ces temps.

Quoique l'interdiction soit grande et que je n'aie d'usage que pour le nécessaire de mes obligations qui survenaient dans ces rencontres, mon âme avait en fond une occupation profonde non distincte, mais qui semblait dévorer et consommer quelque chose, quelquefois dans une paix et cessation si profonde qu'il n'y paraissait pas seulement,

(I) Mère Bernardine de la Conception Gromaire. Le 20 juin. elle écrit de Rambervillers à Dom de Lescale que : « les eaux de Plombières ne lui ont pas beaucoup servi ». Journalier de Dom de Lescale.

198

même dans le fond, un petit respir de vie. Il y aurait encore d'autres petites circonstances à dire, mais je serais trop longue. C'est assez de vous pouvoir dire ce peu que j'écris, pour exciter votre très grande bonté à mon endroit de redoubler vos saintes prières et de vous appliquer à Notre Seigneur pour moi, autant qu'il vous en donnera la grâce et le mouvement, car il faut que je meure aux secours, aux lumières et à tout ce qui peut donner le moindre appui. Cependant vous voyez que j'en cherche auprès de vous, ma très chère Mère. Il est vrai, et tout en le cherchant et le demandant, je le remets dans le Coeur adorable de Jésus Christ, voulant me tenir dans l'abîme où je suis suspendue, sans assurance de rien. Je puis dire dans l'apparence - selon le raisonnement - de tout perdre et de faire naufrage.

Si vous pouvez, ma très chère et intime Mère, prier Dieu pour moi, ne m'en dites que ce qu'il lui plaira. Il faut tout perdre, je le vois bien mais la nature intérieure cherche à mettre le bout du pied pour avoir quelques respirs. Oh ! que la mort totale est rare ! Ce qui fait le comble de la croix c'est que je ne vois point que ce qui se passe soit opération de Dieu. D'une part, je crains la certitude, à cause de l'appui que j'y prendrais, et, de l'autre part, je vois tout perdu. Enfin je ne puis juger de mes dispositions ou états présents, sinon qu'ils seront ma ruine ou la résurrection de mon âme éternellement, ou grande miséricorde, ou grande justice.

J'adore dans le silence de mon coeur tout ce que Dieu en ordonnera. Je suis et ne suis plus. Vous seriez étonnée de me voir : à ce qu'on dit, je parais bien plus morte que je ne suis. Bref, ma très chère Mère, je ne sais plus que dire,je demeure quasi sans parole, je n'ai rien à dire, je suis abandonnée ; il faut demeurer là, ne pouvant aller ni haut ni bas, ni de côté ni d'autre. Si l'âme savait qu'elle expire en Dieu, vraiment elle serait plus que très contente ; mais elle ne sait où elle est, ni ce que l'on fait, ni ce qu'elle deviendra. Le seul abandon au-dessus de l'abandon est le soutien secret de l'âme. Je ne sais si la divine Providence prend ce moyen pour me retirer de la charge où je suis, car à moins d'une grâce particulière je n'y puis subsister sans y faire confusion, car je ne vois ni n'entends pas pour l'ordinaire, du moins très souvent. Voici un échantillon de ma pauvreté, ma très chère Mère ; votre charité la présentera à Notre Seigneur. Je crains fort que je ne lui sois tout à fait contraire et peut-être pleine de péchés. Je le profane sans cesse, j'abuse de ses grâces. Soyez mon supplément, ma très chère Mère, et me donnez de vos nouvelles, si Notre Seigneur nous le permet, mais surtout efforcez-vous de réparer les excès que je commets sans cesse contre l'amour infini de Jésus dans la divine Eucharistie. Je vous y laisse toute abîmée et vous y désire consommée. Je suis en lui, quoiqu'indigne, votre vraie fille.

N° 293



DE LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME]

Rambervillers, 21 novembre 1661

Ma Révérende et toute chère Mère,

J'ai reçu votre chère lettre avec grande joie ; néanmoins la lecture d'icelle a pénétré mes sens de douleur ; par ce peu de mots que vous me mandez, j'ai reçu impression de votre disposition ; j'adore en Jésus Christ et par Jésus Christ la hauteur et la profondeur des desseins que Dieu son Père a sur les âmes : il faut que son règne soit accompli et le vouloir de ses divines complaisances ; il me semble que votre état de mort est effroyable et capable d'ôter la vie au corps, à moins que d'un miracle ; ce qui m'étonne est que votre état a peu d'intervalle, car l'expérience nous apprend qu'après cet état de mort, le corps est quasi épuisé de ses forces. J'avoue que celui qui fait mourir fait revivre notre faiblesse, par la puissance de sa très sainte main ; laissons-nous perdre dans les abîmes de sa conduite adorable et de ses miséricordes infinies. L'abandon parfait d'une âme n'empêche pas que l'on ne cherche un peu à se soulager ; il est vrai, que quand il plaît à Dieu, l'on ne trouve point de soulagement au ciel ni en la terre. Il faut donc mourir et être ensevelie en celui qui prend son triomphe de gloire dans la mort de ses créatures. Bienheureux mille fois les morts qui sont passés et trépassés en Jésus Christ qui est notre pure vie

Nous prions incessamment la majesté de notre Bon Dieu selon vos intentions, et une des plus grandes joies que je puisse avoir en ce inonde est de vous pouvoir assister en vos besoins ; et ne pouvant le faire, c'est ce qui m'est croix. Je n'ai pas encore parlé à nos anciennes de la Mère Benoîte [d'Arconas](1),j'attendais que vous ayez fait choix d'une seconde ; je dis tout le reste à la lettre de la Révérende Mère Sous-Prieure. Nous vîmes ces jours passés le Révérend Père Rembault (2), lequel me dit, si vous étiez dans le dessein de faire un établissement, que c'était la plus belle chose du monde de le faire à Gondreville (3), qu'il n'y avait point d'embarras. Il est vrai que c'est un passage aussi bien que Saint-Dié. Je trouve deux raisons assez notables pour m'ôter la volonté de m'y établir, si j'étais à votre place, à moins d'un ordre exprès de la volonté de Dieu ;

(1) La convention passée entre le monastère de la rue Cassette et celui de Rambervillers stipulait que, hormis Mère Mectilde et Mère Bernardine, deux religieuses seraient toujours en résidence rue Cassette, pour aider à la fondation de l'Institut et soulager le monastère de Rambervillers toujours excessivement pauvre.

(2) Cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 306 à 309.

(3) Bourg ancien datant des premiers siècles et dont l'histoire fut particulièrement illustre du Vile au IXe siècle. Il abrita plusieurs rois de la première race et même de la deuxième. Les rois de France, Thierry IV, Louis le Débonnaire, Charles le Chauve, Charles le Simple y séjournèrent ainsi que Charlemagne. Charles le Gros, empereur d'Allemagne, y reçut la couronne de France lors des invasions normandes, en 887. Le Palais des Rois mérovingiens a subsisté pendant plus de huit siècles. Il ne reste rien de ce glorieux passé. Gondreville, qui se trouve à 6 km de Toul ne compte plus que 1600 habitants. [...]

200

la première raison qui m'y fait répugner, c'est les Chanoines, dont il y a plusieurs choses considérer : la seconde est le passage des soldats. Si Dieu le veut, je souhaite bientôt de vous voir ; il faudrait que vous eussiez un peu de repos ; Je veux éternellement avec vous ce que Dieu veut; en lui, je vous suis de tout Mon coeur, ma Révérende Mère, votre, etc...

n° 805 a) Ms : T9



A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION [DE BRÊME

A Toul, ce 13 juillet 1663

Ma très Révérende et ma très digne et chère Mère,

Jésus dans le divin sacrement soit notre unique vie et notre consommation !

Il faut vous dire, ma très chère Mère, que j'ai porté avec une extrême mortification l'impuissance où je me suis trouvée de vous écrire un peu amplement et vous exprimer les sentiments de mon cœur que Notre Seigneur a rempli de joie et de consolation sur le saint traité (1) que

(1) Le monastère n'a été agrégé à l'Institut qu'en avril 1666, cf. C. de Bar, Documents, 1973, p. 220 et suiv.

202

l'amour du Très Saint Sacrement vous a fait contracter de coeur et d'affection avec nous. J'admire la conduite de l'adorable Providence et ne puis contenir les mouvements de mon esprit, qui adore et remercie cette aimable bonté qui sait si bien ménager toutes choses en la manière qu'il connaît être plus à sa gloire et à notre bien. Enfin, je puis dire en vérité que je suis sortie de votre sainte maison avec la dernière satisfaction. Je n'aurais jamais cru que Notre Seigneur y eût donné tant de bénédiction. Je suis comblée de vos bontés et de la sainte affection de la chère communauté qui se rend avec tant de grâce et de générosité les victimes de l'adorable Eucharistie. Et sans parler des intérêts de la gloire de cet auguste mystère, pour laquelle nous nous devons immoler et consommer entièrement, je chéris singulièrement l'étroite union que nous avons faite en son amour ; et quand il n'y aurait point d'autre utilité que cette sainte liaison, qui s'est rendue par cette occasion indissoluble, c'est un bien qui ne se peut assez estimer et qui portera son fruit dans son temps. La patience conduira toutes choses heureusement. Il me semble que je suis avec vous continuellement et que nous sommes inséparables. Néanmoins j'étais combattue en vous quittant : une partie de moi restait avec vous et l'autre partie était à Paris, dans la maison du Saint Sacrement, mais d'une manière si particulière que toutes ne faisaient qu'une en ce mystère d'amour. Je trouvais qu'il était la vie et le mouvement de tout. C'est donc en vérité que nous dirons désormais toutes ensemble d'un même coeur et d'une même voix : « Jésus dans l'adorable hostie est l'unique Roi et le seul tout de nos âmes : nous n'avons plus qu'un même amour, un même respir et une même vie ». Le divin Sacrement fera la consommation de toutes. Croiriez-vous que je me trouve à l'égard de toute votre sainte maison et pour toutes mes chères Mères comme je suis pour notre maison de Paris, et je ferai pour vous ce que je tâche de faire pour elle. Madame la Comtesse [de Châteauvieux] m'a mandé qu'elle avait une parfaite joie de notre étroite union ; elle a passion de vous venir voir et veut qu'on fasse l'affaire de Gondreville pour y faire une solitude du Saint Sacrement. J'ai peine de l'empêcher d'y venir et selon son zèle ce sera peut-être avant la fin de l'année ; il ne faut pas douter qu'elle n'aille chez vous.

Au reste, la pauvre mère Saint-Joseph sera une vraie victime de douleur aussi bien que d'amour pour Jésus au Très Saint Sacrement ; elle ne peut vivre sans miracle. Ma Soeur de Jésus [Chopinel] me mande que c'est une chose pitoyable de la voir. On lui coupa samedi dernier quatre doigts de la main et, le lendemain, on lui devait couper le poing ou le bras. Voilà d'étranges douleurs que cette pauvre fille souffre avec une patience du Ciel qu'on peut dire toute divine ; nous avons sujet de douter si elle est présentement en vie. Je suis fort touchée de n'être point auprès d'elle dans son extrémité ; elle ne demande rien plus ardemment que de nous voir avant qu'elle meure. Je ferai mon possible pour m'y rendre, quoique peut-être trop tard pour elle et, pour cet effet, nous partirons par le coche qui viendra demain de Nancy. Je prie Dieu que j'y trouve nos chères Soeurs d'Arconas et de Ste Gertrude [Noirel] (2) pour les emmener avec nous. Je priai M. Chasselle de vous le mander en partant de chez lui pour aller à Metz où nous avons été sans aucun accident, grâce à Notre Seigneur. Il y a lieu d'y faire une bonne maison du Saint Sacrement, mais je ne me hâterai pas de l'entreprendre : il suffit que nous ayons remarqué le lieu et donné ma parole pour une bonne affaire en cas qu'il plaise à Notre Seigneur la faire réussir ; je vous en écrirai plus particulièrement. Nous avons été à Vézelise, et sommes ici à Toul pour aller voir la maison et les terres de Gondreville demain du matin avant l'arrivée du coche. J'espère, moyennant la grâce de Notre Seigneur, arriver dans huit jours à Paris.

Priez Dieu pour cette pauvre Mère souffrante qui rend hommage à Jésus dans sa passion ; recommandez-la à toute la Communauté, je vous en supplie. Voilà ce que je puis écrire présentement ; le reste sera à Paris où je tâcherai de vous écrire amplement toutes choses. Vous aurez la bonté d'écrire à Madame la Comtesse pour lui mander notre union et m'envoyerez s'il vous plaît les billets pour les présenter au Très Saint Sacrement...

n°558

(2) Soeur Gertrude de l'Assomption Noirel. de Flavigny, a reçu l'habit des mains de Dom Arnould le 15 aout 1660. cf. Journalier de Dom de Lescale.



A UNE RELIGIEUSE DE MONTMARTRE

206

Juin 1664

Je n'oserais écrire à notre affligée Princesse pour lui témoigner la part que je prends à sa douleur, que je pourrais dire être si sensible que la nouvelle que je viens de recevoir de la mort de mon frère ne me touche pas, comparée à celle de M. le Duc (1), qui surprend tant de monde, et qui le regrette véritablement. Voilà un prodigieux sacrifice que Dieu a exigé de cette chère âme. C'est le plus rude coup qu'elle avait à soutenir en terre. Mais, comme la main de Dieu l'a blessée, cette même divine main l'a soutenue par une grâce abondante, qui pourtant n'ôtera pas la douleur des sens. La perte est trop grande et l'affection trop tendre pour rendre moins sensible cette rude privation. Je vous puis dire, ma très chère Mère, que je la ressens jusqu'au fond du coeur, et que nous avons gémi devant Dieu pour les besoins de cette âme, qui est retournée à son centre, et pour celle qui en ressent la très vive douleur, demandant miséricorde pour l'un et force et grâce divines pour l'autre ; car, en vérité, on ne saurait porter une telle affliction sans le secours d'une grâce divine. Je n'ai point trouvé en moi de parole pour exprimer mes sentiments. Je me sens pénétrée de douleur en la présence de Jésus Christ que je prie la vouloir consoler par lui-même. Je serais mille fois plus peinée si je ne savais que notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de père et de frère et l'aidera à porter la croix que le Saint-Esprit a mise dans son coeur. Je sais que vous en êtes vous-même tout à fait affligée. Vous aviez trop de respect pour lui et trop de liaison aux sentiments de Madame pour n'en être touchée comme vous êtes. Mais je sais d'ailleurs la vertu que Dieu a mise en vous, et de quelle manière vous recevez les événements crucifiants de sa divine Providence qui nous fait d'admirables leçons. Enfin c'est un Dieu qui se rend le maître de ses ouvrages et qui en dispose comme il lui plait, sans que nous ayons droit de nous en plaindre. Je vous supplie, ma très chère Mère, de lui témoigner les vifs sentiments de mon coeur sur sa douleur, lorsque vous le jugerez à propos. Je n'oserais lui écrire en l'état où je la crois, n'ayant nulle capacité de la consoler mais des larmes à verser à ses pieds. Je vous proteste, ma très chère Mère, que je n'en puis revenir et que je vois bien dans cette occasion que je suis tout à fait sensible aux intérêts et à tout ce qui touche cette digne Princesse. C'est tout ce que je puis dire dans ce moment où vous n'êtes pas sans douleur, ma très chère Mère. Je vous supplie, quand vous verrez Mlle N, de lui témoigner ma douleur sur sa perte.

no 1275 Ms : N254

(1) Henry II (4 avril 1614 - 2 juin 1664), duc de Guise, était le frère de l'abbesse ; fils de Charles de Lorraine et de Henriette Catherine , duchesse de Joyeuse. Cf. P. Anselme, Histoire généalogique et chronologique de la maison de France, Paris, 1728, t. I I1. p. 488.



A LA MÈRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION [GROMAIRE]

234

Prieure à Toul

16 mai 1665

Ma très chère Mère,

Je vous fais ces mots dans ma solitude où j'entrai hier. Il me semble que je suis dans un autre monde d'être un peu en solitude ; j'en avais un extrême besoin. Je prie Notre Seigneur qu'il vous fasse la grâce de son Ascension et nous donne son Saint Esprit : c'est ce que je veux demander tous les jours. J'ai commencé ma solitude par l'action de grâces, me sentant reprocher de l'ingratitude avec laquelle j'ai vécu toute ma vie sans reconnaître les bontés de mon Dieu, mais singulièrement sa patience divine qui m'a soutenue et soufferte depuis tant d'années que j'ai consommées dans le péché. Et son aimable bonté a fait la sourde oreille, ne voulant pas entendre les cris de sa justice qui demandait qu'il m'abîmât dans les enfers. Je m'en sens si obligée à la patience et à la charité de Jésus mon Sauveur, que je suis résolue de passer cette retraite en action de grâces de tous les bienfaits de Dieu, tant de ceux que je sais que- de ceux que je ne connais pas et dont il me gratifie tous les jours. Oh ! combien de fois les démons nous feraient-ils tomber en mille désordres, si cette ineffable bonté n'arrêtait le cours de leurs malices sur nous ! Je vous prie, ma très chère Mère, que l'action de grâces soit aussi l'occupation de votre esprit. Combien en est-il de malheureux qui n'ont pas tant offensé Dieu que moi ! Cependant il les laisse misérables dans l'erreur et dans d'effroyables calamités. O mon Dieu, que de miséricorde en Jésus pour nous ! Pourquoi être conservé pendant que les autres périssent. Je vous prie encore une fois de vous occuper des bontés de Dieu sur votre âme, afin que nous y fassions en ce même temps une même action de grâces, et que votre âme reçoive de nouvelles forces en la vue de tant de bienfaits que nous avons reçus toute notre vie, et que nous ne mourions pas dans l'ingratitude.

Voilà déjà une petite saillie de ma retraite mais, si vous le voulez bien, je continuerai, quand je vous écrirai, à me divertir un peu avec vous.

no 1750 Ms : Cr C



A LA MÊME

23 mai 1665

Je prie l'Esprit de vérité éternelle, le divin Paraclet que Jésus nous a promis et qui viendra demain renouveler dans l'Eglise la descente qu'il fit autrefois sur les apôtres, qu'il nous éclaire de ses lumières et nous brûle de son feu. Et je le prie encore qu'il orne votre âme de ses dons divins pour faire et soutenir toutes choses dans l'ordre de la volonté de Dieu. Je ne vous écris que très peu aujourd'hui étant la veille de la Pentecôte et le dernier jour de ma chère solitude que je quitte avec quelque sorte de regret, d'autant que le tracas des affaires est un poids à mon esprit, qui s'y plonge de telle sorte qu'il en devient stupide pour Dieu. J'ai bien besoin de vos saintes prières pour vivre de son Esprit et avec les soumissions que je dois à ses saintes volontés.

Il faut marcher par les ténèbres et les obscurités quand il faut faire ce que Dieu veut. C'est en vérité être victime, car il y a bien à soutenir, et le plus fort est le poids de l'intérieur qui est souvent crucifié et dans des dispositions qui donneraient beaucoup d'inquiétudes si l'on ne s'abandonnait. Je trouve que c'est ce que nous devons faire au-dessus de toutes choses, c'est-à-dire de nos vues, de nos sentiments et même de notre éternité qui est la chose la plus rude à sacrifier. Or que Dieu fasse donc en nous et de nous selon son bon plaisir ; il n'y a plus rien à dire puisque nous sommes les ouvrages de ses mains, et qu'il a droit de faire de nous tout ce qu'il voudra sans que nous puissions y trouver à redire. Tâchons de vouloir ce qu'il veut, même d'adorer et d'accepter ses conduites secrètes et ses desseins sur nous. Ne sortons jamais de cette disposition quelques vues que nous puissions avoir de nos misères et de notre perte. Laissons le soin de notre éternité à Jésus Christ, et tâchons de le faire honorer sur la terre et de lui rendre nos hommages et nos adorations pour chétives qu'elles soient, sans retour sur nous non plus que sur l'enfer, d'autant que nos retours ne sont que pour nous affliger et nous tirer de notre saint abandon, qui donne plus de gloire à Dieu, dans notre pauvreté, que dans toutes nos réflexions, douleurs et tristesses, qui, sous de beaux prétextes, nous tirent de la confiance aux mérites de Jésus Christ, de sa charité divine. Je vous prie, ma toute chère Mère, observons ceci et nous trouverons le repos et la paix du Saint Esprit.

no 1313 Ms : N267




A SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER

245

1665

Quand Dieu veut posséder un coeur entièrement, il sait bien trouver les moyens de le vider et purifier de l'attache des créatures et de la propriété de nous-même. Je reconnais, mon enfant, que sa main toute-puissante opère dans le vôtre une croix perpétuelle qui se fait ressentir en diverses manières de souffrances : tantôt de ténèbres, tantôt de craintes, tantôt de frayeurs et de saisissements : d'autres fois par des assauts impétueux, quelquefois par des peines violentes, quelquefois par une mélancolie horrible et insupportable qui porte le dégoût de toutes choses jusqu'au fond de l'âme, quelquefois jusqu'au point que le corps s'en trouve malade. Cet état d'épreuve va bien plus loin. Dans les tentations Dieu permet quelquefois au démon d'attaquer fortement par des atteintes infernales, et jusqu'au point que la pauvre âme ne trouve en elle que sa perte et reprobation. De quelque côté qu'elle se tourne, elle voit sa misère et le désespoir de son état. L'impureté la tourmente par ses impressions, par ses images détestables et par ses agitations. Le saint homme Job fut abandonné, par une conduite adorable de Dieu, au pouvoir de Satan. Il ressentit en son corps et en son âme tout ce que la créature peut soutenir de crucifiant. Mais pourquoi fut-il réduit de la sorte ? Pour deux raisons : la première, c'est qu'il représentait la personne adorable de Jésus Christ dans l'excès de ses souffrances ; et la seconde c'est pour servir d'exemple et de modèle aux âmes que le pur amour veut dévorer et consommer. Il est vrai de dire que s'il n'y avait des exemples de telles et si rigoureuses conduites dans l'Église de Dieu,

246

celles qui les souffriraient ne pourraient être convaincues que [de] telles conduites renfermassent en elles une si haute pureté et sainteté. Puisque vous m'ouvrez votre coeur, mon enfant, je vous ouvrirai aussi le mien et vous dirai, que j'ai porté, en ma vie passée, ce que vous ressentez présentement. Mais il faut confesser à ma honte éternelle que j'y ai été très infidèle. Mais je puis vous assurer que par telle sorte de souffrance Notre Seigneur fait son oeuvre au secret de votre âme. Tâchez de demeurer immobile dans le fond de votre volonté. Je vois que sa grâce vous prévient et vous soutient fortement, quoique ce soit secrètement. Je vois manifestement la conduite de Dieu sur vous et le remercie de tout mon coeur de toutes les miséricordes dont il prévient votre âme, et de ce qu'il avance son oeuvre, en vous mettant dans le creuset de la bonne sorte, pour purifier l'amour propre qui régnait en toutes vos opérations.

J'espérais bien qu'il vous ferait un jour cette grâce, mais je ne croyais pas que ce fût si promptement, à raison de la faiblesse des sens. Vous voyant pénétrée d'une sensibilité fort tendre pour les choses de Dieu et d'une douceur intérieure, que Dieu donne ordinairement pour attirer les âmes a son service, je croyais qu'il ne vous lierait pas si tôt à sa Croix, ne vous croyant pas assez forte. Mais je vois qu'il a pris ses mesures en lui-même, et que tout d'abord il vous traite comme son Fils, qu'il fait victime dès le moment de son Incarnation, et qu'il traite dans tous les états de sa Sainte Vie comme un étranger et banni, qui n'a ni secours, ni appuis des créatures. En un mot il le traite comme un réprouvé, comme un pécheur qui mérite les rebuts de Dieu, et de porter sur lui toute la rigueur de la divine justice. C'est en cet esprit de Jésus humilié, rejetté, et immolé à la Justice et Sainteté Divine, que notre Institut a été établi dans son Eglise, et vous porterez la grâce et la sainteté que- Dieu y a renfermé, si vous souffrez toutes vos peines quelles qu'elles soient, si vous demeurez comme Jésus et avec Jésus abandonné aux volontés de son Père.

Ne vous étonnez de rien de tout ce que vous ressentez de misérable et de malin en vous. Souffrez, mon enfant, souffrez avec Jésus, et souffrez avec saint Paul pour achever ce qui manque à la Passion de son bon Maître et le vôtre. Ne vous surprenez de rien. Laissez-vous en proie à. son plaisir, en vous défendant le plus que vous pouvez des retours sur vous-même et des tendresses que l'amour propre excite sous des prétextes excellents de salut, d'éternité, ou des craintes excessives de péché, d'être hors de la grâce, et d'être dans un état qui n'est pas de l'ordre de Dieu. Il faut être ferme et un peu dure à soi-même en ces sortes de dispositions, autrement on pleurerait toujours, et on s'accablerait par l'esprit de nature. Au nom de Jésus l'unique tout de nos coeurs, soyez fidèle au sacré abandon à la volonté de Dieu. Voilà ce que vous avez à faire, et d'être fidèle à toutes vos obligations, surtout à l'obéissance, vous laissant conduire comme un petit enfant sans aucune défiance de la bonté de Notre Seigneur. Continuez de découvrir vos sentiments et tout ce qui se passe en vous par simplicité chrétienne, pour éviter les illusions. Dieu soit à jamais béni de vous avoir jetée en cet état ! O quelle grâce, si vous demeurez fidèle ! Vous le serez, si vous faites ce que je vous dis, qui est abandonner tous vos intérêts spirituels, éternels, temporels et corporels à Jésus Christ, le laissant conduire votre âme en la manière qu'il lui plaira, conservant une pleine et entière confiance en sa bonté.

Voilà ce que je vous puis dire, vous conjurant de croire que je suis du plus sincère de mon pauvre coeur toute à vous, puisque Dieu vous a donnée à moi. Soyez assurée qu'il m'a aussi donnée toute à vous et que vos intérêts sont les miens, et les seront à jamais.

N° 2558 N 267




A LA SOEUR M. DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER

24 novembre 1665

Ce petit mot, ma très chère fille, est seulement pour vous assurer que j'ai reçu vos chères lettres avec beaucoup de consolation. Plus vous êtes pauvre et abjecte en vous-même, plus je ressens intérieurement de confiance en la bonté de Notre Seigneur. Il fallait, ma chère enfant, de nécessité absolue, que Dieu tout bon vous conduisît de la sorte, autrement vous ne vous seriez jamais connue vous-même, ni sortie de votre propre corruption. Vos belles pensées, vos beaux sentiments et le reste que vous receviez avec tant d'abondance, nourrissaient votre amour propre, et tandis qu'il vous semblait tendre à Dieu avec ardeur et l'aimer de tout votre coeur, la nature intérieure s'engraissait aux dépens de Notre Seigneur. Qu'il soit à jamais béni d'avoir fait ce coup de renversement ! Vous pourrez dire avec vérité que votre perte c'est votre gain, et que vous êtes infiniment heureuse dans votre misère et dans ce que l'amour propre appelle malheur à raison de sa ruine et de la perte qu'il fait de sa propre complaisance et satisfaction. Soyez certaine que l'état que vous portez est de Dieu et de sa conduite toute miséricordieuse, et si j'étais une heure auprès de vous, ma très chère fille, j'espérerais, qu'avec sa grâce, je vous ferais toucher au doigt et convaincrais votre raisonnement des avantages de votre état présent, et qu'il fallait que la main toute puissante de Dieu fit ce coup de renversement pour vous ouvrir les yeux et vous faire sortir de vous-même. Mais ce que je puis dire, c'est de le remercier pour vous èt de le supplier très humblement de continuer et de vous faire entrer malgré la tendresse naturelle qui vous fait réfléchir incessamment sur vous-même, dans la sainteté de ses desseins sur votre âme, et qu'il vous donne la force et la grâce d'y adhérer et de soumettre votre sens naturel à ses divines volontés, par un simple abandon de tout vous-même, sans envisager la perfection et l'impossibilité d'y parvenir, mais de vous laisser toute au pouvoir de Jésus Christ, attachant votre fortune et votre perfection à une sincère démission de vous-même à son bon plaisir.

Soyez fidèle en tout, sans vous gêner ni vous troubler de vos chutes et imperfections. Vous pouvez bien dire qu'il vous reste bien des choses à faire selon vos lumières, et moi, chère enfant, je vous dis que vous avez beaucoup à mourir. Prenez courage, Dieu ne vous commande pas d'avoir toutes les vertus tout d'un coup, mais 'il veut que vous expérimentiez votre propre indigence, faiblesse et indignité, et que, vous défiarit de vous-même, vous espériez tout de sa bonté. Ecrivez-nous durant l'Avent et en tout temps, quand vous voudrez. Vous savez que je suis'en Jésus toute 'à vous.

no 154 P104 Bis




A LA MÉRE BERNARDINE DE LA CONCEPTION I [GROMAIRE]

259

Prieure à Toul

5 janvier 1666

Ma très chère Mère,

Je vous dirai en passant que votre défiance est un peu trop extrême et que vous ne donnez pas assez aux bontés de Notre Seigneur Jésus Christ. Vous savez qu'il n'est point venu pour les justes mais pour les pécheurs, et que le plus grand affront qu'on lui peut faire c'est de ne point se confier à sa bonté, qui est intime pour les pécheurs, et les plus misérables. Je vous conjure de ne point envisager vos misères et faiblesses passées que dans les plaies de Notre Seigneur Jésus Christ, c'est l'asile de tous les pécheurs ; et c'est offenser Dieu de ne le pas croire miséricordieux pour vous.

Vous regardez trop en vous-même, et ce fond de tristesse procède d'un fond de douleur secrète qui vous fait presque toujours voir et sentir votre misère et y être réfléchie. Et comme vous ne la perdez quasi jamais de vue, votre coeur en est comme submergé et confirmé dans un état douloureux qui vous résigne à Dieu, mais d'une résignation qui regarde une perte plutôt que votre salut ; et ces sortes de dispositions ôtent la joie du coeur et ne lui permettent pas de s'élever vers Dieu avec dilatation. Je sais bien ce que c'est d'un état pareil, mais il ne faut pas s'y enfoncer, d'autant que la tentation en est proche, et le démon, sous prétexte de nous humilier, nous jette dans l'abattement, la défiance, et nous approche du désespoir ; c'est ce qu'il prétend. Cet état est rigoureux à soutenir et, pour l'ordinaire, l'âme n'en veut sortir, ne croyant pas qu'il y ait de grâces ni miséricordes à espérer pour elle, donnant tout à la justice, disant qu'elle l'a mérité ; certainement cette disposition est rude. Je prie Notre Seigneur qu'il en délivre votre coeur, qu'il vous donne la grâce de l'aimer au-dessus de vous-même, sans envisager vos indignités ni ce que vous méritez pour vos péchés. Ayez un abandon plein de confiance, priez la sacrée Mère de Dieu qu'elle vous l'obtienne. Ce n'est pas le dessein de Notre Seigneur que vous demeuriez là, et si vous ne trouvez en vous de quoi appuyer votre confiance, vous trouverez en son sang, en ses plaies et en sa mort tout ce qu'il faut pour sauver les plus criminels. Il se plaint souvent du peu de confiance que les pécheurs ont en ses mérites ; c'est pour eux qu'il a souffert la mort ; il le dit lui-même qu'il n'est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs.

Vous ne pouvez croire que Dieu ait des bontés et des miséricordes pour vous. Certes, ma très chère Mère, cela est trop fort et ne lui peut être agréable, parce que ce n'est pas son esprit qui produit cela. Je le prie qu'il vous ôte cette peine qui seule fait tout le poids de votre

260

intérieur et qui vous empêche de goûter Dieu. Vous croyez que ce n'est pas à des âmes faites comme la vôtre qu'il fait ces miséricordes. Hélas ! à qui les fait-il tous les jours sinon aux pécheurs et aux plus impies, quand ils se tournent vers sa bonté ? Cette confiance ravit le coeur de Dieu et lui ôte les armes des mains. Et nous voyons en l'Evangile qu'il exauçait ceux qui le priaient de quelque chose selon leur confiance, leur disant : « Qu'il soit fait ainsi que tu croies » pour nous apprendre qu'il nous donne selon la confiance que nous avons en sa bonté, et c'est rétrécir sa sainte main que de s'en défier pour peu que ce soit. Il a châtié cette défiance en plusieurs rencontres dans l'Ancien Testament. Il ne la peut souffrir parce qu'elle empêche qu'il ne liquéfie nos coeurs en l'amour divin, et, nous le disons tous les jours, la confiance est une des plus fortes marques de l'amour. Quelle apparence de se défier de celui que l'on aime ?

Tâchez, ma très chère Mère, de relever votre coeur qui est capable de si bien et généreusement aimer. Fiez-vous à ma parole, vous ne serez point trompée. Je vois bien la conduite que Notre Seigneur tient sur vous; elle n'est pas à la perte de votre âme comme vous pensez, mais à la tirer de ses sens et de tout elle-même pour la perdre dans l'amour du bon plaisir de Dieu qui veut, ma très chère Mère, que votre âme soit sa victime, non en crainte éternelle mais en amour. Qui dit en amour, dit en confiance filiale. Vous ferez plaisir à Notre Seigneur d'agir de cette sorte ; il veut cela de vous, doucement et sans contrainte.

N° 1704 N258



A LA SOEUR MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE I CHARBONNIER

27 février 1666

Très chère enfant,

Jamais je n'ai douté de votre vocation et en doute moins que jamais ; la suite vous en fera connaître et goûter la sainteté. Ne vous étonnez pas de vos indispositions ; je ne crois pas qu'elles aillent jusqu'à vous exclure de la sainte profession. Prenez courage, je vous assure que je suis plus à vous que jamais. Je serais bien fâchée que votre sacrifice ne fût point consommé en hommage au Très Saint Sacrement comme sa victime. Si la main de Dieu a voulu crucifier et purifier votre esprit par les peines, il faut encore que vos sens et votre pauvre corps le soient aussi par les douleurs, que vous soyez toute renouvelée en Jésus Christ, enfin que vous entriez en nouveauté de vie avec lui. Tenez ferme, ne désistez point, c'est pour un Dieu d'un mérite infini, et c'est à lui à qui vous vous immolez par hommage et par rapport à ce qu'il s'est immolé et sacrifié sur la croix et sur l'autel pour vous. Il faut que son amour triomphe de vous, que vous soyez la proie et qu'il vous dévore et consomme en lui, par lui et pour lui. A Dieu jusqu'à l'entrevue où nous dirons à coeur ouvert ce que le temps ne nous donne pas la commodité de vous écrire. Soyez certaine que vous êtes toujours dans mon cœur en la présence de Jésus Christ, et que je suis en lui pour toujours toute à vous.

J'ai bien à vous dire sur toutes les dispositions crucifiantes et pénibles que vous avez portées. C'est une marque infaillible de la pureté et sainteté où il vous veut faire entrer. Il y a des âmes où il faut bien plus soutenir de morts et d'agonies que d'autres, parce qu'il y a plus de nature et plus de tendresse, et, en un mot, plus d'amour propre, et le vrai lieu où cette malignité se détruit sont les souffrances. les tentations, les pauvretés, les délaissements, les rebuts de Dieu et des créatures. Mais quand Dieu a fait son ouvrage par cette voie d'humiliation et que l'âme demeure fidèlement immobile entre les divines mains, par un saint abandon de tout soi-meme à la divine volonté, sans retour sur ses propres intérêts, mais se perdant pour elle-même en toutes manières pour n'être plus rien qu'une simple disposition d'agrément ou d'adhérence à tout ce que Dieu veut, sans aucun choix, pour lors, Dieu ayant ainsi purifié, vidé et consommé tout ce qui lui est contraire, il se produit lui-méme au fond de l'intérieur, et cette âme dit avec l'épouse au Cantique : « Jam hiems transiit » (1). Mais très chère enfant, il y a beaucoup à soutenir en cet état. C'est pourquoi relevez votre courage et vous estimez heureuse qu'un Dieu s'applique à vous et vous met dans le creuset des tentations. Il ne veut point que vous demeuriez en vousméme et à vous-méme par le tendre et délicat du sens, mais il veut que vous marchiez à grands pas dans l'abnégation de vous-même et dans la pure foi. Priez Dieu pour moi.

(2) Votre cœur est-il moins ardent et moins affectionné à sa vocation que du passé ? Je vous conjure de ne point désister, et de croire que c'est votre bonheur ; vous le connaîtrez dans quelque temps ; ayez patience ; vous verrez un jour que la Religion est sainte et qu'elle fait des saintes quand on veut vivre selon les Règles et les Constitutions. C'est où on donne tout sans réserve et où on sacrifie incessamment. C'est où on donne à Dieu tout ce qu'on lui peut donner, vie pour vie et mort pour mort. Enfin c'est l'école de Jésus Christ où on apprend

(1) Cant. 2.11.

(2) Le ms N256 s'arrête ici. Ce dernier paragraphe ne se trouve qu'au N267.

264

à vivre de sa vie. Je vous prie de prendre courage et de n'avoir aucun regret de vous être faite une victime de Jésus Christ ; vous ne faites en cela que vous conformer en ses états, et faire pour lui ce qu'il a fait pour vous. Soyez saintement généreuse, vous assurant que Dieu comble de grâce votre âme, car il faut être uniquement toute à Dieu. C'est ce que je vous souhaite comme pour moi même puisque vous êtes toujours dans mon coeur où je vous immole à Jésus, ne faisant de vous et de moi qu'une victime, que je prie Dieu vouloir consommer du feu divin de son saint amour.

n° 1023 N256 et N267



A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER]

23 juin 1666

Vous m'avez, très chère enfant, bien consolée de me donner de vos chères nouvelles. Je les attendais avec un grand désir d'apprendre l'état présent de votre âme. Je rends grâce à mon Dieu de toutes ses miséricordes sur elle et le prie de les continuer. Vous faites bien de l'en remercier sans cesse et de vous tenir dans le pur abandon de tout vous-même à sa très aimable volonté. Si la divine Providence vous a consolée et réjouie de notre voyage, elle m'a donné sujet de le bénir et adorer de ses bontés infinies sur vous et de ses grâces sur vous et sur toute la petite Communauté , au milieu de laquelle Notre Seigneur se complaît et fait son ouvrage par les contradictions qu'il permet arriver. Mais cela ne doit faire nulle impression. Cette petite maison est dans la main de Dieu et soutenue de sa toute puissance. L'enfer ne la pourra renverser, si toutes les âmes se rendent comme il faut à Jésus Christ et qu'elles vivent dans la sainteté et l'esprit de l'Institut.

Pour vous, chère enfant, marchez sans retourner en arrière ; ne vous laissez surprendre d'étonnement sur les choses humaines ; il les faut toutes laisser à la disposition de l'adorable Providence de Dieu, pour vous tenir cachée en lui, ne prenant part à rien, pour vous troubler et inquiéter. C'est dans la souffrance que la vertu triomphe ; la vertu

272

n'est vertu que lorsqu'elle est dans la peine. Estimez-vous avoir de la douceur et de la patience si vous n'êtes point contrariée, ou de l'humilité si vous n'êtes point humiliée, ou de la soumission si on ne vous commande des choses contraires à la nature ? Je me réjouis de vous voir si bien déterminée d'être à Dieu quoi qu'il vous en coûte. Allez, allez, chère enfant, quand vous vous perdrez vous-même en cette sainte entreprise, vous trouverez Dieu parfaitement.

Je voudrais bien vous dire quelque chose sur ce précieux et divin mystère qui fait l'objet de notre amour et de nos actuelles adorations. J'aurais grande joie de vous en parler selon ma pauvreté, mais le temps est trop bref et je tâche de répondre succintement à la vôtre pour vous soulager au besoin. Ce Sacrement d'amour étant prêché assez souvent vous donne des lumières et intelligences pour vous y appliquer. Mais la plus importante disposition est un fond d'abaissement en la présence de Jésus humilié en ce divin mystère, et une entière démission de vous-même pour être capable de son opération. Apprenez, ma chère fille, par ce pain eucharistique, que vous devez vivre de Jésus et pour Jésus, c'est son dessein. Vous le voyez par ces divines paroles : « MISIT ME VIVENS PATER » ; « Comme mon père m'a envoyé et que je vis pour mon Père, de même celui qui me mangera vivra pour moi, à cause de moi » (1). Voilà les paroles du saint Evangile qui nous marquent cette belle et auguste vérité de la vie que, par la Communion, l'âme est vivante de la vie de Jésus et ne vit que pour Jésus. Il est fait en nous un principe de vie divine, c'est-à-dire qu'il est en nous une cause de vie et que nous ne devons plus vivre en nous, ni pour nous. Je prie ce divin Sauveur qu'il rende ses sacrées paroles efficaces en vous et en nous, et que nous ne vivions plus désormais que par Jésus et pour Jésus. O la belle vie qui ne serait animée que de cet adorable principe ! Mourons à nous afin que Jésus vive !

J'achève de répondre à quelques articles de votre chère lettre. Premièrement, pour ce qui regarde les pénitences : ne vous y attachez point trop, et après qu'on vous les a refusées, soyez aussi tranquille comme si l'on vous accordait votre demande. Concevez bien, ma très chère fille, que votre grande et principale affaire, c'est de mourir à tous désirs, tous choix et affections de quoi que ce soit, pour être libre intérieurement de prendre votre vol vers Dieu. N'ayez d'attache à rien. Soyez toujours dans la volonté de faire tout le bien qui serait à votre possible et par delà, mais soyez sans inquiétude, indifférente à toutes les conduites de l'obéissance, vous souvenant que tout ce que vous pouvez désirer de bon peut être infecté de votre amour propre et de quelque impétuosité de la nature intérieure, mais dans la mort, tout se purifie. Ne craignez point d'être sans souffrances ; vous n'y serez jamais, Dieu en fera naître des occasions au dedans et au dehors de vous-même. Fixez votre paix, votre repos et votre amour en Dieu seul, et non en quoi que ce soit de créé pour bon qu'il soit. La foi nue sera une vie et le chemin par lequel vous passerez en Dieu, mais, chère enfant, ce chemin est d'autant plus rigoureux qu'il est la mort de l'amour-propre. Les retours, les raisonnements, les goûts, les satisfactions y agonisent. Il faut outrepasser tout cela et entendre les plaintes et les gémissements de notre intérieur, qui crie qu'il meurt de faim, qu'il ne peut soutenir une destruction si cruelle, sans se soucier de nous-même. Il faut se résoudre à tout perdre, si nous voulons tout gagner. Secondement pour ce qui regarde les demandes que l'on vous fait sur votre intérieur, répondez, chère enfant, selon la simplicité du coeur et fort ingénument, sans vous mettre en peine du succès, ni de ce que l'on pourra dire. Je veux que vous ne regardiez que Dieu et que, sans réflexion, vous conserviez en tout et partout une sainte liberté. Je trouve que la simplicité fait cela, je veux dire, que votre âme regarde sans se détourner de cette vue ; c'est une disposition qui produit d'excellents effets. Si j'avais autant de temps que d'affection et de zèle pour votre sanctification, je vous dirais beaucoup d'autres choses, mais il faut nous contenter du peu puisque la Providence me donne tant d'occupations.

J'écrirai à la Mère N. pour la prier de vous prêter quelques petites choses qu'elle a recueillies sur quelques Evangiles de l'année. Peut-être que cela vous pourra servir et aider à donner un peu d'intelligence pour les autres. J'aurais un singulier plaisir d'instruire votre âme ; ce sera toujours le plus souvent que je pourrai soyez-en très certaine. Vous savez ce que vous m'êtes, je ne vous le réitère point. C'est pour le temps et l'éternité ce que je vous ai dit devant le Très Saint Sacrement avant mon départ. Si je puis durant le saint octave, je vous écrirai. Embrassez ma chère Soeur des [Anges du Vay] (2) pour moi et l'assurez de ma fidélité. Vous pouvez m'écrire quand vous voudrez.

A Dieu en Dieu, il soit à jamais béni ! Nous vous exhortons d'être bien gaie, libre et dégagée, n'étant point trop sérieuse avec vos Soeurs, de sorte que votre humeur trop retirée leur soit à charge. Faites paraître de la joie dans votre sainte captivité à Dieu, afin d'encourager les petits à l'amour de Notre Seigneur, imitant saint Paul qui se fait tout à tous pour les gagner tous. Agréez, chère enfant, ce petit mot d'avis de votre pauvre et indigne Mère.

N° 3074 D43

(I) Jn. VI,57.

(2) Catherine du Vay (Mère Marie des Anges) prit l'habit en janvier 1661 et fit profession en septembre 1662 au monastère de la rue Cassette. Elle fait partie du groupe des fondatrices du monastère de Toul (cf. Journal de Toul). Mère Mectilde l'enverra aussi aider à la fondation du monastère de Rouen.


A LA MÈRE MARIE DE SAINT FRANCOIS DE PAULE [CHARBONNIER]

306

30 octobre 1669

Je ne doute point, ma très chère fille, que vous ne trouviez toute paix et tout bonheur, et pour comble la possession de Dieu dans votre néant ; l'on peut dire que dans ce rien véritable, les trésors de la grâce et de la sainteté y sont renfermés. Courage donc, ne vous retirez point de ce bienheureux néant. Et pour voir si vous y êtes par l'esprit de Dieu, voyez s'il vous porte à la mort de toutes choses par une sainte indifférence, constante également partout, et s'il vous tient indifféremment prête à tout. J'espère que, si vous y êtes fidèle, vous viendrez à posséder ce néant en tout, de sorte que rien de la vie ne vous en fera sortir. Mais comprenez que je n'entends pas que vous pensiez toujours à ce néant et que vous n'ayiez jamais d'autre entretien. Le néant ne s'attache pas même au néant ; il faut qu'il vous mette dans une simple capacité de tout ce qu'il plaira à Dieu de faire de vous, étant prête à tout sans choix et sans élection d'aucune chose. Si je pouvais vous parler, je vous l'expliquerais mieux, mais c'est tout ce que je puis de vous en écrire ce petit mot. L'esprit de Jésus fera le reste en vous, laissez-vous toute à lui. Il a commencé par son infinie bonté et miséricorde, il achèvera par son amour. Priez-le pour moi, et l'adorez pour mon supplément. Hélas ! je suis toute dévorée, mais Jésus est la gloire et le soutien de tout ; je suis en lui pour jamais, sans changer, ce que vous savez que je vous suis en lui et par lui. J'embrasse tendrement ma pauvre Sr. N. et la prie, avec nous, de me donner quelques communions pour obtenir de Notre Seigneur la grâce de n'être point opposée à la sainteté de notre Institut. Je salue aussi toutes nos chères Soeurs, mais ne montrez la présente à personne qu'à la Mère Prieure, si elle la veut voir, et à ma chère soeur des [Anges]. Gardez-vous d'être indiscrète dans l'opération intérieure ; vous gâteriez l'oeuvre de Dieu en vous au lieu de la soutenir. Ne soyez point trop abstraite, prenez de la nourriture et du repos raisonnablement et, durant le repos, ôtez vos instruments de pénitence, et n'allez point si tôt faire oraison après le manger ; divertissez-vous innocemment.

n° 1079 P104 Bis


A UNE RELIGIEUSE [ DE TOUL I

Ce 3e mai 1671

Il est temps, ma chère fille, de commencer à vous dépouiller de vous-même. Jusqu'ici vous êtes allée à Dieu trop doucement. Il faut à présent travaillèr plus fortement et mourir incessamment. A mesure que nous mourons, nous donnons vie à Dieu en nous, et nous ne pouvons

310

la lui donner qu'en nous anéantissant. Nous sommes sorties du néant et devons retourner au néant par une mort continuelle. Mourez à une chose ; en même temps, Dieu prend vie de cette chose : c'est le secret de la vie intérieure. Prenez à tâche la haine de vous-même en toute chose. Ne vous souciez non plus de vous que d'un néant ; que l'on vous emploie en ceci ou en cela, en chose grande ou petite, que l'on vous rebute, que l'on vous mortifie, qu'il vous arrive par Providence quelque bonne humiliation, recevez tout cela avec un esprit tranquille, sans aucun trouble, et demeurez toujours avec Jésus-Christ au fond de votre coeur. Soyez prête à faire tout ce que l'on vous dira, sans témoigner que vous aimez une chose plus qu'une autre ; tout est égal en Dieu. Il ne faut point de discernement, si vous travaillez à ceci ou à cela, si vous gardez une porte ou si vous êtes dans votre cellule, mais si vous le faites pour lui et en lui ; et comme nous le portons en nous, nous le trouvons partout. Regardez toute chose en lui, faites tout pour lui et vous jouirez d'un parfait repos. Mourez donc à vous-même, à votre propre esprit, à vos sens extérieurs et intérieurs. Mourez aux lumières aux goûts, aux douceurs, à vos puissances ; que vous soyez toute dépouillée de vous-même. Il semble souvent qu'en voulant de bonnes choses, nous voulons Dieu et sa gloire, et nous ne recherchons que nous-même. Voyez, vous êtes bien occupée de Dieu, rien ne coûte en ce temps là, on ne veut que lui, mais sitôt qu'il se retire, que la tentation survient, on change comme la disposition.

Négligez donc toutes choses et demeurez ferme dans tout événement. Ni votre éternité, ni votre perfection, ni la vertu ne vous doit retenir. Mourez à tout, vous laissant dans l'abandon. Vous direz que je vais bien avant et que [je] suis bien rude de vous faire marcher par un chemin si difficile. Dieu le demande de vous, ma fille, et je veux votre sainteté. Vous n'aurez pas pratiqué ces choses cinq ou six semaines que, sans y penser, vous ferez un progrès merveilleux et que Dieu vous fera voir et connaître ce que toute l'industrie humaine ne pourrait pas atteindre. Travaillez donc de la bonne manière ; prenez-vous à tâche et fuyez tout ce qui vous regarde : vous connaîtrez quelque chose de cette importance. Demeurez paisible au fond de votre coeur, que les passions s'élèvent, que l'esprit soit agité de mille fantômes, que la vanité se fasse ressentir, qu'e les tentations viennent, de quelque nature qu'elles soient, laissez tout passer sans y réfléchir, ni vous en occuper. Il est plus aisé de souffrir que d'agir.

n°482 N267



A UNE RELIGIEUSE MALADE

311

[ Mère Marie Mectilde du Très Saint-Sacrement Philippe ]


21 novembre 1671

J'apprends ma très chère fille, avec une très sensible douleur, que votre mal augmente si fort que, sans un miracle, on ne doit point espérer votre guérison (1). Je ne puis exprimer la douleur que je ressens, et avec quel désir je demande à Notre Seigneur qu'il vous donne la grâce que je voudrais pour moi-même. Je ne doute pas que toute la maison ne soit touchée de vous voir attachée à la croix et y consommer si douloureusement votre sacrifice. Je vous assure, ma très chère fille, que nous en faisons toutes un très grand en nous soumettant aux desseins de Dieu sur votre chère personne, qui, selon toutes les apparences, vont vous tirer dans son Coeur en vous consommant en son amour crucifiant. C'est de cette sorte qu'il sanctifie ses élus, et qu'il les rend des objets dignes de sa complaisance.

Je sais que, de votre part, vous ne voulez que son bon plaisir, et qu'étant sa victime, vous demeurez immolée sur votre croix, dans un pur abandon de tout vous-même, tâchant de vous désoccuper de tout vous-même et de vos intérêts, pour demeurer toute appliquée à Jésus par un esprit d'amour. Gardez-vous bien, ma très chère fille, d'inquiéter votre âme par des réflexions inutiles. Tenez-la toujours unie à son souverain bien. Plus vous avancez vers le ciel, plus vous devez [vous] réjouir de retourner à Dieu comme à un Père. Cette vie est un pays étranger ; nous y vivons dans un exil très grave, mais la mort nous fait la grâce de terminer notre course et de nous introduire dans la maison de notre Père céleste, où sa miséricorde vous attend pour vous combler de bénédictions éternelles, que son Fils vous a méritées par son sang. Courage, ma très chère fille, allez avec une amoureuse confiance vous rendre entre les bras de votre divin Sauveur, et souvenez-vous d'une misérable pécheresse quand vous serez dans ce repos bienheureux. Je vous congratule ; quoique je suis sensiblement touchée, j'anéantis les gémissements de mon coeur pour me soumettre aux volontés divines. Je sais que ma douleur serait trop humaine si elle vous retardait un moment la possession de Dieu. Je veux qu'il règne de sa puissance et de son amour ; nous sommes l'ouvrage de ses mains ; c'est à lui, comme maître absolu, d'en disposer. Mourons, ma très chère fille, dans cette disposition d'humble attente et dans une parfaite remise de tout nous-même en lui, afin que lui seul vivant en nous dans ce précieux moment, il nous tire tout en lui. C'est de cette sorte qu'il fait bon mourir et que ce passage est agréa-

(1) Mère Marie Mectilde du Saint-Sacrement Philippe a fait profession au monastère de Rambervillers en février 1661 (cf. lettre no 412 du 18 février 1661). Elle est décédée le 25 janvier 1672 (cf. Lettres suivantes : n° 1504 sans date et 990 du 5 février 1672).

312

ble. Je prie mon adorable Seigneur nous faire cette grâce, ma très chère fille, et qu'un jour nous puissions nous revoir toutes dans le ciel. J'aurais bien désiré qu'il lui plût prolonger votre vie, ma très chère fille, ou que du moins il eût agréé de différer votre retour en lui que notre bonne Mère [Bernardine Gromaire] et nous fussions au pays pour avoir la consolation de vous rendre nos services et quelques marques de notre sincère affection: Je le désirais encore ardemment pour me donner moyen de vous fàire mille humbles remerciements de toutes les bontés que vous avez eues pour moi, et des effets si charitables que j'en ai reçus. Je ne les oublierai jamais je tâcherai de les reconnaitre par mes chétives prières. Je vous promets celles de notre communauté, en attendant que Notre Seigneur vous en donne la récompense. Je vous embrasse en son amour par lequel je vous suis dans le temps et l'éternité toute vôtre dans une entière cordialité.

A Dieu, en Dieu, ma très chère fille, je vous donne toute à lui, je vous abandonne à son amour. Ne m'oubliez point en sa sainte Présence, et dans les mérites de vos douleurs. Croyez que je vous aime et chéris en lui du plus tendre de mon coeur, qui ne manquera pas de faire prier Dieu pour vous.

n° 862 Cr C



A UNE RELIGIEUSE DE TOUL

320

Paris, 9 janvier 1674

Je vous assure, ma très chère fille, que vous jugez de votre intérieur comme un aveugle fait des couleurs : vous avez des yeux, mais ils ne voient goutte. A la vérité, vous sentez la malice du fond, mais vous n'êtes pas en état d'y trouver la foi, l'espérance et la charité. Elles se sont retirées en une autre région, au-dessus de vous-même, où elles seront inaccessibles, tout le temps que Dieu jugera à propos de vous priver de leur soutien sensible. Si vous avez encore une demi-once de confiance en nous, croyez ce que je vous dis de la part de Dieu, qui me fait vous assurer que vous n'êtes point en péché mortel et qu'il n'a point abandonné votre âme pour la perdre éternellement, mais pour en faire une victime de sa justice et de sa sainteté, si vous savez vous tenir dans sa sainte main pour vous égorger comme il voudra. La vue distincte de votre fond ne vous doit pa's troubler. 11 faut en voir les malices et en voir les saillies, sans vous en étonner, et vous devez devenir comme un rocher qui est battu des vents et des orages : il ne s'en émeut point. Soyez dans la tempête par-dessus la tête ; soyez sans soutien, et même voyez-vous abîmer au fond des enfers, sans vous en tourmenter. Ce n'est que la tendresse intérieure qui vous accable, la crainte de vous perdre, votre salut vous tient au coeur. En cela, je remarque que vos intérêts sont encore vivants, et qu'ils ont encore la puissance de vous inquiéter.

Il faut, ma chère fille, pour être comme Dieu vous veut, que vous abandonniez tout à l'aveugle, sans vous mettre en peine de ce que vous deviendrez. Soyez la proie de la volonté divine pour vous anéantir comme elle voudra. Votre voie présente est de vous laisser abandonner de Dieu, de ses grâces et du reste, sans vous compassionner. Je vous trouve trop faible et trop sensible sur vous-même, quoiqu'il vous paraît que ce sont les intérêts de Dieu ou la certitude que vous l'offensez qui vous touche. Laissez votre mauvaise volonté sous la justice divine ; laissez-la foudroyer votre fond de malice ; soyez dans toutes ses conduites les plus détruisantes, comme une souche qui ne remue point. Tenez-vous comme un rien et le laissez faire, car, s'il vous jette dans l'enfer, il est assez puissant pour vous en retirer. Il y faut descendre en ce monde, pour n'y pas aller en l'autre.

Je conçois bien que vous souffrez par la sainte communion, à cause de l'approche d'un Dieu saint dans un fond d'abomination. Si j'étais auprès de vous, je ferais bien pis que votre bonne Mère car je vous ferais communier sans confesser et, si vous désobéissiez, je verrais en cela que vous êtes vivante pour vous-même. Soyez donc jusqu'au col dans lres sentiments de toutes sortes de péchés, marchez sans retour et sans réflexion, et surtout obéissez comme un enfant, car je vous dis, devant Dieu et de sa part, que vous ne connaissez point le sentier par où il vous fait marcher. Obéissez sans raisonnement, et la suite vous remettra dans la voie de mort, d'où vous ne devez jamais sortir. Prenez garde à ce que je vous dis, très chère, ce n'est pas de moi. Priez Notre Seigneur qu'il me sépare de moi-même. Je suis en lui...

n° 1681 P104 bis



A UNE RELIGIEUSE NOUVELLEMENT ELUE PRIEURE

AU MONASTÈRE DE RAMBERVILLERS

17 juillet 1675

Loué soit à jamais le Très Saint Sacrement de l'autel !

Notre-Seigneur vous dit, ma très chère Mère, les paroles du Saint Evangile : «Venez à moi vous qui êtes chargés et je vous soulagerai» (1). Certes, il n'y a que lui seul qui puisse soulever le poids de votre accablement, je le trouve si grand qu'il me fait entrer en compassion de votre douleur selon les sentiments humains, mais je regarde les desseins de Dieu, j'adore sa conduite que je trouve sainte et à laquelle vous devez, ma toute chère Mère, une entière soumission. Je comprerids bien les raisons que vous avez de vous plaindre, mais je vous dirai que vous n'avez pas moins que la force et la vertu de Jésus Christ pour vous soutenir. Recevez votre élection de sa part ; n'y envisagez rien d'humain, afin que vous demeuriez en celui qui vous fait agir en son nom et qui veut vous animer de son esprit. Je sais bien que vous avez fait ce qu'il faut en ce rencontre, qui est de vous avoir anéantie dans votre sens, votre raison et les vues mêmes de tous vos intérêts ou de vos indignités. Remettez tout cela en Dieu, si déjà vous ne l'avez fait, pour vous tenir cachée et abîmée en lui, sachant de foi certaine que Jésus Christ veut faire en vous la fonction de Prieure, et sa très sainte Mère, votre précieuse Abbesse, vous veut conduire dans cette charge. Vous n'avez qu'à vous abandonner avec une entière confiance au Fils et à la Mère. Tous les deux feront merveille en vous ; ne vous amusez pas à vous réfléchir inutilement. Marchez, Dieu le veut, chargez votre croix ; suivez votre Epoux. Mais voulez-vous suivre mon conseil ? Ne vous regardez plus vous-même, ne cherchez jamais en vous ce que vous ne devez trouver qu'en Jésus Christ ; séparez-vous incessamment de vous pour vous laiser toute en lui. Je ne sais que ce secret pour porter en patience, et comme nous devons, la charge la plus crucifiante du monde et, je puis ajouter, la plus répugnante aux âmes qui en connaissent le poids. Si vous voulez expérimenter cette humble pratique, vous verrez que vous en recevrez de singulières grâces et que vous serez fortifiée intérieurement. Je me souhaite près de vous, ma très chère Mère, pour vous exprimer plus cordialement mes petites pensées et vous assurer que je suis toute à vous et à votre maison, que vous pouvez et devez vous adresser à notre très honorée et bonne Mère de l'hospice (2) et à moi avec la dernière liberté et confiance, ayant toutes deux un très grand désir de vous servir en tout ce qui sera de notre possible. Ecriveznous tout librement, et nous mandez en quoi nous vous pouvons servir ;

326

nous serons toujours prêtes. J'écris un mot à la chère Mère Scholastique (3), la priant vous aider à porter votre fardeau ; vous aurez la bonté de lui donner ma lettre et de me mander si vous avez fait vos officières. J'ai grande confiance que Notre Seigneur vous bénira. Prenez courage et ne vous laissez point accabler ; voyez bien que c'est Notre Seigneur qui doit faire en vous cet office. Et vous, à demeurer comme je viens de dire toute anéantie en lui, vous verrez que je ne vous trompe point. Continuez, ma très chère Mère, à nous écrire, mais le plus souvent que vous pourrez ; et quand vous en serez empêchée, la chère Mère Scholastique suppléera. Et croyez que je prends toute la part que je dois à ce qui vous touche en particulier, et à toute la chère Maison que j'aimerai tendrement toute ma vie, et que je veux servir comme ma mère puisqu'elle m'a donné naissance dans l'Ordre, et que je lui suis redevable des miséricordes que Notre Seigneur m'a faites.

Croyez-moi sans réserve toute à vous, ma plus chère Mère...

Mandez-nous des nouvelles quand vous en aurez, et ne vous laissez point environner. Si vos alarmes (4) recommencent, nous avons ici de quoi vous loger toutes.

N°2299

(1) Mt XI,28-29.

(2) Les religieuses qui ne possédaient pas la maison où elles étaient installées étaient dites être « en hospice ». Elles ne pouvaient recevoir leurs lettres patentes que si elles étaient propriétaires de leurs bâtiments conventuels. Tel était le cas du petit groupe de religieuses envoyé à la demande de Mère Mectilde par le monastère de Toul pour une fondation à Dreux. Celle-ci n'ayant pu se faire alors, l'archevêque de Paris, François de Harlay, leur conseilla de rester dans son diocèse. La supérieure de cet hospice, qui sera plus tard le second monastère de Paris, était à ce moment Mère Bernardine de la Conception Gromaire.

(3) Mère Scholastique Gérard était un esprit si ferme et si distingué, elle avait étudié avec tant de soin les sciences et la théologie qu'elle pouvait faire des conférences chaque dimanche et jour de fête au parloir du couvent pour enseigner le peuple de la ville. Ses solides vertus donnaient tant d'efficacité à ses paroles que l'évêque de Toul lui avait accordé le privilège spécial d'évangéliser par des missions données aù monastère. les habitants des bourgs voisins. Bientôt, elle conçut une répulsion violente contre l'Institut et contre Mère Mectilde, et on comprend que Dieu ait dû intervenir assez « violemment » pour éclairer un esprit aussi ferme. Cf. Dom Rabory, Vie manuscrite de Mère Mectilde ; C. de Bar, Documents, 1973, p. 228.

(4) Allié de la coalition contre la France, Charles IV de Lorraine reprend la guerre dès 1670. En 1674, il est battu par Turenne en Alsace, mais remporte une brillante victoire sur le maréchal de Créqui à Consarbruck en 1675. Le duc mourait peu après, le 18 septembre 1675. Mère Mectilde craint les conséquences de la guerre pour « sa chère Maison », elle qui en a connu toutes les horreurs quelques trente ans auparavant.



A UNE RELIGIEUSE DE TOUL

1678

Je m'abandonne au bon plaisir de Dieu et j'adore ses conseils sur votre âme, aussi bien que sa sainte conduite sur toute votre sainte Communauté. Je la remets à sa divine Providence , me confiant à sa bonté qu'elle en aura toujours soin et qu'elle la protégera comme elle l'a fait jusqu'ici.

Je l'abandonne à la puissance du Père, à la sagesse adorable du Fils et à la plénitude du divin amour du Saint Esprit. J'invoque sur icelle toutes les bénédictions du ciel par Jésus Christ et supplie la très sainte Mère de Dieu d'en être la directrice. C'est à cette sacrée Mère que je vous laisse toutes, vous la donnant pour votre très digne Supérieure qui aura soin de vos conduites dans la sainte perfection et qui vous obtiendra de son Fils la sanctification que je vous désire. Je vous conseille d'abandonner le tout à Dieu et de croire qu'il n'est point attaché aux objets. Ses jugements sont profonds, et bien souvent nos lumières ne sont que dans la piété de nos pensées. Mais la main de Dieu est puissante, qui fait ses ouvrages comme il ,Iui plaît et qui tire nos sanctifications de ce qui paraît notre ruine. Les croix de Providence ont des onctions bien plus suaves que les autres ; ce sont des visites de notre bon Maître. Il les faut adorer et s'y soumettre. Il est vrai que nous sommes dans un règne d'anéantissement. Je prie Notre Seigneur qu'il nous donne la grâce de nous bien anéantir dans l'amour du bon plaisir de Dieu au temps et à l'éternité.

Votre nécessité spirituelle ne consiste qu'à vous rendre bien fidèle et inébranlable dans la voie que sa divine miséricorde vous a montrée. Et pour quelque doute qui vous puisse arriver ou tentation contraire, n'en désistez jamais ; appuyez-vous sur l'obéissance qui vous l'enjoint.

336

Ne vous affligez point de la privation d'une créature impuissante à vous aider, à vous sanctifier. Dieu seul, mais tout seul, vous suffit. Laissez anéantir les moyens pour demeurer étroitement unie à la fin. Je sais bien que c'est le plus grand bonheur dans la vie intérieure - après la possession de la grâce - que de trouver une personne qui conçoive nos dispositions et qui, avec le Saint Esprit, nous serve de guide. Mais, hélas ! ma chère N., je ne suis point utile à votre âme ; Dieu sait l'impureté et l'ignorance de la mienne. Il n'appartient qu'à lui de sanctifier ses élus et de les faire arriver à un heureux port au travers des épouvantables orages. Prenez courage, sa sainte grâce vous suffit ; la foi nue doit être désormais votre appui - sans appui. Il faut tout perdre pour trouver Dieu, qui ne peut être trouvé qu'en surpassant toutes les créatures et soi-même. Demeurez fort tranquille dans le pur anéantissement, sans vous mettre tant en soin de votre salut. Souvenez-vous de ce que Notre Seigneur dit dans son Evangile : « Qui gardéra son âme la perdra, et qui la perdra la gagnera pour la vie éternelle ». Perdons-nous donc, ma très chère Mère, et demeurons dans le pur abandon. Laissant à Dieu la conduite de votre âme, le Saint Esprit ne vous manquera pas.

Bienheureuse l'âme qui tend fidèlement à son Dieu par cette secrète et admirable voie de silence ! Ne vous en détournez jamais si vous ne voulez vous rendre infidèle. Que si, dans ce silence, l'on vous dit : que faites-vous ? vous ne savez ce que vous faites vous-même ; la foi nue est votre appui, vous contentant que Dieu le sait et le connaît. Ne vous épouvantez pour aucune tentation quelle qu'elle soit ; vous n'êtes point encore au bout. Il y a des âmes qui en souffrent, dans cette voie, d'effroyables. Il faut que Dieu seul en pure foi vous suffise, et apprendre à vous passer de tout le reste. Si l'on vous dit que vous ne savez ce que vous adorez, vous êtes assurée en ce point ne pouvoir manquer, car vous adorez en esprit et vérité celui qui est, et vous l'adorez d'autant plus véritablement que vous le regardez par une foi simple, comme il est en lui-même, sans image et sans distinction. Fermez l'oreille à toutes les interrogations qui vous seront faites sur votre voie, contentez-vous de savoir que c'est votre chemin. Ne le quittez pas et ne vous mettez en peine de son obscurité ni des obstacles qui s'y rencontrent. Demeurez dans une amoureuse confiance en Dieu. Il y a beaucoup d'âmes qui arrivent jusqu'à certain degré d'oraison, mais elles ne passent pas plus outre. Sainte Thérèse dit qu'elle n'en sait pas la cause, et un autre dit que la faute vient de ce que nous avons encore trop d'amour et trop de réserve pour nous-même. Nous ne nous abandonnons pas assez à l'aveugle, sous les meilleurs prétextes du monde. Si je suivais mes pensées j'écrirais beaucoup sur ce sujet, et je ne sais pourquoi Notre Seigneur m'en donne tant de petites lumières, vu l'abîme de mes infidélités et combien je suis loin de la pureté de cette voie. Il est vrai qu'il y a une grande distance de l'union de l'amour avec Dieu et de la sainteté qu'il faut avoir pour entrer dans le Ciel. Il y achemine les âmes durant la vie et il les consomme à la mort ; c'est l'ouvrage de sa divine main. Pour vos péchés, ne vous mettez point en peine de les rechercher. Si Dieu veut de vous une confession extraordinaire, il vous donnera grâce et lumière pour la bien faire : ne vous en occupez pas. Demandez la sanctification de cette communauté, et pour mon âme un parfait anéantissement.

Je vous embrasse en l'amour pur et sacré de notre divin Maître et vous laisse dans son divin Coeur et entre les mains de sa très sainte Mère. Adieu, en Dieu, pour jamais, sans nous séparer de l'union sainte que nous avons en lui, à la vie et à la mort.

n° 988 N 267



A LA MÈRE PRIEURE DE TOUL

Pentecôte 1679

Je prie le divin Paraclet de vous remplir de sa lumière et de son feu, et qu'il fasse en vous toutes un divin incendie, pour y consommer tout ce qui pourrait s'opposer à trois choses que nous devons avoir incessamment dans le courant de notre vie : la première, regarder Jésus ; la deuxième, s'unir à Jésus ; et la troisième, opérer en Jésus. Je vous supplie de demander ces trois choses au Saint Esprit pour moi, pour vous, [et pour] toutes les âmes qui sont dans notre Institut.

Ne vous affligez point de vos croix et des continuelles tribulations que vous souffrez. Vous êtes, ma toute chère, associée à Jésus, hostie et victime pour la gloire de son Père et pour les pécheurs. Vous devez souffrir et soutenir comme lui et avec lui, je veux dire en sa force et en sa vertu, tout ce que son bon plaisir vous envoie au dedans et au dehors de vous, sans vous réfléchir sur la nature qui gémit sous le poids, et qui crie quelquefois si haut. qu'elle retire l'âme de son fond et de son union à Jésus souffrant en elle, portant sa souffrance et la sanctifiant. Il ne faut point se regarder pour avoir pitié de son mal : nous perdrions courage à chaque rencontre. Mais souffrons et mourons avec Jésus. C'est ce qu'il veut et à quoi il vous a destinée. Soyez assurée qu'il est avec vous, que vous ne souffrez pas seule, que s'il fait votre croix par sa sagesse et son amour, il fait votre soutien par sa grâce et par son onction. Jésus vous est et vous sera toutes choses, et lorsqu'il vous manquera, vous serez responsable des accidents qui en pourraient arriver ; mais je suis certaine qu'à moins que vous ne l'abandonniez, il ne vous abandonnera pas. Demeurez unie à ce cher et adorable principe. Laissez-vous gouverner par sa toute aimable Providence, tout ira bien pour vous. C'est assez ; ni vous ni moi ne voulons rien dans son oeuvre, ni dans nous-même que pour sou plaisir. Je lui remets très souvent notre Institut entre les mains. Je me résous de le voir anéantir si j'envisage

338

les événements, mais si je le regarde en Dieu, il peut tout. Il faut vivre dans la mort et marcher sans attache et sans réflexion : allons, allons à la croix... Pour les contradictions, il est impossible de les éviter ; il' vaut mieux les bien porter que de s'en affliger ; Jésus triomphera de ses ennemis et des nôtres. Ne craignons rien,, soyons fidèles à Dieu, et nous expérimenterons ses bontés et ses protections ineffables. On ne connaît jamais mieux les soins paternels de la bonté de Dieu que lorsque l'on est environné de croix.

Nous vous manderons ce que nous apprendrons des arrêts. Monsieur le premier Président a résolu de parler au Roi et lui représenter que les monastères ne sont pas si riches qu'il croit (1). On espère que tout se terminera avec moins de rigueur qu'on espérait. Mais, quoiqu'il arrive, tenez vos coeurs préparés pour recevoir la croix qui vous menace, et qui ne peut tomber sur vous qu'elle ne tombe sur moi plus violemment. S'il plaît à Dieu nous l'envoyer, il faut bénir son Saint Nom, et ce sera le châtiment que mes péchés méritent. Tout me serait doux s'il était sur moi seule et que les innocentes ne pâtissent point pour la coupable. Si Dieu veut me confondre, je n'ai pas le mot à dire : il est juste. Mais quoique je ne sois pas digne des regards de sa miséricorde, je ne puis cependant que je ne me confie en sa bonté pour l'amour de lui-même, espérant qu'il n'abîmera point son oeuvre absolument, quoiqu'elle soit en toutes manières fort agitée. Il faut attendre son secours en la manière qu'il lui plaira nous le donner, et ne nous point trop affliger des bouleversements dont nous sommes menacées. Laissons faire Dieu : il est plus puissant que nous pour défendre ses intérêts. Il fait que nous n'avons d'appui qu'en lui seul, et.que nous ne demandons point de meilleure protection. Tout est dans sa divine main, le bien ou le mal, le triomphe ou la honte, l'honneur ou le mépris ; qu'il fasse selon son bon plaisir. C'est ici où il faut que je meure et que je sois ensevelie dans les ruines de tous mes dèsseins, qui me semblent cependant n'avoir été formés que pour sa gloire. Mais, comme je ne suis que corruption et que tout ce que je fais mérite d'être anéanti, je tâche de me tenir prête à tout ce qu'il plaira à Notre Seigneur qui fera justice de m'abîmer dans toutes sortes d'abjections. Et je suis bien aise de n'avoir point d'appui chez les créatures, ni de défense chez les souverains j'attends de Dieu immédiatement toutes choses. 11 sera toujours adorable en tout ce qu'il permettra m'arriver ; je le bénis et l'adore par avance en me tenant sous ses pieds. Faites de même, je vous supplie, et lui offrez les amertumes de mon coeur

(1) Dès 1663 Colbert, peu favorable à la vie monastique, avait fait entreprendre une enquête dans le but de connaître le montant exact des revenus des monastères qu'il croyait très riches. L'affaire fut portée devant le Saint-Siège en 1668 et les soupçons du ministre furent reconnus comme tout à fait injustifiés. La plus grande partie des revenus monastiques était perçue par les abbés commendataires. Mais une nouvelle tentative reprit en 1671 et l'on s'efforça même de restreindre les nouvelles fondations. Mère Mectilde aura aussi à souffrir de ces mesures restrictives lorsqu'elle voudra ouvrir un second monastère à Paris. Il semble bien que cette lettre fait allusion aux difficultés créées par Colbert. Dom Martène, op. cit., vol. XXXI V, t. IV, p. 177-178. Ligugé, 1930.

au regard de cette oeuvre et tout ce qui y est compris. C'est une rude croix pour l'amour propre qui n'y voudrait voir que pureté et sainteté. Redoublez votre confiance en Dieu, et ne vous effrayez d'aucune chose ; arrive qui pourra, tout est dans la main du Seigneur; c'est où il se faut fixer et demeurer solidement en patience. Laissez crier les gens ; je ne crois pas qu'ils rompent vos portes, et s'ils en venaient là, ce serait une bonne chose pour nous pourvoir devant le roi.

Ce petit mot sera un témoignage que je pense à vos intérêts, et que vos affaires et toute la petite maison me tient au coeur. Je vous prie, ne vous affligez de rien ; tout ce que l'on vous dit n'est pas toujours vérité, et ce qui tend à vous abattre sera un jour confondu. Ayez bon courage, relevez votre confiance, et soyez d'autant plus ferme que vous avez moins d'appui humain, Notre Seigneur me fait la grâce d'expérimenter le faible des créatures et combien il y a peu de sujet d'y faire fond d'appui. Vous savez combien Madame de N. nous aimait. Cependant sans savoir ni pourquoi, ni comment elle s'est choquée, elle redemande les fondations qu'elle a faites. Jugez si cela est raisonnable, et quel fond on peut faire sur tel sujet. J'espérais bien le contraire, et voilà tout renversé de ce côté là. Tout de même de Madame N. qui m'avait donné parole etc..., et après en avoir fait les remerciements, il n'y a rien eu pour nous que l'affront que j'en ai reçu. J'en espérais encore d'un autre côté, mais c'est la même chose ; tout se confond. Je fis hier mon oraison sur ce renversement d'appui humain, et mon âme entra dans une forte confiance en Dieu seul. Je connus bien que jamais je n'avais eu de vraie foi ni de confiance en Dieu. Je fus dans une très grande joie intérieure de me voir trompée des créatures, et que je ne savais où donner de la tête pour trouver de l'argent pour achever de bâtir (2). Je me jetais à corps perdu et tout le bâtiment entre les mains de Notre Seigneur abandonnant tout à sa sainte volonté. Je suis néanmoins dans une secrète confiance que sa bonté y pourvoira d'une façon que je ne comprends

(2) Dans une lettre écrite de Rouen à la Mère Anne du Saint-Sacrement vers le mois de juin 1679, elle dit : « Je vous prie de considérer que nous ne bâtissons pas pour nous, mais pour celles qui viendront dans la suite... Je ne prétends pas donner... mon consentement à aucune vanité, ni embellissement curieux qui tirent hors de la simplicité religieuse... ». Comme l'on travaillait au bâtiment et que l'on mettait la couverture, en décembre 1679, un jeune couvreur tomba d'un troisième étage sur une pierre de taille ; cet accident toucha la Mère Mectilde sensiblement, et elle en demeura sans paroles, sans néanmoins négliger le salut de cette âme, qui était ce qui lui tenait plus à cœur, puisqu'elle se mit en même temps à genoux devant une image de l'Immaculée Conception pour lui demander le salut de cet infortuné. La hauteur dont il était tombé fit juger d'abord qu'il était mort, le voyant sans paroles et sans connaissance. Après quelque espace de temps il se plaignit disant qu'il avait les reins rompus. On fut avertir cette digne Mère qui était encore en prière, lui disant qu'on espérait qu'il n'en mourrait pas. Elle répondit : « Je ne demande point sa vie ; ce n'est que pour son âme que je prie quand il sera dans les dispositions qu'il doit être pour bien mourir, Notre Seigneur fera ce qu'il lui plaira ». On l'étendit sur un lit de repos pour le porter à la Charité, où il vécut encore plusieurs jours et y mourut très chrétiennement après avoir reçu tous ses sacrements. On tient que la fervente prière de cette charitable mère lui obtint par l'entremise de la sainte Mère de Dieu cette grâce, car c'était un jeune homme qui venait de l'armée et qui, n'ayant pas trop de dévotion ni de piété, avait besoin de ce secours. Et l'on a regardé comme une très grande miséricorde de Dieu qu'il n'ait pas été tué tout roïde. C'est le témoignage qu'en ont rendu ceux qui le virent tomber. P. 101, p. 912 - 914.

340

pas : il soit à jamais béni ! On ne sait ce que c'est de foi nue si les appuis des sens ne viennent à défaillir ; mais quand on ne trouve plus rien aux créatures, on s'abandonne plus facilement au créateur. Ceci, joint à d'autres petites occasions, donne de quoi offrir à Dieu plusieurs sacrifices durant la journée.

Priez-le, très chère Mère, qu'il se glorifie de tous nos petits événements, et que je sois à lui de la bonne manière. Le déplaisir encore, que j'ai eu ces jours passés, fut une pièce qu'un ecclésiastique nous a faite chez les Pères Jacobins. Nous avons tâché de la réparer. Il ne faut pas penser vivre sans contradiction ; la vie en est toute pleine, mais tout est bon quand on le regarde en Dieu. Communiez les dix vendredis pour obtenir ce que vous demandez, et tâchez de vous bien fixer en Jésus Christ. Agissez purement pour lui seul et n'attendez rien des créatures, mais ne laissez pas de les servir comme membres de Jésus Christ. Quand on agit avec un saint dégagement, de quelque manière que les affaires tournent, nous serons toujours contentes. Il ne faut pas toujours parler de Dieu durant les conférences, cela surchargerait trop les faibles ; la charité, dit Saint Paul, s'accommode à tout.

n°1311 N267



A LA RÉVÉRENDE MÈRE [ANNE DE SAINTE MADELEINE)

PRIEURE DÉPOSÉE DE TOUL

7 juin 1694

Je suis bien mortifiée, ma Révérende et plus chère Mère, d'avoir différé si longtemps à vous témoigner ma reconnaissance pour toutes vos saintes prières et votre bon coeur pour moi. Je vous conjure d'être toujours ma bonne et très chère Mère. Je n'ai plus que vous en ce monde. Conservez-vous pour ma consolation. Je crois que vous êtes bien consolée d'avoir fait faire vos élections. Je sollicite ici pour cela, mais je n'ai point avancé par quelques raisons que l'on a dans la Communauté que l'on n'ose pas vous dire. Pour moi, je m'en suis retirée et déclaré que je renonçais à tout ce que l'on pourrait faire à mon sujet. Jugez, très chère Mère, si je serais assez misérable de souffrir à l'âge de quatre-vingts ans que l'on me remît dans cette terrible charge. La Providence m'en a sortie, quoique l'on m'ait commandé d'en faire les fonctions, mais au reste j'y ai renoncé par écrit bien signé. Je vous congratule d'être dans le repos. Je vous assure, très chère Mère, que je me désire auprès de vous. Si j'avais vidé mes affaires temporelles, je me retirerais, étant bien aise de mourir en repos, mais je suis encore bien tracassée. Je fais mon possible que vous touchiez quelque chose cette année, mais l'on ne fait pas ce que l'on veut. Il faut être toujours crucifiée ; Dieu le veut de la sorte. Il y faut prendre plaisir. Je me réjouis de ce qu'étant bien âgée, je ne serai pas encore longtemps sur la terre. 0 très chère Mère, quelle joie de retourner à Dieu comme à notre divin centre ! Donnez-moi toujours vos saintes prières pour obtenir miséricorde et la grâce d'une bonne mort. Je gémis devant Dieu incessam-

356

ment pour cela ; aidez-moi de vos saintes prières et de celles de vos chères Filles. Je suis toute à vous, ma très chère Mère, je dis : plus que très chère Mère, comme à la seule que Notre Seigneur m'a laissée. Je le prie de vous conserver. Faites-moi donner de vos nouvelles pour ma consolation. C'est votre très fidèle et obéissante servante en Jésus et sa très sainte Mère.

n° 1455 N26I



A UNE RELIGIEUSE DE TOUL

378

[sans date]

Ma chère Fille,

Vous croyez trouver quelque appui en moi, mais je vous assure que je me mettrai du côté de Notre Seigneur. S'il vous ôte votre voile, je vous ôterai la robe. Je veux votre sainteté ; vous êtes une petite paysanne que l'on mène à la cour. On en veut faire une dame, on lui ôte ses vieux haillons et ses petites guenilles. Elle ne le peut souffrir, ne voulant point de robe plus belle ni plus riche , et s'y trouvant empruntée. Elle dit : « Otez-moi cela, donnez-moi mes hardes, j'aime mieux ma liberté que toutes ces belles choses ». Voilà votre portrait tout fait. Quand Dieu vous aura dépouillée, quelle perte ferez vous ? Il veut vous ôter vos guenilles pour vous revêtir de lui-même, et vous ne le voulez pas, vous l'empêchez. La nature, qui est cette paysanne, dit : « Quoi ! je n'aurai plus aucun goût de Dieu qui me soutienne, pas une bonne pensée qui me remplisse, pas une douceur, une consolation ? Cela m'est rude ». « Ôtez-moi tout cela, ce ne sont que guenilles : Dieu sera votre force et votre soutien ». - « Oui, mais je ne le vois pas, je n'en sens rien, pourquoi le croirai-je ? ».

Eh ! nous nous confions bien à une personne que nous savons nous aimer - qui nous trompe souvent - et parce que nos sens ne voient point Dieu, nous avons peine à croire en lui et en sa parole ! Un peu de foi et de confiance en sa bonté fera merveille. Si vous étiez entre les bras de votre père qui est au monde vous diriez : « Mon père m'aime et il ne souffrira pas qu'il m'arrive du mal ». Et Dieu nous aime bien plus, sans comparaison. Heureuse perte ! Si vous vous perdez vous-même, Jésus Christ vous recevra.

Pourquoi pensez vous que le Saint Esprit ait descendu sur les Apôtres avec un grand vent et du feu ? C'est que le vent renverse tout, mais étant cessé, les choses se peuvent relever. Il n'en est pas de même du feu, il consomme tout et ne fait aucune réserve. Donnez-vous au pouvoir du Saint Esprit, et vous trouverez un exterminateur qui n'épargne rien : il met le feu partout. Gardez-vous de l'activité, et souffrez les agonies autant de temps que Dieu voudra. Est-il vrai que vous aimeriez mieux mourir que d'être dans une perpétuelle langueur, et que vous demanderiez volontiers le coup de grâce ? Vous avez trop de compassion sur vous-même ; oubliez-vous une bonne fois, et laissez toutes vos. pensées et raisonnements à la porte, sans amuser à contester avec cette marmaille qui vous nuira si vous n'y prenez garde. Le démon est ravi lorsqu'il voit une âme badiner et réfléchir sur elle-même. Il se sert de l'occasion pour la perdre. Lorsque ces choses se présentent à l'esprit, il faut leur dire : « Taisez-vous, vous m'importunez ». Et si elles recommençent, ne vous amusez pas à contester. Toutes ces réflexions et tendresses de nature, et de compassion de vos propres intérêts, ne sont que des jeux de petits enfants qui crient devant les portes. Laissez-les crier tant qu'ils voudront. «Mais quel moyen de vivre ? J'aimerais mieux perdre toutes créatures que de perdre le goût de Dieu ». C'est l'amour propre qui crie ainsi. N'est-ce pas bien de l'honneur et de la grâce que Dieu vous fait de vous associer à son Fils. Je sais que vous le voulez de tout votre coeur. Abandonnez-vous donc toute à lui : oubliez-vous de vous même et vous verrez qu'il fera son ouvrage. Je ferai avec lui de si bons contrats pour vous que vous ne vôus en pourrez défendre.

Priez-le qu'il me donne son Esprit et que jamais je ne l'offense, que lui même agisse en tous mes petits tracas. Demeurez en paix.

n° 3025 N267


Amitiés mystiques



Des textes de Mectilde publiés dans le florilège établi antérieurement complètent le présent relevé.

Rappel de sa table des matières :

Préface 8

Remerciements 11

LES AMITIÉS MYSTIQUES DE MÈRE MECTILDE 12

Ouverture 12


MECTILDE (1614-1698) 18

Jeunesse et années de formation intérieure : 18

Accomplissement d’une mystique de présence à Dieu. 19

Adhérer-adorer 20

Chronologie et durées des états de vie 24


DES « AÎNÉS DIRECTEURS » 28

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (~1595-1646) 30

Tertiaires franciscains réguliers et Laïcs 32

Une vie chargée, des témoignages mystiques forts 34

L’initiation de Mectilde 44

Marie des Vallées (1590-1656) 60

« Sœur Marie » possédée par Dieu 60

Relations avec Mectilde 66

Charlotte Le Sergent (1604-1677) 76

Relation avec Mectilde : « Vous n’avez rien à craindre ». 80

Jean de Bernières (1602-1659) 84

Frère Jean « de Jésus pauvre » 84

L’intériorité d’un directeur de conscience 87

Frère Jean est confident de Mectilde puis la dirige 94


CONFÉRENCES ET ENTRETIENS 124

Une séquence de Conférences et entretiens datés 126

1632 (ou 1633) 126

Avant 1639 129

1640 130

1662 132

1663 135

1664 138

1671 (?) 139

1683 142

1687 143

1692 144

1693 145

1694 146

1695 158

1696 159

1697 160

1698 166

Un bouquet de conférences sans date 168


COMPAGNES & COMPAGNONS 192

Marie de Châteauvieux (~1604-1674) 192

Élisabeth de Brême, la Mère Benoîte de la Passion (1607-1668) 204

Correspondance de Mectilde avec la Mère Benoîte 210

Correspondance avec Épiphane Louys, confesseur et collaborateur 224

Épiphane Louys, abbé d’Estival (1614-1682) 230

Les Conférences 232

Correspondance avec Mère Benoîte et ses dirigées 252

Jacques Bertot (1620-1681) 266



UNE AMIE & DES MONIALES 272

Catherine de Rochefort (1614-1675) 274

Jacqueline Bouette de Blemur (1618-1696) 292

Gertrude de sainte Opportune [Cheuret] 296

Marie de saint François de Paule [Françoise Charbonnier] (-1710) 304

Madame de Béthune (1637-1669) 314

Présentation 314

1683-1686 317

1688 323

1689 326

Mère Marie de Saint-Placide (-1730) 330

Et diverses bénédictines de l’Institut 340


RELATIONS & INFLUENCES 362

La Tradition bénédictine de Saint Vanne et Hydulphe en Lorraine puis de Saint Maur à Paris 364

François Guilloré (1615-1684) 366

Henri-Marie Boudon (1624-1702) 368

Madame Guyon (1647-1717) 372

Fénelon (1651-1715) 374

Des Bénédictines du Saint-Sacrement de Mectilde à nos jours 375


HISTOIRE DES TRANSMISSIONS 378

I. Les monastères d’origine. 380

II. Les auteurs, principales rédactrices ou copistes. 382

III. Les possesseurs de volumes. 386

IV. Les transferts importants. 390

V. Les « Vies » de Mère Mectilde. 392

VI. Pertes de documents (manuscrits et lettres autographes). 396

VII. Le Fichier central des Écrits. 398

Etat actuel du Fichier Central 399

Bibliographie : 400


ANNEXES, INDEX & TABLE 402

Listes de figures omises au fil du texte principal. 404

1. Relations hors fondations : 404

2. Bénédictines du Saint-Sacrement et associées : 405

Bibliographie, manuscrits, leur disponibilité. 408

Ouvrages fréquemment cités et leurs noms réduits. 408

Autres sources. 408

Manuscrits : leur genèse et leur disponibilité informatique. 409

Un travail réfléchi d’édition a déjà été accompli. 410

Comment mettre en valeur ce trésor écrit qui témoigne des écoles de la quiétude ? 411

Index 414

Echanges avec Monsieur de Bernières

Je reprend l’édition et des notes de dom Eric de Reviers pour le choix suivant de lettres entières:

7 Décembre1648 LMB Par les ténèbres et par la pauvreté

Monsieur,

Ces mots ne sont pas pour vous obliger à nous répondre sachant très bien l’embarras où la divine providence vous a mis est extrêmes ; mais seulement pour savoir de votre santé et vous assurez que je prie et fais prier pour vous de très bon cœur.

J’en ai ressenti plusieurs mouvements et la bonne mère de Saint Jean nous écrivit une lettre qui nous exprimait quelques petites choses de vos peines en la poursuite de vos procès. Je prie notre Seigneur qu’il les termine bientôt nonobstant que je crois et que j’espère qu’il vous fera la miséricorde de lui être toujours fidèle, néanmoins l’occupation des créatures et avec les créatures fait quelquefois du retardement à la pureté de la vertu. J’adore la Sagesse éternelle qui vous y tient engagé et la supplie vous y conserver pur et net de leur corruption.

Mon âme ressent une grande tendresse pour la vôtre et le progrès que vous faites dans la perfection m’est cher comme le mien propre. Souffrez donc très cher frère les effets de la divine Providence et laissez-vous paisiblement consommer.

On nous a dit quelque chose des contrariétés que vous avez souffertes, des abjections et du reste, cela me touche sensiblement d’une sorte, mais me console d’une autre, voyant que votre chère âme glorifie son divin Seigneur par ces choses et qu’elle en devient plus belle.

Tout ce que je crains, c’est que le tracas ne vous accable prenez-y garde et vous conservez tant qu’il vous sera possible. Il faut des forces de corps pour porter votre croix. Courage donc, mon très cher frère, vous êtes la victime de Jésus-Christ. Demeurer fidèle dans votre sacrifice et le prier qu’il me rende digne d’être ce qu’il veut que je sois.

J’ai quasi l’impatience de votre retour, mais il faut mourir à ce désir et à cette satisfaction puisque votre procès recommence. Notre Seigneur me conduit par les ténèbres et par la pauvreté, je ne sais plus ce qu’il fera de moi, je ne connais plus, je ne goûte plus, je ne vois plus, je ne suis plus rien sinon qu’il faut se perdre et encore ne sais-je de quelle sorte je me dois perdre. Tout ce que je puis faire, c’est de demeurer paisible en m’abandonnant à la divine conduite sans retour. Si vous n’étiez si occupé je vous exprimerais le reste de mes misères, mais je ne veux pas vous surcharger, dites s’il vous plaît à votre homme de chambre qu’il nous mande de l’état de votre santé en attendant la consolation de la pouvoir apprendre de vous-même. À Dieu, mon bon frère je vous sacrifie de tout mon cœur à Jésus-Christ. Monsieur votre, etc.

15 Décembre 1650 L 2,53 Il faut obéir à Dieu et vous perdre pour Lui et en Lui entièrement.

Ma très chère sœur,

J’ai reçu vos dernières dans lesquelles vous me mandez que Dieu seul nous doit suffire ; et c’est bien la raison, puisqu’il est tout, et que les créatures ne sont rien. J’avoue que l’éclaircissement de cette vérité dans mon esprit, m’a rendu toutes les personnes les plus saintes, et qui me servaient davantage, assez indifférentes. Ce n’est pas que je n’ai beaucoup d’amour et de respect pour elles, mais je n’ai plus d’empressement, ce me semble, de les chercher ni de les posséder. Dieu est la source de toutes grâces. Il communique celles qui sont nécessaires aux âmes bien unies à Lui en fidélité et pureté. C’est là le secret de la vie intérieure la plus parfaite, de ne se séparer jamais de Dieu puisqu’en Lui on a tout. Je remercie notre Seigneur de vous le faire si bien comprendre, et de vous dégoûter de tout ce qui n’est point Lui. Madame N. m’a sollicité plusieurs fois d’écrire à R pour empêcher que vous n’y retourniez. Mais je n’ai pu m’y résoudre, n’ayant aucun mouvement pour cela. Au contraire, je consens de vous laisser aller dans le désert pour ne vous revoir peut-être jamais. Il faut obéir à Dieu et vous perdre pour Lui et en Lui entièrement. Et toutes nos petites consolations, nos appuis pour aller à Dieu, nos desseins de profiter à sa gloire, ne sont que des bagatelles et des amusements, quand Dieu n’y fait pas connaître sa volonté clairement. Tous ceux qui m’ont parlé de votre demeure, à P m’ont voulu faire croire que vous étiez nécessaire pour faire un établissement. Que plusieurs bonnes âmes pouvaient avoir confiance en vous, que vous y trouveriez grand secours spirituel, et que R était un lieu pour y mourir de faim, et pour le corps et pour l’âme; et plusieurs autres raisons que vous savez bien. Sur quoi je ne préfère pas mon jugement aux autres, mais je vous conseille de vous aller perdre dans ce désert, et y expérimenter tous les plus rudes dépouillements que Dieu permettra vous arriver. Ce n’est pas possible d’aller à l’extrémité du pur amour, sans passer par l’extrémité des privations et des dénuements.

Qui tâte l’eau pour savoir si elle est froide, ne s’abîmera jamais dans l’océan. La prudence humaine a des raisons, la grâce les anéantit toutes, et se contente d’une seule qui est de quitter tout pour avoir tout. Nous sommes trop savants, mais nous n’avons pas assez de pratique. Ne fuyons donc pas les occasions qui nous y mettent. Je vous confesse en toute simplicité que je n’ai trouvé aucun charme à P pour moi. Les serviteurs de Dieu ne nous peuvent dire autre chose, sinon qu’il faut mourir à tout pour vivre à Dieu et de Dieu; de sorte, que je me suis trouvé dans la confusion de chercher encore des moyens d’aller à Dieu. Quand sa divine Providence me fera rencontrer quelques-uns de ses serviteurs, j’apprendrai d’eux ce qui me sera nécessaire pour l’état où je serai. À présent il faut que de la fidélité aux lumières qu’il nous a données.

14 Février 1651 L 1,39 Il faut qu’un capitaine meure à la tête de sa compagnie.

Ma très chère sœur26,

Dieu seul suffit. Je répondrai brièvement à vos lettres premières et dernières lesquelles m’ont consolé d’apprendre de vos nouvelles et de votre état intérieur et extérieur. Je ne vous ai jamais oubliée en Notre Seigneur quoique je ne vous aie écrit. Notre union est telle que rien ne la peut rompre. Les souffrances et les nécessités extrêmes où vous êtes me donneraient de la peine si je ne connaissais le dessein de Dieu sur vous qui est de vous anéantir toute afin que vous viviez toute à Lui. Qu’Il coupe, qu’Il taille, qu’Il brise, qu’Il tue, qu’Il vous fasse mourir de faim pourvu que vous mouriez toute sienne : à la bonne heure!

Cependant ma très chère Sœur, il faut se servir des moyens dont la divine Providence vous fera ouverture pour vous tirer du lieu où vous êtes, supposé la nécessité où vous réduit la guerre. J’ai bien considéré tous les expédients contenus dans vos lettres. Je ne suis pas capable d’en juger; je vous supplie aussi de ne vous pas arrêter à mes sentiments, mais je n’abandonnerai pas la pauvre communauté de [Rambervillers], quoique vous fussiez contrainte de quitter Rambervillers27, quoique vous fussiez contrainte de quitter N; c’est-à-dire qu’il vaut mieux que vous vous retiriez à [Paris] pour y subsister et faire subsister votre refuge, qui donnera secours à vos sœurs de [Rambervillers], que d’aller au Pape pour avoir un couvent où vous viviez solitaire, ou que de prendre une Abbaye. La divine Providence vous ayant attachée où vous êtes, il y faut mourir; et de la mort de l’obéissance de la croix. Madame de [Montgommery] vous y servira, et Dieu pourvoira à vos besoins si vous n’abandonnez pas les nécessités spirituelles de vos Sœurs. Voilà mes pensées pour votre établissement, lesquelles vous pouvez suivre en toute liberté!

Pour votre intérieur, ne vous étonnez pas des souffrances et peines d’esprit que vous portez parmi les embarras et les affaires de l’obéissance. Les portant avec un peu de fidélité, elles produiront en votre âme une une grande oraison que Dieu vous donnera quand Il lui plaira. Soyez la victime de son bon plaisir et Le laissez faire. Quand Il veut édifier dans une âme une grande perfection, Il la renverse toute. L’état où vous êtes est bien pénible, je le confesse, mais il est bien pur. Ne vous tourmentez point pour votre oraison. Faites-la comme vous pourrez et comme Dieu vous le permettra, et il suffit.

Ces unions mouvementées, ces repos mystiques que vous envisagez ne valent pas la pure souffrance que vous possédez, puisque vous n’avez, ce semble, ni consolations divines ni humaines. Je ne puis goûter que vous sortiez de votre croix parce que je vous désire la pure fidélité à la grâce et je ne désire pas condescendre à celle de la nature. Faites ce que vous pourrez en vos affaires pour votre communauté. Si vos soins ont succès, à la bonne heure. S’ils ne l’ont pas, ayez patience. Au moins vous aurez ces admirables succès de mourir à toutes choses. Si vous étiez comme la Mère Benoîte simple religieuse, vous pourriez peut-être vous retirer à quelque coin; mais il faut qu’un capitaine meure à la tête de sa compagnie, autrement, c’est un poltron. Il est bien plus aisé de conseiller les autres que de pratiquer.. Dieu ne vous déniera pas ses grâces.

Je me recommande bien fort aux prières de la Mère Benoîte. Je respecte beaucoup cette bonne âme. Ma Sœur de Saint-Ursule [Jourdaine de Bernières], et les mères de la Conception, et de Jésus, vous saluent de toute leur affection comme tous les messiers de notre hermitage; courage, ma chère Sœur, le pire qui vous puisse arriver c’est de mourir sous les loies de l’obéissance et de l’ordre de Dieu. Dieu, en Dieu, je suis de tout mon cœur, ma très chère Sœur, votre très humble, obéissant, frère Jean hermite, dit « Jésus pauvre »28 .

10 mai 1651 J’ai appris les discours que le père N. a fait de vous et de moi, et qui vous cause tant d’abjection.

Ma très chère sœur, [Mechtilde]29

Dieu seul et il suffit. J’ai appris les discours que le père [Jean-Eudes]30 a fait de vous et de moi, et qui vous cause tant d’abjection. Que tout cela ne vous étonne point ni oblige votre âme à y faire de grandes réflexions. Ce serait le moyen de se divertir de Dieu, qui seul nous doit occuper; puisque c’est notre centre, nous devons tout oublier pour ne nous souvenir que de lui. Si ce bon père a débité tout ce que l’on dit, il me fait grande compassion, craignant que la mauvaise doctrine où il est engagé, ne lui ait changé ses dispositions31. C’est un malheureux effet de cette nouvelle secte de porter la division partout32. Vous et moi n’avons qu’à souffrir en grande patience et humilité tout ce qui se pourrait dire de nous de vrai ou de faux, et de ne manquer jamais de prier Dieu de redonner à ce bon père l’esprit d’union et de paix. Si de là on prend occasion de vous mépriser de vous décrier à la bonheur. Encore faut-il souffrir quelque chose en ce monde ici, et boire un peu de l’amertume du calice de Jésus-Christ. Toutes nos vertus pour l’ordinaire ne sont qu’en idées et en paroles, si la sainte abjection ne les nourrit. Mme de Mouy33 a rescrit à ce père qu’elle n’approuve nullement tout ce qu’il a dit, et même qu’elle le désavoue. Enfin ma très chère sœur, laissons-nous abîmer dans l’abjection : cela servira à nous abîmer en Dieu.

Je vous remercie très affectueusement de votre belle image de Notre-Dame de foi, nous l’avons posée sur l’autel de notre petite chapelle avec beaucoup de consolation d’esprit et de cérémonie, s’étant dit plusieurs messes, et les litanies de la Sainte Vierge ou vous avez eu part. Le soir auparavant nous l’envoyâmes dans le couvent de Sainte Ursule, ou toute la communauté la reçut avec grande dévotion, et les religieuses se mirent à genoux pour recevoir la bénédiction du petit Jésus.

29 juin 1651 … au reste ma très chère sœur

… au reste ma très chère sœur vous êtes pauvre et glorieuse, que ne nous touchez vous un mot de votre nécessité corporelle, nous nous retrancherions pour vous assister, etc.

1651

L 3,49 Ce riche néant dans lequel on trouve tout.

Monsieur, [Henri-Marie Boudon]34

Prenez courage, et continuez à vous avancer dans la mort de votre propre esprit et de vous-même, afin que vous vous trouviez tout vivant en Dieu et opérant en Lui d’une manière divine, que vous savez par expérience, bien mieux que je ne vous saurais exprimer. Que vous êtes heureux que Dieu se soit révélé en vous, et qu’Il vous donne à jouir de sa divine Présence, vraiment et réellement, et non seulement en image et en pensée! C’est une source de bonheur ineffable qui est cachée aux prudents du monde, et à ceux qui n’aiment pas à s’anéantir. Ils ne connaissent pas ce riche néant dans lequel on trouve tout, et hors duquel on ne trouve rien que douleur et affliction d’esprit. Il faut estimer toutes choses boue et fange, pour posséder ce divin Centre quand on l’a trouvé.

Et cette découverte en pure foi et en la façon mystique, c’est une des plus grandes miséricordes que Dieu fasse en la terre. C’est trop dire à un homme qui a de l’expérience comme vous, mon très cher Père. Instruisez et soutenez notre nouveau Frère N. dans le commencement de cette voie. L’Esprit de Dieu souffle où il veut. J’ai grande joie d’apprendre qu’il soit du nombre des anéantis. Qu’il prenne courage et qu’il s’abandonne sans réserve à toutes les occasions de mourir qui lui arriveront, pour arriver plus solidement et plus promptement à la jouissance réelle et expérimentale de Dieu, son principe et sa dernière fin! Le plus difficile est fait. Puisque le trésor lui est montré, il n’a qu’à le posséder sans se découvrir à ceux qui ignorent cette grâce. Je me recommande à ses prières, et aux vôtres.

L 2,54 -- Dieu seul doit suffire à une âme morte et anéantie…

Ma très chère sœur, [Mechtilde]35

Dieu seul doit suffire à une âme morte et anéantie. C’est ce qui me rend paresseux à vous donner de mes lettres. Car hélas! Que trouverez-vous dedans, que de chétives pensées et quand ce serait même quelques lumières sur l’état que vous savez, ce n’est pas Dieu, et par conséquent vous envoyant mes lettres, je ne vous envoie rien qu’un sujet pour vos divertir peut-être de Dieu. Puisque vous l’avez trouvé, ne cherchez plus les moyens de le trouver; mais demeurez en lui toute perdue dans cette immensité de grandeur, et jouissez de lui sans savoir comment.

Afin que Dieu possède notre cœur tout seul, il en faut retrancher toutes les réflexions, et toutes les affections, autant qu’il est possible, par ce qu’elles diminuent sa possession. Le grand secret est d’aller continuellement se vidant de tout ce qui n’est point Dieu, afin que Lui Seul aille continuellement vous remplissant de son fort divin Esprit. Quiconque prétend à la plénitude de Dieu, ne se plaint pas que les créatures l’abandonnent, mais il se plaint que les créatures le recherchent. Je ne suis pas dans la pureté dont je vous parle. C’est pourquoi je ne dis pas cela pour moi, mais pour vous que Dieu appelle, il y a longtemps, à la perfection de son divin Amour. Ne trouvez donc pas mauvais, si quand vous m’écrivez, je ne vous fais point réponse, puisque les dispositions différentes de nos âmes demandent que vous m’écriviez, et que je ne vous écrive point. Je le ferai pourtant, puisque vous le voulez.


[Mère Mectilde a écrit le 16 juillet 1652 une lettre à Henri Boudon qui exprime bien la situation où se trouve la fondatrice aux prises avec ses ennemis. Elle signale par ailleurs que ses lettres adressées à Bernières ont été perdu; ce qui expliquerait l’absence de traces de leur correspondance durant cette année 1652 : «Mon très cher frère, Dieu seul suffit!]

1652


26 Juillet 1652 LM à M. Boudon

Mon très cher frère, Dieu seul suffit ! Le 26 juillet 1652.

Je reçus hier votre chère lettre avec grande joie, mais la lecture d’icelle m’affligea sensiblement et me confirma dans les pensées que j’avais sur le sujet dont vous m’écrivez. J’en fis la lecture à nos Sœurs et à d’autres de nos amies qui en ont été touchées, et je crois qu’elle fera de bons effets. Je suis résolue de l’envoyer en Lorraine (pour empêcher le poison qui y peut être porté. Hélas! mon très bon frère, s’il ne fallait que mourir pour empêcher tant de désordre! Je ne suis point pénétrée de ceux que la guerre cause, mais ceux-ci m’affligent et me font gémir. Tâchez de réparer : Dieu vous en donne la grâce! Travaillez pour la consolation de l’Eglise. Je suis outrée au dernier point lorsque je vois qu’elle souffre.

Je me souviens d’une chose que vous avez vue dans les écrits de la bonne âme. Notre Seigneur a dit qu’il lui donnera une purgation, etc. car Notre Seigneur dit qu’il lui donnera aussi une saignée; cela comprend beaucoup. Bienheureux ceux qui sont vrais enfants de l’Eglise, et bien unis àJésus Christ.

Je vous supplie, mon très cher frère, de nous écrire autant souvent que vous le pouvez sans vous incommoder. Vous savez ce que vous m’êtes en Jésus Christ et comme il veut que vous soyez ma force et sa vertu. Recommandez-moi bien à M. Burel et lui racontez un peu, si Notre Seigneur vous en donne la pensée, l’occasion qui se présente de faire un établissement pour adorer perpétuellement le Saint Sacrement. Dites-lui aussi que M. Tardif vint avant-hier me livrer une nouvelle persécution sur ce sujet, parce qu’étant à Saint Denis, il vit un mémoire que j’avais écrit pour obtenir de Rome un bref pour me mettre en état de contracter avec les Dames qui fournissent pour établir cette piété. Elles se sont toutes recueillies et fournissent une somme assez suffisante dans le commencement, mais la tempête s’est levée si haut que je ne sais si elle ne renversera point l’œuvre. Car on me blâme d’une étrange manière, disant que mes prétentions sont d’être supérieure et que je me procure cette qualité jusque dans Rome. Il m’en dit beaucoup et de qui j’avais pris conseil sur une affaire de telle importance; après tout cela, les messieurs du Port-Royal se joignent et redoublent d’importance, et je savais que cela fera de grand éclat et que je passe pour la plus ambitieuse de charges qui fut jamais, et pour bien d’autres choses qui exerceraient une personne moins stupide que moi; mais je suis si bête que je ne me trouble point, laissant le tout à la disposition divine. Je voudrais bien, mon très cher frère, que vous puissiez aller jusqu’à Caen voir M. de Bernières et prendre ses conseils et ses sentiments sur tout cela. M. Tardif veut que j’en confère avec la bonne âme de Coutances [Marie des Vallées]. Il faudrait que vous et M. de Bernières vissiez cela avec le bon Frère Luc [de Bray], pénitent, qui demeure à Saint-Lô. J’aimerais mieux mourir que d’entreprendre cet ouvrage ni aucun autre s’il n’est tout à la gloire de Dieu.

Vous savez mes intentions et mes dispositions; je vous en ai parlé avec sincérité et franchise. Vous pouvez parler à ces bonnes personnes librement. M. de Bernières a une charité si grande pour mon âme qu’il sera bien aise de me donner ses avis pour la gloire de Notre Seigneur. Nous ne cherchons tous que cela.

De vous dire que j’ai ardeur pour cette œuvre, je vous confesse ingénument que je ne l’ai point du tout et qu’il me faut pousser pour m’y faire travailler : les serviteurs de Dieu m’en font scrupule. J’ai donc consenti que l’on agisse, mais il y a si peu de chose fait, qu’on le peut facilement renverser si l’on connaît que ce n’est point de Dieu. Mais ce bon M. Tardif ne peut en aucune manière l’approuver, disant que j’ai une ambition effroyable de vouloir être supérieure, que c’est contre mon trait intérieur et contre les desseins de Dieu sur moi, qu’il a souvent manifestés, même par la bonne âme, et que, si elle consent à cela, qu’il soumettra son esprit et n’y répugnera plus.

Je suis en perplexité savoir si je dois continuer, et je voudrais bien qu’il eût plu à Notre Seigneur donner mouvement à la bonne Sœur Marie de l’approuver. Néanmoins, je m’en remets à la conduite de la Providence, vous assurant que j’y ai moins d’attache que jamais. L’accomplissement ou la rupture de cette affaire m’est, à mon égard, une même chose, et, si j’osais, je dirais que le dernier me serait plus agréable, tant j’ai de crainte de m’embarquer dans une affaire qui ne soit point dans l’absolu vouloir de Dieu. Je vous supplie et conjure de beaucoup prier et d’en aller au plus tôt conférer avec notre bon M. de Ber-fières avant que l’affaire soit poussée plus avant, et que je la puisse rompre en cas qu’il ne l’approuve pas. J’attends ce secours de votre très grande bonté, et vous me ferez une charité très grande car l’on me presse d’y travailler.

Vous pouvez nommer les noms des dames à M. de Bernières. Je sais qu’il sera secret, et la somme qu’elles donnent montera à douze cents livres de revenus environ. L’intention des dames est l’adoration perpétuelle du très Saint Sacrement, pour réparer, autant que la créature le peut aidée de la grâce, les insolences et les abominables sacrilèges qui se commettent journellement par les magiciens et sorciers, et par la malice des soldats et des mauvais chrétiens, qui le foulent aux pieds tous les jours dans cette guerre malheureuse et dans celles de tant de provinces où le très Saint Sacrement a été profané. Si les serviteurs de Dieu y répugnent, je me soumets; le scrupule qu’on me donne, c’est que ces dames nous regardent tellement pour cette œuvre, qu’elles semblent manquer si je la refuse. J’ai la pensée et la volonté, la chose étant faite, de m’en retirer doucement; néanmoins je me peux tromper. Or, l’intention des fondatrices est que l’on choisisse un lieu, le plus solitaire qui se pourra trouver, dans les faubourgs de Paris et que les religieuses y vivront dans une profonde solitude, sans éclat, sans grandeur et sans bruit, vivant comme des morts en terre, ce lieu étant tout dédié au silence et à la retraite; et vous savez que, lorsqu’il s’est présenté quelque autre chose qui a éclaté, Mad. de [Châteauvieux?] s’en est retirée, ne pouvant souffrir que cette œuvre soit faite par les vues et prétentions des créatures, son dessein étant d’y voir honoré, par rapport, la vie anéantie de Jésus dans la sainte Hostie. Je vous en ai parlé autrefois; vous en savez le fond.

Vous direz aussi à notre bon frère, M. de Bernières, comme notre bonne Mère de Saint Jean [Le Sergent] a demeuré céans quelques mois, et le reste que vous savez. Il faut tout dire à ce bon frère; il est capable de mes misères et tiendra le tout bien secret. Vous lui direz aussi, s’il vous plaît, que je lui ai écrit quatre fois des lettres très importantes et qui me mortifient beaucoup, étant perdues. Je lui ai écrit tout au long notre affaire et lui en parlais encore d’autres qui touchent la doctrine. Tout cela est perdu : c’est ce qui m’a retenue en silence. Vous les assurerez que j’ai donné moi-même le paquet de la bonne Mère Paul [Pierre, de Rambervillers], qui en a été ravie. Elle a été malade à l’extrémité, elle est un peu mieux.

Je suis très aise que Madame la Comtesse de Montgommery ait le bonheur de vous connaître. C’est une âme qui cherche Dieu de bon cœur, et Mademoiselle de Manneville aussi; ce sont de bonnes servantes de Dieu.

J’oubliais le principal : c’est de dire à M. de Bernières que c’est le bon Père de Saint Gilles [Minime] qui a cette œuvre en mains et qui me commande de ne la point rejeter, que je pécherais; il a la bonté d’y travailler, ces dames lui ayant tout remis à sa conduite et à son zèle.

Si vous voyez les Mères Ursulines, je vous supplie de les saluer très humblement de ma part et me recommander à leurs saintes prières. Notre bon frère M. de Roquelay est un avec M. de Bernières; c’est pourquoi ce que vous oublierez de dire à l’un vous le pouvez dire à l’autre; il n’y a point de secret entre eux. Vous les prierez de recommander beaucoup cette œuvre à Notre Seigneur; c’est son ouvrage et non celui des créatures; il ne m’occupe point, et même je n’y peux penser que pour m’abîmer dans le bon plaisir de Dieu.

Voilà une longue distraction, mon très cher frère; je suis pressée de vous être importune, je sais que cela ne vous retire point du sacré repos de votre âme en Dieu seul. Je le prie qu’il nous cache en lui et que rien ne vive en nous que son très pur et saint amour. Je suis en lui et en sa très Sainte Mère, votre pauvre sœur.

1653

2 janvier 1653 LMB Conseillez-moi.

Monsieur, [Jean de Bernières]36

Je ne crois pas que nous soyons si fort dans le silence cette année que celle que nous avons passée. Il semble que la Providence me donne sujet de vous réveiller en vous désirant une bonne et sainte année, vous demander de votre santé et vous supplier de présenter à Notre Seigneur ce que je vais vous dire, et d’employer tous les serviteurs et servantes de Dieu pour le supplier d’accomplir sa sainte volonté et établir sa gloire en une œuvre qui se présente et laquelle je ne sais si je la dois souffrir ou rejeter, et, comme l’affaire semble se vouloir mettre en état de quelque conclusion, je vous conjure comme vrai et fidèle serviteur de Dieu, purement zélé de sa gloire, et mon très cher frère et unique de qui je puisse tirer avis et solide conseil dans les événements de la divine Providence; je vous supplie et conjure donc par l’amour et charité de Jésus qui unit nos cœurs de me dire ce que je dois faire en ce rencontre37.

Premièrement : vous savez, mon très cher frère, que la Providence a suscité trois ou quatre personnes de piété, lesquelles, touchées d’un grand sentiment de faire adorer continuellement le très Saint Sacrement de l’autel, ont fourni la somme d’environ trente-deux ou trente-trois mille livres pour faire un fonds pour donner le commencement à cette piété38. Les mêmes personnes ont encore dessein d’acheter une maison pour établir un monastère aux fins que dessus, et ont jeté les yeux sur la plus pécheresse du monde pour donner commencement à cette œuvre. Il y a plus de neuf mois que je fais ce que je peux pour l’éconduire, et n’y aurais jamais prété l’oreille, n’était l’autorité d’un évêque qui, en me confessant, me commanda de n’y point résister. Je fus donc un peu plus acquiesçante et commençai à souffrir qu’on en parlât plus fortement; et les dames en sont venues jusqu’à ce point d’un concordat signé entre elles et leurs maris, qui ont donné leur consentement d’une manière si particulière que l’on y voit une Providence merveilleuse, car ces messieurs ne sont pas tous fort portés à la piété. L’affaire étant donc en ce point et la Reine étant de retour à Paris, il fut conclu qu’on lui en parlerait et qu’on la prierait d’y donner son consentement. Le jour de la très Immaculée Conception de Notre Dame, Monsieur Picoté39, prêtre de Saint-Sulpice, grand serviteur de Dieu, ami de notre très saint et très digne Père Chrysostôme, la fut trouver et, après lui avoir exposé l’affaire, elle la prit fort à cœur et témoigna non seulement y consentir, mais y apporter du sien, tout autant qu’il lui serait possible pour lui donner son effet, et avec une telle affection que, en même temps, elle écrivit à M. de Metz pour lui témoigner l’ardeur qu’elle a pour cette œuvre et le prier de lui donner promptement son effet, et, pour donner plus de vigueur, elle en fait sa propre affaire et s’engage par une sorte de vœu à faire établir cette dévotion d’adorer perpétuellement le très Saint Sacrement de l’autel; M. de Metz40 a répondu qu’il sera en bref à Paris et qu’il donnera consentement, pourvu qu’il y voie toutes les assurances nécessaires. Il doit donc venir après les Rois [6 janvier], et nous devons voir ce que nous devons faire. Il n’y a que moi qui suis sous la presse et qui ai sujet de trembler.

J’ai déjà voulu rompre trois ou quatre fois; mais, parce que cette œuvre se verrait anéantie en même temps, l’on me fait scrupule de péché d’y résister ou d’empêcher son effet. Je ne sais, mon très cher frère, ce que je dois conclure, si je dois tout quitter ou soutenir le poids, qui sans doute me fera succomber. Je n’ai point de fond intérieur pour y subvenir, et je ne vois en moi que des misères si effroyables que la moindre serait capable de me faire mourir, si Notre Seigneur ne me soutenait. La seule chose qui me console, c’est que je puis dire en vérité devant la divine Majesté présente, que jamais je n’ai eu dessein de me procurer cet œuvre et [que j’en] suis à prononcer la première parole pour lui donner effet. Il est vrai que, depuis trois mois, j’ai été passive à l’œuvre; mais je n’y ai aucunement agi, ni directement, ni indirectement, et mon esprit en est demeuré tellement dégagé et séparé que je n’y pense point si l’on ne m’y oblige. Jusqu’ici, j’avais toujours espéré que Notre Seigneur, connaissant le fond de mon abîme et la répugnance que j’ai à ces choses, à cause de mes indignités et de la pente que j’ai pour la solitude, me ferait la miséricorde d’anéantir cette affaire; mais, voyant les réponses de M. de Metz et l’autorité de la Reine, je commence à trembler et voudrais bien me retirer si j’en savais le moyen. C’est donc à vous, mon très cher frère, que j’ai recours en cette angoisse.

Je vous demande votre secours et vos avis. Conférez avec Madame de Sainte Ursule, nos chères Sœurs de la Conception41 et de Jésus, et, si vous pouvez, avec la bonne âme [Marie des Vallées], nonobstant que la résolution que vous me donnerez me soit aussi recommandable. Je ne fais point de scrupule de vous obéir; au contraire, je voudrais pouvoir être entièrement assujettie à votre conduite.

C’est à ce coup, mon très cher frère, que j’ai besoin de votre grande, mais très grande charité, et si vous ne m’assistez, je ne crois pas pouvoir subsister, tant je trouve ce poids effroyable. Conseillez-moi ou plutôt déterminez-moi, et me dites absolument ce que je dois faire pour la gloire de Notre Seigneur. Vous savez quelque chose de ma vie et de ce que Dieu veut de moi. Je ne sais de qui prendre avis pour cette affaire; les personnes de ce pays que je puis connaître s’y portent d’affection. Le Révérend Père de Saint Gilles m’a défendu d’y résister, mais, nonobstant que j’ai un grand respect à ses ordres, les vôtres y doivent être préférés, et je les attends et vous supplie, mon très cher frère, de me mander en diligence vos pensées et de faire beaucoup prier Dieu.

Mettez toutes vos saintes connaissances en prière, et mandez toutes ces choses à notre bon Frère Luc [de Blay] afin qu’il prie autant qu’il lui sera possible et que tout le monde s’intéresse à la gloire de notre divin Seigneur. Je supplie notre bon frère, M. Rocquelay, de prier Dieu de tout son cœur et de me mander s’il a reçu le livre du Père Elzéar et un écu d’or pour la neuvaine qu’il a fait faire à Notre-Dame de la Délivrande42.

J’attends de vos nouvelles. Je vous supplie que ce soit au plus tôt, et que toutes ces choses soient secrètes, s’il vous plaît; quelque personne de votre ville a bien curiosité d’en savoir des nouvelles; mais cela ne se doit pas; aussi on ne lui a pas répondu. Voyons ce que Dieu veut et laissons-là les créatures. J’espérais que M. Boudon vous irait voir et vous dirait beaucoup de choses que je lui avais confiées, tant pour cette affaire que pour d’autres; mais la Providence le retient et m’a obligée de vous écrire tout ce qui dessus, attendant réponse de votre charité pour la consolation de votre pauvre et très indigne sœur.

9 janvier 1653 L Ne pas tant vous occuper à l’extérieur que vous ne donniez pour l’intérieur

Ma très chère sœur,

Jésus soit notre unique pour le temps et l’éternité. Ce n’est pas à moi de dire mes sentiments d’une affaire si importante comme celle dont vous m’écrivez n’ayant ni lumière ni discernement pour connaître ce qu’il y a à faire pour la gloire de Dieu. Et je refuserais absolument de dire mes pensées sur ce sujet, si ce n’est que je ne puis refuser à notre union qui ne me permet pas que nos affaires soient particulières et que nous prenions intérêt les uns pour les autres.

C’est ce qui me fait prier Dieu ardemment pour votre affaire que je crois très faisable s’il n’y a point d’autres difficultés que celles dont vous me parlez, et vous ne devez pas manquer de rendre ce service à Dieu, sans vous oublier vous-même : je veux dire ne pas tant vous occuper à l’extérieur que vous ne donniez pour l’intérieur qui doit toujours être votre principal, et sur toutes choses fuir continuellement le désir qui vient insensiblement dans la nature de vouloir paraître quelque chose et cette secrète inclination à l’élévation qui vous est un grand empêchement à la perfection. Il faut craindre ce malheur, il ne faut pas cependant qu’il nous dégoûte d’entreprendre les ouvrages que Dieu demande de nous.

Puisque toutes les saintes âmes vous conseillent de faire celuy dont il est question, vous devez suivre leur sentiment. Je le recommanderai à toutes les bonnes personnes de ma connaissance. Le Révérend Père Saint Gilles est très capable de conduite en cette occasion. Quand vous le verrez assurez le de mes services. Mme de Mouy a grand désir de servir le secret de toute cette affaire. Elle en a écrit à la Marquise de Bauve, et dit qu’elle, était à Paris lorsqu’un pareil Etablissement pensa se faire pour honorer le Très Saint Sacrement jour et nuit. Lequel se trouva rompu, parce qu’il ne se trouva point de fille qui voulussent l’entreprendre y ayant trop de fatigue et de peine; je ne sais pas s’il est vrai tout ce qu’elle dit. C’est à vous Ma chère Sœur à bien prendre vos mesures avec vos amis. Adieu43.

19 Janvier 1653 L 2,20 La voie de pure souffrance.

Mon cher père [Elzéar],

Jésus soit notre unique vie. J’ai eu beaucoup de joie de recevoir de vos lettres dans lesquelles je remarque clairement la conduite de Dieu sur votre âme, et la fidélité qu’elle garde à se tenir constante dans les états pénibles et rigoureux, où il faut qu’elle passe. La déclaration que vous me faites de vos peines, me ferait peine à moi-même et compassion, si je ne savais par expérience, combien il faut souffrir pour être à Dieu. Ne vous étonnez donc pas, mon cher Père de toutes vos tentations, distractions, insensibilités et bouleversements. Toutes ces choses vous approchent de Dieu, quoi qu’elles vous en éloignent en apparence. Portez-les patiemment, comme Job portait ses plaies sur le fumier. Et lorsque vous penserez être séparé de Dieu, j’espère que vous y serez plus uni. Je rencontre plusieurs âmes différemment conduites. La plupart ont des douceurs et des lumières par intervalle, mais votre voie est de pure souffrance, et c’est à mon avis ce qui la rend meilleure. Et quand même il faudrait mourir attaché à cette croix, ô que vous seriez heureux, quoi que malheureux selon vos sens et votre propre esprit! Il n’y a rien à vous dire, sinon que vous laissiez faire l’Esprit de Dieu en vous, afin qu’Il achève son ouvrage de la manière qu’il l’a commencé.

Sur toutes choses, croyez ce que l’on vous dit, et ne vous appuyez pas sur vos discernements, quand il vous paraîtra n’aimer point Dieu, ne faire aucun progrès, que vous serez un jour du nombre des réprouvés; et si vous voulez, que vous avez tous les obstacles à l’union et autres semblables idées. Au-dessus d’icelles votre âme suivra simplement la direction et croira être en état qu’elle ne voit point, et duquel néanmoins on la certifie. Prenez courage. Je vous le dis encore une fois : votre voie est de Dieu. Je ne me mets pas en peine de tous les discours que l’on fait. Je demeurerai toujours uni avec vous, et rien ne m’en pourra séparer.

10 Février 1653 M 2 ,172 Sacrée obscurité.

Quand l’âme est parvenue à un degré d’oraison où l’esprit humain se trouve perdu dans l’abîme obscur de la foi, elle y doit demeurer en assurance. Car cette sacrée obscurité est plus claire que la lumière même, et cette ignorance est plus savante que la science. Mais la mort de l’esprit humain est rare, et c’est une grâce que Dieu ne fait pas à tout le monde. Il faut passer par plusieurs angoisses, et souffrir plusieurs agonies. Bienheureux pourtant ceux qui meurent de la sorte au Seigneur. Ils vivent par après en Lui, ils espèrent en Lui, ils souffrent en Lui. Enfin ils mènent une vie divine, dont tous les moments sont très précieux, puisqu’ils glorifient Dieu excellemment.

23 février 1653 L 3, 21 Je ne suis plus en moi, mais en Lui.

Ma très chère sœur,

Je ne puis vous exprimer la joie que je reçois d’apprendre la ferveur et la fidélité que Notre Seigneur vous donne de son service. Et que les difficultés qui s’opposent de la part de la nature et des parents n’apportent point de diminution à votre sainte résolution d’être tout à Dieu. Que vous êtes heureuse d’ainsi persévérer! Cela fait que mon âme se sent si fortement unie à la vôtre. Faites-nous, s’il vous plaît, la grâce, que nous puissions avoir quelquefois de vos chères nouvelles.

Un petit commerce de spiritualité agréera sans doute à Notre Seigneur. Je ne manquerai pas de mon côté, ayant pour vous tous les respects et la sincérité que je puis avoir pour une personne qui sert à Dieu. Il est bon de s’encourager les uns les autres, de marcher dignement et généreusement à la suite de notre bon Jésus, qui nous fait tant de grâces, et qui nous donne de si puissants attraits pour son amour. J’ouvre mon cœur au vôtre avec simplicité.

Au reste, obligez-moi de dire à [père de Saint-Gilles] que j’ai ressenti de grands effets d’union avec Dieu durant et après le voyage de Monsieur B[oudon] et que j’ai certitude, ce me semble, du don qui nous a été fait, dont je me sers continuellement dans l’oraison; mon âme vivant, ce me semble, de la vie que Dieu a dans mon fond, et ne pouvant goûter que la perte de toute mon âme en Lui seul. De sorte que continuellement je ne suis plus en moi, mais en Lui, d’une façon que j’expérimente, mais que je ne puis exprimer. Cette résidence, ou cet établissement de Dieu dans mon fond est le soutien, l’appui et la vie de mon intérieur. Enfin je suis infiniment consolé et fortifié, et j’aperçois si je ne me trompe, accroissement dans la voie du pur amour.

Communiquez, s’il vous plaît, ceci au [père de Saint-Gilles], et m’obligez de me récrire ce qu’il vous dira, et s’il ne trouvera pas bon de temps en temps que je lui fasse savoir ce qui se passe en moi. Madame M [de Montgomery]44 possède aussi ce don, comme je crois. Et son âme s’augmente en pureté et nudité, se trouvant quasi continuellement perdue en son Dieu. Il me semble qu’elle avance fort. Aussi sa vertu répand une bonne odeur dans toute la ville. Je vous donne bien de la peine, mais votre charité le veut bien. Je suis, etc.

3 Mars 1653 L 2, 21 C’est au Saint Esprit à qui vous devez demander direction et conduite.

Mon très cher Père, [Luc de Blay]

Dieu seul suffit.

Pour répondre à vos lettres que j’ai reçues aujourd’hui, je vous dirai dans ma simplicité ordinaire que j’ai reçu grande joie de voir le soin que notre Seigneur prend de la conduite de votre intérieur, et la fidélité que vous apportez à suivre ses divins mouvements.

Vous avez très bienfait de changer votre oraison. Il me paraît que ce changement vient de la grâce. C’est pourquoi tenez-vous dans cette attention à la Divinité, séparée même de toutes les conceptions et pensées de ses attributs et perfection. Cette attention est de foi, et la foi est simple et nue, qui exclut quand elle est pure, la multiplicité. Et cela n’empêche pas que votre âme n’ait union à la Divinité infiniment parfaite, quoi qu’elle n’ait pas des pensées distinctes des divines perfections. Notre Seigneur commence à vous dénuer passivement. Laissez-vous faire, et vous recevrez une grande Miséricorde de sa Bonté et de sa Puissance.

Si vous êtes quelque jour réduit au néant, c’est ce riche néant, dans lequel Dieu se trouve, après avoir perdu l’image et l’amour de toutes les créatures, et après aussi s’être perdu soi-même. Prenez courage, mon très cher Père, vous êtes dans le passage de la parfaite nudité.

Cette révolte de passions et de tentations, que vous décrivez si ingénieusement et agréablement, et le fond sec et aride que vous portez, sont de véritables marques de l’état purifiant où Dieu vous introduit. Quelque accablement, oppression, ou langueur que vous sentiez dans votre volonté ou intérieur, ne vous étonnez point. La vertu de Jésus-Christ se perfectionnera dans votre infirmité, opérera de grands effets, si vous souffrez les rigueurs de la purgation intérieure, avec longanimité et amour.

Hélas! Mon très cher Père, c’est au Saint-Esprit à qui vous devez demander direction et conduite, et non pas à moi, qui ai l’esprit plein de ténèbres et d’imperfections. Je ne puis pas pourtant vous dénier mes petits avis, comme les amis s’en donnent les uns aux autres, vous assurant que j’ai pour vous tout l’amour et toute la cordialité que je puis avoir pour une personne que je chéris extrêmement. Puisque vous voulez être tout à Dieu, il faut que je sois tout à vous. Il nous faut donc encourager les uns les autres, pour arriver un jour à ce bonheur qui est ineffable, de posséder Dieu dès cette vie. In modo non omnibus cognito [selon une manière peu connue], etc. dit Gerson45. Monsieur [Jean de Rocquelay] présent porteur vous servira beaucoup, si vous conférez avec lui. Il est plus intelligent et plus expérimenté que moi. Adieu en Dieu.

24 Avril 1653 L 3,29 Qui vit en Dieu seul, voit en Dieu ses amis.

M. Jésus Ressuscité soit notre unique vie. Ces lignes sont pour vous réitérer les assurances de mes affections, et que si je vous écris rarement, c’est que je ne crois pas que notre union ait besoin pour se conserver de tous ces témoignages de bienveillance. Il suffit que notre demeure soit continuellement en Dieu, et qu’anéantis à nous-mêmes nous ne vivions plus qu’en Dieu seul; lequel ensuite est notre amour et notre union. Quiconque est arrivé à cet état voit en Dieu ses amis, les aime et les possède en Lui, et comme Dieu, il est partout, il les possède partout. Toutes les vicissitudes, et tous les témoignages d’affection que nous nous rendons par l’entremise des sens, sont bons pour ceux qui vivent dans les sens, ils ne peuvent s’en passer. Mais l’expérience fait connaître, que quiconque a trouvé Dieu en quittant les sens, il trouve tout en Lui. Et il est sans comparaison plus agréable d’en user de cette sorte, qu’autrement. C’est mal juger d’une personne de croire qu’elle oublie ses amis pour ne leur écrire point. Les âmes qui vivent en Dieu ont des intelligences si secrètes et une manière de se communiquer si admirable, que cela ne se comprend que par l’expérience. Je vous avoue que tant d’écritures et tant de discours fatiguent l’esprit, ne lui donnent pas de véritables nouvelles de la personne qu’il aime. Je ne suis pas dans cet état, mais il est pourtant vrai que Dieu me devient toutes choses, que tout ce qui n’est point lui est chétif et si rien, qu’il ne mérite pas de nous amuser un moment. Je ne pensais pas vous écrire tout ceci, quand j’ai commencé; mais la pureté de cœur est si nécessaire, que nous ne saurions assez en parler. Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu, même dès cette vie, et cette vue est la parfaite oraison. Quand la divine lumière n’est pas bien abondante, l’on ne connaît pas les impuretés qui sont cachées, lesquelles, quoique très petites, sont de grands obstacles au parfait amour.

20 mai1653 LM Les ermites de Caen

Mon très cher frère, [Henri-Boudon]

Je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ qu’il consomme en vous ses adorables desseins !

Ce mot est pour vous témoigner la joie de mon cœur en ce qu’il a plu à Dieu vous rendre digne de souffrir quelque chose pour son nom. Je m’en sens si fort obligée à sa grâce et à sa bonté que je ne puis m’empêcher de lui en rendre les humbles remerciements que je lui dois.

O! que vous êtes heureux, mon très cher frère! Je prie Notre Seigneur qu’il vous continue ses grandes miséricordes, afin que vous puissiez procurer efficacement sa gloire et apprendre aux âmes le sacré sentier qui les doit conduire immédiatement à Dieu. Hélas! qu’il y a peu de vrais serviteurs qui servent Dieu pour Dieu même! Nous sommes trop mercenaires et trop revêtus d’intérêt. Priez Notre Seigneur, mon bon frère, qu’il me fasse la grâce de le pouvoir servir pour l’amour de lui même, et que l’amour de son bon plaisir opère notre consommation.

Je ne sais quand il plaira à la divine Providence vous ramener à Paris. Nous aurons joie de vous y revoir et d’apprendre de vous-même la part que Notre Seigneur vous a donnée à sa croix, et vous faire nos très humbles recommandations à nos chers frères tous les ermites de Caen, en particulier à notre bon monsieur de Bernières, et me recommander à ses saintes prières. Nous avons vu le bon M. de Montigny, lequel nous a toutes embaumées de l’odeur de Jésus Christ en lui; il en est tout rempli, et j’ai reçu beaucoup de joie de le voir si uni à la croix et si passionné des opprobres et des mépris, des pauvretés et douleurs de Jésus Christ.

Je désirerais bien fort que notre chère Mère de Montigny y eût un peu de part. Elle désire Dieu certainement, mais d’une manière bien différente; la nature a de grandes peines et son esprit naturel lui livre de rudes combats. Je vous supplie, quand vous lui écrirez, de l’encourager à entrer dans la vraie humilité d’esprit et soumission de jugement, afin que son âme soit assujettie à la conduite que Dieu tient sur elle. Elle aurait souvent besoin de votre saint entretien pour la fortifier, et je désire votre retour partie à son sujet, pour ce que, ne trouvant pas en nous de quoi se soutenir ni consoler dans la voie, elle a plus de pente à la tentation, qu’elle vaincrait facilement si elle voulait entrer dans les usages de la communauté.

Je vous supplie ne lui point témoigner que je vous ai rien écrit de particulier touchant son état. Priez Notre Seigneur qu’il me donne lumière pour la servir en son amour.

Je vous désire beaucoup ici. Venez le plus tôt qu’il vous sera possible pour la gloire de celui en l’amour sacré duquel je suis, quoique très indigne, mon très cher frère, votre très humble, très fidèle et affectionnée et très obligée servante.

Je vous supplie de dire à M. de Roquelay que j’ai donné cent livres au Révérend Père Le Jeune46. Il a pris la peine de nous voir environ une petite heure, venant dire céans la sainte messe pour Madame la Duchesse de Bouillon, qui y fut vendredi en retraite. Je vous supplie de prier Notre Seigneur qu’il la fortifie et la console sur la mort de M. son mari. C’est une excellente personne et très chrétienne si la tristesse ne la consommait point. Priez Dieu qu’il lui arrache les sens trop sensibles sur le sujet.

1er Juillet 1653 L 3,42 Demeurer unis et abîmés dans cette infinie bonté.

Ma très chère sœur [Mechtilde],

Jésus soit l’unique vie de nos cœurs. Quoique vous soyez éloignée, je crois que vous êtes présente à l’Ermitage, et [Paul Le Jeune]47 aussi, nous ayant souvent assuré que c’est sa maison, et qu’il y demeure avec nous. Je n’en doute pas, ressentant en mon particulier plusieurs effets de grâce que je ne puis exprimer. Le don s’augmente, et mon âme expérimente que Dieu seul est, vit, et opère en elle. Cet état demeure immobile au milieu de tous les changements qui se passent dans les sens, et rien ne le peut diminuer, que l’infidélité. L’obscurité, la stupidité, l’insensibilité, la tentation, les révoltes ne font pas perdre ce trésor caché dans le fond de l’âme, mais seulement en ôtent la vue et le sentiment. Quand Dieu s’est ainsi donné, l’âme n’a plus besoin de rien, et tout ce qui n’est point Dieu ne lui peut de rien servir. Dieu seul est sa portion, et son héritage à toute éternité. Demeurez bien perdue dans le divin Etre, et prenez plaisir à n’être plus. C’est en Lui que vous devez établir votre solitude au milieu des compagnies et des affaires. C’est dans le fond que vous devez habiter, ou plutôt en Dieu. J’ai quelque désir de savoir l’état où vous êtes, et si vous ne gardez pas la pure solitude en Dieu où le pur amour se trouve, mandez-nous de vos nouvelles. Et cependant, croyez que nous sommes autant unis que nous le sommes avec Dieu. Notre unique affaire, c’est de demeurer unis et abîmés dans cette infinie bonté. Et notre bonheur serait, si nous étions si bien perdus, que nous ne puissions jamais nous rencontrer.

9 Août 1653 LMB Vos chères lettres

Monsieur, [Jean de Bernières]

Je vous fais ce petit mot pour vous assurer que j’ai mis en mains de monsieur Boudon le livre que vous avez désiré que je vous envoie. Je crois qu’il le portera demain au messager. Ce bon Monsieur est à Paris depuis environ trois semaines; nous l’avons vu avec Monsieur de Montigny, lequel est aussi un très grand serviteur de Dieu. Je l’ai mené ces jours passés à Montmartre où nous trouvâmes le Père Paulin48. Je crois que vous savez qu’il demeure à Paris et qu’il fait merveille dans la sainte voie d’anéantissement.

Pour moi, j’apprends à me taire je m’en trouve bien. Je sais quelque petite chose de mon néant et je tâche d’y demeurer et de n’être plus rien dans les créatures et qu’elfes ne soient plus rien en moi. J’ai, ce me semble, quelque amour et tendance de vivre d’une vie inconnue aux créatures et à moi-même. Je me laisse à Notre Seigneur Jésus Christ pour y entrer par son esprit. Il y a plus de trois semaines que je n’ai vu le Révérend Père Le Jeune; je ne sais s’il est ou non satisfait de moi, je lui ai parlé selon ma petite capacité et l’avais prié de prendre la peine de m’interroger sur tout ce qu’il lui plairait, avec résolution de lui répondre en toute simplicité : je ne sais ce qu’il fera. Je suis toute prête de lui obéir et avec joie, si cela vous plaît, sur tout ce qu’il désire que je fasse.

Vos chères lettres me font plus de bien que toutes les directions des autres personnes. Je crois que c’est à cause de l’union en laquelle notre bon Père nous a unis avant sa mort, nous exhortant à la continuer et à nous entre-consoler les uns les autres. Je ne vous en demande pourtant que dans l’ordre qui vous en sera donné intérieurement, car je veux apprendre à tout perdre pour n’avoir plus que Dieu seul, en la manière qu’il lui plaira. Je vous supplie de prier Dieu pour moi afin que je sois fidèle à sa conduite. Je la vois bien détruisant mon fond d’orgueil et tout ce qui me reste des créatures. J’ai pourtant une petite peine qui me reste au regard de la fondation où la Providence nous a engagée et j’aurais beaucoup de pente à m’en retirer. Je vous manderai le sujet. Présentement, il faut finir : il est trop tard. Je viens de voir le Révérend Père Le Jeune. J’ai bien à vous écrire, mon très bon frère, mais, en attendant, priez Dieu pour moi.

4 Septembre 1653 L 1,46 Ne pas contraindre les âmes.

Ma très chère mère, [Mechtilde]

Jésus soit notre unique vie, et notre seul amour. Je réponds à vos dernières, qui me déclarent amplement et sincèrement vos sentiments touchant la conduite de [Paul Le Jeune].

Je suis bien aise de voir à découvert tous les mouvements intérieurs de votre âme sur ce sujet et sur votre oraison. Mon style a toujours été et est encore de ne rien proposer aux âmes où elles aient rebut. Et j’attends que la grâce leur donne une inclination contraire. Jusqu’à ce temps-là je les laisse dans la liberté, et ne les veux pas contraindre. Si vous continuez à n’avoir point d’ouverture de cœur à [Paul Le Jeune] ne vous violentez pas49.

Il est vrai qu’il m’était venu en pensée qu’il aurait pu servir à vous perfectionner, et je croyais qu’il en avait et les talents et la grâce et l’affection. Car je vous puis assurer, que si vous voulez être inconnue aux créatures ou vivre dans la mort et l’éloignement de toutes choses, jamais homme n’y fut plus propre. Son procédé étant de conduire les âmes sans leur faire connaître ce qu’elles sont, ou ce qu’elles font, afin de leur ôter tout appui qu’elles pourraient prendre sur elles-mêmes. Il ne veut pas aussi qu’elles en prennent sur le directeur. D’où vient qu’il traite avec elles, beaucoup réservé et resserré, se prenant garde de ne les applaudir et approuver. Cette manière est sans doute rude, et toutes sorte d’âmes ne se peut pas conduire par là, car elles deviennent resserrées et réservées, n’ayant aucune ouverture de cœur avec celui qui semble n’en avoir pas pour elles.

Il m’a écrit que n’ayant point trouvé avec vous ouverture de cœur entière, il ne s’est pas aussi engagé à vous servir, attendant que Dieu vous donne à l’un et à l’autre la disposition nécessaire pour cela. Et qu’au reste, il ne vous a rien ouï dire que de bonnes maximes, et qu’il n’a nul sujet de douter de votre voie, et que jamais il n’en a parlé à personne. Qu’il est vrai que plusieurs vous ont élevée et d’autres abaissée. Mais qu’il ne s’arrête point à tout cela, et qu’il regarde seulement si on aime la vérité; de sorte que vous êtes dans l’entière liberté. Je ne vous donne pas avis, comme je vous ai déjà dit, de vous contraindre. Quand le P. [Le Jeune] vous ira voir, parlez-lui sincèrement sur ce qu’il vous demandera, il ne vous pressera pas.

Janvier 1654 LMB Nous prendrons la croix

Je vous supplie me faire la faveur de faire savoir à notre très chère sœur [Marie des Vallées] que nous prendrons la croix le dixième de février, jour que nous faisons la fête de notre grande sainte Scholastique. Je la supplie, autant instamment que je puis, de vouloir derechef présenter cette œuvre à Notre Seigneur, et le prier très humblement y vouloir donner sa sainte bénédiction et que le tout soit uniquement pour sa gloire.

Je remets tous mes intérêts, si j’en ai en cette œuvre, pour être sacrifiée, par elle, à Jésus dans la sainte hostie. Je renonce de tout mon cœur à ce qu’il peut y avoir d’humain et proteste que je n’y veux que Dieu seul et l’honneur de sa sainte Mère, laquelle nous avons constituée notre très digne et très adorable supérieure50. C’est elle, mon bon frère, qui est la vraie Mère et la très digne Mère du Saint Sacrement. C’est elle qui est notre Prieure. C’est pour elle cette œuvre et non pour moi. Je la remets en ses saintes mains et n’en retiens pour moi que la peine et l’abjection. Je n’y veux rien, je n’y désire rien, je n’y prétends rien pour moi, au moins est-ce mon désir, et je supplie notre chère Sœur de prier Notre Seigneur et sa très sainte Mère d’y être parfaitement tout ce qu’ils y doivent être, et que nous ayons la grâce, par leur très grande miséricorde, d’être les vraies victimes du très Saint Sacrement.

Cette Maison s’établit à sa seule gloire pour, comme je vous ai déjà dit, réparer autant que l’on peut sa gloire, profanée dans ce très Saint Sacrement par les sacrilèges et (par les) impies ; et surtout par tous les sorciers et magiciens qui en abusent si malheureusement et horriblement51.

Priez notre bonne Sœur [Marie des Vallées] qu’elle présente nos intentions à Notre Seigneur et lui demande, pour nous toutes et pour toutes celles que sa Providence conduira en cette Maison, la grâce de vivre de la vie cachée de Jésus dans ce divin Sacrement, savoir : d’une vie cachée et toute anéantie, que nous ne soyons plus rien dans les créatures et que nous commencions à vivre à Jésus, de Jésus et pour Jésus dans l’hostie.

Je voudrais bien qu’il plût à Notre Seigneur opérer ce jour ma vraie conversion, qu’il me fasse sortir entièrement de ma vanité et des créatures.

Tâchez de voir cette chère Sœur [Marie des Vallées] ; je vous en supplie, faites y votre possible, et lui remettez de ma part ce saint œuvre entre ses mains pour être présenté à Notre Seigneur. J’ai une grande passion qu’elle soit toute à Dieu et pour Dieu. Je lui demande un quart d’heure de son temps, si Dieu lui permet, pour s’appliquer à lui pour nous, et qu’elle continue à lui demander pour moi une très profonde humilité et la grâce de ne rien prendre en cette œuvre. J’ai un grand désir d’y vivre toute anéantie, mais je suis si impure que ma vie me fait horreur. Priez Notre Seigneur qu’il me change par sa toute puissance, et que je sois, avant que de mourir, parfaitement à lui et pour lui, et, en son esprit, votre très fidèle et affectionnée...

Possible aurons-nous la croix dimanche prochain. Néanmoins toutes choses n’y sont pas encore disposées. Ce qui me satisfait le plus, c’est que j’ai mis cette œuvre entre les mains de mes supérieurs, pour en être fait comme Dieu les inspirera. C’est eux, contre leur ordinaire, qui me pressent d’achever et de prendre vitement la croix.

22 Mars 1654 L 3,33 C’est une grande richesse que la pauvreté intérieure.

Ma chère mère, [Mechtilde]

Jésus souffrant soit notre unique amour. J’ai grande joie qu’il ait fait notre union par providence particulière, et il est superflu, ce me semble, que vous demandiez à faire une union qui est déjà faite, et laquelle continuera. C’est à quoi il faut penser, et pour ce sujet tout faire et tout souffrir, afin que Notre Seigneur nous achemine à la parfaite union. C’est le seul bien qu’il faut désirer en la terre, et c’est aussi la félicité des bienheureux du ciel.

L’union du Paradis est dans la jouissance et celle de ce monde est dans la souffrance. Il faut être attaché à la croix, soit intérieure, soit extérieure, pour être attaché et uni à Dieu. C’est par la croix que nous mourons à nous-mêmes et aux créatures, et que nous vivons en Dieu.

Vous ne devez pas vous étonner quand les distractions, les tentations et les obscurités vous dérobent le sentiment et la vue de la présence de Dieu, et de vos actes intérieurs. Cela n’est rien puisque Dieu demeure aussi présent, et qu’il vous sollicite par ce moyen à vous unir à Lui par la foi toute pure, qui ne dépend point des sentiments, ni des vues sensibles. Tenez à bonheur quand vous en serez privée, et ne soyez point dans l’empressement de produire des actes. Demeurez dénuée et souffrante, et Dieu sera avec vous en votre tribulation.

Il est fort bon de produire des actes d’abandon, d’adoration des desseins de Dieu sur vous, et autres spécimens dans votre lettre, quand votre âme y aura facilité. Mais sitôt qu’elle y ressent de la peine, ou qu’elle en est empêchée, demeurez sans vous violenter, et souffrez l’état qui vous est donné, quelque pauvre et chétif qu’il vous paraisse.

C’est une grande richesse que la pauvreté intérieure, puisqu’elle nous dépouille de nous-mêmes. Un simple regard de la présence de Dieu vous suffira. Il n’est pas nécessaire d’apercevoir distinctement tous les actes de respect et d’abandon. Ils y sont contenus en éminence. Vous avez la Loi et les Prophètes ayant le bon Père N. Je soumets tous mes sentiments aux siens, ayant grand respect pour sa grâce, et sachant combien son âme est éclairée dans les voies de Dieu. Ayez soin d’encourager votre bon Frère, et priez tous pour moi.

29 Mars 1654 L’esprit de notre petit Ermitage.

Ma très chère mère, [Mechtilde]

Jésus soit l’unique vie de nos âmes. J’ai reçu vos dernières qui m’ont donné grande consolation d’apprendre par vous-même les soins extraordinaires que la divine Providence a eu pour votre établissement, pour vous donner sans doute une solitude qui servira pour vous conformer à son pur amour. Cet ouvrage extérieur doit servir à l’ouvrage intérieur, que Jésus enfant veut faire en vous, lequel vous conduira par sa sainte grâce au parfait anéantissement, afin que Lui seul soit, vive, et opère en vous.

Je me réjouis de ce que votre âme ne désire autre vie que la Vie de Jésus. Mais aussi sa mort vous doit donner la mort parfaite à toutes choses. Je ne sais pas le particulier de votre oraison. Vous avez le bon monsieur [Picoté] auprès de vous, auquel Notre Seigneur a donné grâce pour aider les âmes de votre état. Ses conseils vous seront très bons. Et quand Dieu voudra que vous nous mandiez quelque chose de votre oraison, nous vous dirons nos petites pensées en toute liberté et simplicité52. Mais ne le dites que quand Dieu vous en donnera le mouvement. Car il vaut bien mieux demeurer perdue en Dieu, que de sortir par soi-même sous prétexte de charité à produire nos pensées et nos sentiments au dehors, comme nous ne devons pas avoir la moindre opération.

Tout l’Ermitage se réjouit de ce que Dieu vous a mise en retraite, et Le prie continuellement afin qu’Il rende votre maison une maison de silence et d’oraison, et qu’Il vous donne des filles propres à ce genre de vie. Prenez-y bien garde, et n’en recevez pas une, s’il y a moyen, sans vocation particulière à l’oraison53. Autrement votre communauté ne sera pas longtemps sans sortir du sein de Dieu. Je suis persuadé de la grandeur de votre vocation et de l’institut de votre communauté qui, sans doute, sont incomparables, puisque vous êtes appelées pour être les victimes du Saint Sacrement; c’est à dire, du pur amour. Et vous devez demeurer cachées et solitaires dans la clôture de votre petite maison54, y menant une vie toute divine, séparée de la conversation des hommes, à l’exemple de Notre Seigneur, qui demeure caché et solitaire sous les espèces du très Saint Sacrement, y menant une vie toute d’amour pour les hommes. J’espère qu’Il vous fera beaucoup de grâces, et à toutes vos filles, pourvu que vous demeuriez dans la pureté de votre voie, et que les considérations humaines ne vous empêchent pas d’être toujours anéanties.

Il est si facile de sortir du néant pour être quelque chose, que la plus grande miséricorde que Dieu fasse à une âme en la terre, c’est de la mettre dans le néant, de l’y faire vivre et mourir. Dans ce néant Dieu se cache, et quiconque demeure dans ce bienheureux néant, trouve Dieu et se transforme en Lui! Mais ce néant ne consiste pas seulement à avoir aucune attache aux choses du monde, mais à être hors de soi-même; c’est à dire, hors de son propre esprit et sa propre vie. C’est Dieu seul qui fait ce grand coup de grâce, et c’est de sa pure miséricorde que nous devons attendre cet heureux état dont les grandeurs et les biens immuables ne se connaîtront que dans l’éternité. Si les âmes avaient un peu de lumière, toutes leurs prétentions ne seraient qu’à être réduites à ce néant divin.

C’est le premier dessein que Dieu donne, et puis ensuite les autres desseins, comme de convertir les âmes, de procurer la gloire de Dieu par tel et tel moyen, comme autant de suites et d’effets de la vie divine qui se mène dans le néant55.

L’on n’est pas bien capable de servir au prochain que l’on ne soit anéanti, puisque dans les emplois les plus charitables, l’on y conserve sa propre vie. C’est un point bien peu connu, bien caché, mais bien dangereux, et qui arrête les âmes dans elles-mêmes, et les empêche de passer en Dieu, leur Centre et leur dernière Fin.

Vous connaissez mieux que moi ce que je veux dire. Aussi, comme je vous aime beaucoup en Notre Seigneur, toutes mes joies sont de vous savoir dans la tendance du néant divin. Si jamais la divine Providence permet que je vous voie, je vous ouvrirai mon cœur là-dessus. C’est l’esprit de notre petit Ermitage, que d’arriver un jour au parfait néant, pour y mener une vie divine et inconnue au monde, et toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu. Je crois qu’il doit y avoir grande association entre votre maison, et la nôtre. Nous la recevons de tout notre cœur, puisque vous nous la présentez, et vous prions de croire que tous les solitaires ont une union parfaite avec vous. Au reste, ne doutez pas que je suive entièrement le dessein de N. et que je ne sois tout à vous selon Dieu.

13 Mai 1654 L 3,6 Il n’y a qu’à Le laisser faire.

Ma chère mère, [Mechtilde]

Jésus soit l’unique vie et la seule lumière de nos âmes. Je viens de recevoir vos dernières, et je sens mouvement [poussé] d’y répondre tout présentement, pour vous dire que l’état intérieur où vous êtes ne permet pas de pouvoir faire une longue déclaration de vos dispositions intérieures à celui que vous prenez pour votre directeur [Paul Le Jeune].

La grâce vous mettant dans la mort et dans le néant, il ne faut pas vous en tirer sous quelque prétexte que ce soit. Il faut y demeurer toute perdue et abandonnée à la conduite divine. Ceux qui vous pressent et persécutent, s’ils ne le font pour vous éprouver, sembleraient n’entendre pas ce que Dieu fait en vous. Ils devraient porter respect à son ouvrage et ne le pas brouiller, ni détruire.

Mais cet ouvrage est souvent si caché et inconnu, même aux personnes spirituelles, qu’en vérité elles font beaucoup souffrir, ne pouvant concevoir que ce soit une œuvre de Dieu, de ne pouvoir ni penser, ni rien dire de distinct et d’aperçu. Les âmes qui sont en silence parlent suffisamment à ceux qui ont l’expérience des voies de Dieu. Elles remarquent dans la mort la vie et dans le néant Dieu caché qui prend plaisir de les posséder d’une manière admirable, quoi que secrète et intime. Ma lumière est petite; néanmoins je ne craindrai pas à vous dire que vous ayez à demeurer en repos, et à être totalement passive aux opérations de Dieu. Si vous ne connaissez pas, soyez paisible dans votre ignorance, et vivez sans réflexions volontaires. Soyez attentive sans attention sensible et trop aperçue à vous laisser imprimer aux impressions divines. Il semble qu’il est fort aisé de conseiller une âme que Dieu conduit lui-même. Or il n’y a qu’à Le laisser faire.

J’ai remarqué dans plusieurs endroits de votre lettre que vous faisiez des réflexions sur votre misère, votre ignorance, incapacité, et autres choses semblables. Comme aussi sur ce que ceux qui vous parlent sont forts éclairés, et qu’ils ne voient pas le fond de votre pauvreté. À une personne de votre état, toutes ces vues sont bonnes quand Dieu lui donne. Mais vous ne les devez pas prendre par vous-même; ce serait encore une avidité, (quoi que pour s’humilier et s’anéantir) qui doit mourir et être anéantie.

Marchez donc, ou plutôt laissez-vous porter à votre divin Époux avec grande liberté dans les voies intérieures. Liberté qui n’attachera votre âme qu’à Lui Seul, et qui la dépouillera de tout le reste. Liberté qui vous donnera un fond tout dénué et tout nu, au milieu d’une multitude de bonnes ou de mauvaises pensées, lumières ou ténèbres, distractions ou recueillements. Liberté qui vous fera reposer uniquement dans l’incréé au milieu de toutes les créatures. C’est par la vertu secrète de Dieu que cette divine liberté nous est communiquée. C’est un don qui accompagne les âmes anéanties et qui ne subsiste en elles que étant leur anéantissement passif.

J’espère que notre Seigneur vous fera cette grâce, puisqu’il permet que vous soyez sans appui, au milieu de tant de monde qui vous en donne, et qui s’empresse même de vous ennuyer. Je commence à croire que celui dont vous me parlez [Paul Le Jeune] n’a pas grâce pour votre conduite intérieure, quoi que ce soit un apôtre, et un saint. Mais que ces éminentes qualités ne vous obligent pas à vouloir de lui une chose qu’il semble que Dieu ne veut point. J’avoue que c’est une abjection de n’entrer pas dans l’esprit d’un si grand homme, et de ce qu’il ne goûte pas ce que Dieu vous fait goûter. Les grâces sont différentes. Une seule personne n’a pas l’expérience de toutes. Ne jugeons pourtant pas encore définitivement. Je confesserai [j’échangerai] avec lui, et puis je vous écrirai. Je crois qu’il se découvrira à moi, mais je le laisserai parler le premier. Car si le sentiment mystique ne lui est pas révélé, je ne lui en dirai rien, mais seulement des choses extérieures où Dieu m’applique. Je lui parlerai comme il faut de vous, et vous donnerai avis de tout ce qu’il m’aura dit.

Si vous voulez de temps en temps m’écrire trois lignes comme est votre intérieur, je vous manderai en trois autres lignes mes petits sentiments. Je crois qu’il faut nous réduire à nous appuyer les uns les autres, et à nous servir. Notre bon Père [Jean-Chrysostome] me l’a dit souvent. Faisons-le donc jusqu’à ce que Dieu y donne ordre par sa Providence. Il ne faut pas grand discours à déclarer son intérieur, ni être beaucoup en peine pour cela56. Les mêmes âmes d’une même voie s’entendent à mi-mot.

[Jacques Bertot] vous chérit et vous salue. Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion, et quelque temps qu’il fasse, bons ou mauvais, nous tâchons de ne nous pas arrêter. Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par l’ordre de Dieu, et notre bon Père [Jean-Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard. La grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait57.

21 Août 1654 LMB Tous anéantis en Jésus

Mon cher frère, [Jean de Bernières]

Je ne vous fais que ce mot, étant encore bien faible d’une petite fièvre que j’ai eue et de laquelle le Révérend Père Eudes [Jean-Eudes] vous dira des nouvelles. Nous avons eu l’honneur de le voir et recevoir beaucoup de sa charité dont toute notre petite communauté en reste touchée. Je crois que sa conférence opérera de grands effets, je vous supplie de l’en remercier.

Il vous dira de nos nouvelles et comme il m’a mandé de manger de la viande, ce que j’ai fait sans difficulté puisqu’il l’a voulu et que je sais qu’il est désintéressé. J’espérais qu’il ferait la bénédiction de l’image de Notre Dame, mais la sainte Providence nous en a voulu mortifier, c’est seulement demain que la cérémonie s’en fera, jour de l’octave de l’Assomption.

Il m’a promis qu’il sera notre avocat vers la bonne sœur Marie [des Vallées]. J’ai admiré la conduite de Notre Seigneur : quand je l’ai désiré, il ne me l’a pas donné et quand tous désirs et volontés ont été anéantis en moi, il l’a voulu et lui a donné charité pour moi. Je ne doute point que ce ne soit un coup de la sainte et aimable Providence qui se plaît à faire des coups pareils. Je l’adore en tout et prends plaisir de la laisser régner partout sans me mettre en peine d’aucune chose. O mon très cher Frère, qu’il fait bon se perdre.

J’ai reçu trois ou quatre de vos chères lettres, mais si petites qu’il n’y avait quasi que deux mots. Nous avons vu Monsieur de [Bernay] et demain il nous fera conférence et je lui rendrai tous les petits services que je pourrai. Monsieur Bertaut [Jacques Bertot] dit hier la sainte Messe céans, mais comme nous chantâmes aussitôt après la grand’Messe, je ne pus le voir, il me fit dire qu’il reviendrait.

Cette bonne dame que vous m’aviez mandé de bien recevoir et qui est intime de Timothée [surnom de Marie des Vallées] n’est point venue, je la régalerai le mieux que je pourrai. Le Révérend Père Lejeune nous vient voir souvent et à grand soin de ma santé, je vous prie l’en remercier quand vous lui écrirez, il a grande bonté pour nous. Je vous reproche votre infidélité de n’être point venu à Paris avec Monsieur Bertaut.

Notre Seigneur vous donnait cette pensée pour le bien et la perfection de ce nouveau monastère où toutes les âmes qui y sont ont une grande tendance à la solitude et à l’anéantissement. Un peu de vos conférences les ferait avancer, l’excuse que vous prenez pour couvrir votre prétexte de ne nous point écrire, de la sainte oraison, n’est point recevable, si c’était un autre que vous, je dirais qu’il fait des compliments spirituels. Je vous supplie de croire que je n’ai d’autre expérience que mon néant que je chéris et que j’aime, mais pour le reste, je suis tout à fait ignorante, donc, très cher Frère, par charité et pour l’amour de Dieu, écrivez-moi quand vous en aurez la pensée.

J’ai bien cru que M. de Montigny [François de Montmorency-Laval-de Montigny] vous consolerait et édifierait par sa ferveur, je suis très aise de le savoir là  [l’Ermitage de Caen]: qu’il y puise bien le pur esprit de Jésus et qu’il s’y laisse bien anéantir afin qu’il soit rendu digne des desseins que Dieu a sur lui. Je salue humblement tous les bons ermites et les supplie de prier pour cette petite Maison qui tend bien à la vie solitaire. J’espère que Notre Seigneur nous donnera la joie et la chère consolation de vous y voir un jour, il me semble que ce sera sa pure gloire. Quoique j’y renconterai ma satisfaction, nous ne laisserons pas d’être tous anéantis en Jésus. Je suis en lui toute vôtre.

15 septembre 1654 MB sur le père Eudes et Marie des Vallées [extraits]

Cher frère,

J’ai reçu samedi l’honneur de la vôtre par laquelle vous avez la bonté de nous mander ce que la bonne Sœur [Marie des Vallées]58 a dit au Révérend Père Eudes pour nous. Je lui en suis bien obligée.

Je ne sais pourquoi le Révérend Père Eudes vous a témoigné m’avoir tant d’obligations. Je n’ai pas été assez heureuse de le pouvoir servir nonobstant mon affection, car il me semble que, sans aucun intérêt, je l’aurais très grande, sachant bien que c’est un grand honneur de servir les serviteurs de Dieu. Il ne m’est obligé que de ma bonne volonté, que je ressens toujours dans la même disposition, et, quand il lui plaira me donner les moyens de l’effectuer, il nous donnera bien de la satisfaction.

17 Septembre 1654 L 3, 55 Le seul appui est la pure foi

Ma chère mère, [Mechtilde]

Puisque cette personne [Jean-Eudes ?] est avec vous, prenez-y garde. Portez son âme à marcher dans la voie d’anéantissement dont le seul appui est la pure foi séparée de toute autre lumière et vue. C’est une grâce singulière et un très grand don de Dieu de posséder cette divine foi, laquelle nous donne Dieu en la terre aussi réellement et véritablement, que les Bienheureux l’ont dans le Ciel, quoi que d’une manière différente. C’est un grand trésor que cette oraison de présence de Dieu, réelle et immédiate.

Au lieu que dans les autres l’on a des images, des connaissances, et des sentiments de Dieu, en celle-ci l’on possède Dieu même, lequel étant vu au fond de l’âme, commence à la nourrir et à la soutenir de Lui-même, sans lui permettre d’avoir aucun appui sur ce qui est créé. Et c’est ce que l’on appelle science mystique, que cette expérience de Dieu en Dieu même, de laquelle l’on n’est capable, que lorsque le don en a été fait par une miséricorde spéciale.

Les travaux, les actions, les mortifications et les souffrances de la vie, nous préparent à entrer dans ce divin état, ou l’âme abîmée en Dieu n’est plus elle-même, et par conséquent n’agit plus et n’opère plus. C’est cet heureux néant dont plusieurs bonnes âmes ont la lumière et la connaissance, mais très peu la vérité et la réalité. Les prières des amis de Dieu aident extrêmement à obtenir cette faveur! Mais jamais une âme n’en jouira, qu’elle ne soit dans le détachement de tout de ce qui n’est point Dieu.

Il faudrait être auprès de vous pour vous dire ce que je pense de cet état. Il me semble que votre esprit est beaucoup multiplié en des retours et réflexions.

Je ne sais pas bien si vous expérimentez encore cette perte réelle en Dieu dont nous parlons. La constitution de notre intérieur paraît souvent être semblable, et néanmoins elle est fort différente. Il paraît que nous avons Dieu dans nos puissances, et que nous l’expérimentons comme dans notre fond. Et cependant cela n’est pas puisque l’être de Dieu et sa réelle présence ne peut être communiquée que dans le fond, qui est une capacité dans le centre59 de notre essence, où Dieu seul fait sa demeure, s’y manifeste, et s’y donne à goûter d’une manière qui n’est entendue que de ceux qui en ont l’expérience. Mais dans les puissances, l’on y reçoit des connaissances et des goûts fort sublimes de Dieu, qui sont des effets et des faveurs de Dieu, et non Dieu même. Quand je dis que Dieu n’est pas dans nos puissances, mais dans le fond, je ne veux pas dire que son Essence ne soit par tout. Mais je parle comme les mystiques qui font différence de la connaissance que l’on a de Dieu dans le fond et dans les puissances. Il est fort difficile de se faire entendre en ces matières, mais l’Esprit de Dieu le fait en un moment. Vos dernières m’ont donné désir de vous voir, seulement pour parler de cette voie, en laquelle on ne peut aider qu’avec un peu de temps; les opérations divines ne se faisant pas tout d’un coup, mais successivement les unes après les autres. Il faut recommander ce voyage à Dieu, car il ne faut point que la créature y ait part.

Monsieur B[ertot], prêtre qui demeure avec nous, serait bien capable d’aider votre communauté touchant cette oraison. Il a plus de grâce et de lumière que moi, et est plus disposé d’aller. S’il pouvait faire un petit tour à Paris, je crois que cela vous servirait. Il est à présent auprès de Timothée [Marie des Vallées], où il reçoit beaucoup de grâces touchant cette voie d’anéantissement.

14 Octobre 1654 L 2,39 Comme une petite étable de Bethléem.

Ma révérende mère, [Mechtilde]

Après avoir prié sur ce que vous me proposez en votre lettre au sujet de vos établissements, il me semble que vous faites très bien de tenir votre communauté dans le silence, dans l’éloignement des créatures, dans l’oubli, dans la pauvreté, et dans l’abjection.

Évitez la prudence humaine dans un établissement de pure grâce, comme doit être le vôtre. Dieu le veut à mépris, pour des âmes qui veulent devenir divines et qui se veulent tirer de l’humanité. Mais comme cet attrait est rare, il ne faut pas multiplier beaucoup. Je veux dire qu’il ne faut pas recevoir indifféremment toutes les filles qui se présenteront, bien qu’elles soient avantagées de plusieurs beaux talents, et qu’elles présentent une dote considérable. Le grand accueil que l’on fait ordinairement aux gens du monde, et qui ont un moyen pour faire et pour soutenir une maison, est quelque chose de trop gros pour des âmes qui veulent être à Dieu sans réserve; puisque le moyen doit être proportionné à la fin, et que l’humaine ne peut rien produire qui soit divin. Peu d’âmes sont capables de cette conduite.

C’est pourquoi il est nécessaire que votre maison soit comme une petite étable de Bethléem dans laquelle peu de personnes se trouvent, et où l’on n’entre point que par une invitation et une vocation particulière du Ciel.

20 Octobre 1654 L 2,25 Un abrégé de la voie mystique.

Ma très chère mère [Mechtilde],

Jésus la lumière essentielle60 soit notre unique conduite dans les voies de la sainte oraison.Vous savez bien que notre union en Dieu est si grande, que je ne puis et ne dois vous rien refuser. Je résolut de vous obéir à l’aveugle et faire ce que vous m’ordonnerez, sans aucune réflexion sur mon peu d’expérience et de lumière. Je vous confesse ma chère Sœur, qu’il faut que ce soit la Lumière de Dieu qui fasse connaître les sentiers intérieurs dans lesquels Il veut que nous cheminions pour aller à Lui, et pour posséder la parfaite union. Sans cette grâce spéciale tous les secours des hommes et toutes leurs industries ne servent de rien.

C’est pourquoi il faut demander à Dieu le don d’oraison, et le divin rayon qui va éclairant et touchant l’âme depuis le commencement de l’oraison jusqu’à sa perfection. L’oraison, comme nous en voulons parler, est une élévation de l’âme à Dieu par la force de ses divins attraits. Laquelle outrepassant toutes les créatures extérieures et intérieures la met dans une nudité totale, pour la rendre capable de l’union immédiate et consommée.

Tout le secours que l’on peut rendre aux âmes qui sont déjà gratifiées de la grâce d’oraison est de leur donner de temps en temps quelques petits avis, pour les aider à ne point s’arrêter à ce qui n’est point Dieu. Il est nécessaire que celui qui marche et celui qui conduit, soient favorisés des grâces de Dieu d’une manière particulière. Autrement ils demeureront tous deux en chemin, et n’iront pas jusqu’au point de la consommation parfaite.

Les demandes que vous me faites sont fort générales. Il est difficile d’y répondre précisément, y ayant de grandes distinctions à faire touchant les âmes qui marchent dans les voies d’oraison. Il faudrait un livre entier pour bien décrire toutes choses, et dans une petite lettre comme celle-ci, il ne se peut rien dire que quelques avis en passant. Vous savez mieux que moi, ce que c’est que l’oraison active dans laquelle l’âme a pouvoir d’agir, et agit en effet avec le secours de Dieu, produisant avec liberté plusieurs connaissances et affections. Il semble que Dieu ne fait que la féconder en ce genre d’oraison, et qu’elle est comme la principale agissante.

L’oraison passive est divisée en deux. La première qui est active et passive toute ensemble, c’est à dire où tantôt l’âme agit, et tantôt laisse opérer Dieu en elle. La deuxième est celle qui est passive, et qui ne peut souffrir aucune activité, ayant pour tout appui l’attrait passif de Dieu qui commence à la conduire, ou plutôt à la porter vers Dieu, son Principe et sa dernière Fin. En cet état il faut laisser opérer Dieu, et recevoir tous les effets de sa sainte opération, par un tacite consentement dans le fond de l’âme. L’âme donc qui a expérience de cette conduite passive, se laisse tirer à l’opération divine. Le procédé que tient cette divine opération, c’est d’élever l’âme peu à peu des sens à l’esprit, et de l’esprit à Dieu, qui réside dans le fond61.

Dans toute cette élévation, l’âme expérimente qu’il faut qu’elle soit dénuée toujours d’affection des grâces sensibles, des lumières, et des sentiments; et souvent Dieu, par un trait de sa Sagesse, la dépouille effectivement par des impuissances, des ténèbres, des stupidités, insensibilités que l’on doit souffrir et porter passivement, sans jamais rien faire pour en sortir. Dans ces souffrances, l’âme étant purifiée, est rendue capable d’un plus haut degré d’oraison. Son esprit étant rempli de dons de grâce et de lumières toutes spirituelles et intellectuelles, elle possède une paix admirable. Mais il faut qu’elle soit encore dépouillée de toutes ces faveurs.

Pour cet effet Dieu augmente ses peines intérieures, et permet qu’il lui arrive des doutes et des incertitudes de son état, avec des obscurités en son esprit, si épaisses qu’elle ne voit et ne connaît plus rien. Elle ne goûte plus Dieu, étant suspendue entre le ciel et la terre. Cet état est une suspension intérieure, dans laquelle l’âme ne peut goûter rien de créé ni d’incréé. Elle est comme étouffée, et il ne faut pas qu’elle fasse rien pour se délivrer de ce bienheureux tourment, qui lui donne enfin la mort mystique et spirituelle, pour commencer une vie toute nouvelle en Dieu seul. Vie que l’on appelle d’anéantissement. La force du divin rayon l’ayant tirée hors d’elle-même et de tout le créé, pour la faire demeurer en Dieu seul. Cette demeure et cet établissement en Dieu est son oraison qui n’est pas dans la lumière ni dans les sentiments, mais dans les ténèbres insensibles, ou dans les sacrées obscurités de la foi, où Dieu habite. La fidélité consiste à vivre de cette vie si cachée en Dieu, et si inconnue aux sens, et porter en cet état toutes les peines et souffrances intérieures et extérieures qui peuvent arriver, sans chercher autre appui ni consolation que d’être en Dieu seul. La mort mystique est non seulement continuée, mais augmentée en cet état, et la vie divine prend accroissement.

Les susdites ténèbres de la foi commencent à s’éclaircir, à découvrir à l’âme ce que Dieu est en soi, et tout ce qui est en Dieu. C’est comme la première clarté que le soleil jette sur l’horizon, auparavant même le lever de l’aurore. Cette lumière est générale, tranquille, sereine, mais qui ne manifeste encore rien de distinct en Dieu, sinon après quelque temps passé. En suite de quoi on découvre Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’abîme de la divinité, d’une manière admirable; Le voyant comme dans la glace d’un miroir, l’on voit quelque belle image qui est dans la chambre. Cette vision de Notre Seigneur Jésus-Christ ne se peut exprimer, et les sens ne la peuvent comprendre qu’avec des images sensibles. L’expérience fait goûter que ce n’est point l’image de Jésus-Christ, mais Jésus-Christ même. Autrefois elle a reçu des notions de Jésus-Christ dans ses puissances pleines de faveurs et de clartés. Mais elle connaît bien que ce n’est pas cela dont elle jouit. Pour lors, Jésus-Christ commence à être la vie de son âme et le principe de tous les mouvements et opérations. En suite de cet état elle découvre dans la divinité les mystères de la foi, et de la très sainte Trinité, selon qu’il plaît à Dieu de se communiquer et de révéler ce qui est en Lui. Car ce qui se voit en lumière de gloire en Dieu dans le paradis, se découvre en lumière de foi en cette vie.

Dans le Livre des Contemplations du P. Jean de Saint Samson62, carme, on peut voir tout au long, toute la vie et les connaissances que l’âme a dans cet état. Je le laisse pour répondre à vos petites questions, qui supposé ce que j’ai dit ci-dessus, reçoivent très aisément de l’éclaircissement.

Vous demandez comment l’âme se comporte dans les souffrances extérieures et intérieures, dans les occupations de la journée, dans la sainte Communion, dans les occasions de pratiquer la vertu, et autres choses semblables. Je vous dirai, ma très chère Sœur, qu’il faut porter les dispositions intérieures que Dieu nous donne dans toutes choses, et jamais ne les changer, puisque nous ne sommes plus maîtres de nous-mêmes. Si l’intérieur est ténèbres, ou éclairé, ou souffrant ou jouissant, il faut le garder dans les occupations, et autres occasions extérieures. L’âme qui a expérience de ceci l’entendra bien, et sans expérience il est difficile de le concevoir. Il arrive souvent que l’intérieur est en Dieu, et que les sens sont occupés de tentations. Quelquefois l’intérieur et l’extérieur sont pleins de Dieu. Enfin, c’est une très grande variété qu’il n’est pas possible de déclarer.

Vous dites que vous voudriez savoir si l’âme a des vues de Jésus-Christ, distinctes de ses vertus et de ses états. Je vous répondrai que dans l’oraison active elle en a souvent; que dans la passive elle en reçoit quelquefois d’infuses et de surnaturelles; quelquefois aussi, elle est privée de toute vue; et elle n’a pour tout que les ténèbres de la foi, comme j’ai dit; lesquelles néanmoins lui manifestent Jésus-Christ en obscurité; et dans la vie anéantie elle jouit de Jésus-Christ, comme j’ai dit.

Ce qui embarrasse les âmes, c’est qu’elles s’imaginent n’avoir rien s’il n’est sensible et aperçu. Enfin, pour achever de vous répondre, je vous dirai que l’âme peut avoir des désirs dans l’état anéanti et passif; qu’elle peut prier vocalement; qu’elle peut faire des mortifications réglées; qu’elle se souvient devant Dieu des nécessités de son prochain. Mais c’est par le mouvement de Jésus-Christ qui vit en elle que toutes ces choses se font. Quand Notre Seigneur Jésus-Christ était en la terre, son humanité sainte souffrait, priait vocalement, imaginait, raisonnait, agissait. Ainsi les âmes anéanties et transformées en Jésus-Christ font les mêmes choses sans être séparées de leur union. Au contraire, leur union est la source de tout ce qu’elles souffrent et opèrent à l’intérieur et à l’extérieur.

Voilà tout ce que je puis dire, ma très chère Sœur, premièrement; et cela vous doit suffire au lieu de l’examen que vous demandez que je fasse de votre intérieur. Il faudrait se voir et se parler de bouche pour vous satisfaire plus exactement. Ce sera quand il plaira à Dieu. En attendant, suivons ses divins attraits et laissons-nous aller à leur conduite. Adieu, je me recommande à vos saintes prières.

Janvier 1655 Ne point chercher l’éclat ni la magnificence

Ma très chère sœur, [Mechtilde]

Jésus soit l’unique de nos âmes. Vous ne devez pas douter, ma très chère sœur, que je fasse mon possible pour aller vous voir cet été prochain, et vous entretenir à fond63.

Selon les apparences ce sera la dernière64. Il faut travailler à contenter Dieu et à le glorifier pour arriver là, vous faites très bien ma chère sœur, de ne point chercher l’éclat ni la magnificence pour votre maison, et de ne mettre aucun appui sur les créatures. La pauvreté, l’abjection, et le mépris attire plus Jésus-Christ dans un monastère que tous les autres moyens dont la prudence humaine se sert65.

1655

Janvier 1655 Extrait d’une lettre que Monsieur de Bernières fit à notre vénérable mère

[…] S’il m’était permis de me regarder je serais affligée de son Établissement, me sentant très incapable d’y réussir; mais il faut tout laisser à la divine providence et à sa disposition. S’il veut par là m’établir dans ma propre ruine, j’y donne les mains, sa très sainte Volonté soit faite; je tache de demeurer dans cette maison sans y prendre vie. Je ne sais pourtant pas si je fais bien d’une façon! Qui est de ne point attirer de créatures ni pour le dedans, ni pour le dehors laissant toute chose au courant de la toute amiable providence, quelques-uns me persécutent vivement disant que je ne veux point me peiner; et en font bien des railleries et d’autres le trouvent bon. Or les sentiments des uns et des autres ne me touchent point; car il semblent que toutes les créatures sont plus loin de moi que jamais, et que leur estime ou leur mépris m’est très indifférent. Je voudrais seulement savoir si notre Seigneur agrée que je continue dans cette retraite, sans mettre aucune espérance aux créatures ni en aucune chose de la terre. J’en ai toujours un éloignement et il me semble que je trouve que Dieu seul pour tout appui, et qu’en lui je trouve ma suffisance. Il me semble aussi que je n’ai point d’ambition de faire un monastère de parade, au contraire, je voudrai un bien très petit, ou on ne soit point vue ni connue. Il y a assez de maisons dans Paris, éclatantes, et qui honorent Dieu dans la magnificence; je désire voir que celle-ci dans le silence et l’humilité. Je vous prie de nous en faire savoir vos pensées, aussi bien que sur celles qui m’occupent toujours de sortir de la charge de supérieur, d’en chercher les moyens les plus efficacies qui me seront possibles. C’est ce qui me fait vous supplier de venir à Paris le plus tôt que vous pourrez, étant dans le dessein de consulter plusieurs personnes de probité, de mérite et d’expérience pour faire tout dans l’ordre de Dieu.»

Fin janvier 1655

J’attendais le retour de Mr de Montigny pour vous donner de nos nouvelles, et vous remercier très humblement de celle que votre bonté nous écrit, laquelle nous a fort consolées, mais nous l’avons été par surcroît quand ce bon Monsieur nous assuré que la charité que Dieu vous a donnée pour nous met et conserve un désir dans votre cœur de nous revoir encore une fois avant que de mourir. Je vous supplie mon très cher Frère, que ce soit cette année, s’il se peut, car possible que la Providence pourra bien faire du changement celle qui la suit. Il me semble que ce serait la plus grande et la dernière de mes joies en ce monde de vous revoir et entretenir encore une bonne fois, et autant qu’il m’est permis de le désirer je le désire, mais toujours dans la soumission, car la Providence veut que je ne désire rien avec ardeur. Il faut tout perdre en ce monde pour tout retrouver en Dieu. C’est en lui, mon bon Frère, où je vous trouve et où il me semble de nonobstant que vous soyez perdu en lui, que la charité qu’il a mise en vous pour nous ne s’éteint point et c’est ma joie. Je vous en demande la continuation par Jésus-Christ et que Monsieur Rocquelay nous donne quelquefois de vos nouvelles, je l’en prie instamment, et de nous continuer aussi en notre Seigneur sa sainte union; nous nous sommes bien entretenu des grâces que Dieu opère dans votre saint Ermitage. Plût à Dieu qu’il en voulu opérer de pareilles en ce petit lieu solitaire. Je le supplie de le bien présenter à notre Seigneur et lui demander lumière pour sa conduite. S’il m’était permis de me regarder en cette maison, je serais affligée de son établissement, me sentant incapable d’y réussir, mais il faut tout laisser à la disposition divine; s’il veut par là m’établir dans ma propre ruine et ma destruction, j’y donne les mains; sa très sainte volonté soit faite. Je tâche d’y demeurer sans y prendre vie. Je ne sais pourtant si je fais bien d’une façon qui est de ne point attirer de créatures, ni pour le dedans ni pour le dehors; laissant toute chose au courant de la tout aimable Providence. Quelqu’un m’en persécute, disant que je n’en veux point peiner; d’autres en font raillerie et d’autres le trouvent bon. Or les sentiments des uns et des autres ne me touchent point, car il me semble que toutes les créatures sont plus loin de moi que jamais, et que leur estime ou leur mépris m’est très indifférent. Je voudrais seulement savoir si notre Seigneur agrée que je continue dans cette retraite, sans mettre aucune espérance aux créatures ni en aucune chose de la terre. J’en ai toujours un éloignement et il me semble que je trouve que Dieu seul pour tout appui, et qu’en lui je trouve ma suffisance. Il me semble aussi que je n’ai point d’ambition de faire un monastère de parade, au contraire, je voudrai un bien très petit, ou on ne soit point vue ni connue. Il y a assez de maisons dans Paris, éclatantes, et qui honorent Dieu dans la magnificence; je désire voir que celle-ci dans le silence et l’humilité. Je vous prie de nous en faire savoir vos pensées, aussi bien que sur celles qui m’occupent toujours de sortir de la charge de supérieur, d’en chercher les moyens les plus efficacités qui me seront possibles. C’est ce qui me fait vous supplier de venir à Paris le plus tôt que vous pourrez, étant dans le dessein de consulter plusieurs personnes de probité, de mérite et d’expérience pour faire tout dans l’ordre de Dieu.

2 février 1655 L 2,40 Ce qui attire Jésus dans les monastères.

Ma Révérende Mère,

Jésus soit l’unique de nos âmes. Je ferai tout mon possible pour aller à Paris l’été prochain afin de vous entrevoir encore une fois durant cette vie, puisque cela arrive, ce doit être apparemment la manière; ou parce que la mort nous surprendra, ou parce que la faiblesse de mes os ne me permettra plus de faire voyage. Je le désire, et il me semble que c’est là le mouvement de Dieu auquel j’obéis fort volontiers, étant indifférent d’aller ou de venir. Pourvu que je ne fasse rien par moi-même, je suis satisfait, et ne veux avoir répugnance à rien. Quand sera-ce, ma très chère Sœur, que ce moi-même sera détruit et anéanti en nous? O quel bonheur d’arriver à cet état de mort à soi-même!

Mais c’est un coup qu’il faut prendre uniquement de la main de Dieu seul. Toutes nos industries n’y peuvent arriver. C’est le purgatoire de cette vie d’attendre si longtemps cette grâce; n’étant pas une petite souffrance d’en avoir la lumière de Dieu et de n’en posséder pas l’effet.

Je vous confesse, ma chère Sœur, que c’est une haute fortune qu’une créature puisse en la terre, de sortir de soi-même pour entrer en Dieu, et y vivre de la mesure de Dieu. Ce doit être la fin principale de toutes nos actions et souffrances, lesquelles ne font que disposer l’âme à ce bienheureux état. Même tous les dons, grâces, lumières, mouvements ne sont que pour y préparer. Il faut avoir courage. Mais en vérité l’on a bien besoin d’une grande patience et longanimité, et c’est le moyen de l’obtenir. Je ne vous désire que ce seul bonheur en cette vie, et si nous nous voyons jamais, n’attendez point d’autre discours de moi, que de vous déduire les merveilles d’une âme qui est dans le néant, et qui subsiste en Dieu seul, tant pour vivre que pour opérer.

C’est l’image de Jésus-Christ qui n’a point d’autre suppôt que celui du Verbe divin, et dont la vie par conséquent et toutes les opérations ont été divines. C’est le principe qui fait la grandeur de nos actions et de notre vie. Et c’est Dieu seul qui s’écoulant en nous et nous anéantissant heureusement, nous fait être et vivre de Lui66.

Que les moments d’une triste vie le contentent et le glorifient! Pour arriver là, vous faites très bien de ne pas rechercher l’éclat ni la magnificence pour votre maison, et de ne mettre aucun appui sur les créatures. L’abjection, la pauvreté, la petitesse, le mépris attirent plus Jésus-Christ dans un monastère que tous les autres moyens dont la prudence humaine se sert. Redoublez, s’il vous plaît, vos prières pour moi, ma chère Sœur.

Il me semble que notre Seigneur commence à opérer dans mon fond un grand néant, que je tiens pour une grande miséricorde, dans lequel je goûte et j’expérimente Jésus-Christ vivant et régnant. O. que cet état donne de pureté à une âme, si elle était fidèle! Je vous confesse que quand je rentre dans moi-même, et que la vie de Jésus-Christ reçoit interruption ou division, il me semble que je tombe en enfer, sentant une douleur si cuisante que je ne la puis exprimer67.

La mort naturelle fait beaucoup souffrir en séparant l’âme du corps. Mais l’angoisse est incomparablement plus grande, quand l’infidélité, quoi que par faiblesse, sépare l’âme de Jésus-Christ qui est sa véritable Vie. Comme l’on ne peut être en ce monde sans sentir quelquefois des premiers mouvements en l’état dont je parle, ils font une dure souffrance à l’âme, à cause qu’ils donnent de la diminution à sa Vie divine.

Je ne crois point que l’on sache ce que c’est que de souffrir jusqu’à ce que l’on soit venu à ce point dont je vous parle. Cette division ou séparation de l’âme d’avec Jésus-Christ, quand ce ne serait que pour un moment, est insupportable. C’est dans le fond et l’essence de l’âme que l’on expérimente cette douleur. Car comme Jésus-Christ est la Vie essentielle, Elle subsiste en l’essence de l’âme, et c’est aussi cette même essence qui reçoit la peine, le tourment de la séparation. Il ne faut pas se tourmenter et s’affliger de cette misère, car Dieu seul fait le tourment. Et ni la créature et quiconque n’en a pas l’expérience, ne peut pas savoir ce que c’est. Je ne sais pourquoi je m’emporte à vous déduire cette peine. C’est sans doute que je la sens par des petits intervalles, et que l’on ne parle que de ce qui touche.

O Que c’est une douce et heureuse chose, que la jouissance seule et véritable de Jésus-Christ en Dieu, quoi que par le moyen de la lumière de la foi! Et c’est le Paradis de cette vie. Mais au contraire que c’est une dure chose que de souffrir la séparation de Jésus-Christ que l’on possédait dans le fond de son âme! Et c’est l’enfer de ce monde. C’est pourtant un enfer qui devient purgatoire pour retourner en la possession de cet heureux état de vie en Dieu. Puisqu’après quelque temps ou quelques heures, Notre Seigneur a pitié de sa créature et lui redonne par une bonté infinie la Vie qu’elle avait perdue.

Mais l’on doit avoir grand discernement pour introduire les âmes en l’état dont je viens de parler, et un don spécial de Dieu qu’Il peut faire quand Il lui plaît. Mais pour l’ordinaire, Il ne se donne que pour récompense de la longue fidélité de l’âme à pratiquer les vertus tant intérieurement extérieurement.

Vous voyez par là, ma chère Sœur, qu’il faut que celles qui commencent la vie spirituelle travaillent longtemps à se fortifier par de bonnes et saintes activités. Et les religieuses doivent être fort soigneuses de pratiquer leurs règles. Elles mèneront par là d’arriver à la passivité. L’on peut les encourager par l’espérance de parvenir un jour à l’union passive avec Dieu. Mais en attendant, il faut qu’elles exercent l’oraison active en pratiquant toutes sortes de vertus.

Prenez aussi garde, s’il vous plaît, que l’exercice de la Présence de Dieu est fort bon. Mais il est de deux manières. La première, quand par la foi l’on connaît Dieu présent au commencement de l’oraison. Et elle sert pour recueillir l’âme et la disposer à bien faire oraison. Mais on quitte cette présence pour passer aux considérations et affections. La seconde manière est quand cette présence de Dieu nous est découverte par la foi, non seulement pour commencer notre oraison, mais aussi pour la continuer, puisqu’alors elle est à notre esprit une source de lumière et de serments qui l’occupent durant le temps de l’oraison. Quand on reconnaît cette grâce, il faut la recevoir et s’y rendre attentifs.

Il y a une autre sorte d’exercice de Présence de Dieu où l’oisiveté est à craindre. C’est quand nous ne voulons en l’oraison que cette seule Présence de Dieu, croyant à la bonne foi qu’elle nous doit suffire, et ainsi l’on s’en contente, demeurant dans une grande nudité. Cette nudité est en effet quelquefois de l’Esprit de Dieu. Souvent aussi c’est un effet du notre propre, qui ne veut point prendre d’objet en l’oraison, croyant qu’il n’en a pas de besoin. Je sais bien que la Sagesse divine met en l’âme prévenue de Dieu passivement cette contemplation nue en soi. Mais je sais bien aussi que l’on s’y peut tromper, et qu’il faut en cela suivre la direction d’une personne expérimentée.

J’ai vu des âmes, lesquelles m’ont dit n’avoir pour leurs oraisons que leur néant. Mais je craignais beaucoup que ce ne fut un certain néant que notre esprit forme et prend pour objet, et non pas un néant mystique que Dieu communique à l’âme et qui est le principe de ses opérations.

Pour prendre ceci, vous devez savoir que les âmes s’anéantissent par activité. Et pour elles, ce n’est pas par la force de l’action de Dieu qu’elles sont réduites au néant. Et ainsi elles ne sont pas capables de demeurer en Dieu sans moyen, ni de le contempler comme font les âmes que Dieu y conduit d’une manière particulière. Et Lui seul est le moyen et la fin. Il n’importe pas, ma chère sœur, en quel degré d’oraison l’on soit, pourvu que Dieu nous y mette. Il faut que l’âme soit fort fidèle à se tenir dans l’ordre de Dieu.

Dans le paradis les esprits bienheureux se contentent du degré de leur béatitude, chacun dans l’ordre de la hiérarchie céleste où ils sont placés. Dans l’Église militante, il y a différents degrés de grâce. Il faut se contenter de ce qu’il Lui plaise nous élever plus haut. Et que l’on ne doit pas croire, que par conduite.

27 Septembre 1655 L 3,27 Demeurer en Dieu et y vivre c’est un Paradis.

Monsieur, [Henri-Marie Boudon]68

Jésus soit notre unique vie pour jamais.

J’ai fait un voyage à la campagne, qui m’a tiré de ma solitude extérieure69.

Notre Seigneur néanmoins m’a fait la miséricorde de me consoler dans l’intérieur. C’est à dire dans le fond de mon âme, ou plutôt dans Lui-même qui étant le Centre de sa petite et chétive créature, ne permet pas qu’elle puisse en sortir facilement si ce malheur-là lui arrive, comme cela ne se fait que trop souvent. Oh! M. quelle souffrance! Comme la demeure dans le Centre qui est Dieu même est dans une profonde paix et une union admirable, la sortie en est fort pénible, amère au-delà de ce qui se peut penser. Toutes les croix qu’on a souffertes, soit au corps, soit en l’âme, ne sont rien en comparaison de celle-ci. Plus les faveurs et les dons de Dieu sont grands en un intérieur, plus ses défauts et ses infidélités sont suivies de souffrances. Demeurer en Dieu et y vivre c’est un Paradis; d’en sortir, c’est un enfer.

Dans l’état du fond tout y est au-delà de l’expression, n’étant pas possible de dire ni de penser ce que l’on expérimente. Quand Dieu Lui-même vient dans l’âme, ou plutôt qu’Il abîme en Lui au-delà de tous ses dons et de ses grâces aperçues et perceptibles, la pauvre âme ne peut rien dire, sinon qu’elle possède un bien qu’elle ne peut expliquer. Il ne faut pas aussi s’en mettre en peine. L’unique soin, si l’on en doit avoir en cet état est de se laisser perdre et abîmer en Dieu, puisque la mesure de sa perte et de son abîmement est le degré de sa perfection. C’est une petite goutte d’eau qui s’abîme dans la mer et qui s’y étant perdue, devient la mer même.

Vous ne devez point douter que Notre Seigneur ne vous donne non seulement la lumière de ce divin état, mais encore sa réalité. Je remarque par votre dernière, que votre âme commence à l’expérimenter. Je sais bien qu’elle n’est pas dans la perfection ni dans la consommation. Il y aura encore beaucoup de morts à souffrir, et d’angoisse à porter. Mais prenez courage; c’est une grande faveur d’avoir le don et de commencer d’en faire l’expérience. Ne vous étonnez pas s’il paraît à votre esprit humain souvent comme une rêverie. L’âme cachée en Dieu habite des ténèbres et une obscurité divine, que notre esprit ne peut pénétrer, sinon par quelque petite lumière distincte, qui lui est communiquée. Mais quand Dieu ne le permet pas, il demeure dans un aveuglement et une incertitude extrême. C’est la conduite de la divine Sagesse en ce monde qui est la région des misères et des souffrances. Au Ciel, la certitude de la lumière ne cessera jamais. Mais il n’importe pas. Dieu s’écoule aussi bien au milieu des ténèbres qu’au milieu des lumières. L’âme expérimente aussi bien que c’est Dieu et non point ses dons, que si elle est dans la jouissance ou dans la clarté.

1656

3 Janvier 1656 L 3,13 Comme une rivière dans la mer

Ma très chère sœur [Mechtilde],

Jésus-Christ soit notre unique vie. Je viens de recevoir vos dernières qui me consolent beaucoup, apprenant de vos chères nouvelles. O que Notre Seigneur vous fait de miséricordes de vous donner un désir continuel de vous perdre et vous abîmer en Lui! c’est le seul ouvrage de sa main, car Lui seul nous retire de tout le créé et de tous les moyens humains, pour nous unir à Lui d’une manière inexplicable, mais néanmoins véritable et réelle.

Je sais bien qu’il faut qu’Il soit venu en vous, ma très chère Sœur, afin d’y opérer un grand mystère dans le fond de votre intérieur. Votre état présent marque qu’Il vous a fait cette grâce, puisque vous avez un dégoût universel de tout ce qui n’est point Lui; que vous aimez le silence et que vous fuyez la conversation autant qu’il vous est possible. Les angoisses que vous portez d’être avec les créatures font bien voir, que vous avez trouvé le Créateur et que toute votre oraison doit être de demeurer en Lui, afin que Lui-même vous perde en lui de plus en plus. Quand Monsieur [Henri-Marie Boudon] vous a écrit que Dieu n’était pas encore venu en vous, il entendait cela d’une manière qui a besoin d’explication.

Pour cet effet nous prendrons la comparaison d’une rivière, par exemple la Seine. Laquelle va continuellement pour se perdre en la mer, mais quand elle en approche, la mer par un flux vient comme au-devant d’elle pour la solliciter de se hâter de se perdre. Et puis quand elle est arrivée à la mer, alors on peut dire qu’elle est véritablement perdue, et qu’elle n’est plus puisque la mer seulement paraît70.

Ainsi l’âme dans la voie active intérieure tend à Dieu. Elle le fait encore dans la voie Lui-même s’insinue et s’écoule dans le canal de ses puissances, pour les attirer plus fortement et les abîmer dans son infinité. Et alors l’âme est toute perdue et comme anéantie, car Dieu seul vit et opère en elle. Or, ma chère Sœur, nous demeurons tous deux d’accord que Dieu est venu en vous par un écoulement secret qu’Il fait de Lui-même dans vos puissances. Mais si vous êtes fidèle, Dieu vous fera la grâce de vous abîmer en son immensité. Pour lors la communication essentielle ne sera plus limitée; de sorte que vous voyez bien que Monsieur N. ne vous a rien dit qui soit contraire à votre expérience.

Votre cœur sentant fort bien qu’il est en Dieu, laissez-vous mourir et anéantir de plus en plus, et vous arriverez un jour à ce dernier état de consommation. Il faudra bien porter des états de morts et se souffrances auparavant, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cependant ne vous mettez en peine de rien, que de laisser faire Dieu. Il fera tout bien, et pourvoira à tout.

J’ai grande consolation de savoir que votre âme tend à l’état dont je parle. Il vaudrait mieux s’en entretenir de vive voix que par écrit. Néanmoins le mieux est encore de se taire, afin de laisser parler la Parole Eternelle, qui fait Elle seule cet admirable anéantissement caché aux sages et prudents, et révélé aux petits. Ceci paraît chimère à qui n’a point d’expérience. Et comme c’est un don de Dieu tout pur, il faut attendre qu’il nous fasse cette miséricorde, en patience et longanimité.

4 Août 1656 L 3,58 Quand le soleil éternel se lève au fond de l’âme.

Monsieur, [Henri-Marie Boudon]

Jésus soit notre tout pour jamais. Vous m’avez obligé de me donner avis de la douleur de [Mechtilde]. Dieu qui la veut toute à Lui, ne la laissera jamais sans peine. Si elle était en repos, elle s’attacherait trop aux créatures.

Il est difficile de jouir de Dieu et n’être pas dans un dépouillement général de toutes choses. Jésus-Christ ne peut vivre en nous que nous ne soyons perdus en Lui. Et nous ne pouvons être ainsi perdus, qu’après avoir souffert et expérimenté une infinité d’angoisses intérieures et extérieures. Lesquelles nous conduisent peu à peu au bienheureux anéantissement. Qu’heureuse est l’âme qui a la lumière de ce divin sentier et qui se laisse consumer et anéantir à Jésus-Christ pour être transformée en Jésus-Christ même!

Ce Soleil éternel, quand Il se lève dans le fond de notre âme, abîme les ténèbres de notre propre être et de nos opérations dans son infinie lumière71; et les anéantissant, Il les transforme en Lui.

C’est une grâce inconcevable que de connaître seulement l’entrée dans cet état essentiel. Soyez-y bien fidèle en la manière que vous expérimentez et que je ne puis exprimer. Nous sommes si confirmés Monsieur [Jean de Rocquelay] et moi, et, si je l’ose dire, si éclairés sur cette voie essentielle qu’en vérité le jour ne nous paraît pas plus jour, que cet état nous paraît vrai. C’est la source de tous biens à une âme. Il n’y a rien à faire qu’à se laisser anéantir et ne s’appuyer sur rien de créé, puisque l’on ne peut trouver Dieu qu’après avoir perdu toutes choses. Pour mon particulier, il m’est donné des manifestations si claires de Jésus-Christ, que je ne puis rien dire, sinon que Jésus-Christ est Jésus-Christ; et que c’est une béatitude de le connaître. Mon âme reçoit un si puissant attrait pour me perdre en Lui, qu’en vérité le moindre détour me fait une peine insupportable. Et je ne puis comprendre comme l’on peut vivre sans tendre continuellement à ce divin Centre.

20 Novembre 1656 L 3, 36 Tous fondu en Jésus.

Ma très chère sœur, [Mechtilde]

Jésus soit notre mort, notre vie, notre néant et notre tout. Nous avons vu avec consolation le changement intérieur qu’il a plu à Notre-Seigneur vous donner72. C’est sans doute une faveur spéciale, sur laquelle il lui faut rendre actions de grâces extraordinaires. C’est un don précieux et qui vaut mieux que tout ce que votre âme a reçu jusques à présent. Enfin, c’est Dieu lui-même qui se donne dans le fond de votre âme en vérité et réalité, d’une manière qui ne se peut exprimer, bien que vous en ayez l’expérience. C’est cette expérience qui doit être maintenant votre oraison et votre union avec Dieu73.

Vous concevez bien que cette divine union ne se fait plus comme auparavant que votre état fut changé. Car elle se faisait par le moyen des lumières, des ferveurs de grâces et de dons que vos puissances recevaient de la bonté de Dieu, et dans cette jouissance vous Lui étiez unie. Et s’il arrivait que Notre Seigneur vous mît dans la privation, dans les obscurités, stérilités et les peines intérieures, votre union pour lors se faisait par la pure souffrance et dans un état pénible. À présent Notre Seigneur vous a élevée au-dessus de toutes ces dispositions créées, lesquelles quoi que très bonnes et saintes, sont néanmoins finies et limitées. Et ainsi ne peuvent donner qu’une participation bornée et petite, en comparaison de celle que l’on expérimente dans la pente de soi-même en Dieu74.

C’est cette heureuse perte qui nous tire de nous-mêmes et jetant notre propre être et notre vie dans l’abîme infini, le transforme en Dieu et le rend tout divin, lui donnant une vie et une opération toute déifiée75. Nous avons des joies très grandes de vous savoir arrivée à cet état. Vous voyez le chemin qui a précédé, combien il est long et difficile, et combien une âme est obligée de rendre grâces à Notre Seigneur, de lui découvrir le sentier du néant dans lequel en se perdant soi-même l’on trouve Dieu. Jouissez à la bonne heure du bonheur que vous possédez.76.

Mais sachez que vous n’êtes encore qu’au commencement de la vie anéantie, et que la porte vous vient seulement d’être ouverte. Y étant une fois entrée, ne tournez plus en arrière.77.

Mais persévérez pour vous laisser confirmer à ce feu divin qui ne cessera jamais de vous anéantir, si vous ne vous retirez point de sa divine opération. La comparaison d’un feu consumant exprime très bien le degré où vous êtes. C’est le propre de Dieu de réduire non seulement sa créature à la petitesse, de la brûler jusques à la rendre cendre et poussière. Mais même il la réduit au néant78.

Il est réservé uniquement à sa toute puissance aussi bien de perdre les âmes dans le néant mystique, que de les tirer du néant naturel par la création. C’est ici où commence la théologie mystique cachée aux sages et aux prudents, et révélée aux petits.

Pour tout conseil nous vous disons que vous vous mêliez le moins que vous pourrez de votre anéantissement, puisque les efforts de la créature ne peuvent aller jusque-là. Il faut qu’ils succombent et que Dieu seul opère d’une manière ineffable. Il y a seulement dans le fond intérieur un consentement secret et tacite. Que Dieu fasse de la créature ce qu’il lui plaira. Vous goûterez bientôt ce que c’est que le repos du centre, et comme on jouit de Dieu en Dieu même.

Vous expérimenterez aussi l’insuffisance de toutes les créatures et de tous les moyens créés, quelque saints et excellents qu’ils soient, pour vous avancer dans le bienheureux anéantissement; lequel on ne possède pas si tôt en réalité totale, mais partie en réalité et partie en lumières intellectuelles. Je veux dire que la lumière en est donnée aux puissances, et puis la réalité se communique peu à peu. C’est comme les fleurs qui précèdent le fruit, lesquelles tombent et le fruit croît imperceptiblement, et non pas tout d’un coup.

Il vous arrivera la même chose. Votre propre être, votre vie, et vos opérations, vos inclinations, vos sentiments et vos souffrances ne seront pas si promptement changés avec celles de Jésus-Christ. Il faudra encore bien souffrir des morts et des angoisses, et ne vous en étonnez pas. Car c’est le procédé de Notre Seigneur Jésus-Christ, de ne changer les créatures en Lui-même, que par plusieurs tribulations. Mais courage! Il vous a fait trop de miséricordes pour ne vouloir pas continuer.

Votre intelligence est sans doute vraie de dire que Saint Paul semble n’avoir pas dit assez, en disant, que la vie doit être cachée en Jésus Christ, et qu’il faut qu’elle y soit perdue. Ce divin Apôtre l’entendait de la sorte puisqu’il disait qu’il ne vivait plus, mais que Jésus-Christ vivait en lui79.

Nous revenons au Divin Feu qui vous va anéantissant. Il consumera toutes choses, et souvent jusqu’à l’expérience perceptible; c’est à dire, la vue, et le sentiment de votre anéantissement. De sorte que vous vous trouverez dans un état si perdu que vous n’y connaîtrez rien, et le démon se servira de votre esprit humain, pour vous persuader que vous perdez le temps et que vous êtes inutile. Pour lors, tenez ferme, et ne cherchez pas de lumières, ni d’assurances. Plus vous serez réduite à cette extrémité, plus votre perte en Dieu s’augmentera80.

Donnez-nous quelquefois de vos chères nouvelles, et ne doutez jamais de notre sincère affection. Notre plus grand désir est qu’un jour nous soyons tous fondus en Jésus. C’est la béatitude de cette vie, et de l’autre. Adieu en Dieu.


Novembre 1656 L 3,37 Le procédé simple et pauvre de Jésus-Christ

Ma chère sœur, [Mechtilde]

Jésus soit notre tout pour jamais.

Nous vous envoyons la lettre de [Marie de Châteauvieux]. C’est une petite réponse au changement d’état qui lui est arrivé. Nous remercions Notre-Seigneur des grâces qu’il vous fait à toutes deux1.µ


N’ayez point de réserve l’une à l’autre. Jésus-Christ votre Époux le veut de la sorte. Je ne doute point que son dessein ne soit de vous consommer toutes en Lui. Nous espérons être de la partie et qu’il nous fera aussi cette miséricorde. Tout de bon, nous ne connaissons guère d’âmes avec lesquelles nous soyons unis de la manière que nous le somme avec les vôtres. Ce sont des providences de se rencontrer et de se trouver les uns les autres sans souvent se chercher. Nous sommes bien d’avis que vous achetiez une place pour bâtir. Mais nous craignons extrêmement que vous ne bâtissiez pas à la simplicité et «à la capucine». Et si vous faites autrement vous vous perdrez, et l’intérieur et l’extérieur. Tout le monde sera contre vous, et amis et religieux, et vos religieuses même. Et peut-être vos supérieurs. Car tout le monde ne comprend point le procédé simple et pauvre de Jésus-Christ. Au nom de Dieu, prenez garde à ce que nous vous disons. Nous ne doutons quasi point que vous vous laissiez tromper. Vous seriez bien infidèle.

1657

23 Janvier 1657 L 3,15 De l’anéantissement mystique.

Ma très chère mère, [Mechtilde]

Pour ce qui vous regarde, nous n’avons rien à dire, sinon que nous remarquons que l’esprit de Jésus-Christ veut anéantir le vôtre pour se mettre en sa place, et devenir la vie de votre vie et le principe de tous vos mouvements tant intérieurs qu’extérieurs. C’est la plus grande grâce que l’on puisse recevoir en la terre, et c’est où vous devez tendre, consentant volontiers de tout perdre pour posséder cet heureux trésor81. Cela ne se fait que par une expérience, par laquelle on goûte que le fond de notre âme est plein de Dieu. Dans lequel on trouve sa vie, son centre et son repos, et hors duquel il n’y a pour l’âme qu’inquiétude, douleur, et misère.

Vous avez raison de dire que tout votre bonheur est de rentrer dans votre fond, ou plutôt dans Dieu même. Cela est très vrai et tout réel et non imaginaire. Mais tâchez d’y demeurer et de ne sortir jamais, demeurant toute passive et abandonnée. Les tentations, les persécutions, et abandonnements des créatures ne vous ôteront pas ce divin état puisque vous savez mieux que nous qu’il se conserve dans la perte de tout ce qui n’est point Dieu. Ne vous étonnez pas si vous vous sentez stupide et insensible, comme vous marquez dans votre lettre, quand vos amis vous quittent. Si vous avez Dieu, vous avez tout, et rien ne vous peut manquer.

D’où vient aussi que vous ne vous mettez plus en peine d’être assurée de votre état? Votre seul appui est Dieu, et il n’est pas difficile de comprendre comme les créatures ne servent pas beaucoup, lorsqu’il plaît à Dieu de se donner Lui-même et de nous aider d’une manière essentielle. Nous trouvons la lumière de l’état dont vous nous parlez dans votre lettre fort bonne, et nous croyons que vous en avez aussi la réalité. Il ne faut pas pourtant se tromper, car souvent la lumière que nous avons dans nos puissances d’un état anéanti, est bien plus grande que la réalité du même état; laquelle ne se communique que peu à peu et en expérimentant plusieurs morts et anéantissements. Au contraire, la seule lumière paraît comme dans sa perfection, et montre la vérité et totalité d’un état qui ne se donne pas si promptement.

Les fleurs d’un arbre s’épanouissent fort facilement et promptement, mais le fruit n’est produit qu’avec le temps. Ceci vous doit servir de précaution, pour ne pas croire que vous soyez dans toute l’étendue de l’anéantissement que vous voyez et goûtez, puisque la formation réelle de Jésus-Christ ne se fait que dans la réelle souffrance, la réelle abjection, et la vraie mort de soi-même. Vous concevrez mieux cette vérité que nous-mêmes. Elle est d’importance dans la voie mystique, dans laquelle on s’abuserait aisément si nous ne savions que la seule mort donne la vie, le néant, le tout, et la nuit obscure de toutes sortes de privations de créature, la Lumière éternelle qui est Jésus-Christ. Vous êtes heureuse d’avoir vocation à cette grande grâce, prenez courage.

9 Avril 1657 L 3,35 T Qu’il accomplisse en vous sa volonté

Madame, [Marie de Châteauvieux]

Jésus soit notre tout pour jamais. J’ai fait réflexion sur ce que vous me mandez dans votre dernière de vos entretiens ordinaires dans l’oraison, et je les trouve fort bons puisque la grâce vous porte à ne point raisonner, mais à une occupation simple sur quelque vérité. Continuez, à la bonne heure! cette manière d’oraison est excellente, et qui produira de bons effets dans votre âme. Vous avez fort bien fait de garder la liberté pour prendre divers sujets, selon que l’Esprit de Dieu vous l’aura fait goûter. Je remarque de l’avancement en votre oraison, et si votre volonté demeure détachée des choses du monde, et que votre âme désire de s’en détacher toujours de plus en plus, j’espère que tout ira bien chez vous, nonobstant les idées importunes qui remplissent quelquefois votre esprit, et les craintes que vous avez de n’être pas assez fidèle. Vous penchez toujours un peu du côté du scrupule et de la timidité. Tournez votre âme du côté de la confiance en Dieu et d’une sainte assurance et espérance, qu’il ne vous rebutera pas pour vos misères et pauvretés82. Et ne manquez pas de le prier souvent qu’il accomplisse en vous sa sainte volonté.

9 Avril 1657 L 2, 24 Quand Jésus-Christ vit en nous

Ma très chère mère, [Mechtilde]

Jésus soit notre tout pour jamais. Je vous demande pardon, si nous avons été si longtemps à vous répondre. Je pensais y engager Monsieur N. comme plus éclairé et expérimenté que moi dans les voies de Dieu. Mais il est maintenant si perdu dans un état de petitesse et d’enfance spirituelle, qu’il ne peut donner aucun avis et éclaircissement qu’il ne souffre beaucoup, craignant que cela ne soit contraire au degré de grâce que Jésus-Christ lui communique à présent.

J’ai été contraint de me charger moi seul de cette réponse, laquelle je tiens de grande conséquence pour votre conduite intérieure. Je n’ai pas de capacité, ni de lumières, mais la nécessité m’y contraint. Et puis, ma chère Sœur, n’y ayez égard qu’autant que vous voudrez. J’ai bien remarqué dans vos lettres l’état de stupidité et de destitution d’esprit que vous décrivez assez au long avec les effets et les suites qu’il produit dans votre âme. Permettez-moi de vous dire en toute liberté, que dans l’état où vous êtes, l’Esprit de Dieu sans doute y opère.

Mais c’est dans un fond naturel épuisé et abattu du peu dormir et du manger, jetant votre ordinaire de ne pas assez soutenir votre corps83. Toutes les grâces que Dieu nous donne sont reçues selon la disposition où nous sommes84, et Dieu ne fait pas toujours un miracle pour appuyer notre nature qui n’est pas suffisamment soutenue par la voie ordinaire. Les ténèbres, les stupidités, les impuissances intérieures proviennent souvent de cette source. C’est pourquoi il faut y remédier autant qu’il est possible. Une nourriture meilleure que celle que vous prenez vous ferait selon mon petit avis, nécessaire, et vous ferez plus capable de rendre service au prochain en faisant les exercices de religion, et votre esprit aurait plus de vigueur dans le commerce avec Dieu.

Si Notre Seigneur vous dispense de cette règle ordinaire par un miracle continuel, je n’ai rien à vous dire! Sinon que vous continuiez votre manière de vivre corporelle et spirituelle, et que vous vous teniez abandonnée dans les états où il vous met, souffrant les destitutions, les ténèbres et les impuissances que vous expérimentez, car vous ne sauriez faire autrement. Vous trouverez peut-être ma réponse un peu raide. Mais je vous supplie de croire que je vous dis les choses comme je les ai dans l’esprit. Car je crois que si votre nature est un peu fortifiée, votre esprit en serait plus vigoureux pour souffrir les opérations de Dieu.

Prenez néanmoins courage, car je ne doute point que Notre Seigneur ne vous appelle à la mort mystique dans laquelle l’on possède Dieu hors de soi-même. Pour lors l’âme est ravie en Dieu par une extase admirable, qui ne se ressent point dans les sens, ni dans les puissances, mais qui s’opère seulement dans le pur fond de l’âme. Et c’est en quoi consiste la vie mystique ou divine : quand Jésus-Christ vit en nous et que nous ne vivons plus, qu’il opère en nous et que nous n’opérons plus qu’en lui.

Pour arriver à cette mort dont je parle, il faut traverser des voies et des passages pénibles et difficiles, où l’esprit meurt peu à peu, sans qu’il contribue lui-même à se faire mourir.85.

C’est Dieu seul qui fait cet ouvrage. Nous ne devons point y ajouter ni diminuer. C’est pourquoi je vous ai dit auparavant, qu’un corps trop abattu cause souvent des peines que Dieu ne fait pas. L’on en peut faire usage de vertu, mais ce ne sont pas soustractions et anéantissements purement de l’Esprit de Dieu, et ainsi ils ne peuvent ensuite nous anéantir.

Je goûte fort cet abîme d’abjection et de pauvreté intérieure dont vous parlez dans vos lettres. Ce goût marque votre vocation à l’état d’anéantissement. Ce qui me confirme dans cette pensée est que vous êtes préparée à souffrir tout ce que la divine Providence permettra vous arriver touchant votre établissement86, et que les changements de Madame M. ne vous font point de peur, ou les autres accidents qui surviennent ordinairement.

Aussi, ma chère Sœur, vous n’avez rien à craindre que l’infidélité ou l’imperfection volontaire. Tous les accidents du dehors aideront beaucoup à vous anéantir au dedans de votre intérieur. Et si vous voulez me confesser la vérité, ma lettre vous aura surprise. Je vous puis assurer que nous avons tout l’amour et tout le zèle que l’on peut avoir pour la perfection de votre âme, et que si nous savions quelque autre chose qui vous put arrêter, nous ne maquerions pas de vous en avertir.

Ce n’est pas que vous n’ayez un fond de corruption que tout le monde peut appeler son soi-même qui ne se détruira pas si facilement. Dieu seul le fait peu à peu après plusieurs années de fidélité. Mais comme cette misère est commune quasi avec toutes les âmes qui travaillent à la perfection, je ne vous en dis rien de particulier, sinon que sans vous décourager, vous demeuriez abandonnée et exposée à Dieu, afin que lui-même aille consumant ce misérable fond, et qu’il y mette son être infini en sa place. Adieu en Dieu.

Annexes.

Analyse des Totum [Mectilde] I II II.odt

Je souligne les sources de lettres dont certaines sont reprise supra.

Totum I

Présentation dimensionnée (DT)

« Ame offerte » 7

Etudes par Letellier - OdonHurel – Andral – Daoust

V Lettres autographes 58 (32 pages)

Ecrits Châteauvieux 90

« Amitié » 137

Le Bréviaire 147

Lettres à la comtesse de Chateauvieux 168 (109 pp intérêt ?)

« Daoust » 277

Vie de Catherine de Bar 278

Doctrine spirituelle (mère Marie-VéroniqueAndral) 292

Conférences 306

« Documents historiques » 315

[présentations]

I II Mémoires 333

III Ecrits 364

IV Mémoires (suite, dont 7 lettres) 390

V

Annexes (au nb de 26 ! nbreuses lettres) 441

« Ecoute » 463

Note préliminaire (établissement d’un Fichier Central) 469

[pièces avec nos FC] 472

fin 554



Totum II

! 2161 kcse

Présentation (DT dim. T I II III - résumés estimés des T I II.

« Inédites » 6

[pièces]

page 31 = réviser la suite !

Lettres inédites 66 (206 pp)

« Itinéraire spirituel » 267 [V. Andral]

Introduction puis trois grandes étapes

« Origine des recueils de Conférences » [M.-V. Andral, ajout] 374

« Entretiens familiers » [Sœur Castel] 383

« Pologne » 432

Préface - Une fondation bénédictine en Pologne au XVIIe s.

Lettres

II ...récit de voyage 452

III Histoire du monastère de Varsovie 1687-1962 477

IV Lettres 1687-1697 483 (74 pp)

V … R. de Beauvais 558

VI Fondation du monastère de Rome 1702-1708 570

VII à IX ...Lwow 578

X Stanislas Leszczynski 620

Annexes 662

Tables 696

fin 716

Totum III

2699 kcse

Présentation (DT identique à T II)

« Rouen » 6

Histoire et

lettres (100 pp env.)

Prieures depuis fondation 262

« Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde » (DT) 286

Ouverture

Mectilde 291

Des « Aînés directeurs » 295

Conférences et Entretiens 331

Compagnes et Compagnons 358

Une amie et des moniales 386

Relations et Influences 418

Histoire des Transm issions 422

Annexes, Index et table 429

Correspondance avec Bernières 434 (E. de Reviers)

Tome I

Lettres et Maximes 437 (154 pp env.)

Tome II 508

fin 591



> Lettres = T {32+109+?+206+74+100+ 154 = 675 pages A4 (un tome ; doublons et ajouts doivent se compenser)

Dimensionnements

1500 pages A4

6 853 000 car sans espaces

soit ~4500 car / page A4

page nbp date L


Avertissement

16

Ame offerte

page nbp date lettres

16 84 98 [1998] L-

Ecrits Châteauvieux 98 50 65 L-

Amitié Châteauvieux 148 182 89 L

Documents historiques 330 151 79

Ecoute 481 88 88

Inédites 569 169 76 L

Itinéraire spirituel 738 68 97-

Origine des recueils de Conférences [M.-V. Andral] 806 7

Entretiens familiers [Sœur Castel] 813 32 84

Pologne 845 180 84 L

Rouen 1025 180 77 L-

Collection MECTILDIANA 1205 1

Les Amitiés Mystiques de Mère Mectilde 1205 155 17 [2017]

Correspondance Bernières 1360 135 16 L

Fin 1495




Table avec titres de lettres



Table des matières

Correspondance choisie de 3

Mère Mectilde 3

Un choix par Dominique Tronc à partir des éditions au sein de l’Ordre et de la Correspondance de Bernières 3

Ce dossier de travail complète les Correspondances de direction précédemment constituées de Bernières, Bertot, Guyon, Fénelon, par celle de leur compagne Mectilde. 3

Présentation 4

Des lettres autographes 8

A Monsieur Henri-Marie Boudon le 2 septembre 1652 8

Au Révérend Père Prieur [Saint-Germain-des-Prés] 12

A Mère de la Nativité [au monastère Notre-Dame de Liesse 3 décembre 1680] 13

A une religieuse de l'Institut [ décembre 1685] 14

A une religieuse de l'Institut [4 may 1691] 16

A une religieuse du monastère de Saint-Louis à Paris [Samedy 5 de l'an 1692] 18

A Mère Saint-Placide/1. du Monastère [de Saint-Louis à Paris 17 octobre 1693] 20

A la Révérende Mère François de Paule Monastère de Saint-Louis au Marais [30 avril 1697] 22

Mère Mectilde et Mère Anne [Loyseau] 24

[récit des derniers mois publié par les archivistes de Rouen sous ce titre en section VI d’« Âme offferte »] 24

Lettre de la Mère Mectilde du Saint-Sacrement à une de ces âmes peinées [P101] 36

« Bréviaire » de la comtesse de Chateauvieux 42

[Lettres choisies et ordonnées par la destinataire] 42

INSTRUCTION SUR LE SAINT BAPTEME 42

n° 1946 44

RENOUVELLEMENT DE LA PROFESSION QUE NOUS AVONS FAITE AU SAINT BAPTEME 45

n° 2408 47

DE LA CONSECRATION QUE JESUS-CHRIST FAIT DE NOS AMES AU SAINT SACREMENT DE BAPTEME 47

n° 996 52

DE LA SAINTETE DIVINE 52

n° 88 56

108 56

SUR LA CREATION DE L'AME 56

n° 3117 58

C’EST PAR LA FOI QUE L'ON CONNAIT DIEU 58

N° 1391 63

DES EFFETS DE LA FOI 63

N° 884 64

COMME IL FAUT OPERER EN FOI 65

n° 1435 67

« CONTINUATION POUR OPERER EN FOI » 68

n° 9 69

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS D'ETRE A JESUS-CHRIST, REVETUES DE JESUS-CHRIST, ET DE FAIRE TOUTES NOS ACTIONS POUR JESUS-CHRIST 70

n° 674 77

COMMENT L'ON DOIT SERVIR LES MALADES 78

n° 353 79

AFIN D'HONORER DIEU PAR NOTRE OBEISSANCE « Dieu et rien de plus ! » 80

N° 1873 81

DE LA NECESSITE QUE NOUS AVONS DE CONNAITRE JESUS-CHRIST ET QUE LES ATTRIBUTS DE DIEU AIDENT BEAUCOUP A LE CONNAITRE EN PURE FOI 81

n° 2054 91

COMME L'ON DOIT SE SACRIFIER EN QUALITE DE VICTIME /126 91

n° 3146 93

CE QUE C'EST QUE PUR AMOUR ET DE SES EFFETS 93

N° 1014 [= référence du passage précédent] 96

POUR LAISSER REGNER LE PUR AMOUR, IL FAUT ETRE ABANDONNEE A TOUTES SORTES D'ETATS ET DE DISPOSITIONS 96

n° 3057 et 3098 à partir de : vous me laissâtes hier l'esprit occupé de votre douleur. 102

REGLEMENT EN FORME DE JOURNAL SUR LES ACTES LES PLUS IMPORTANTS DE LA JOURNEE 102

n° 844 106

INSTRUCTION POUR MONTRER LA DIFFERENCE DE LA MÉDITATION ET DE L'ORAISON 106

no 2613 108

DE L'ORAISON DE PURE FOI ET D'ANEANTISSEMENT 108

n° 312 112

DE L'ORAISON QUI SE FAIT EN SIMPLICITE D'ESPRIT /156 SELON LES SENTIMENTS DE M. DE GENEVE 112

No 2471 115

COMMENT L'ON PEUT PRIER EN TROIS MANIERES POUR LE PROCHAIN 116

N° 1324 121

LA VOIE QUI REND PLUS DE GLOIRE A DIEU EST CELLE D'ANEANTISSEMENT 121

CE QU'IL FAUT FAIRE POUR ENTRER DANS LA VOIE D'ANEANTISSEMENT 128

n° 1474 131

INSTRUCTION SUR LE SILENCE 132

N° 2549 138

n° 725 138

SUR LE MYSTERE DE L'INCARNATION 138

n° 1562 140

DISPOSITIONS DANS LESQUELLES ON DOIT ETRE POUR LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST 140

N° 2238 143

DE LA PAIX QUE LES ANGES ANNONCERENT AUX PASTEURS 143

n° 2540 147

SUR LE MYSTERE DE LA RESURRECTION 147

n° 279 149

TOUCHANT LE GENERAL DE VOS ECRITS, VOICI CE QUE NOTRE SEIGNEUR NOUS EN A FAIT CONNAITRE 149

n° 2804 150

INSTRUCTIONS IMPORTANTES 151

n° 389 161

REPONSES A QUELQUES PROPOSITIONS 161

n° 307 175

Lettres publiées en « Documents » 176

ANNEXE XVIII. LETTRE A UNE RELIGIEUSE DU MONASTÈRE DE LA RUE CASSETTE 176

ANNEXE XIX. A UNE RELIGIEUSE (RUE CASSETTE) EN LA FAISANT SORTIR DE RETRAITE A QUI ELLE DONNE PLUSIEURS INSTRUCTIONS POUR SA PERFECTION 177

ANNEXE XXI. A LA COMMUNAUTÉ DE LA RUE CASSETTE 178

LETTRE A LA MÈRE ANNE DU SAINT-SACREMENT (RUE CASSETTE) 180

ANNEXE XXIV. A LA SŒUR MARIE DE SAINT-JOSEPH, NOVICE DU DÉVOT MONASTÈRE DES CARMÉLITES DE RHEIMS 181

En « Lettres inédites » 184

[publiées sous ce titre à Rouen en 1976] 184

A UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS RESTÉE À BARBERI 184

PROMESSE ÉCRITE DE MÈRE MECTILDE AUX RELIGIEUSES DE RAMBERVILLERS QUAND ELLE FUT ENVOYÉE A CAEN (I) 186

FRAGMENT DE LETTRE À UNE RELIGIEUSE DE RAMBERVILLERS 187

A LA REVERENDE MÈRE BENOÎTE DE LA PASSION DE BRÊME 189

A LA MÊME [MÈRE BENOÎTE DE LA PASSION DE BRÊME] en Alsace 191

A LA MÈRE BENOÎTE 192

A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE] 194

A LA MÊME 195

A LA RÉVÉRENDE MÈRE BENOITE DE LA PASSION (DE BRÊME) 198

A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU] (1) 201

A LA MÈRE DOROTHÉE [HEURELLE] 204

A UNE DEMOISELLE [ANNE LOYSEAU] 206

Amitiés mystiques 290

Echanges avec Monsieur de Bernières 293

7 Décembre1648 LMB Par les ténèbres et par la pauvreté 293

15 Décembre 1650 L 2,53 Il faut obéir à Dieu et vous perdre pour Lui et en Lui entièrement. 294

14 Février 1651 L 1,39 Il faut qu’un capitaine meure à la tête de sa compagnie. 295

10 mai 1651 J’ai appris les discours que le père N. a fait de vous et de moi, et qui vous cause tant d’abjection. 297

29 juin 1651 … au reste ma très chère sœur 299

1651 299

L 3,49 Ce riche néant dans lequel on trouve tout. 299

L 2,54 -- Dieu seul doit suffire à une âme morte et anéantie… 300

1652 301

26 Juillet 1652 LM à M. Boudon 302

1653 305

2 janvier 1653 LMB Conseillez-moi. 305

9 janvier 1653 L Ne pas tant vous occuper à l’extérieur que vous ne donniez pour l’intérieur 309

19 Janvier 1653 L 2,20 La voie de pure souffrance. 310

10 Février 1653 M 2 ,172 Sacrée obscurité. 311

23 février 1653 L 3, 21 Je ne suis plus en moi, mais en Lui. 311

3 Mars 1653 L 2, 21 C’est au Saint Esprit à qui vous devez demander direction et conduite. 313

24 Avril 1653 L 3,29 Qui vit en Dieu seul, voit en Dieu ses amis. 314

20 mai1653 LM Les ermites de Caen 315

1er Juillet 1653 L 3,42 Demeurer unis et abîmés dans cette infinie bonté. 316

9 Août 1653 LMB Vos chères lettres 317

4 Septembre 1653 L 1,46 Ne pas contraindre les âmes. 318

Janvier 1654 LMB Nous prendrons la croix 320

22 Mars 1654 L 3,33 C’est une grande richesse que la pauvreté intérieure. 321

29 Mars 1654 L’esprit de notre petit Ermitage. 323

13 Mai 1654 L 3,6 Il n’y a qu’à Le laisser faire. 325

21 Août 1654 LMB Tous anéantis en Jésus 327

15 septembre 1654 MB sur le père Eudes et Marie des Vallées [extraits] 329

17 Septembre 1654 L 3, 55 Le seul appui est la pure foi 329

14 Octobre 1654 L 2,39 Comme une petite étable de Bethléem. 331

20 Octobre 1654 L 2,25 Un abrégé de la voie mystique. 332

Janvier 1655 Ne point chercher l’éclat ni la magnificence 336

1655 338

Janvier 1655 Extrait d’une lettre que Monsieur de Bernières fit à notre vénérable mère 338

Fin janvier 1655 338

2 février 1655 L 2,40 Ce qui attire Jésus dans les monastères. 340

27 Septembre 1655 L 3,27 Demeurer en Dieu et y vivre c’est un Paradis. 344

1656 346

3 Janvier 1656 L 3,13 Comme une rivière dans la mer 346

4 Août 1656 L 3,58 Quand le soleil éternel se lève au fond de l’âme. 348

20 Novembre 1656 L 3, 36 Tous fondu en Jésus. 349

Novembre 1656 L 3,37 Le procédé simple et pauvre de Jésus-Christ 353

1657 354

23 Janvier 1657 L 3,15 De l’anéantissement mystique. 354

9 Avril 1657 L 3,35 T Qu’il accomplisse en vous sa volonté 355

9 Avril 1657 L 2, 24 Quand Jésus-Christ vit en nous 357

Annexes. 360

Analyse des Totum [Mectilde] I II II.odt 360

Totum I 360

« Ame offerte » 7 360

« Amitié » 137 360

« Daoust » 277 360

« Documents historiques » 315 360

« Ecoute » 463 361

Totum II 361

« Inédites » 6 361

« Itinéraire spirituel » 267 [V. Andral] 361

« Origine des recueils de Conférences » [M.-V. Andral, ajout] 374 361

« Entretiens familiers » [Sœur Castel] 383 361

« Pologne » 432 361

Totum III 362

« Rouen » 6 362

« Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde » (DT) 286 362

Correspondance avec Bernières 434 (E. de Reviers) 362

fin 591 363

Dimensionnements 363

Table avec titres de lettres 365

Table réduite aux principales sources 372

Fin 373

Titre 3 = id 14 pts 373



Table réduite aux principales sources

Table des matières

Correspondance choisie de 3

Mère Mectilde 3

Un choix par Dominique Tronc à partir des éditions au sein de l’Ordre et de la Correspondance de Bernières 3

Ce dossier de travail complète les Correspondances de direction précédemment constituées de Bernières, Bertot, Guyon, Fénelon, par celle de leur compagne Mectilde. 3

Présentation 4

Des lettres autographes 8

Mère Mectilde et Mère Anne [Loyseau] 24

[récit des derniers mois publié par les archivistes de Rouen sous ce titre en section VI d’« Âme offferte »] 24

« Bréviaire » de la comtesse de Chateauvieux 42

[Lettres choisies et ordonnées par la destinataire] 42

Lettres publiées en « Documents » 176

En « Lettres inédites » 184

[publiées sous ce titre à Rouen en 1976] 184

Amitiés mystiques 290

Echanges avec Monsieur de Bernières 293

1651 299

1652 301

1653 305

1655 338

1656 346

1657 354

Annexes. 360

Analyse des Totum [Mectilde] I II II.odt 360

Totum I 360

Totum II 361

Totum III 362

Dimensionnements 363

Table avec titres de lettres 365

Table réduite aux principales sources 372

Fin 373

Titre 3 = id 14 pts 373

Fin

Style de paragraphe par défaut = Garamond 10 pts gras

Titre 3 = id 14 pts

page A5 interne 3 externe 1.5 ht bas 2


































1 Voir notre volume : Le Amitiés mystiques de Mère Mectilde […], coll. ‘Mectildiana’ dirigée par dom Joël Letelllier, éditeur Parole et Silence, 2017. Consulter le chapitre « Histoire des transmission » rédigé par sœur M.-H. Rozec, l’archiviste de l’Ordre, et plus précisément le chapitre VII. Le Fichier Central des Ecrits, 327-328. Ce « F.C. » est l’outil utile après le présent totum pour aborder l’immense fonds manuscrit.

2 Ils ont été préservés en favorisant « l’intérieur » à l’usage des nouvelles générations. Guyon et ses proches ne pouvant être facilement édités suite à condamnation du quiétisme s’occupent de préserver un legs. Mectilde demeurée suspecte est sauvée par les sœurs copistes de sa fondation bénédictine. Ailleurs, chez les figures qui n’ont pas été inquiétées, les écrits intérieurs sont une fraction d’écrits religieux qui incluent des rapports avec les autorités et toute la gestion de fondations (Jeanne de Chantal). Pour certains la majeure partie a été perdue (Marie de l’Incarnation ‘du Canada’).

3 Ce relevé de lettres vient en complément de notre florilège « Les Amitiés Mystiques de Mère Mectilde » publié chez Parole et Silence en 2017 et partiellement repris en contribution, pages 149-194 de « L’oeuvre eucharistique de Catherine Mectilde de Bar », même éditeur, 2021.

La reprise 2023 soit six années plus tard du « chantier Mectilde » bénéficie desTotum I II III assemblant les principales publications à usage interne dans et de l’Ordre.

Je signale l’analyse des trois Totum figurant en tête du Totum I.

Je signale « G8 MECTILDE sources = Arborescence et guide à 42 Go d’archives de l’Ordre » précédemment communiqué au monastère de Craon pour circulation au sein de l’Ordre. Il répertorie ~> 200 000 photos collectées en vingt ans, soigneusement structurées. C’est une base permettant de « passer la main » à quelque futur chercheur confronté aux archives regroupées à Rouen.

J’achève cette longue note 3 ciblée « mystique » attachée à la fin de Présentation - début de volume – ce qui est préférable à quelque annexe bibliographique certainement promise à l’oubli.

4 Avec reprise de leurs titres. On les retrouve dans les trois tomes de « G8 MECTILDE totum... » et dans « G8 MECTILDE Correspondance (précédée de l'analyse Totum I II III) » d’où maintien des titres pour cohérence (à défaut d’une étude d’ensemble).

Voici en amorce bibliographique les références de sources aux noms réduits:

« Écoute » pour Catherine de Bar à l’écoute de Saint Benoît, Bénédictines de Rouen, 1988.

« Âme offerte » pour Catherine de Bar […] Une âme offerte à Dieu en saint Benoît, Téqui, 1998, (incluant des études : Hurel, « Mère Mectilde et les Mauristes » par Daniel-Odon Hurel, 97-122, & Letellier, « Comme un encens devant la face du Seigneur », 11-96). 

« Amitié spirituelle » pour Une amitié spirituelle au Grand Siècle, lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux […], Téqui, 1989.

« Il Libretto » ou « Valli » pour Annamaria Valli, Il Libretto di Catherine Mectilde de Bar per le sue Benedettine, Milano, 2011. 

« Itinéraire spirituel » ou « Andral » pour Véronique Andral, Catherine de Bar/Mère Mectilde du Saint-Sacrement /Itinéraire spirituel, Rouen 1997.

« Documents historiques » pour Documents historiques, Rouen, 1973.

« Fondation de Rouen » pour Fondation de Rouen, Rouen, 1977.

« Lettres inédites » pour Catherine de Bar/Mère Mectilde du Saint Sacrement 1614-1698/Lettres inédites, Rouen, 1976.

« En Pologne » pour En Pologne avec les bénédictines de France, Téqui, 1984.

5 Excursus : quoi et comment lire ?

Quoi lire ?

Les lettres rendent mieux compte de l’esprit intérieur qui anime Mectilde qu’une reprise d’un ‘beau passage’ – la sélection de telles brindilles est laissée au lecteur… Je réserve le gras à Mectilde, le normal maigre au ciment qui assemble les briques.

Comment lire ?

[reprise d’une note à « Lettres de Chateauvieux », infra, section SUR LA CREATION DE L'AME]

Si en ce XXIe siècle l’on n’est plus religieux au sens traditionnel, oubliez souvent les références à « Dieu » puis à Jésus-Christ (tout en révérant le ‘plus grand des mystiques’, le rabbi Jésus).

Afin de ne pas dériver ensuite sur quelque référence érudite, il est souhaitable d’oublier aussi l’influence de Denys, porteur d’un néoplatonisme illustré par Plotin - également un homme intérieur (mais philosophe).

En fait oubliez tout le passé culturel ?

Une pause, assurant lecture attentive en recherche de sens, fait table rase. Ce qui permet de retrouver la saisie mystique.

Cela demande quelque (petit) effort pour une Mectilde entrée toute jeune en religion – un tel effort est généralement requis pour d’autres grandes figures mystiques du premier dix-septième telle que Marie de l’Incarnation (1599-1672). Par contre une madame Guyon est plus directement accessible de nos jours car plus jeune (née en 1648 et non au début du siècle, l’an 1614 pour Mectilde) et devenue quand même ‘dame directrice’, elle a échappé – à grand péril - au formattage au sein d’un Ordre.

6 Peu « mystique » ? cependant utile car respectant – les autographe sont rares - l’orthographe par Mectilde. On se met ainsi dans le bain d’époque ! Il en sera de même pour la ‘liberté d’écriture’ chez Guyon.


7 Totum I, « Ame offerte » 7, V Lettres autographes 58 (32 pages)

8 Pagination des sources assemblées et transcrites dans « G8 MECTILDE totum... »

9 Les notes des figurant en bas de pages des sources sont reproduites ici au fil du texte courant, ce qui oblige à une légère gymnastique de son suivi. (Nos notes figurent en bas de nos pages).

10 [retours à la ligne de la transcription reproduisant exactement le manuscrit (en photo ici omise) NDE]

11 Les «  » seront dorénavant omis (remplacés par un caractère blanc)..

12 Totum I, « Ame offerte » 7, VI Mère Mectilde et Mère Anne


13 Totum I, « Ame offerte », V Lettres autographes 58 (32 pages)

S’agirait-il d’extraits compilés par la comtessse ? Je n’introduit pas de sauts de pages entre leurs titres.

Je ne coupe rien même si quelques passages son ‘religieux’ plutôt que ‘mystique’ – car ces instructions relevées par l’amie de Mectilde mérite une appréciation d’ensemble montant comment Mectilde est comprise par ses proches.

Je réduit le nombre de notes de la source.

L’ensemble comporte plusieurs utiles « Traités » assez amples, dialogues entre les deux figures amies. La comtesse deviendra en fin de vie une religieuse de l’Ordre.


14 Intuition profonde exprimée en ce paragraphe.

Excursus :

Comment lire ? Si en ce XXIe siècle l’on n’est plus religieux au sens traditionnel, oubliez les références à « Dieu » puis à Jésus-Christ (tout en révérant le ‘plus grand des mystiques’, le rabbi Jésus).

Afin de ne pas dériver ensuite sur quelque référence érudite, il est souhaitable d’oublier aussi l’influence de Denys, porteur d’un néoplatonisme illustré par Plotin - également un homme intérieur (mais philosophe).

En fait oubliez tout le passé culturel ?

Une pause, assurant lecture attentive en recherche de sens, fait table rase. Ce qui permet de retrouver la saisie mystique.

Cela demande quelque (petit) effort pour une Mectilde entrée toute jeune en religion – un tel effort est généralement requis pour d’autres grandes figures mystiques du premier dix-septième telle que Marie de l’Incarnation (1599-1672). Par contre une madame Guyon est plus directement accessible de nos jours car plus jeune (née en 1648 et non au début du siècle, l’an 1614 pour Mectilde) et devenue quand même ‘dame directrice’, elle a échappé – à grand péril - au formattage au sein d’un Ordre.

15 En conformité avec l’approche purement mystique (et avec note précédente).

16 Mectilde se conforme à la prière « appelée », prière efficace parce qu’elle est involontaire. Elle signale souvent à son destinataire la demande de la grâce – un appel à faire de même en y répondant.

17 Un jour, promesse – pour l’esclavage bien compris, pas toujours, d’où recours désastreux à une ascèse volontaire aux procédés inhumains.

18 profond Traité !

19 Entre crochets dans l’original

20 « 3. ...Seigneur, en quoi dois-je me renoncer, et combien de fois ? - Jésus-Christ : Toujours et à toute heure … j’exige de vous un dépouilement sans réserve. […] 5. ...Donnez tout pour trouver tout... » (trad. Lamennais).

21 Totum I, Documents historiques, Annexes.

22 Points de suspension de l’imprimé source.

23 Marie des Vallées

24 Encore 40 ans à vivre !

25 Rupture de la source.

26 Jean de Bernières répond à la lettre de Mechtilde du Saint-Sacrement du 7 janvier 1651, exprimant son grand désarroi après le siège de Rambervillers en 1651. Elle s’y est réfugiée avec ses plus jeunes sœurs en Alsace. Jean de Bernières lui conseille de quitter Rambervillers pour Paris. Ce qu’elle fera avant de s’installer finalement en Normandie.

27 Mère Mechtilde est réfugiée pour deux mois en Alsace. Elle est tentée d’aller demander une dispense au Pape pour aller se cacher dans un monastère où elle y serait reçue comme « réfugiée ».

28 C’est le nom que Jean de Bernières adopta en renonçant à ses biens. Par ailleurs, la lettre de mère Mechtilde du 3 juin 1651 nous révèle le nom de son secrétaire, l’abbé Jean de Rocquelay : « Jésus abject ».

29 Le 6 mars 1651, mère Mechtilde est à Paris, à feu et à sang, en raison des guerres civiles qui sévirent dans la captitale depuis 1648.

30 Cf. Archives eudistes, Dossier Charles Berthelot du Chesnay, Chronologie de Bernières (1627-1659). Jean-Eudes, à partir de février 1651, organise une mission à Paris, en l’ancienne église de saint Sulpice, en lien avec Jean-Jacques Olier. La conversion des potestants fut l’une des principales préoccupations de l’Église. Elle justifie l’activité missionnaire de Jean-Eudes. (cf. Charles Berthelot du Chesnay, Les Missions de saint Jean-Eudes. Contribution à l’hisoire des missions en France au XVIIe siècle, Paris, Procure des Eudistes, 1967, p. 5). Jean-Eudes arrive dans la capitale à une période où la paix pouvait sembler à peu près rétablie, bien que fragile. Il se peut que cette circonstance ait nuit à son discernement sur Mechtilde du Saint-Sacrement. La rencontre entre le père Jean-Eudes et Mechtilde se situe en avril. La Fronde avait alors mis la capitale à sang et à feu et l'anarchie et la famine y régnaient. La providence voulut que Mechtilde du Saint-Sacrement puisse trouver, avec les six religieuses de Saint-Maur-des-Fossés, un lieu de refuge, rue du Bac, au faubourg Saint-Germain. Là, dans cette ancienne maison de prostitution, de magie et autres sombres pratiques, le dénuement était complet, la pauvreté était extrême et Mechtilde tomba gravement malade.

31 Cette mauvaise doctrine est le jansénisme circulant partout en France dans les milieux dévots. Vincent de Paul, lui-même, sans prendre la défense de son ancien ami, Saint-Cyran, restait mesuré dans ses lettres et faisait preuve d’une grande prudence dans son jugement. […] - Je reprend souvent partiellement comme ici et dans la note suivante celles d’Eric de Reviers, éditeur de la Correspondance de Bernières.

32 Dans cette lettre, Bernières ne semble pas soupçonner que Jean-Eudes est de connivence avec Saint-Cyran et Arnauld. Il constate cependant combien ces interférences religieuses et politiques ont déchiré le royaume et ont eu des conséquences graves dans les relations entre personnes de bonne volonté. Jean-Eudes et Mechtilde en ont fait les frais. Á cette époque, Port-Royal entreprenait de rassembler les moniales réfugiées à Paris, leur situation étant précaire. En 1652, mère Mechtilde sera sollicitée par les jansénistes pour être directrice d’une maison de filles à la porte Saint-Marceau. Mère Mechtilde refusera, trop soucieuse de combattre cette doctrine depuis son séjour à Caen. Port-Royal la privera alors de toute aumône et multipliera contre elle de sournoises attaques. [...]

33 Madame de Mouy, pour avoir été la fondatrice du monastère de Notre Dame du Bon Secours à Caen, connaît suffisamment bien la nature de la relation spirituelle qui existe entre Jean de Bernières et Mechtilde du Saint-Sacrement, pour réfuter à juste titre les calomnies que peut répandre sur eux le père Eudes.

34 Henri-Marie Boudon (1624-1702) eut pour marraine Henriette de France, fille du roi Henri IV et sœur du roi Louis XIII. Formé à la Sorbonne, il fut très lié avec les spirituels de son temps, le père Bagot, Jean de Bernières, saint Jean Eudes. Il deviendra le grand Archidiacre d’Évreux à la suite de François de Montmorency-Laval, futur évêque de Québec.

35 Mère Mechtilde, retournée à Paris en 1651, accuse réception des lettres reçues de Bernières en lui écrivant le 25 novembre 1651. Cf. Archives des bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen, manuscrit P. 101 : « Je devais vivre que trois jours selon le sentiment des médecins. Le jour de saint Louis, le 25 août, l’on me croyait morte. Dieu m’a mise à la mort et m’a ramenée à la vie. » Or, au moment où tout semblait anéanti, un concours de circonstances fit surgir de part et d'autre des amis et bienfaiteurs, des relations et influences qui transformèrent en peu de temps ce couvent de fortune en un haut-lieu de prière et d'adoration. Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, la comtesse de Châteauvieux et quelques grandes dames vinrent pour l’aider. Non sans difficultés, tout alla cependant très vite et d'une façon vraiment inattendue. Et précisément en août 1651, mère Mechtilde rencontrait pour la première fois la comtesse de Châteauvieux. Plus tard, au cours d’une conversation avec quelques amies, madame de Châteauvieux découvrit, grâce aux explications de mère Mechtilde, les secrets de l’oraison et la choisit pour directrice spirituelle. Un peu plus tard, madame de Châteauvieux et trois de ses amies, la marquise de Boves, madame de Cessac et madame Mangot, convainquirent Mechtilde d’ouvrir un hospice à Paris. Celle-ci refusa l’idée d’en être la supérieure mais la providence en décida autrement. Désormais, les moniales seraient vouées à l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement en réparation de tous les sacrilèges et crimes commis pendant les guerres de religion. Le monastère serait ainsi une vivante action de grâce pour la victoire sur l'impiété. La régente Anne d'Autriche avait demandé au père Picoté, prêtre de Saint-Sulpice, de faire un voeu propre à rétablir l'ordre et la paix dans le royaume. Celui-ci promit d'ériger un couvent exclusivement consacré à l'adoration du Saint-Sacrement. Le 21 octobre 1652, Louis XIV entrait triomphalement dans Paris et la France retrouvait le calme.

36 Cette lettre de mère Mechtilde à Jean de Bernières est citée dans la biographie composéee par sa nièce, madame de Vienville. Cf. Archives des sœurs bénédictines du Saint-Sacrement, manuscrit P 101.

37 L’année 1652 a été déterminante pour la future fondatrice. Parmi les rencontres de personnes influantes, la première fût madame de Rochefort de la maison de Chevières, veuve de monsieur Le Comte de Rochefort, de la maison de Suze en Dauphiné, mère de l’archevêque d’Auch. Les premières démarches pour l’achat d’une maison au faubourg Saint-Germain ont eu lieu en mars 1652. La duchesse d’Orléans, madame de Forax, mademoiselle Loiseau, future moniale qui succédera comme prieure à mère Mechtilde, rue cassette en 1698, sont autant de bienfaitrices qui qui la poussent à fonder l’Institut. En juin les religieuses entrent dans la maison qu’elles ont prise en location près de la maison du « Bon Ami » où elles demeuraient. Le 14 août a lieu le premier contrat de fondation. Alors que le Roi entre à Paris le 4 octobre, la reine, qui encourage beaucoup cette fondation, applique la victoire du roi au vœu qu’elle a fait. Monsieur Picoté, curé de Saint-Sulpice, applique ce vœu à la fondation de l’Institut, qui devient ainsi fondation royale. Le 5 mars 1653 aura lieu le second contrat de fondation avec l’assentiment de l’abbé de Saint-Germain-des-Prés. En mai, le roi Louis XIV donnera ses lettres patentes. Le 5 juillet, les lettres d’agrément de la ville de Paris et du gouverneur, le Maréchal de l’Hôpital, seront délivrées.

38 La duchesse de Bouillon, mère du cardinal, la duchesse d’Orléans, madame de Forax, Mademoiselle Loiseau, future moniale qui succédera comme prieure à mère Mechtilde, rue Casette en 1698. Ces bienfaitrices ont fait les démarches pour l’achat d’une maison au faubourg Saint-Germain. En novembre 1653 la maison de Monsieur Saint-Pont, rue Férou, occupée auparavant par la comtesse de Rochefort sera louée.

39 Monsieur Picoté, confesseur renommé, jouissait de la confiance de la reine Anne d'Autriche. Cf. M. Faillon, Vie de Monsieur Olier, Poussielgue, 1873, t. II, Cathrerine de Bar, Documents, 1973, p. 18.

40 Henri de Bourbon (1601-1682), fils légitimé de Henri IV et de Catherine Henriette de Balzac d'Entraigues, fut pourvu de l'évêché de Metz en 1612, sans être prêtre. Il reçut l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés en commende en 1623 et abdiqua le 12 octobre 1669. Il finit par se marier. Cf. Dom Y. Chaussy, Les Bénédictines et la réforme catholique en France au XVIIe, Paris, 1975.

41 Sœur de Lescale et sœur Chopinel. Marguerite de la Conception de Lescale rejoignit mère Mechtilde à Saint-Maur-des-Fossés, avec Marguerite Chopinel vers 1643. Elles avaient 15 ans environ. Elles firent profession au monastère de Rambervillers en 1647-1648 et revinrent à Paris en 1651. Mère de Lescale retournera à Rambervillers en 1659, dont elle sera sous-prieure, puis prieure en 1693. Mère Mari-de-Jésus Chopinel restera au monastère de la rue Cassette dont elle fut maîtresse des novices jusqu'à sa mort en 1687. Cf. M. Faillon, Vie de M. Olier, op. cit., p.144.

42 La basilique de Notre Dame de la Délivrande se situe à Douvres, près de Caen. C’est le plus ancien pèlerinage normand dédié à la Vierge. Une tradition le fait remonter au IXe siècle. Des découvertes récentes ont confirmé cette croyance. Le sanctuaire a été plusieures fois détruit et reconstruit au cours des siècles. La basilique actuelle fut terminée en 1880. De très nombreux missionnaires sont venus en pèlerinage. Aussi, retrouve-t-on des répliques de la Vierge noire de la Délivrande, au Japon, aux Antilles, au pôle Nord, en Afrique. Saint Jean-Eudes vint y mettre sa nouvelle fondation sous la protection de la Sainte-Vierge, le 24 mars 1643.

43 Bernières reste volontairement en retrait pour ne pas prendre la décision à la place de mère Mechtilde. En bon directeur, il préfère la renvoyer au père de Saint-Gilles, et à sa conscience, en lui recommandant de prendre garde à l’élévation de l’âme, grand obstacle à la perfection, tout en l’invitant à s’appuyer sur les conseils pressants des saintes âmes qui l’entourent, sans tomber dans la pusillanimité. [P. Eric de Reviers, comme toutes les notes retenues hors des parallèles avec le Chrétien Intérieur]

44 Mère Mechtilde écrivait à Henri-Marie Boudon le 26 avril 1652 : « Je suis très aise que madame la comtesse de Montgomery ait le bonheur de vous connaître. C'est une âme qui cherche Dieu de bon cœur, et mademoiselle de Manneville aussi ; ce sont de bonnes servantes de Dieu. »

45 Théologien et mystique, Gerson (1363-1429) est l’auteur de La Montagne de la contemplation, où il décrit la rupture de l’âme avec le monde pour ne s’attacher qu’à Dieu seul.

46 Paul Le Jeune (1590-1664), ce religieux jésuite, disciple du père Lallemant s.j (1588-1635) responsable « troisième an » à Rouen, devient, en 1629, professeur de rhétorique, au collège du Mont, à Caen. Il a dû faire la connaissance de Jean de Bernières durant cette année. En 1630, il est prédicateur à Dieppe, et chargé de la résidence des jésuites de cette ville. Il est nommé supérieur des jésuites de Québec (1632 à 1639). Le père Le Jeune est une des figures les plus représentatives de la fondation missionnaire du Canada dans la première moitié du XVIIe. Il beaucoup travaillé à l’installation des ursulines avec la Bienheureuse Marie de l’Incarnation et madame de la Peltrie. Il revient à Paris en 1649 pour être nommé procureur de la mission du Canada jusqu’en 1662. Il meurt en 1664.

47Le père Le Jeune (s.j) a beaucoup oeuvré avec Marie de l’Incarnation à la mission du Canada. Rentré en France en 1649, il se voit assigné le poste de procureur de la mission du Canada. Cette charge ne suffisait pas à occuper tout entier l’homme actif et l’apôtre inlassable. Il fut à Paris un directeur d’âmes et un prédicateur très recherché et très sûr, comme l’attestent ses lettres spirituelles, publiées par ses amis au lendemain de sa mort, en 1665. C’est dans ce contexte qu’il a correspondu avec Jean de Bernières, après l’avoir fréquenté à l’Ermitage de Caen.

48 Le père Paulin avait été Provincial des pères pénitents du couvent de Nazareth, place royale à Paris.

49 Cf. Jean de la Croix, Œuvres complètes, Vive Flamme d’Amour, III, 3, op. cit., p. 781: « Que telles gens qui guident les âmes prennent bien garde et considèrent soigneusement que le principal agent, guide et moteur des âmes en cet état, ce n'est pas eux, mais le Saint-Esprit qui ne perd jamais le soin qu'il en a, et que, quant à eux, ils ne sont qu'instruments pour les diriger dans la voie de la perfection par le moyen de la foi et de la loi de Dieu, selon l'Esprit que Dieu va communiquant à chacune. Et partant, que toute leur diligence soit, non pas à les ranger à leur propre façon de faire et à l'état où ils sont eux-mêmes, mais de prendre garde, s'ils le savent faire, par où Dieu les conduit : que s'ils ne le savent, qu'ils les laissent aller et qu'ils ne les troublent point. Conformément au chemin et à l'esprit par où Dieu les mène, qu'ils tâchent de toujours les diriger en plus grande solitude, liberté et tranquillité d'esprit, les mettant à l'aise pour qu'elles n'attachent pas le sens corporel ou spirituel à une chose particulière, intérieure ou extérieure, quand Dieu les mène par cette solitude, et pour qu'elles ne se peinent pas ni se ne soucient en pensant qu'il ne se fait rien : même si l'âme ne fait rien à ce moment-là, Dieu fait quelque chose en elle. Qu'ils tâchent de désembarrasser l'âme et de la mettre en solitude et oisiveté, de manière qu'elle ne soit attachée à aucune connaissance particulière de là-haut ou d'ici bas, ni par l'envie de quelque douceur ou goût, ou de quelque autre appréhension, et qu'elle soit vide, en négation pure de toute créature, établie en pauvreté spirituelle. »

50 Mère Mechtilde souhaite que la Vierge-Marie soit la prieure de sa famille monastique, à l’instar des carmels réformés de Thérèse d’Avila.

51 La fondation des bénédictines du Saint-Sacrement a eu lieu le 25 mars 1653, rue du Bac, mais le monastère sera transféré rue Férou et inauguré le 12 mars 1654 en présence de la Reine. La chapelle, la maison, et les cloches ont été bénies le même jour par Dom Placide Roussel.

52 Jean de Bernières reste disponible pour aider spirituellement Mechtilde du Saint-Sacrement.

53 Ce conseil reste précieux pour assurer l'avenir contemplatif de l’institut.

54 En janvier 1654, Mechtilde du Saint-Sacrement vient de s'établir avec sa jeune communauté rue Férou. Après avoir logé depuis Juin 1652 près de la rue du Bac, proche des Jacobins, Faubourg Saint-Germain et à côté de l’église Saint-Thomas d’Aquin, la petite communauté naissante s’installe désormais à proximité du palais du Luxembourg et de Saint-Sulpice. L’institut destiné à l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement a vu le jour officiellement le 12 mars 1654. La Reine s'en est mêlée sous l'influence de monsieur Picoté, prêtre de Saint-Sulpice ; l'évêque de Metz, Henri-Marie de Bourbon, a donné son consentement, en sa qualité d'abbé de Saint-Germain-des-Prés, puisque la nouvelle fondation allait se trouver sur le territoire de l'abbaye. Dès ce jour, les sept moniales commencent l’adoration nuit et jour.

55 La vraie vie apostolique est toujours le rayonnement d’une vie contemplative intense.

56 Jean de Bernières semble inviter Mechtilde à franchir une étape dans le détachement vis à vis sa personne. La communion d’âme avec lui, bien réelle, n’en sera que plus profonde et spirituelle, malgré le silence et la distance.

57 Cette communion spirituelle entre les âmes contemplatives n’est possible que dans la mesure du renoncement à sa volonté propre pour entrer dans celle de Dieu. [n. P. Eric].

58 Jean-Eudes est allé voir Marie des Vallées, entre le 7 et le 12 septembre, ayant passé deux jours à Coutances.

59 Cf. Jean de la Croix, Vive Flamme d’Amour, I, 3, op.cit., p. 723 : « En les choses corporelles, nous appelons le plus profond centre de chaque chose, ce à quoi son être, sa vertu et la force de son opération et de son mouvement peuvent atteindre pour le plus, et où, étant arrivée, elle ne peut passer outre ; ainsi que le feu ou la pierre ont vertu, force et mouvement naturel pour arriver chacun d'eux au centre de sa sphère, sans pouvoir passer outre, ni s'arrêter plus tôt que d'y arriver, ni s'empêcher d'y demeurer, si ce n'est qu'il n'arrive quelque empêchement contraire et quelque violence. [...] Or, le centre de l'âme, c'est Dieu ; et quand elle y sera arrivée selon toute la capacité de son être et autant que la force de son opération et de son inclination le comporte, elle sera arrivée au plus profond et au dernier centre qu'elle a en Dieu, ce qui sera lorsque selon toutes ses forces et sa capacité elle connaîtra Dieu, l'aimera et jouira de lui. »

60 Cf. Jacques Bertot, Directeur mystique, textes présentés par Dominique Tronc, Éditions du Carmel, Collection « Sources mystiques », 2006, p. 255 : « Il est à remarquer que quand je dis qu’il n’y a plus de lumière en cet état, j’entends des lumières distinctes dans les puissances. Car l’âme, étant en Dieu, est dans la lumière essentielle, qui est Dieu même, laquelle lumière est très nue, très simple et très pénétrante, et très étendue, voyant et pénétrant toutes choses à fond comme elles sont en elles-mêmes : non d’une manière objective, mais d’une manière où il semble que toute l’âme voit, et par une lumière confuse, générale, universelle et indistincte, comme si elle était devenue un miroir où Dieu se représente et toutes choses en lui. L’âme se trouve comme dans un grand jour et dans une grande sérénité d’esprit, sans avoir rien de distinct et d’objectif dans les puissances, voyant, dis-je, tout d’un coup et dans un clin d’oeil toutes choses en Dieu […] Car la lumière du soleil est bien un moyen par lequel notre œil voit autant que sa capacité s’en sert, mais non en donnant la capacité même, et de plus elle n’a ni ne fait voir ce qu’il découvre par sa clarté, que hors de lui, dans l’objet que vous regardez. Mais pour ce qui est de la lumière essentielle, lumière de foi en commencement de sagesse, non seulement elle fait voir les choses en vérité, mais encore elle est elle-même la capacité même, nous la communiquant et nous la donnant ; si bien que l’âme qui en est honorée, voit autant que sa lumière est forte et pure, et non autrement, sa lumière lui donnant et lui étant sa capacité, dans laquelle elle voit et jouit de ce que cette divine lumière, qui lui est Dieu, lui découvre volontairement, non en objets et objectivement, mais en Dieu, où toutes choses ont vie et font la vie. »

61 L’oraison passive suppose une synergie avec la grâce. Elle consiste à se laisser mouvoir par l'action de Esprit-Saint. L’adhésion libre de l’âme s’unissant à Dieu la rend un seul esprit avec lui. (Cf. 1 Cor. 6, 17). [P. Eric].

62 Cf. Jean de Saint-Sansom, Les contemplations et les divins soliloques, D. Thierry, 1654, p. 600. Jean de Saint-Samson (1571-1636) est né à Sens (Yonne), le 30 décembre 1571. Frappé de cécité à trois ans, orphelin à dix, il se révèle particulièrement doué pour la musique. Sa profonde piété lui fait rapidement préférer écouter la lecture des ouvrages de spiritualité plutôt que des ouvrages profanes. Il passe des heures auprès du tabernacle. À Paris, il se lie au couvent des carmes avec des religieux. Il les encourage à entreprendre la réforme de leur ordre. Lui-même demande à être admis au couvent de Dol-de-Bretagne où il devient frère Jean de Saint-Samson. Appelé au carmel de Rennes, il se révèle être un grand maître de l’oraison contemplative. Son influence fait de lui l'initiateur d'un renouveau mystique de premier ordre chez les carmes. Ses disciples obtiennent de lui qu’il exprime son expérience et ses enseignements. Aveugle, il dicte ainsi plus de quatre mille pages manuscrites. [...]

63 Mechtilde se plaint ici de ses incapacités à gouverner l’institut, arguant de son indignité et de son désir de solitude. Est-ce vraiment la volonté de Dieu qu’elle continue ce projet de fonder un monastère où Jésus, anéanti dans le Saint-Sacrement de l’autel, est adoré perpétuellement en réparation des outrages et sacrilèges infligés par les guerres de religion ? Si tel est le cas, la fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement n’acceptera dans cet institut que des religieuses désireuses de mener une vie cachée, dans le silence et l’humilité, comme des recluses.

64 Jean de Bernières ira à Paris après Pâques pour quelques semaines. Par son intermédiaire, Mechtilde rencontrera l’abbé Jacques Bertot. Elle réunira à cette occasion les pères Hayneufve (s.j), Jean-Jacques Olier, Vincent de Paul, instituteur de la congrégation de la Mission, Henri-Marie Boudon, Jean de Bernières et quelques autres. Elle souhaite connaître leurs avis respectifs quant à la nécessité de continuer sa fondation de Paris. La critique de certains ecclésiastiques qu’elle doit subir la pousse à retourner à Rambervillers dans son monastère d’origine. Elle ne désire que cela afin d’y mener une vie de solitude et de retraite. À ces persécutions, s’ajoute sa lourde charge de supérieure. Toutes ces raisons suscitent chez elle un sentiment de profonde indignité. Malgré tout, elle est encouragée par eux de manière unanime, à continuer sa mission de fondatrice.

65 Cf. Jean Daoust, Catherine de Bar, Mère Mecthilde du Saint-Sacrement, Téqui, 1979, p.25 : « La maison était à peine installée que la fondatrice fut l’objet d'odieuses calomnies et d'injures sans nombre. Elle résolut de ne jamais se justifier, de ne jamais se plaindre, mais de redoubler de douceur et d'humilité. Voici un exemple entre cent des persécutions qu'elle subit. Un beau jour se présenta une soi-disant princesse étrangère qui sollicita son entrée au couvent. Elle allait apporter ses innombrables malles, bref de quoi meubler tout le monastère. Au dernier moment, la prieure pressenti la ruse : la princesse n'était qu'un individu déguisé en femme et ses caisses étaient farcies de gens armés qui se proposaient de saccager le logis. Un instant découragée, mère Mechtilde allait abandonner la direction de l'institut. Messieurs Vincent, Olier et Boudon lui enjoignirent de tenir ferme. »

66 Cf. Jean Tauler, Œuvres complètes, Les Institutions, t. VIII, c. 13, trad. Pierre Noël, Tralin, 1911, op. cit., p. 49 : « À coup sûr, ce que Dieu exige de nous par dessus toutes choses, c'est que nous lui offrions sans réserve notre volonté et que nous le laissions faire tout ce qu'Il veut. Voilà le moyen d'avoir la paix en tout. En dehors de là, tout ce que nous disons à Dieu, ou tout ce que Dieu nous dit, ne nous sert que peu ou point. Il faut en arriver à la maxime de l'Apôtre : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? (Act. 9). Alors, le Seigneur saura ce qu'il a à faire. Et cette attitude lui plaît bien mieux que si nous accomplissions des merveilles par notre volonté-propre ou que si nous lui disions que nous sommes disposés à en faire par amour pour lui. »

67 Cf. Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, p. 183. Mère Mechtilde écrira en 1659 à mère Benoîte, prieure de Rambervillers : « Ma très révérende mère, il me semble qu’il y a si longtemps que je ne vous ai écrit, que j’en souffre un peu de peine, car mon plus grand bonheur en ce monde est de me trouver dans votre sainte union au cœur de Jésus douloureux en croix, et anéanti dans le Très-Saint-Sacrement. Monsieur [Jacques Bertot] a dessein de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne la vie il ira. Il voudrait qu’en ce temps là, la divine providence m’y fit faire un voyage afin d’y venir avec vous ! […] Néanmoins ma fin approche, et je meurs de n’être pas à lui comme je dois. C’est un enfer, au dire du bon monsieur de Bernières, d’être un moment privée de la vie de Jésus-Christ : je veux dire, qu’il soit privé de sa vie en nous ; c’est ce que je fais tous les jours, en mille manières. J’en suis en une profonde douleur et c’est pour cela que je gémis, et que je vous prie et conjure de redoubler vos saintes prières. Au nom de Jésus en croix et sacrifié sur l’autel, faites pour moi quelques prières extraordinaires, par des communions et applications à Dieu dans votre intérieur. J’en ai un besoin si grand que je me sens périr, ma très chère mère, soutenez-moi, me voici dans une extrémité si grande que, si Dieu ne me regarde en miséricorde, il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal, il m’a dit de vous presser de prier Dieu pour moi ardemment et s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le-moi confidemment. Voici un coup important pour moi, et qui fait dire à ce bon monsieur que je suis dans mon dernier temps. Donnez-moi votre secours, par la charité que vous avez puisée dans le cœur de Jésus-Christ, comme à une âme qui a perdu la vie et qui ne peut ressusciter que par Jésus-Christ. »

68 Henri-Marie Boudon a été ordonné prêtre en avril 1655.

69 Bernières fait ici allusion à son déplacement chez les pères eudistes pour la bénédiction des cloches de leur chapelle dédiée au sacré-cœur de Jésus et de Marie. Elle a été commencée le 3 juillet 1652, et fut achevée en septembre 1655. Marie des Vallées et Jean de Bernières, furent respectivement choisis comme le parrain et la marraine de baptême de la cloche dédiée à cette chapelle.

70 Cf. Ruusbroec l’Admirable, La Pierre Brillante, op. cit., p. 32 : « Si nous demeurions toujours là avec le regard simple, nous sentirions toujours cela. En effet, que cet enfoncement dans la transformation divine, il continue éternellement et sans interruption, une fois que nous sommes sortis de nous-mêmes pour posséder Dieu en naufrage d'amour. En effet, si nous possédons Dieu en naufrage d'amour, c'est-à-dire en perte de nous-mêmes, Dieu est à nous et nous sommes à lui, et nous sommes éternellement en train de nous enfoncer sans retour en notre bien propre, qui est Dieu. Cet enfoncement est celui de notre essence, et il est accompagné d'un amour habituel, et c'est pourquoi il a lieu que nous dormions ou que nous veillions, que nous en ayons connaissance ou non. Et de cette façon, il ne mérite aucun nouveau degré de récompense, mais il nous maintient dans la possession de Dieu et de tout le bien que nous avons reçu. Cet enfoncement est semblable à l'écoulement continuel des rivières dans la mer, sans interruption ni retour, car c'est là leur lieu propre. De la même façon, si nous possédons Dieu seul, l'enfoncement de notre essence, accompagné d'un amour habituel, est un écoulement continuel et sans retour dans la sensation de ce que nous possédons et qui nous appartient. Si donc nous étions toujours simples, voyant cela constamment et pleinement, nous le sentirions toujours constamment. »

71 Cf. Jean de la croix, La Montée du Carmel, II, 5, op. cit., p. 135 : « Prenons une comparaison. Le rayon du soleil bat dans une vitre. Si la vitre est couverte de taches ou de vapeurs grossières, il ne la pourra éclaircir ni la transformer entièrement en sa lumière, comme si elle était pure et nette de toutes ces taches […] Et ce ne sera pas la faute du rayon, mais de la vitre. Parce que si elle était entièrement nette et pure, il l'éclaircirait et la transformerait tellement qu'elle paraîtrait le rayon même et rendrait la même lumière que le rayon [...] Ainsi, l'âme est comme une vitre dans laquelle bat toujours, ou pour mieux dire, en laquelle demeure toujours par nature cette lumière divine de l'être de Dieu, comme il a été dit. […] Et il se fait une telle union, lorsque Dieu départit cette surnaturelle faveur à l'âme, que toutes les choses de Dieu et de l'âme sont unes en transformation participée ; et elle semble plus être Dieu qu'être âme, et même elle est Dieu par participation ; encore qu'à la vérité son être naturel soit aussi distinct de celui de Dieu qu'il l'était auparavant, quoiqu'elle soit transformée ; comme aussi la vitre a son être distinct de celui du rayon, lorsqu'elle en est éclairée. »

72 Ruusbroeck l’Admirable est d’un précieux secours pour expliquer la transformation de l’âme par l’action de la grâce.

73 Cf. Ruuesbroec l’Admirable, La Pierre Brillante, op. cit., p. 13: « L'union avec Dieu que sent l'homme spirituel lorsque celle-ci se révèle à son esprit en son insondabilité, c'est-à-dire infiniment profonde, infiniment haute, infiniment longue et large en cette révélation même, l'esprit perçoit que, par amour, il s'est perdu et abîmé en cette profondeur, dépassé en cette hauteur et échappé en cette longueur. Il se sent égaré dans la largeur, il se sent demeurant en la connaissance inconnue, il se sent passé dans l'unité de Dieu à travers l'union sentie de son adhésion à lui, et dans sa vitalité à travers sa mort complète : là, il se sent une même vie avec Dieu. Et c'est là le fondement et le premier point en une vie contemplative. »

74 Ibid., p. 12 : « À présent, pour que cet homme bon ait une vie spirituelle pleine de ferveur, cela dépend d'encore trois autres points : le premier point, c'est que son cœur ne soit pas encombré ; le second point, c'est la liberté spirituelle dans son désir ; le troisième point, c'est de sentir une union intérieure à Dieu. […] Par ces exercices intérieurs, on atteint le troisième point, c'est-à-dire que l'on sent une union spirituelle à Dieu. En effet, celui qui, dans sa pratique de la vie intérieure, s'élève vers son Dieu librement et sans être encombré, et qui ne recherche que l'honneur de Dieu, goûtera nécessairement la bonté de Dieu et sentira de l'intérieur la véritable union à Dieu. Et dans cette union, une vie spirituelle et intérieure se trouve accomplie, car à partir de cette union, le désir est toujours de nouveau touché, et excité à de nouveaux actes intérieurs ; et tout en agissant, l'esprit s'élève à une nouvelle union : ainsi action et union se renouvellent-elles continuellement, et ce renouvellement en actes et en union, c'est cela une vie spirituelle. »

75 Ibid., p. 13 : « À présent, sache que si cet homme spirituel doit devenir un contemplatif, trois points encore en font partie. Le premier point, c'est qu'il ne sente pas de fond à ce sur quoi son être est fondé, et c'est de cette manière qu'il lui faut le tenir ; le second point : il faut que sa manière d'être soit sans mode ; le troisième point : il doit demeurer dans une divine fruition. […] Mais le contemplatif qui a renoncé à lui-même et à toute chose, et qui ne se sent distrait par aucune, du fait qu'il ne possède rien avec propriété, mais se tient libre de tout, peut continuellement venir nu et sans être encombré au plus intime de son esprit : là, il perçoit sans voile une lumière éternelle, et dans cette lumière, il sent l'attraction éternelle de l'union à Dieu, et il se sent lui-même comme un éternel feu d'amour, qui aspire par-dessus tout à n'être qu'un avec Dieu. Plus il éprouve cette attraction ou cette attirance, plus il sent cela ; et plus il sent cela, plus il a envie de n'être qu'un avec Dieu, car il a envie de payer la dette que Dieu exige de lui. »

76 Ibid., p. 31-32 : « Si nous demeurions toujours là avec le regard simple, nous sentirions toujours cela. En effet, cet enfoncement dans la transformation divine, il continue éternellement et sans interruption, unefois que nous sommes sortis de nous-mêmes pour posséder Dieu en naufrage d’amour. En effet, quand nous possédons Dieu en naufrage d’amour, c’est-à-dire en perte de nous-mêmes, Dieu est à nous et nous sommes à lui, et nous sommes éternellement en train de nous enfoncer sans retour en notre bien propre, qui est Dieu. Cet enfoncement est celui de notre être, et il est accompagné d’un amour habituel, et c’est pourquoi il a lieu que nous dormions ou que nous veillions, que nous en ayons connaissance ou non. Et de cette façon, il ne mérite aucun nouveau degré de récompense, mais il nous maintient dans la possession de Dieu et de tout le bien que nous avons reçu. Cet enfoncement est semblable à l’écoulement continuel des rivières dans lamer, sans interruption ni retour, car c’est là leur lieu propre. De la même façon, si nous possédons Dieu seul, l’enfoncement de notre être, accompagné d’un amour habituel, est un écoulement continuel et sans retour dans une sensation abyssale, que nous possédons et qui nous appartient. Si donc nous étions toujours simples, voyant cela constamment et pleinement, nous le sentirions toujours constamment. »


77 Ibid., p. 30 : « Vivre cela, c'est savourer simplement et sans rencontrer de limite tout ce qu'il y a de bon et la vie éternelle. Et en savourant ainsi, nous sommes avalés, au-dessus de la raison et sans la raison, dans le calme profond de la divinité qui jamais n'est ébranlé. Que cela soit vrai, on peut le connaître en le sentant, et pas autrement, car ce que c'est, comment, par qui, et où, ni la raison, ni aucun exercice ne peut y atteindre. Et c'est pourquoi notre exercice ici demeure toujours sans mode, c'est-à-dire sans manière [particulière], car le bien insondable que nous savourons et possédons, nous ne pouvons ni le saisir ni le comprendre, et nous ne pouvons jamais non plus par notre exercice sortir de nous-mêmes et entrer là. Et c'est pourquoi nous sommes alors pauvres en nous-mêmes et riches en Dieu, affamés et assoiffés en nous-mêmes, ivres et rassasiés en Dieu, agissant en nous-mêmes et absolument au repos en Dieu. Et nous continuerons toujours ainsi, puisque sans exercer l’amour, jamais nous ne pouvons posséder Dieu. Et celui qui sent ou croit autre chose est trompé. »

78 Ibid., p. 15 : « Continuellement l'esprit brûle en lui-même, car son amour est éternel, et continuellement il se sent se consumer en amour, car il est attiré en la transformation qu'opère l'unité de Dieu. Là où il brûle en amour, s'il fait attention à lui-même, l'esprit perçoit distinction et altérité entre lui et Dieu, mais là où il se consume, il est simple et ne s'en distingue aucunement, et c'est pourquoi il ne sent rien d'autre que l'unité. En effet, la flamme immense de l’amour de Dieu dévore et engloutit tout ce qu'elle peut étreindre en ce qu'elle est en elle-même. »

79 Cf. Gal. 2, 20.

80 Cf. Jean de la croix, Œuvres complètes, Vive Flamme d’Amour, op. cit., p. 210.

81 Cf. Catherine de Bar (1614-1698), une âme offerte à Dieu en saint Benoît, ouvrage collectif, Téqui, 1998, p. 141 : « Comme il est normal à toutes les oeuvres voulues par Dieu, la fondation de mère Mechtilde se heurta à d'innombrables difficultés, et bien qu'elle s'abandonnât entièrement à la providence sur ce point, elle dut à plusieurs reprises se défendre. Le détail des persécutions qu'elle eut à subir ne nous est pas entièrement connu, mais il est certain qu'elle fut victime de graves suspicions, allant parfois jusqu'à la calomnie. Elle se heurta, semble-t-il, à l'hostilité du groupe janséniste qui avait espéré un temps l'attirer à lui. Au début de 1659, les Cordeliers à leur tour, contestèrent la légimité de son passage dans l'Ordre bénédictin, et elle dut entreprendre des démarches à Rome pour en obtenir confirmation. Finalement, elle obtint du pape Alexandre VII un « bref » très favorable en date du 20 septembre 1660, confirmé par des Lettres patentes royales du 26 juin 1662. Cependant la mère Mechtilde ne connut jamais vraiment la tranquillité. Les humiliations, les souffrances et les épreuves ne lui firent jamais défaut. »

82 Mère Mechtilde se fait l’écho de ces recommandations de Jean de Bernières, en s’adressant à sa fille spirituelle et amie, Marie de Châteauvieux. Cf. Catherine de Bar, Une amitié spirituelle au grand siècle. Lettres de Mère Mecthilde de Bar à Marie de Châteauvieux, Éditions Téqui, 1989, p. 225-228 : « Vous devez donc haïr vos infidélités parce qu'elles déshonorent Dieu, mais non pas vous en troubler ni inquiéter. Haïssez la coulpe, mais aimez chèrement la peine. Soyez marrie d'être contraire à Dieu, mais soyez bien aise que cela vous confonde et vous fasse connaître votre fonds malin. Je veux bien que vous gémissiez sous le poids de cette chair de péché avec saint Paul, mais je -désire que vous entriez dans sa très profonde humilité. Car les misères qu'il ressentait le jetaient dans un abaissement si extrême qu'il se disait un petit avorton et indigne du nom d'apôtre. Ne dit-il pas qu'il se glorifie dans ses infirmités ? Quelles sont les infirmités de saint Paul ? Ce sont les aiguillons des péchés qu'il portait et ressentait continuellement en lui-même. Et lorsqu'il en demandait la délivrance, il a appris que, par toutes ces misères, son âme se perfectionnait. Ma très chère fille, ne vous troublez point, votre état est bon ; mais n'y soyez pas si réfléchie. Soyez plus abandonnée et plus dans la confiance en Dieu. Votre perfection est l'ouvrage de Jésus-Christ. Soyez assurée qu'il la couronnera de ses bénédictions. Mais il faut que vous demeuriez ferme, souffrant la destruction que son amour fait en vous de tout ce qui est opposé à son règne. Je plains votre âme qui se tourmente dans ses ténèbres et dans ses ignorances ; et pour ne comprendre point le chemin où Notre-Seigneur l'attire pour se la rendre toute à lui, elle se travaille et se peine très inutilement. Devenez petite enfant, plus soumise que jamais et plus simplifiée dans vos pensées. On vous assure que votre voie est bonne et sainte, marchez en confiance. »

83 Durant le carême, mère Mechtilde n’a pas ménagé sa santé corporelle. Atteinte d'une fluxion de poitrine et d'un mal de côté, joints à un engourdissement du bras gauche qui lui ôtait tout mouvement, elle se sent très oppréssée.

84 Selon l’adage scolastique : quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur [tout ce qui est reçu, est reçu selon les dispositions du sujet qui le reçoit].

85 Cf. Ruusbroec l’Admirable, La Pierre Brillante, op. cit., p. 28 : « Et en ce mourir, nous voilà fils cachés de Dieu, et nous percevons en nous une nouvelle vie, et c'est une vie éternelle. Et de ces fils, saint Paul dit que vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Maintenant, comprends comment cela se passe. Tant que nous avançons vers Dieu, il nous faut nous présenter à lui et lui présenter toutes nos œuvres comme une éternelle offrande ; mais en sa présence, nous nous laisserons nous-mêmes ainsi que toutes nos œuvres, et mourant en amour, nous dépasserons toute condition créée, jusqu'en la richesse suressentielle de Dieu : là, nous le posséderons en une mort éternelle à nous-mêmes. Et c'est pourquoi l'Esprit de Dieu dit dans le livre du Secret que bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur ; c'est à bon droit qu'il les nomme bienheureux morts, car ils demeurent éternellement morts, abîmés en l'unité fruitive de Dieu, et continuellement ils meurent en amour de par l'attraction qu'exerce la transformation de cette même unité. L'Esprit de Dieu dit en outre : ils se reposeront de leurs travaux et leurs œuvres les suivront. Dans les modes, là où nous sommes engendrés par Dieu en une vie spirituelle vertueuse, nous présentons nos œuvres comme une offrande à Dieu ; mais dans le non-mode, là où de nouveau nous sommes morts en une vie éternelle bienheureuse, nos œuvres bonnes nous suivent, car elles sont une même vie avec nous. Dans notre avancée vertueuse vers Dieu, Dieu demeure donc en nous ; mais dans le dépassement de nous-mêmes et de toute chose, c'est nous qui demeurons en Dieu. »

86 En avril 1657, mère Mechtilde s’est rendue, sur ordre des médecins, aux eaux de Plombières, en Lorraine, pour une cure thermale. En route, elle fit halte à Nancy, chez les sœurs de la congrégation de Notre-Dame où vivaient ses deux nièces, puis à Rambervillers, où elle proposa aux moniales de s'agréger à l’institut, enfin à Épinal où elle secourut les annonciades.

374